Funérailles de M. Étienne

Le 15 mars 1845

Abel-François VILLEMAIN

FUNÉRAILLES DE M. ÉTIENNE

PAROLES PRONONCÉES PAR M. VILLEMAIN,

AUX FUNÉRAILLES DE M. ÉTIENNE,

EN L’ABSENCE DE M. LE DIRECTEUR DE L’ACADÉMIE,

Le 15 mars 1845.

 

MESSIEURS,

L’Académie est encore émue des regrets profonds naguère renouvelés pour elle par l’éloquent éloge du poëte si célèbre et si aimé, qu’elle a perdu, dans le milieu de la vie et le progrès du talent.

Aujourd’hui elle se voit enlever, dans un âge peu avancé, un de ses plus anciens membres, celui que par la vicissitude des temps, et en retour d’une exclusion injuste qui devint un honneur, elle avait élu deux fois, à quinze ans d’intervalle, le facile et souvent énergique écrivain, dont l’esprit varié s’adaptant avec art aux époques les plus opposées, sut y mériter, au même degré, sous des formes diverses, le succès et l’estime.

Une voix imposante[1], qui manque involontairement à cette réunion de devoir et de douleur, redira dans un autre lieu, et sous l’impression d’un deuil moins récent, les caractères distinctifs que porta M. Étienne dans les lettres et dans la politique ; elle dira comment, poëte dramatique, sa spirituelle hardiesse, qui parut une liberté sous l’Empire, est demeurée pour nous un monument classique de fine observation et de goût ; elle rappellera comment, changeant de carrière pour rendre sa verve comique plus utile, d’un poète ingénieux, il devint un libre et piquant publiciste, et de là un digne représentant du pays, fidèle à toutes les occasions de péril public et de liberté nationale.

Mais ici, Messieurs, en face de cette tombe qui avertit et calme toutes les passions, et aussi devant cette immortelle espérance qui soutient seule contre toutes les douleurs, nous louerons surtout l’honnête homme, l’excellent et affectueux confrère, l’ami sûr et dévoué, le citoyen modéré non moins qu’indépendant, dont le talent fut heureusement excité par la polémique, sans que son âme ait été jamais aigrie par la haine, l’homme de lettres enfin dont l’imagination élégante et pure respecta toujours la dignité morale et la vertu.

Le talent survit dans l’avenir comme une image agrandie de l’intelligence impérissable qui s’est éloignée de ce corps mortel ; mais au dernier moment de cette vie d’ici-bas, il n’y a de consolant et de précieux pour l’homme que la pensée du bien qu’il a fait, des devoirs qu’il a remplis, et des pleurs qu’il a mérités.

 

[1] M. le comte Molé, directeur de l’Académie.