Célébration du troisième centenaire de l'Académie française, au ministère des Affaires étrangères

Le 20 juin 1935

Gabriel HANOTAUX

VINGT JUIN
RÉCEPTION SOUS LA COUPOLE
DINER AU MINISTÈRE DES AFFAIRES ÉTRANGÈRES

 

Le jeudi 20 juin, à 14 heures, sous la Coupole, réception suivant l’usage, du dernier académicien élu et non encore reçu. Le maréchal Franchet d’Espèrey, élu au fauteuil devenu vacant, par la mort du maréchal Lyautey, a été reçu par M. Abel Bonnard, directeur en exercice lors de la mort du maréchal Lyautey. Des places du centre avaient été réservées aux délégués français et étrangers et à leurs familles, et aux membres du Corps diplomatique. Le « remerciement » du maréchal Franchet d’Espèrey et la réponse de M. Abel Bonnard, l’un et l’autre d’une remarquable élévation, furent couverts d’unanimes applaudissements.

Le soir, au Ministère des Affaires étrangères, mis gracieusement à la disposition de l’Académie par le Ministre, président du Conseil, M. Laval, un dîner de quatre cents couverts, présidé par M. le président de la République, a réuni les membres de l’Académie française, les membres du Corps diplomatique, les délégués des Académies et Universités de la France et de l’étranger et leurs familles, et de hautes personnalités du monde des Lettres et des Arts.

Les discours suivants y ont été prononcés :

 

DISCOURS

DE

M. GABRIEL HANOTAUX
DIRECTEUR DE L’ACADÉMIE

 

Monsieur le Président de la République,

L’Académie française est grandement honorée que vous ayez daigné, comme vos illustres prédécesseurs, vous intéresser à son développement ; elle vous remercie respectueusement d’avoir bien voulu, aujourd’hui, présider cette réunion qui groupe autour d’elle les délégations venues de la France entière et des diverses parties de l’univers, lui apporter leur salut fraternel.

Dans ce ministère des Affaires étrangères, qui a le souci constant de veiller aux relations, non seulement pacifiques, mais amicales, avec les pays étrangers, la place était tout indiquée pour vous recevoir et vous entourer de cette élite choisie parmi les forces intellectuelles de tant de peuples : ces universités et ces académies travaillent, comme nous-mêmes à aider, développer, répandre l’étude des langues, des lettres, la poursuite de l’idéal à la recherche du beau, du juste, du bien.

Nous adresserons nos particuliers remerciements à M. le président du Conseil, ministre des Affaires étrangères, qui nous accueille si largement et si libéralement. Dans le voyage qu’il vient d’accomplir à travers l’Europe, il s’est trouvé en présence de la diversité des intérêts et des sentiments chez les autres peuples, nos compagnons de route dans l’histoire. Il a su régler des difficultés graves, arrondir des angles, améliorer des situations complexes, ménager des combinaisons heureuses. Partout il a montré cet esprit à la fois ferme et conciliant qui attire la confiance et assure les adhésions durables.

Cet esprit de réalisation s’était employé au dehors ; il va s’appliquer au-dedans ; par un premier geste, dont nous sommes fiers. M. le président du Conseil veut bien accueillir l’Académie française dans sa propre maison.

Les délégations françaises et étrangères réunies ce soir autour de vous, Monsieur le Président, ont fait un trop court séjour à Paris. Elles ont pu voir, cependant, les choses telles qu’elles sont et non telles qu’on tend à les faire paraître. La ville leur a présenté son spectacle habituel d’activité, d’élégance, de santé, de beauté. Le public se presse partout où il est appelé ; nos larges boulevards sont trop étroits pour la circulation ; les expositions ne peuvent contenir la foule curieuse de s’élever aux hautes impressions de l’art ; nos salles de théâtre et de cinéma sont pleines ; les Parisiennes sont toujours bien habillées.

Hier, M. Baldwin, cet ami toujours bienveillant et clairvoyant de la France, au moment où il prenait la direction des affaires en Angleterre, prônait avec autant de force que de raison la stabilité et la prospérité de l’Empire. Quelle leçon n’avait-il pas déjà donnée, la veille, quand avec une verve pleine de justesse, il dénonçait la peur el la panique comme les plus grands maux du temps actuel !

S’il était des nôtres aujourd’hui, nous lui présenterions la France et nous la lui montrerions avec son sang-froid, sa belle humeur et sa mobilité essentielles ; par là, toujours fidèle à elle-même, puisque c’est la façon dont elle pratique la stabilité.

Elle s’agite parfois trop à la recherche du mieux ; mais aussi ne mérite-t-elle pas quelque indulgence si l’on pense aux maux qu’elle a endurés rien que dans ce court espace, la vie d’un homme qui ne peut pourtant pas se dire centenaire, et parmi lesquels je suis ?

Dieu me garde d’évoquer, au milieu de nos fêtes, ces douloureux tableaux ! Qu’il me soit permis seulement de rappeler que, si la crise, — la crise que nous subissons comme les autres, — s’est abattue sur le monde, ce n’est pas nous qui avons déchaîné la catastrophe qui a tué les hommes, les richesses, le travail, le crédit. Or, c’est à cet abîme que les peuples de l’univers tentent de s’arracher et parmi eux le pays qui a le plus souffert, la France.

Son élite, deux millions de mâles, a été fauchée en pleine jeunesse et force ; ses plus riches provinces ont été saccagées ; sa défense nationale a été anéantie. Il a fallu tout reprendre à pied d’œuvre, assainir la terre, relever les ruines; reconstituer les familles dispersées, refaire tous les travaux publics, nourrir l’étranger qui nous fournissait la main-d’œuvre, rétablir partout les bases de la vie sociale.

Et, si nous déplorons les charges énormes qui écrasent nos budgets, pourquoi fermerions-nous les yeux sur ce fait que c’est la triste survivance de ceux qui ont échappé à tant de meurtres et de misères, les éclopés, les vieillards, les veuves, les orphelins, qui doit se consacrer à la tâche de nourrir et de soutenir les plus frappés des survivants de la grande lutte, les médaillés du salut de la France et du salut du monde ?

Oui, l’abîme creusé dans la richesse et le crédit universels est un mal pour ainsi dire désespéré; mais pourquoi ne dirions-nous pas, avec la même franchise virile, que, s’il est un remède, ce remède est dans l’ordre, l’économie, l’épargne ? Et pourquoi ne proclamerions-nous pas que, sur ce point encore, la France est prête à montrer l’exemple ?

Les entrepreneurs du pire ne s’y trompent pas ; et c’est sur l’épargne française que s’est portée la récente offensive visant notre monnaie. Mais, là aussi, la France est en garde; elle est armée ; là aussi, elle est sur le rempart ; là aussi, comme elle a tenu, elle tiendra !

Et disons-nous, enfin, Monsieur le Président de la République, devant vous, fils d’une frontière tant éprouvée, mais toujours renaissante et toujours plus attachée et plus chère à la mère-patrie, la terre des Barrès, des Poincaré, des Lyautey, que la mission de la France et de la République dans le monde, malgré tant d’épreuves, ne cesse pas de s’accomplir.

En dépit de ces mauvaises paroles, que fomentent des passions, pas toujours désintéressées, la France ira droit devant elle et suivra son chemin. Sous vos auspices, Monsieur le Président, elle saura recouvrer les sentiments d’union et de camaraderie enthousiaste qui la soutenaient hier encore ; elle contribuera par sa fermeté, sa compréhension et sa plasticité politique à empêcher, par les ententes collectives et particulières, le retour de ces malheurs affreux dont l’humanité entière a l’appréhension et l’horreur ; elle saura achever la restauration de notre richesse nationale et de notre crédit, sans oublier que la fortune de la France a toujours servi à la prospérité universelle et aux grands progrès réalisés sur la planète ; elle saura, enfin, poursuivre l’activité missionnaire qui est son œuvre propre et par laquelle des territoires et des peuples sans nombre, enfoncés hier encore dans la plus noire barbarie, ont pris rang avec elle et par elle dans le cortège total de l’humanité civilisée. Nos tâches sont toujours instantes ; nous y travaillons sans relâche, On comptant sur l’avenir.

L’avenir !... Ne voyons-nous pas monter vers nous les rangs pressés de cette belle jeunesse, née après la guerre, et qui va remplir les vides creusés au sein de nos populations ? Ces frais visages nous entourent, ces adolescents sont des hommes ; ces beaux courages nous pressent de les attacher à leur devoir. Avec quelle joie nous leur céderons la place !

Vous les connaissez, Monsieur le Président, vous les visitez, vous les encouragez. Or, ils sont là, — un peu là. Ils n’ont pas besoin qu’on les excite par des ordres impérieux ou des mesures rigoureuses. Nous savons, nous, les pères et les aïeux, que la France peut compter sur eux, sur leur volonté libre et sur leur ardeur réfléchie. Ils sont fermes, renseignés, déjà éprouvés. Ils savent qu’il faut travailler, supporter, souffrir. Ils sont décidés, désintéressés, laborieux ; ils sont fiers ! Ils ne se laisseront pas faire. Ce sont nos enfants ; c’est la France.

Excusez-moi, Monsieur le Président, excusez-moi, Messieurs les délégués, d’avoir épanché devant vous ce que j’ai au fond du cœur. Pouvions-nous vous apporter une preuve plus grande de notre gratitude que de vous parler avec sincérité et confiance ? S’il y a, dans mes paroles, un certain entraînement d’optimisme et de foi, excusez un Français de France, un historien qui n’a nulle raison de trouver dans notre longue histoire des causes de désespérance.

En vous donnant le tableau de la vraie France, en vous parlant le langage de la vraie France, celle d’hier et celle de demain, en vous disant la grandeur des tâches devant lesquelles nous ne reculerons pas, en vous exposant des sentiments différents de ceux des augures, en vous indiquant les raisons de croire et d’espérer, nous voudrions nous montrer dignes de l’honneur que les délégations ont fait à la France en venant commémorer avec elle l’anniversaire de l’une de ses plus anciennes et de ses plus nobles institutions.

En réclamant votre estime, votre amitié et votre confiance, nous croyons travailler, en cette journée d’union et de compréhension mutuelle, à l’avènement de ce bien exprimé par le plus beau mot de notre Dictionnaire : la Paix.

 

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En souvenir de son Troisième Centenaire, l’Académie a fait frapper une médaille commémorative, œuvre du graveur Dammann, qui a été remise à tous les délégués.

Un timbre-poste à l’effigie de Richelieu a été dessiné et gravé par le graveur Ouvré. M. Georges Mandel, ministre des Postes, Téléphones et Télégraphes, a bien voulu le faire imprimer par les ateliers des timbres de son ministère.

Un tableau, groupant dans leur salle des séances tous les membres qui composaient l’Académie à la date de juin 1935, a été exécuté par le peintre Devambez, de l’Académie des Beaux-Arts.

Sous le titre de Trois cents ans de l’Académie française, un livre a été publié à la librairie Firmin Didot, imprimeur de l’Institut, œuvre collective à laquelle ont collaboré tous les membres de l’Académie en l’année 1935, chacun d’eux évoquant un chapitre spécial de l’histoire de l’Académie, hommage des académiciens d’aujourd’hui aux académiciens d’autrefois.