Rapport sur le concours des Antiquités de la France

Le 16 juin 1922

Émile MÂLE

ACADÉMIE DES INSCRIPTIONS & BELLES-LETTRES

COMPTES RENDUS DES SÉANCES DE L’ANNÉE 1922

RAPPORT SUR LE CONCOURS DES ANTIQUITÉS DE LA FRANCE

EN 1922

PAR M. E. MÂLE
MEMBRE DE L’ACADÉMIE

Lu dans la séance du 16 juin 1922

 

Douze ouvrages ont été présentés cette année au concours des Antiquités de la France. Le nombre des concurrents n’a donc pas diminué, mais le concours a paru à la Commission inférieur à celui des années précédentes. La première médaille n’a pu être décernée. La peine qu’a aujourd’hui un érudit à faire imprimer ses livres explique en grande partie cette infériorité du concours. On nous présente des collections de brochures, des réunions d’articles qui ne sont pas assurément sans mérite, mais qui nous font regretter les solides ouvrages d’autrefois. En décernant ses récompenses, la Commission a dû tenir compte des difficultés actuelles, qui n’ont jamais été aussi sensibles que cette année.

La seconde médaille a été attribuée à M. Roger Grand, professeur à l’École des Chartes. Ses Mélanges d’archéologie bretonne ne sont pas un livre, mais une suite de dix articles qui ont déjà paru dans un volume du Congrès archéologique de France. Ces articles sont consacrés à des châteaux bretons, parmi lesquels il faut citer le fameux château de Josselin, et à des églises bretonnes : la cathédrale de Vannes et l’église Saint-Gildas de Rhuys. Ce sont des monographies claires, rapides, allégées de descriptions inutiles, ne mettant en relief quel essentiel. L’auteur, qui sait voir et comparer, date avec sûreté les différentes parties d’un édifice. L’article le plus séduisant du recueil, celui qui a attiré surtout l’attention de la Commission, est consacré à cette question : y a-t-il un art breton ? M. Roger Grand reconnaît que la Bretagne a beaucoup emprunté, mais ses emprunts n’ont pas tardé à revêtir un caractère original. On voit naître à la fin du moyen âge un art breton véritable que l’auteur essaie de caractériser. Il y a là quelques remarques très justes sur l’influence qu’a exercée l’emploi du granit. Mais il y a surtout quelques pages excellentes sur le génie breton qui peut seul expliquer ces monuments singuliers qu’on ne trouve qu’en Bretagne : les calvaires, les ossuaires, les portes monumentales des cimetières. Dans ce petit recueil M. Roger Grand ne se montre pas seulement bon archéologue, il apparaît comme un esprit distingué.

La troisième médaille revient à M. Jusselin, archiviste du département d’Eure-et-Loir, pour une ample brochure qui est presque un livre, et qui est intitulée : La maîtrise de l’œuvre de Notre-Dame de Chartres. Des nombreux documents du xive siècle étudiés par M. Jusselin, il résulte qu’à la cathédrale de Chartres, le magister operis, le maître d’œuvre, n’était pas un architecte. C’est là une conclusion assez inattendue, car pour beaucoup d’érudits l’expression magister operis ne pouvait s’appliquer qu’à l’architecte lui- même. Or, à Chartres tout au moins, il n’en était pas ainsi. Les maîtres d’œuvre n’étaient pas des hommes du métier, c’étaient de simples chefs de service, chargés de surveiller les ouvriers et d’assurer la régularité des travaux ; ils n’étaient même pas appelés aux expertises. À Chartres, leur charge était héréditaire et passait du père au fils. Il faut donc rayer de la liste des architectes de Chartres, Simon Dagon et Huguet d’Ivri, qui furent de simples maîtres d’œuvre, au sens que nous venons d’indiquer. M. Jusselin, en revanche, nous fait connaître les véritables praticiens, maçons, charpentiers, verriers, plombiers, qui dirigeaient les travaux de la cathédrale au commencement du XIVsiècle, c’est-à-dire au temps où s’élevait la belle chapelle Saint-Piat. Les résultats de ce travail sont, on le voit, d’un grand intérêt. Tout ce qu’on peut nous apprendre de nouveau sur un monument comme la cathédrale de Chartres nous est extrêmement précieux. Il est fâcheux que l’auteur ait écrit son mémoire sans se soucier assez de son lecteur : de longs documents en latin, qui devraient être rejetés en note, sont introduits dans le texte même, et il arrive qu’une phrase commencée en français s’achève en latin. La Commission a été très sensible à ce manque d’art.

M. Léon Coutil obtient la première mention avec quatre fascicules d’un ouvrage intitulé : Département de l’Eure. Archéologie gallo-romaine, franque et carolingienne M. Léon Coutil est plutôt un curieux d’antiquités qu’un archéologue et un historien. Il s’est instruit lui-même, et on s’en aperçoit plus d’une fois. Il y a dans son livre des erreurs, des lacunes, et on souhaiterait que l’esprit critique s’y montrât plus éveillé. Il est des textes importants, il est de grands ouvrages d’érudition qu’il semble ignorer. Mais l’ardeur infatigable de M. Léon Coutil lui fait pardonner bien des défauts. Il connaît tous les villages de son département, il en a exploré tous les musées et toutes les collections particulières, il a dessiné et photographié sans relâche les monnaies, les vases, les statuettes, les moindres fragments antiques ; il a entrepris des fouilles ; il a recherché dans les églises les parties mérovingiennes ou carolingiennes qui subsistent encore. Il a pu de la sorte nous donner un recueil extrêmement précieux qui réunit des centaines de documents, dont quelques-uns sont inédits.

La seconde mention est accordée à M. l’abbé de Laeger, professeur d’histoire ecclésiastique au grand séminaire d’Albi, pour le livre intitulé : États administratifs des anciens diocèses d’Albi., de Castres et de Lavaur, suivis d’une bio-bibliographie des évêques de ces trois diocèses. Par états administratifs, l’auteur entend les listes d’églises fournies soit par les pouillés, soit par les rôles dressés en vue de la perception des droits dus au Saint-Siège. Tous ces documents nous font fort bien connaître la géographie ecclésiastique d’une région qui correspond à peu près au département actuel du Tarn. Ces textes sont accompagnés d’un commentaire abondant et souvent très intéressant. Un livre si riche de documents nouveaux sera un répertoire extrêmement utile qui devra être consulté désormais par tous ceux qui s’intéressent à l’histoire ecclésiastique de la France. La Commission a regretté que ce bon livre ait été mal composé : le désordre dans lequel les documents sont présentés, l’enchevêtrement des textes, et, pour tout dire, l’absence de plan, enlèvent à l’œuvre quelque chose de sa valeur.

M. le chanoine Prévost nous présente, sous forme de manuscrit, le recueil des chartes de l’abbaye de Clairvaux, de II date de la fondation du monastère par saint Bernard, à l’année 1319. C’est un recueil considérable, puisqu’il contient la copie de 2287 chartes, transcrites dans quatre cartulaires de Clairvaux conservés à Troyes et à Paris, ou empruntées aux chartes originales des Archives de l’Aube. Une courte introduction, qui aurait pu être un peu plus ample, précède le recueil. Les chartes ont été classées par l’auteur, non dans l’ordre adopté par les cartulaires, mais dans l’ordre chronologique, et toutes les dates en ont été ramenées à celles du calendrier moderne. La fameuse abbaye de Clairvaux n’a pas encore son histoire : M. le chanoine Prévost en prépare les matériaux avec une application digne d’éloges. Il serait à souhaiter qu’un tel livre pût être imprimé. Si l’auteur le publie, les tables devront en être revisées avec soin et complétées par un index des noms de personnes. Le livre de M. le chanoine Prévost a obtenu la troisième mention.

La quatrième mention a été accordée à M. Salin pour le volume intitulé : Le cimetière barbare de Lezéville. C’est la description faite avec un soin extrême d’un cimetière de la Haute-Marne que l’auteur, ingénieur civil des mines et maître de forges à Nancy, a exploré lui-même. Les fouilles ont été conduites avec une conscience rare, et une méthode dont il convient de féliciter l’auteur.