Inauguration d'une statue élevée en l'honneur du maréchal Lyautey, à Casablanca

Le 5 novembre 1938

Louis GILLET

INAUGURATION D’UNE STATUE ÉLEVÉE EN L’HONNEUR
DU MARÉCHAL LYAUTEY

A CASABLANCA
le samedi 5 novembre 1938

DISCOURS

DE

M. LOUIS GILLET
DÉLÉGUÉ DE L’ACADÉMIE FRANÇAISE

 

Sire ([1]),
Monsieur le Ministre ([2]),
Madame la Maréchale,
Monsieur le Résident général,
Excellences,
Mesdames, Messieurs,

Au nom de l’Académie française, j’ai l’honneur d’apporter l’hommage de la Compagnie à la mémoire du maréchal Lyautey. Je vous exprime les regrets de mon confrère Henry Bordeaux, qui avait été délégué à cette cérémonie et qu’un accident a privé de la joie d’y assister. Il vous aurait dit mieux que moi ce que j’ai à vous dire.

Le Maréchal appartenait à notre illustre Maison, où il retrouvait des amitiés comme celles d’Albert de Mun et du vicomte de Vogüé, guides très chers de sa jeunesse, au temps où le capitaine Lyautey écrivait ces pages mémorables sur le « Rôle social de l’Officier », charte et manuel de l’armée française. Plus tard, il y retrouva encore Charles Jonnart, son ancien Gouverneur général d’Algérie, qui avait fait nommer le colonel Lyautey au commandement d’Aïn-Sefra, sur la frontière marocaine : c’est là que le futur Résident général du Maroc prit contact avec la terre d’Afrique et avec le domaine splendide qu’il devait ajouter un jour à la Patrie.

Le maréchal Lyautey avait plus d’une raison d’être des nôtres. L’auteur des Lettres du Tonkin et de Madagascar est un écrivain-né, un de ceux qui ont la griffe du lion, comme Montluc et comme César. Ce texte tiendra toujours son rang parmi ceux qui font dire : « C’est plus qu’un livre. Voici un homme. »

Mais l’Académie se fait gloire de s’associer les hommes qui honorent la France par l’éclat de leurs services, sans leur demander compte de leurs titres littéraires : elle couronne, autant que les Lettres, ce qui s’écrit avec l’épée.

Dans cette liste fameuse des Joffre, des Foch et des Pétain, le Maréchal s’est inscrit le premier sur nos registres. Il a pris le premier son inscription académique. C’est que, dans cette génération des vainqueurs, il a eu le bonheur d’être celui qui apportait à la France, deux ans avant la Marne, l’aurore de la Victoire. Je n’ai pas à vous rappeler comment le Maroc se trouva mêlé aux origines de la guerre mondiale, et demeura l’enjeu secret de l’immense partie qui se jouait. On se battait pour Fès autant que pour Strasbourg. C’est le sentiment du réconfort que rendait aux Français la geste marocaine, que l’Académie voulut témoigner par le choix qu’elle fit du général Lyautey : elle voulut exprimer la gratitude du pays à celui de ses fils qui ramenait sous nos drapeaux le sourire de la Fortune.

Puis-je ajouter qu’elle reconnaissait dans Lyautey le type du héros qu’elle aime ? Ce n’était pas seulement l’enfant gâté de Mars, le soldat heureux qui nous consolait enfin de nos revers : c’était le modèle de l’homme de guerre à la française, généreux et chevaleresque, habile autant qu’intrépide, avare du sang d’autrui comme du sang des siens, respectant en tout homme la dignité humaine, et ne voyant déjà dans l’adversaire d’aujourd’hui que l’allié et l’ami de demain. Il était moins le guerrier, que le Pacificateur. Il nous apportait de la Gloire qui avait les mains pures et que n’avait jamais souillée l’abus de la violence, ni déshonorée l’usage des armes déloyales dans sa conquête, il visait avant tout celle des cœurs. Il n’était pas de ceux qui prennent pour devise : « Qu’on me haïsse, pourvu qu’on tremble ! » Il préférait se faire aimer. Pourquoi ? Parce qu’il aimait lui-même. Ce fut son grand secret, son charme, son arme irrésistible. Et c’est ainsi qu’il opéra ce miracle, le miracle du Maroc, non moins éblouissant que celui de la Marne : lorsque la patrie, pour sa défense, eut besoin de tous ses enfants, il osa renvoyer ses troupes, et pendant quatre ans, désarmé, occupa le Maghreb à lui tout seul, par le prestige et la confiance. Il fit plus : ce pays apprivoisé de la veille lui fournit des recrues, des soldats qui accoururent à la rescousse des nôtres, et n’hésitèrent pas à verser leur sang sur les champs de bataille français. Telle fut la plus belle victoire de Lyautey. Telle fut, deux ans après les combats de Fès et Marrakech, cette loyauté du Maroc, dont la France s’enorgueillit, et dont, aux heures critiques des dernières semaines, elle vient de recevoir une touchante et nouvelle preuve.

Il n’est pas de plus belle louange à la gloire du Maréchal. Inutile de vanter son œuvre dans ces lieux pleins de sa présence : les choses parlent plus haut que mon discours. Mais il sera permis au délégué de l’Académie d’ajouter un mot sur la leçon que nous laisse ce grand homme : c’est le sens religieux de cette cérémonie. Il existe aujourd’hui des systèmes puissants, redoutables par leur succès et par leur propagande, qui se fondent sur l’inégalité et sur l’inimitié des races. La race devient le fait fondamental et la clef de l’histoire et de la politique. Les faits humains sont ravalés au plan physiologique, à la fatalité de la chair et du sang. Tous les instincts du Maréchal, toute sa pensée, toute son action protestent contre ce dogme barbare. Il n’avait garde de nous dégrader au rang des espèces animales, et de rabattre nos efforts à l’égal des luttes zoologiques qui remplissent l’histoire naturelle. Son œuvre est fondée sur l’estime. Il avait le génie humain; ce grand Français ne tenait pas la nation pour une prison. Dans tout homme, il respectait un frère. Comme c’est le bienfait des cœurs nobles, sa manière était d’ennoblir ; sa grâce, son privilège royal était le don.de faire des nobles. C’était un prince. C’est ce qui le rendit cher à ce pays, qui place si haut les valeurs de générosité, de détachement, de sainteté, et qui ne reconnaît d’autre grandeur que celle du cœur.

C’est ainsi qu’il a su unir dans une seule famille sa famille chrétienne et sa famille musulmane, et sa double patrie française et marocaine. Il ne séparait pas ce que Dieu a fait un. Au lieu de diviser, il n’a jamais cherché entre les enfants des hommes, que ce qu’il appelait le dénominateur commun. C’est là l’esprit de la France, c’est sa vocation spirituelle. C’est par là qu’aujourd’hui où tant de menaces pèsent sur le monde, où tant d’angoisses nous oppriment, vous nous offrez encore, Monsieur le Maréchal, un programme et une base d’action : la France, fière de son Empire et appuyée sur lui, peut encore remplir sa mission dans l’univers et y faire rayonner, comme vous l’avez fait sur cette terre d’Afrique, ses puissances d’amour, la sainte amitié du genre humain.

 

[1] S. M. le Sultan du Maroc.

[2] M. Guy La Chambre, ministre de l’Air, représentant le Gouvernement.