Discours prononcé à l’occasion du tricentenaire de l’Académie de Nîmes, Nîmes

Le 15 mai 1982

André CHAMSON

DISCOURS

prononcé à l’occasion du

TRICENTENAIRE DE L’ACADÉMIE DE NÎMES

 

Messieurs,

Maintenant je dois prendre la parole et pourtant j’écoute encore ce qu’ont dit avant moi tant d’orateurs divers, chacun d’entre eux témoignant d’une expérience différente.

Je voudrais tenter de ramener vers l’unité ce qui a été dit de ce pays, de cette région de passage, de cette ville enfin, qui est la mienne, et qui réunit les hommes du bord de mer et des étangs aux hommes des hautes vallées et des montagnes. Mais comment trouver l’unité de ceux qui sont venus du sud de l’Italie, comme les pêcheurs du Grau, et de ceux qui, franchissant les vallées et les hautes crêtes, sont descendus de l’Aubrac et du centre même de la terre de France ? Entre tous ces hommes différents, quel peut être le point de convergence, le signe de famille ? Je dirai que c’est sans doute le fait d’avoir été sans cesse aspirés par l’histoire, d’en avoir vécu pleinement les servitudes contraires, toutes les joies, mais aussi toutes les fureurs. Les gens de Nîmes ont eu d’immenses chances et de grands malheurs, mais leurs malheurs sont aussi devenus des chances.

Parlons d’abord des changes originels. Bâtie au pied de la bienfaisante fontaine gauloise dédiée au dieu Nemausus, Nîmes est la ville de province qui a conservé les bâtiments romains les plus intacts. Nos ancêtres ont eu le privilège de naître et de vivre entourés des chefs-d’œuvre de l’art antique, des Arènes à la Maison Carrée, des Portes monumentales au Temple de Diane et aux Bains romains. Ici, l’antiquité est toujours présente. Qu’un enfant soulève la poussière de notre terre, et il peut trouver une monnaie, un fragment de statue ou de mosaïque !

À ces monuments se sont ajoutés, après un Moyen Age tumultueux, aux XVIIe et XVIIIe siècles, de somptueuses résidences, de beaux hôtels particuliers, et surtout, un jardin merveilleux, « refuge élyséen », créé par Mareschal, enchâssant la source du dieu Gaulois. La grâce de cette Fontaine allie plaisamment, avec ses terrasses, ses belles courbes, ses balustres, ses hautes frondaisons, le XVIIIe siècle à la source gauloise et au dessin des Bains romains. La Tour Magne, belle rose chère à Apollinaire, couronne le tout.

Devant tant de beautés rassemblées dans l’harmonie, Mistral a pu écrire ces vers que vous connaissez tous :

« Au Front de la Tour Magno
Lou sant signau es fa ! »

Baignant dans la culture, l’art, la littérature, les Nîmois n’ont pas été épargnés par les luttes civiles. Les guerres de religion ont ravagé notre pays. Le sang a coulé dans notre cité. Mais ces malheurs répétés ont poussé certains de nos ancêtres à se retrouver plutôt qu’à combattre. Autant que la beauté sereine des premiers âges, les troubles de notre histoire ouvrirent l’esprit des hommes de ce pays au respect des autres, à la libre réflexion, en un mot, à cette vertu que l’on nomme tolérance.

Des groupes de « gens d’esprit et de savoir » voulurent donc se réunir pour se concerter et réfléchir ensemble.

Cet « esprit de réunion, de discussion et d’analyse » qui fit le fondement de la plupart des Académies, aboutit à la fondation de l’Académie de Nîmes. Elle reçut en 1682, très peu de temps après l’Académie française, ses lettres patentes.

L’époque était loin d’être conquise à la tolérance et, dès sa fondation, les persécutions religieuses obligèrent certains académiciens huguenots à partir pour l’exil. Mais, sans doute, une force tranquille permit à notre Académie de surmonter les drames qui menaçaient de l’emporter.

Après une brève interruption en 1793, l’Académie fut reconstituée en 1801. Un groupe catholique, un groupe protestant, un groupe d’indépendants qu’on appelait les sauvages s’y côtoyaient en profonde entente amicale. Tout ce monde travaillait, faisant surtout de l’archéologie (n’était-ce pas un lieu privilégié pour l’étude de l’art antique). Il s’adonnait à l’histoire, à la poésie, à la littérature. On peut relever de très grands noms dans cette assemblée. Il m’est impossible de les citer tous, mais je salue en passant mon compatriote Florian, Boissy d’Anglas, Napoléon et Lucien Bonaparte, Goethe qui fut aussi des vôtres, et, plus près de nous, Guizot, Alphonse Daudet, Bigot, Camille Jullian, Gaston Boissier...

Ma joie est grande, aujourd’hui, chers Confrères et Compatriotes, de me retrouver parmi vous. J’ai reçu délégation pour représenter l’Académie française. Elle poursuit sans répit, sous la bienveillante férule de mon grand ami Jean Mistler, la tâche difficile de continuer le dictionnaire de notre langue française, en restant fidèle à la fois à la tradition et à la « vido vidanto ».

Ici, à Nîmes, où je suis né avec le siècle, je me sens chez moi. Des liens familiaux m’unissent à vous. Mon beau-père, Félix Mazauric, est mort alors qu’il était président de votre Compagnie. Ma femme, Lucie Mazauric, est membre non résident de votre Académie. Ma fille, Frédérique Hébrard, vient d’être élue membre honoraire de votre Assemblée.

Notre cher et si précieux Georges Martin nous a, hélas, quittés l’an dernier, alors qu’il eut été si heureux de participer à cette fête Je le sens encore auprès de nous.

Je voudrais pouvoir citer tout le monde car je ne compte ici que des amis. Pierre Hugues d’abord, votre secrétaire perpétuel, dont l’affection m’est particulièrement chère parce qu’il représente pour mon ménage une longue suite de souvenirs heureux. Il porte le poids de cette cérémonie et la lourde tâche de secrétaire perpétuel. Je le charge de dire à votre Président et à chacun de vous mon amitié confraternelle. Je dois saluer encore le maire de cette Cité, Monsieur Jourdan, qui accomplit sa tâche avec tant de scrupule et de bonté. Je veux aussi dire mon affection à Edgar Tailhades, qui a pris la succession des gouverneurs de Languedoc, et dont je connais depuis toujours la sagesse et la souriante efficacité. Comment ne pas remercier également notre ministre et présidente, Madame Georgina Dufoix, dont le nom est respecté dans notre famille, car c’est le père de son beau-père qui a mis au monde notre fille, Frédérique Hébrard !

Je veux associer à cette revue de l’amitié les académiciens français qui m’accompagnent : l’Alésien Monsieur Leprince-Ringuet, le duc de Castries, aussi nîmois que montpelliérain, Michel Droit, mon ami et mon camarade de guerre, Monsieur de Bourbon Busset, lié à cette ville par le souvenir d’un être cher qui repose dans le beau cimetière de la route d’Alès.

Enfin, je salue les Membres de l’Institut, des Jeux Floraux et des autres Académies qui ont bien voulu prendre part à ces fêtes. Et maintenant, faisons nos premier pas sur la route du 4centenaire. Faisons pour notre Compagnie le vœu que Mistral a fait pour les paysans de Provence :

« Atetouni sus la patrio
Veirès passa li barbario
E mai li civilisacioun
Bien accrochés sur la patrie
Vous verrez passer les barbaries
Mais aussi les civilisations. »