Recension du dernier volume des "Vaches sacrées" de Thierry Maulnier

Le 23 novembre 1989

Étienne WOLFF

RECENSION

LUE PAR

M. Étienne WOLFF

du dernier volume des

Vaches sacrées :
Les Matins que tu ne verras pas

de

M. Thierry MAULNIER

dans la séance du jeudi 23 novembre 1989

 

 

Nous venons de recevoir avec une grande émotion le livre de Thierry Maulnier intitulé : Les Matins que tu ne verras pas, quatrième tome de la série Les Vaches sacrées.

C’est comme un recueil de maximes d’outre-tombe. Je rappelle que nous avions des places voisines à l’Académie française. Il occupait celle qui échoit actuellement à Mme Jacqueline de Romilly. S’il avait montré quelque fléchissement physique, il avait conservé une admirable clairvoyance intellectuelle.

C’était un homme d’une haute intelligence, d’une grande finesse. Les textes qu’il nous offre aujourd’hui constituent un recueil de pensées. Il y en a 445. L’ouvrage pourrait aussi bien être intitulé « Pensées ».

Si j’interviens aujourd’hui pour parler de ce livre, c’est que nous avons souvent discuté ensemble de questions de biologie, de reproduction. Thierry Maulnier avait beaucoup médité, il avait une connaissance très fine de ces problèmes. C’est à eux que dans ce livre il consacre quelques-uns des plus longs développements.

Dans la section II, intitulée « À la recherche du sens de la vie et de la mort », il se pose beaucoup de questions relatives à l’origine de la vie, à la genèse de la pensée, à l’apparition et à l’avenir de l’homme, grands problèmes de ce qu’on pourrait appeler la métabiologie.

Il a de tous ces problèmes une vision profonde, il les survole avec clairvoyance et pénétration. Ces pensées complètent son œuvre. Elles révèlent aussi le caractère de l’homme dans toute sa vérité : derrière ses analyses pénétrantes et rationnelles, on devine une profonde anxiété devant des problèmes lancinants.

Les autres sections intitulées : « Je parle un peu de moi », « La réalité du réel », « Politique », « L’humanité en marche », « Dieu, pourquoi ? », « Les relations humaines », ne sont pas moins passionnantes.

Je cite trois ou quatre maximes parmi les plus courtes :

130. 20 mars 1984.

« Les matérialistes et les spiritualistes ont raison tous deux. La pensée n’existe que par le monde extérieur qui l’informe. Le monde extérieur ne nous est donné que par la pensée. »

134. 8 juillet 1984.

« L’artifice des philosophes est de traduire le langage clair en un langage obscur. »

142.8 juillet 1984.

« Les images qui nous sont fournies par nos sens sont le seul langage qui nous permette de connaître le monde, et nous savons que ce langage est menteur. Le monde manifesté à nos sens est le seul auquel nous puissions donner un contenu et une forme, et pourtant il est illusion.

Et pourtant cette illusion dans laquelle le monde se donne et se dérobe est la seule réalité. »

Dans un passage d’une maxime du 30 avril 1985, il évoque Newton observant avec curiosité la chute d’une pomme...

« Des milliers ou des millions d’observateurs ont vu tomber des pommes sans éprouver le besoin de construire sur ce phénomène indéfiniment répété, et par là même insignifiant, une théorie générale du monde physique. Tout le monde n’est pas Newton.

Bien entendu, rien ne nous garantit l’authenticité de l’histoire de la pomme. »

On retrouve dans ce livre l’acuité, la profondeur de la pensée, l’humour un peu désabusé, l’angoisse sous-jacente de Thierry Maulnier. L’ouvrage est d’autant plus émouvant qu’il nous donne l’impression d’une résurrection.