Célébration du 33e anniversaire de l'armistice, à Rethondes

Le 11 novembre 1951

Louis Pasteur VALLERY-RADOT

DISCOURS PRONONCÉ AU CARREFOUR DE RETHONDES

LE 11 NOVEMBRE 1951

POUR CÉLÉBRER

LE 33e ANNIVERSAIRE DE L’ARMISTICE

 

PAR LE

PROFESSEUR PASTEUR VALLERY-RADOT

AU NOM DE L’ACADÉMIE FRANÇAISE

 

Une volonté que nul événement ne peut entamer, une confiance qu’aucun désastre ne peut ébranler, une ardeur qu’aucune déception ne peut éteindre, un goût des responsabilités qui lui fait tenter les entreprises les plus périlleuses, un ascendant sur les chefs qui lui permet toutes les audaces, et par dessus tout une foi illimitée dans les destinées de la France qui l’incite constamment à l’action : tel nous apparaît le maréchal Foch.

Il y a trente-et-un ans, alors qu’au lendemain de son triomphe militaire il était reçu à l’Académie française, il célébrait le soldat français, « cet immortel croisé de l’éternelle croisade du Droit et de la Liberté contre l’Oppression et la Force ». Et il rappelait comment un effort continu de quatre ans, dans une lutte gigantesque, transforma une situation fois désespérée en une complète victoire.

Ces volte-faces du sort, qui maintes fois sauvèrent les armes de la France, furent les résultantes de la force de caractère de Foch, alliée à sa sûreté de jugement.

Dans les fameux combats des marais de Saint-Gond, qui décidèrent du sort de la bataille de la Marne, sa droite enfoncée, sa gauche cédant, il attaque... et ce fut la victoire.

Après la chute d’Anvers et la ruée allemande sur Dunkerque et Calais, sous la menace angoissante d’un enveloppement de l’aile gauche des armées alliées Foch établit, à force de volonté persuasive, un front continu jusqu’à la mer.

Quelques jours après, la formidable mêlée des Flandres, où se joue le sort des armées belge et anglaise, va tourner au désastre : l’inflexible volonté de Foch fait s’incruster au sol les fusillers marins et la 42e division qui s’est couverte de gloire à la bataille de la Marne : l’ennemi est arrêté.

Mais c’est plus tard, en la dernière année de la guerre, que Foch donna toute sa mesure. Il montra au monde étonné que « la victoire, selon ses propres expressions, va toujours à ceux qui la méritent par la plus grande force de volonté et d’intelligence ».

Le 21 mars 1918, les ennemis attaquent au point de charnière des armées britannique et française. Sous la ruée de ses 37 divisions, le front cède, Ham et Péronne tombent, Noyon va être pris, la chute d’Amiens est proche, la disjonction des armées alliées n’est plus qu’une question de temps : la catastrophe est imminente. Mais voici que le 26 mars, à Doullens, Foch est chargé de coordonner l’action des deux armées, française et anglaise. Instantanément, la situation n’apparaît plus désespérée : « Tenir, tenir à tout prix » est la consigne qui court d’un bout à l’autre du front. La volonté indomptable de Foch l’emporte : l’attaque allemande est stoppée, Amiens sauvé, la soudure entre les deux armées alliées définitive.

Nommé généralissime, Foch soutient pendant quatre mois le choc des dernières et formidables offensives allemandes.

C’est d’abord l’attaque des monts de Flandres où la vague ennemie déferle sur l’armée anglaise et menace Calais. La présence d’esprit et la ténacité de Foch la brise sur les pentes du mont Kessel.

C’est ensuite, ce tragique matin du 27 mai, la percée sur le Chemin des Dames. Un bombardement continu de 4.000 pièces d’artillerie et un voile épais d’ypérite ont précédé l’assaut de l’infanterie allemande. Nos fantassins cèdent, l’ennemi traverse l’Aisne, franchit la Vesle, atteint Soissons et la Marne, plus rien n’arrête sa marche en avant, la route de Paris est ouverte : voici enfin la percée, recherchée frénétiquement pendant près de quatre ans... Eh bien, non ! Foch est là. Il maintient ses armées sur la montagne de Reims et dans la forêt de Villers-Cotterêts. Vaincu, il croit en la victoire. Les Allemands entrent à Château-Thierry, atteignent la voie ferrée de Paris à Châlons, attaquent au sud de Montdidier et de Noyon, la trouée s’élargit, ils ne sont plus qu’à 65 kilomètres de Paris. Les civils s’affolent, le Parlement est en plein désarroi, les troupes alliées perdent confiance. Foch, seul, demeure impassible. Raidi dans sa volonté de barrer la route à l’assaillant, il est là, devant Compiègne, animant de son ardeur chefs et soldats. Et l’irréalisable devient réalité : devant lui s’arrête le flot ennemi.

Voici la dernière offensive allemande, le 15 juillet, sur un front de 90 kilomètres, de Château-Thierry aux gorges de l’Argonne. Foch d’une façon lumineuse a tout prévu. Les vagues d’assaut se brisent sur nos deuxièmes positions, sont fauchées par l’artillerie, asphyxiées par les gaz. Elles sont bientôt à bout de souffle.

Et le 18 juillet commence le merveilleux « renversement » qui aboutira à la victoire définitive des Alliés. Ce sont maintenant les Français et les Anglais, aidés des Américains, qui sont les maîtres du champ de bataille. L’espoir change de camp. La poussée en avant, au lieu de se dessiner vers la Seine, s’effectue désormais irrésistiblement vers le Rhin. Dans le plan d’ensemble le plus prodigieux qu’ait conçu un chef militaire, le génie de Foch réalise, d’une façon méthodique, des offensives successives, admirablement coordonnées, sur l’immense front ennemi qui couvre tout le nord et l’est de la France. Foch attaque partout et partout l’Allemand recule. La victoire est enfin à celui qui pendant quatre ans a cru en elle, même dans les moments les plus désespérés.

Ici la Marne est retraversée par les troupes françaises, Amiens dégagé, Montdidier reconquis. Là Bapaume, Nesle, Péronne sont enlevés de haute lutte par l’armée anglaise. Les Américains délivrent Saint-Mihiel.

Foch dans des attaques concentriques se bat au Nord, au Sud, au Centre, ne laissant aucun répit à l’ennemi. En quelques semaines la splendide poussée en avant des armées françaises, anglaises, américaines et belges, sous le vent de la victoire, nettoie presque tout le sol de la France et une partie de la Belgique.

La volonté de Foch domine l’immense champ, de bataille et partout s’impose victorieusement, jusqu’au jour où les Allemands effondrés, se sentant perdus sur le front de l’Ouest comme ils le sont en Autriche et en Orient, adressent au Président Wilson une demande d’armistice. Les 222 divisions alliées, sur 400 kilomètres de front, n’en continuent pas moins leur marche triomphale à travers la France et la Belgique.

C’est ici, dans cette forêt de Compiègne, que s’accomplit le dernier acte, voulu depuis quatre ans, avec la ténacité d’un caractère indomptable, par celui qui incarnait l’âme de la France : la capitulation de l’Allemagne devant les soldats du Droit et de la Liberté.

Aussi longtemps que les Français seront conscients de la grandeur de la France et de sa mission dans le monde, ils viendront se recueillir sur ce coin de terre sacrée. Ils y évoqueront le nom de Foch, gloire pure entre toutes de la Patrie.