Compliment au Roi sur le glorieux succès de sa Campagne

Le 9 septembre 1745

Prosper JOLYOT de CRÉBILLON

COMPLIMENT AU ROI,

Sur le glorieux succès de sa Campagne, par M. DE CREBILLON, Directeur de l’Académie Françoise.

 

SIRE,

VOTRE MAJESTÉ, en se couvrant d’une gloire nouvelle, n’a fait que varier nos alarmes. Vous avez voulu nous payer en Héros & en Roi, des sentiments d’amour que nous vous devions si naturellement comme à notre père ; mais si nous vous avons vu partir avec confiance pour les succès ; si la nouvelle d’une grande victoire n’a point étonné nos peuples ; enfin si vous nous avez accoutumés sans peine à mépriser l’ennemi, quand vous allez combattre, j’ose assurer V. M. qu’Elle n’accoutumera jamais les François à lui voir hasarder sa Personne sacrée. Ce qu’on doit pardonner en faveur d’une réputation à faire, paroît de trop quand la réputation est faite. Dès qu’il nous faudra vous craindre vous-même, & pâlir les premiers à vos moindres mouvements, nous ne vous verrons plus partir sans murmurer. C’est dans ces occasions, SIRE, qu’il est permis à notre tendresse de parler avec liberté. Hé ! comment pourrions-nous, sans frémir, nous rappeler qu’un petit coin de la terre inconnu jusqu’ici, ait vu dans un même jour ce que l’Univers a de plus grand, ce que la France a de plus précieux, exposé à des périls qui semblent n’être faits que pour le soldat ? Cependant, SIRE, quelles que soient nos craintes, vous n’entendrez point nos voix timides troubler le cours de vos conquêtes, ni vous demander la paix. Non, SIRE, ne la donnez jamais à l’Europe cette paix tant désirée, que vos ennemis ne soient hors d’état de la troubler : qu’ils tombent ces audacieux, & que leur désolation apprenne à la terre effrayée combien les forces d’un Roi de France sont redoutables, sur-tout quand la sagesse & la valeur- du Monarque, sont encore au-dessus de sa puissance ! Mais, SIRE, ne pouvons-nous pas nous flatter que V. M. qui vient d’être le témoin de l’intrépidité de ses troupes, comme elle en a été l’âme, daignera du moins leur confier le soin de sa vengeance, & qu’elle se contentera d’éclairer ces hommes généreux & fidèles dont elle a. tant de fois éprouvé le courage & le zèle ? Victorieux, adoré & digne de l’être, il ne manque à V. M. qu’un peu d’amour pour elle-même, pour une vie glorieuse à laquelle la vie de tant de milliers d’hommes est si tendrement attachée.