Funérailles de M. Charles Blanc

Le 20 janvier 1882

Camille ROUSSET

FUNÉRAILLES

DE

M. CHARLES BLANC

MEMBRE DE L’ACADÉMIE

Le vendredi 20 janvier 1882.

DISCOURS

DE

M. C. ROUSSET

CHANCELIER DE L’ACADÉMIE.

 

MESSIEURS,

M. Charles Blanc a été, dans l’Académie française, le représentant accrédité de la littérature appliquée aux beaux-arts. Passionné pour l’esthétique, il a voué sa vie tout entière à communiquer autour de lui, à propager au plus loin possible la passion qui l’animait. Si le burin, qu’il avait manié dans sa première jeunesse, avait eu la vivacité, la souplesse, la fécondité de sa plume, il aurait pu conquérir une place éminente dans notre glorieuse école de gravure ; mais les idées bouillonnaient dans sa tête, il avait hâte de leur donner l’expression qu’elles exigeaient ; il se sentait le talent d’écrire ; il écrivit. En rassemblant tout ce qu’il a livré, d’une main prodigue, au public, notes, notices, articles de journaux, articles de revues, on composerait toute une bibliothèque. Ce n’est pas qu’avec cette facilité d’improvisation il s’effrayât des travaux longuement médités et longtemps soutenus. L’Histoire des peintres de toutes les écoles, ce monument colossal, n’a pas demandé moins de vingt-huit années de soins assidus et de laborieux efforts. Et que de temps n’ont pas coûté la Grammaire des arts du dessin, l’œuvre capitale de notre confrère, et cette Grammaire des arts décoratifs, son œuvre de prédilection, à peine achevée d’hier, presque une œuvre posthume ! C’est dans ce livre surtout que nous pouvons admirer toutes les ressources de son esprit et toutes les finesses de son style. Dominés par la philosophie du sentiment, ainsi qu’il a défini l’esthétique, relevés par les hautes spéculations de l’idéal qui les ennoblit, tous ces détails d’ameublement, de décoration, de costume, ne paraissent plus minutieux ni vulgaires ; ils sont les éléments nécessaires d’un harmonieux ensemble ; c’est le rapprochement, ingénieux de ces petits riens en apparence qui donne effectivement sa valeur au tout. Ce soin constant, cette recherche, je dirai ce culte de l’idéal, a son prix, Messieurs ; dans le dernier venu de ses ouvrages, commue dans les premiers, M. Charles Blanc s’est montré nettement spiritualiste.

Tel nous l’avons connu dans nos réunions, académiques. Il a été parmi nous un aimable, un excellent confrère. Très assidu, très attentif à nos discussions, il y intervenait fréquemment avec une vivacité courtoise. Comme il était toujours préoccupé de l’expression juste, il s’intéressait beaucoup aux questions de linguistique. Souvent, jaloux de contribuer à notre Dictionnaire historique de la langue française, il apportait des passages qu’il avait extraits de Montaigne, et je me souviens que, dans une des dernières séances auxquelles il ait pu assister, il s’inquiétait d’une certaine citation de son auteur favori qu’une erreur de composition n’avait pas mise à sa vraie place.

Il n’y a guère plus d’un mois, alors que le mal dont il était déjà frappé ne semblait pas dangereux encore, l’Académie l’avait spontanément élu directeur, nous espérions que cette marque de sympathie pourrait aider à sa convalescence et hâter le moment où nous le verrions prendre sa place au fauteuil : nous savons du moins que, sensiblement touché de l’intérêt que lui témoignaient ainsi ses confrères, il a presque jusqu’à la tin partagé leur fugitif espoir, et que cette heureuse confiance a pu servir parfois d’adoucissement à ses cruelles douleurs.

Cher et regretté directeur, au nom de l’Académie française, je vous apporte le dernier hommage et vous dis le suprême adieu.