Réponse au discours de réception d’Emmanuel Mercier Dupaty

Le 10 novembre 1836

Alexandre-Vincent PINEUX DUVAL

Monsieur,

Parmi nos honorables devoirs, il en est un tout à la fois doux et pénible à remplir. Trop souvent une cruelle nécessité, plus cruelle aujourd’hui qu’un malheur récent vient de nous atteindre encore dans la personne de l’un de nos respectables doyens, nous force à constater publiquement les pertes qui nous affligent et les efforts que nous faisons pour les réparer.

En acceptant ce devoir, qui m’est imposé par mon ancien titre de directeur, j’ai trop oublié peut-être que les infirmités d’un âge avancé m’ôteraient les moyens d’être le digne interprète de l’Académie ; mais une raison ou plutôt un sentiment que vous devinerez, que vous saurez apprécier, m’a seul déterminé à profiter de mes droits. Aussi vous m’excuserez, si je ne puis donner à mes paroles cette élévation de pensées qui est l’éloquence. Ne pouvant atteindre si haut, je pourrai du moins, en usant des privilèges qui me sont accordés par le temps, causer doucement et même familièrement avec vous de cet honorable confrère que vous avez si bien loué, des titres littéraires qui vous ont fait asseoir près de nous, et de cet usage bien ancien que conserve religieusement l’Académie, de rendre publiques ses joies et ses douleurs.

Cet usage de jeter une sombre couronne sur la tombe éloignée du confrère qui n’est plus, et d’en tresser une autre plus riante pour l’homme de lettres qui lui succède, en réveillant tout à la fois dans nos cœurs des souvenirs de peine et de plaisir, nous fait supporter plus philosophiquement ces inévitables changements que la mort apporte tous les ans parmi nous autres immortels.

Avant de joindre mes éloges aux vôtres pour le grand orateur qui appartient maintenant à la postérité, permettez-moi de hasarder quelques réflexions sur les devoirs de l’académicien. Ces devoirs, je n’en doute pas, vous saurez les remplir ; cependant je vais vous étonner en vous prévenant qu’ils ne sont plus aussi faciles qu’on le suppose généralement, et qu’autrefois ils pouvaient l’être.

En enrichissant l’Académie dans l’intérêt des lettres et de la morale publique, M. de Montyon nous a créé de nombreux travaux. Mais ces travaux qui vous attendent, satisferont tout à la fois votre esprit et votre cœur. Ce grand philanthrope, en nous élevant à la qualité de juges, en nous obligeant d’apprécier, d’analyser les nombreux écrits destinés à propager l’amour de tout ce qui est bon et utile, en nous donnant de plus à parcourir les annales qui, tous les ans, nous révèlent cent beaux traits de courage et de dévouement, a considérablement augmenté les devoirs qui nous sont prescrits par les lettres patentes de 1635, que, pour l’utilité de nos successeurs, vous avez bien fait de nous rappeler.

Vous nous avez dit, Monsieur, que, par ces lettres patentes, l’Académie fut, il y a deux cents ans, chargée impérieusement d’épurer le goût, de rendre la langue française universelle, et de protéger les mœurs contre les écarts de la littérature. Mais l’Académie a-t-elle pu toujours remplir ces obligations ? Les révolutions politiques et littéraires ne l’ont-elles pas forcée de n’accomplir qu’une partie de sa noble tâche ? Et si elle n’a pu protéger tout à fait les mœurs contre les écarts de sa littérature, c’est qu’il est des temps malheureux de fanatisme et d’erreur dans les lettres et dans la politique, où la raison ne peut plus se faire entendre. Nos successeurs, plus heureux que nous, inspirés par la philanthropie de M. de Montyon, je dirais presque d’un nouveau fondateur, achèveront notre ouvrage, ou plutôt le continueront, en ajoutant aux palmes littéraires que nous décernons tous les ans, de riches récompenses pour les livres utiles et pour les actions vertueuses.

En vous avertissant d’avance qu’une place à l’Institut n’était plus une sinécure, j’avais une secrète pensée qui sera comprise de mes confrères. Ils savent ou doivent savoir que si nous ne remplissions pas, autant qu’il nous est permis de le faire, toutes nos obligations, ce serait un véritable tort que nous aurions envers la société, envers les bienfaiteurs de l’humanité dont nous sommes les mandataires, envers nos laborieux confrères à qui nous laisserions porter tout le poids du jour.

Nous devrions nous rappeler sans cesse que, moins heureux que ces pieux fainéants dont parle Boileau, nous ne jouissons pas de ce doux privilège de laisser

« À des chantres gagés le soin de louer Dieu. »

En vous parlant des services rendus à l’humanité par un homme bienfaisant et généreux, en vous rappelant les devoirs auxquels nous soumet sa munificence éclairée, vous voyez, Monsieur, que j’arrive tout naturellement aux grandes vertus de l’orateur qui se trouve être aujourd’hui l’objet de vos éloges mérités ; que ne puis-je vous imiter en ajoutant de nouveaux traits de talent, de courage, de désintéressement à cette belle vie de M. Lainé, à cette vie tout à la fois si modeste et si imposante, si cachée et si glorieuse ! Mais, permettez-moi de vous le dire, emporté par la beauté de votre sujet, vous avez oublié que l’Académie devait joindre ses couronnes aux vôtres. Entré le dernier dans la route que vous avez si bien parcourue, je rencontre bien des difficultés à m’acquitter de notre dette commune. Vous avez largement moissonné dans un champ où je ne puis maintenant que glaner. Oui, Monsieur, je l’avoue en rougissant, ce n’est pas sans un secret sentiment d’envie que je vous ai vu dérouler les annales d’une existence si riche et si variée ; et telle était mon impatience contre votre louable fécondité, que, si vous ne vous étiez pas de vous-même arrêté sur le seuil de l’Académie, je me serais vu forcé de profaner la parole sainte et de vous dire d’une voix amie : « Tu n’iras pas plus loin. »

En effet, il eût été bien téméraire à vous de suivre M. Lainé jusque dans notre sanctuaire où vous n’aviez pas encore le droit de pénétrer. Sans doute, vous auriez mieux que moi représenté cet homme supérieur au milieu de ses confrères, prenant un intérêt touchant à nos discussions, ou plutôt à nos paisibles entretiens. Vous l’eussiez peint avec cet air calme de la vertu, répandant tout le charme d’une douce éloquence sur un sujet léger en apparence, mais devenu grand par les développements que savait y donner l’orateur. Oh ! que de fois, avant de l’avoir entendu, d’avoir resserré les liens de la confraternité, nous avons regretté que, par une modestie qu’il ne devait qu’à sa délicatesse, à son respect pour la justice, il nous eût privés si longtemps de sa présence ! Mais ce sentiment de justice qui le fit refuser de se montrer à nos séances était une conséquence de sa vie entière, c’était encore une protestation contre un acte de tyrannie.

L’ordonnance de 1816 qui, en nous privant de plusieurs de nos confrères, substituait à des noms illustres des noms qui avaient aussi leur célébrité, devait mécontenter l’Académie ; et en effet elle y porta un instant le trouble et le découragement. Nous ravir le droit d’élection, droit reconnu par nos statuts, exercé depuis deux cents ans, c’était attaquer l’institution dans ses fondements, c’était lui enlever son plus beau privilège.

M. Lainé comprit si bien l’injustice de cette mesure, que, n’étant point élu par nous, il ne se crut point académicien. Nos nouveaux confrères qui s’étaient soumis doucement au joug de l’ordonnance ne purent l’engager à suivre leur exemple, à paraître à l’Académie. Non-seulement cette ordonnance rigoureuse nous affligeait en éloignant de nous des confrères malheureux et qui avaient un grand besoin de nos consolations, mais elle nous privait encore du plaisir de nommer ceux de leurs remplaçants qu’un peu plus tard la justice et leur réputation nous auraient fait un devoir de choisir, et certes, le ministre sans ambition, le grand orateur, l’homme vertueux, aurait été l’objet de notre premier choix.

Tous les jours plus étonnés de l’absence de l’homme distingué que nous désirions voir siéger auprès de nous, nous parvînmes à en deviner le motif. C’est alors que, jaloux de lui prouver que, tout en protestant secrètement contre l’ordonnance, nous acceptions l’élu du pouvoir, nous nous empressâmes de le nommer directeur à l’unanimité. Cette élection, fruit de notre estime, j’oserai presque dire, cette élection du cœur lui causa un tel plaisir, que lorsqu’on l’instruisit de sa nomination, il s’écria avec une joie d’enfant : « Ah ! cette fois, je suis de l’Académie ! »

Pardonnez-moi, Monsieur, si j’ose croire, mais vous n’en conviendrez pas, que vous aussi, à votre tour, vous venez d’éprouver un secret sentiment d’envie. Oui, vous regrettez de ne vous être pas approprié ce petit tableau de justice et de bonhomie qui aurait bien tenu sa place dans votre riche galerie. Mais ici, l’homme illustre et bon, car il lui faut toujours cette double épithète, m’appartient tout entier. Moi seul ai le droit de vous peindre le charme qu’il répandait sur nos séances, le plaisir qu’il y semblait prendre, et le murmure de satisfaction qui se faisait entendre lorsqu’il arrivait pour y prendre sa place. Il est de mon devoir d’ajouter qu’à nos séances il était très-exact, aussi exact que sa faible santé pouvait le permettre ; et tel était l’intérêt qu’il apportait à nos travaux, qu’à la gravité de ses paroles on aurait pu croire que dans le conseil des ministres il soutenait encore les intérêts des pauvres proscrits étrangers ; et tel était aussi sur nous le pouvoir de ses paroles, que nous n’étions satisfaits de nos jugements, qu’autant qu’il les avait sanctionnés de son éloquente opinion.

Trop avides du plaisir que nous avions à l’entendre, peut- être avons-nous oublié qu’il fallait nous mettre en garde contre son zèle vertueux, sa bienveillance accoutumée ; peut- être, dans ces derniers temps, avons-nous eu tort de lui permettre de faire des rapports sur les prix Montyon. Le talent qu’il déploya dans cette discussion, cette chaleur d’âme qui anime le discours, mais qui fatigue le corps, nous firent craindre d’avoir à nous reprocher tout le charme que nous éprouvions à l’entendre ; tout en le plaignant de ses souffrances, nous admirions avec quelle justice et quelle bienveillance il appréciait le mérite des concurrents, avec quelle lucidité, surtout quelle probité, il faisait ressortir les beautés ou les défauts d’un ouvrage. Non, je ne crois pas, tant il mettait de justice et de goût dans ses appréciations littéraires, que dans toute sa vie académique il ait trouvé parmi nous un contradicteur. Seulement, lorsque, animé par la discussion, il se montrait jaloux de faire pénétrer ses idées dans tous les esprits, sa raison dans tous les cœurs, sa voix grave, mais affaiblie par ses travaux passés du barreau, de la chambre et du ministère, s’élevait par élan à un degré de force qui nous faisait redouter que sa précieuse santé ne souffrît des suites de son énergique éloquence. Aussi, plus jaloux en ce moment de conserver parmi nous cet homme respectable que d’admirer son beau talent oratoire, nous nous empressions, avec tout l’intérêt qu’il nous inspirait, de le prier de s’arrêter, de ne pas se fatiguer. Nous ajoutions qu’il pouvait parler tout bas, que nous saurions toujours l’entendre, ce qui, dans notre pensée, voulait dire : « Plus d’une fois, à la tribune, nous vous a avons admiré ; mais nous voulons vous conserver encore pour nous, pour la France entière, comme un modèle pour les orateurs qui ne parlent que d’après leur conviction, pour les ministres intègres qui n’ont pour but que le bonheur de leur pays, et pour tous les hommes qui veulent obtenir de leurs talents, de leurs vertus, le beau titre de grand citoyen. »

Que pourrais-je ajouter de plus au riche tableau que vous nous avez tracé des grandes qualités de notre illustre confrère ? Sans doute on pourrait rappeler encore quelques traits généreux de sa vie qui ont échappé à nos investigations, mais il est difficile de connaître tout ce que l’humanité peut devoir aux secrètes vertus de l’homme de bien : il cache sa vie presque autant que le méchant. Mais cette vie de talents et de vertus n’est-elle donc pas assez bien remplie ? Toutes ces belles actions que vous avez recueillies et colorées de tout le charme de votre style ne suffisent-elles pas pour exciter les regrets publics ? Oh ! combien ces regrets doivent être vifs et touchants dans les lieux où il reçut la naissance ! lieux chéris de la Providence, où tous les dons du ciel semblent réunis ; où le courage, l’éloquence, la philosophie, l’amour de la patrie paraissent faire partie de ce sol si fécond, qu’il semble créer à volonté des hommes destinés à briller au barreau, dans les armées, à la tribune, dans le conseil des rois, et, dans les révolutions, à expier sur un échafaud leur amour pour la liberté.

Au rang de ces philosophes, de ces célèbres orateurs de la Gironde, m’apparaît, comme à vous, cette grande ombre de votre père. Si la mort ne l’eût pas ravi si promptement à l’espoir de la France, nous l’aurions vu briller parmi ceux qui changèrent les destinées de notre belle patrie. Mais devons-nous regretter qu’il n’ait point prêté l’énergie de sa voix à ses illustres compatriotes ? Doué, comme eux, de talents et de ce courage dont il donna une si grande preuve, comme eux il aurait peut-être succombé dans nos tempêtes politiques, en défendant cette liberté pure de crimes, cette liberté fondée sur la raison et sur les lois.

Ainsi, comme vous, Monsieur, nous devions rendre hommage à ce digne magistrat qui vous donna le jour. Par son succès dans les lettres qu’il a cultivées avec tant de grâces et d’esprit, il devait nous appartenir, comme son nom appartient à la France par ses vertus. Ce nom est si bien répandu, les belles actions qui le décorent sont si bien connues, que plusieurs des jeunes prétendants à la dernière couronne littéraire que nous avons décernée, n’ont point oublié de lui rendre hommage. Ils avaient à célébrer le courage civil : pouvaient- ils oublier le nom de Dupaty ?

Dans cette grande réunion des sciences, des lettres et des arts, vous auriez pu, dites-vous, voir assis à vos côtés un frère et un neveu. Cela ne m’étonne pas le talent est quelquefois héréditaire ; mais ici la parenté s’oublie, ou plutôt s’étend à l’infini. L’Institut de France n’est-il pas pour tous les hommes célèbres de l’Europe, du monde entier, un véritable rendez-vous de famille ?

Si, à tous les grands noms qui ont illustré votre patrie, votre père ajouta le sien, ce nom, qui représente le courage et l’esprit, je ne crains pas de trouver un contradicteur en assurant que vous êtes le digne fils de votre père, et que vous êtes bien de votre pays.

Cependant, Monsieur, ne croyez pas que les parents célèbres qui vous ont précédé parmi nous aient eu de l’influence sur les sentiments qui nous ont fait désirer de vous nommer notre confrère : sans doute, le nom que vous portez, l’estime que vous vous êtes justement acquise par votre caractère, les amis sans nombre que vous devez à la loyauté de votre conduite dans nos crises politiques, à la franchise de vos manières, tous ces avantages enfin, que vous ne devez qu’à vous seul, ont pu nous séduire, mais non pas nous aveugler. Ils ont pu nous disposer en votre faveur, mais ils ne nous ont point empêchés d’être justes ; nous avons discuté, nous avons pesé dans notre balance académique les ouvrages que vous avez fait publier, et ceux-là même que vous avez confiés à l’amitié, que vous n’avez pu faire paraître par des circonstances qui, si elles pouvaient être révélées, vous donneraient encore de plus grands titres à l’estime publique. C’est sans doute un grand sacrifice pour un auteur que de se priver de l’espoir d’étendre sa renommée ; mais il est aussi bien doux de savoir que l’on possède au fond de son cœur cette générosité qui sait respecter l’auguste malheur d’un vaincu. Je ne chercherai point, Monsieur, à soulever un voile que vous voulez tenir abaissé ; je ne chercherai point à révéler un secret que le temps seul pourra découvrir à nos enfants ; mais je puis au moins admirer, dès aujourd’hui, cette noblesse d’âme qui vous fait préférer à la célébrité du poëte ce contentement intérieur que nous donne le souvenir d’une bonne action.

Faut-il encore que d’autres obstacles, qui sont l’effet d’un changement momentané survenu dans la littérature du théâtre, par de dangereuses doctrines, aient privé le public de la représentation d’un grand ouvrage connu de tous les hommes de lettres ? Il ne m’appartient pas de dire quel sort peut lui être réservé. Le juge souverain des auteurs dramatiques se plaît trop souvent à tromper leur espoir, pour qu’ils puissent s’y abandonner avec sécurité. Le seul genre de mérite d’un ouvrage destiné pour la scène, que l’on peut juger d’avance, c’est la grandeur du sujet, la noblesse du style, l’harmonie des vers, la justesse des pensées, l’énergie de l’expression, et cette raison éclairée qui écarte tout ce qui tient à l’emphase et au mauvais goût. Ces qualités essentielles vous ont déjà mérité le suffrage des gens de lettres ; puisse, lorsque le temps viendra de faire connaître, par la solennité de la représentation, ce grand et bel ouvrage, le succès vous récompenser de votre long travail ! Puisse-t-il vous acquérir, dans un autre genre, un triomphe égal à celui qu’obtinrent vos Délateurs, cette grande et belle satire, pleine d’esprit, de finesse et de raison, qui participe à la fois du comique de notre grand Molière, de la philosophie d’Horace et de la mordante verve de Juvénal !

Parmi les autres ouvrages que vous avez publiés, il en est un que je regrette de ne pas voir complétement terminé : je veux parler de votre Art poétique des jeunes gens. Dans les brillantes esquisses que vous nous avez offertes sur les poëtes anciens, vous avez fait ressortir, dans des jugements pleins de goût, les beautés de leurs ouvrages dans des genres différents et sous les formes aimables du style épistolaire ; à une profonde instruction vous avez joint les grâces d’un esprit fin et délicat, qui prouvent que, toujours fidèle ami d’Horace, vous savez réunir l’utile à l’agréable.

Je ne rappellerai pas quelques autres productions moins importantes que l’on doit à votre plume légère. Je suis impatient de vous accompagner au théâtre, dont, pendant plus de quarante ans, j’ai parcouru les avenues. Ces lieux me rappellent des souvenirs et des illusions qui vous ont enivré comme moi. Je me transporte au temps où j’assistais à la première représentation d’une grande comédie de vous qui a pour titre la Prison militaire. J’entends encore les applaudissements qu’excitèrent les situations plaisantes que contient une intrigue peut-être un peu compliquée, mais tout à fait amusante par des détails on ne peut pas plus comiques. Quelques années plus tard, le public du Théâtre-Français applaudit également votre Avis aux mères, jolie comédie écrite en vers, aussi spirituelle que morale. Ce succès aurait dû vous appeler à de nouveaux triomphes dans ce genre élevé ; mais, séduit par les chants du second théâtre lyrique, ou étourdi par le tambourin joyeux du vaudeville, vous avez dispersé de charmantes idées, qui, plus grandement traitées, plus mûrement méditées, auraient moins contribué peut-être à votre amusement, mais beaucoup plus à votre renommée. Il était réservé à votre âge mûr de réparer le temps perdu, et de joindre à des ouvrages gracieux toute la poésie et la grandeur héroïque des drames anciens.

Après avoir visité les lieux que vous avez fait retentir de vos chants, où je me suis souvent égayé à l’intrigue légère et piquante de votre Opéra comique, au tableau vrai de la Jeune prude, aux incidents qui naissent d’une Voiture versée, je cesserai de me livrer aux joyeux souvenirs de votre jeune âge, pour joindre mes observations aux vôtres sur les changements que le temps et de nouvelles mœurs ont apportés à l’art dramatique.

Tout en partageant vos idées sur les dangers qui peuvent naître pour les mœurs de la représentation de certains ouvrages, je vous ferai remarquer d’autres abus que j’ai peut-être le droit de signaler comme l’un des doyens de l’Académie. Ainsi, Monsieur, vous me permettrez de chercher encore autre part que dans l’immoralité, la cause de la décadence d’un art dont on a déjà détruit l’importance et l’utilité.

Mais ne croyez pas qu’en appelant votre attention sur les abus qui se sont introduits nouvellement au théâtre, je veuille prendre le ton d’un censeur sévère. Le moraliste qui n’a pas l’espoir de détruire un vice ou un ridicule trop répandu, doit, comme l’auteur comique, se contenter de lui lancer un trait en passant.

Vos observations sur le théâtre ont fait naître les miennes. Mes réflexions se sont portées sur la manière bizarre dont se composent et s’augmentent les répertoires de toutes les entreprises dramatiques. Je ne crois pas me tromper en attribuant au goût des spéculations le progrès de l’industrie littéraire, qui suit et surpassera bientôt toutes les autres industries. Et comment cet élan industriel n’aurait-il pas lieu ? deux cents jeunes auteurs, trop impatients de se faire connaître, croient trouver cette renommée si désirée, bien plus dans le grand nombre que dans l’importance et l’étendue de leurs productions trop souvent éphémères. S’ils se rappelaient que la postérité compte presque pour rien la pesanteur des bagages s’ils voulaient réfléchir sur toute la grandeur de leur art, ils s’empresseraient d’imiter leur maître dans ce genre spirituel ; ce maître, déjà si riche de nombreux succès partagés, a bientôt reconnu qu’il devait étendre sa carrière en portant sur la scène française des ouvrages profondément pensés, de ces grands ouvrages qui devaient le conduire, et l’ont conduit en effet aux honneurs académiques.

Cette mode des associations, trop bien suivie par tous nos jeunes littérateurs, excite chez eux une telle émulation, que dès le début ils s’empressent de mettre leur imagination en communauté, leurs bons mots en action et leur génie en commandite.

Cependant, bien loin de moi l’idée de blâmer ces jeunes enthousiastes des lettres qui, en attendant le choix d’un état, veulent s’essayer dans la carrière du théâtre en s’appuyant sur un ami. Mais, après quelques succès, le jeune auteur ne doit plus solliciter les inspirations d’un autre. En laissant modifier ses idées, on les affaiblit, et je doute que l’œuvre de plusieurs puisse posséder ce feu divin qui ne peut appartenir qu’à un seul créateur. Il est donc certain que c’est à ces nombreuses fabriques d’esprit que l’on doit cette surabondance de pièces qui nous étonne et nous effraye. Tous les ouvrages dramatiques se succèdent avec une telle rapidité, que, dans ces temps de prodiges industriels, on croirait presque qu’ils sont le résultat de ce moteur universel auquel on doit tant de merveilles.

Je crains encore que ce mélange de différents esprits n’ait répandu une teinte trop uniforme sur nos compositions modernes. Comme je l’ai dit, l’œuvre de plusieurs ne saurait avoir cette originalité qui ne peut appartenir qu’à l’esprit d’un seul. Le passé nous le prouve. Tous les auteurs qui ont illustré la scène française se sont distingués par la diversité de leur genre. Dufresny et Dancourt, Destouches et Regnard, Piron et d’Églantine, le Sage et Beaumarchais, Marivaux et Picard, ont tous donné à leur comédie un caractère particulier, je dirai leur physionomie. Enfin on les reconnaît à leur cachet, comme on reconnaît les chefs-d’œuvre de Corneille, de Molière, de tous nos grands maîtres, à l’empreinte ineffaçable du sceau de leur immortel génie.

Dans ce grand mouvement littéraire, espérons cependant que, parmi ces jeunes gens pleins d’esprit et d’ardeur qui, séduits par l’exemple, ne voient maintenant dans la carrière des lettres que le chemin de la fortune, il se trouvera de ces esprits généreux qui, comme nos grands poëtes du temps passé, ne voudront devoir qu’à eux seuls l’honneur d’illustrer leurs noms. C’est là du moins que doivent tendre par de glorieux encouragements les efforts de l’Académie et la munificence du gouvernement.

Je vais encore vous parler avec plus de timidité d’un autre abus qui est une suite de cet esprit d’association contre lequel j’ai osé élever la voix. Je ne sais comment m’exprimer sur un sujet si délicat. Que ne puis-je me faire entendre par une petite phrase bien innocente, bien polie ! Je vais l’essayer. On prétend que Voltaire, à qui des dames demandaient une histoire de voleurs, la commença gravement par ces mots : « Il y avait une fois un fermier général ».

Je dirai moi : Il y a aujourd’hui des auteurs dont les ouvrages nouveaux se trouvent être les ouvrages de vieux auteurs vivants, qui voient avec chagrin que leur bien est devenu le patrimoine de ceux qui n’ont rien et même de ceux qui possèdent beaucoup.

Cet oubli des lois de la bienséance et de la délicatesse a été porté si loin qu’on en pourrait citer des exemples sans nombre. Tel vieil auteur qui se désespère de ne plus revoir ses enfants au lieu qui les vit naître (vous savez, Monsieur, que nos ouvrages sont pour nous des enfants toujours trop chéris), s’il veut bien les chercher, peut être certain de les retrouver sur quelques boulevards de la capitale, parlant le même langage, agissant de la même manière, seulement rapetissés et déguisés sous des noms et des habits différents.

Cette facilité de prendre et de réduire de grands ouvrages à une petite proportion n’est-elle pas destructive de l’art ? Ne craignez-vous pas qu’elle ne finisse par corrompre nos jeunes auteurs ? au lieu d’inventer, ils trouveront bien plus commode de profiter des inventions des autres.

Est-ce donc dans ces nouvelles doctrines, où l’on nous prêche que tout doit être commun parmi les hommes, et que le bien de tout le monde ne doit être le bien de personne, que l’on a puisé cette élasticité de conscience qui fait regarder comme sienne la propriété d’autrui ? ou bien, ce grand développement de l’industrie que nous devons à nos capitalistes, en altérant les mœurs des gens de lettres autrefois si modestes, en leur donnant le désir de s’enrichir, se serait-il étendu jusque sur les productions du génie ? Aurait-on élevé nouvellement une bourse sur le Parnasse ? Et ce vieil Apollon, qui est tout à fait passé de mode et dont on ose à peine prononcer le nom, aurait-il été chassé de son temple par cet autre dieu très-peu scrupuleux, le dieu du commerce et des plagiaires ?

Je n’abandonnerai point encore nos arènes dramatiques, sans vous ramener au souvenir d’une époque qui est bien loin de nous, où le théâtre n’était pas ce qu’il est aujourd’hui. Dans ce temps, un auteur songeait moins au produit de son travail qu’à l’honneur d’un triomphe, qu’il sollicitait sans intrigue, et qu’il obtenait sans cabale. On ne connaissait pas alors ces admirateurs d’emprunt qui sont maintenant un corps dans l’État.

Mais ce n’est pas ici le lieu de fixer votre attention sur l’adresse pénible que l’on emploie pour se faire un nom dans les lettres. J’aime beaucoup mieux vous rappeler ces doux instants où nous composions, chacun de notre côté, ces petits tableaux de chevalet que nous exposions dans la même galerie. Nous avons peut-être à nous reprocher d’avoir un peu changé le genre de l’opéra comique. Oui, Monsieur, je tremble que nous n’ayons privé le public de la naïveté trop spirituelle de nos paysans et de nos bergères en corsets de satin. À la longue dynastie des Colins que nous avons détrônée, nous avons substitué les jeunes officiers de l’Empire, si braves, si malins et si étourdis. Plus tard, ces jeunes officiers, vieillis par vingt batailles et porteurs de larges moustaches, nous les avons retrouvés sous les habits de généraux, parlant morale et politique, et dotant les jeunes filles qui leur plaisaient tant autrefois.

Ainsi se succèdent ces générations d’étourdis et d’originaux qui, rendus avec vérité dans ces esquisses légères, feront connaître à nos neveux les mœurs du temps passé.

Parmi les événements de notre jeunesse qui se lient à l’histoire du héros dont vous avez fait un éloge si remarquable, il en est un sur lequel vous avez à peu près gardé le silence. Vous avez passé trop légèrement sur la persécution que Napoléon vous fit éprouver : si, par une généreuse réticence, vous n’avez pas voulu nous en apprendre la cause, ne me sera-t-il pas permis d’entrer sur ce sujet dans quelques développements qui me forceront à vous parler de moi ? Victime comme vous et à la même époque des persécutions du grand homme, ne puis-je élever une plainte qui me donne le droit de me montrer aussi généreux que vous ? Par grandeur d’âme, vous avez oublié le mal qu’il a voulu vous faire et qu’il vous a fait, et moi, par respect pour le malheur, je me garderai d’exhaler des plaintes trop amères sur les chagrins qu’il a répandus sur ma vie. Mais aussi, par respect pour la morale dont vous avez si bien plaidé la cause, il est de mon devoir de prémunir les hommes du pouvoir contre ce premier mouvement de colère qui leur fait oublier trop souvent qu’un accusé ne doit être frappé que par les lois.

Vous vous le rappelez, Monsieur, ce moment cruel où deux jours avant que l’on vous entraînât vers les côtes de l’Ouest, pour vous jeter sur un ponton, je me vis forcé de fuir vers le Nord, d’abandonner ma patrie, ma jeune famille, pour aller implorer un asile chez une nation étrangère. Et quel était mon crime ? d’avoir voulu apprendre au peuple à respecter les droits de l’hospitalité, à repousser avec horreur la délation qui, dans nos terribles révolutions, avait couvert les échafauds des plus nobles victimes.

Vous, Monsieur, en subissant cette persécution rigoureuse qui, par une vengeance particulière, vous éloignait de vos parents, vous étiez au moins soutenu par votre grande jeunesse. Il est un âge où tout ce qui sort des événements ordinaires de la vie amuse le jeune poëte que tourmente une ardente imagination. Je sais même que lorsque les gendarmes vous entraînaient vers votre destination, et vous traitaient avec la sévérité que l’on emploierait pour le plus coupable des prisonniers d’État, vous avez tiré parti des plus bizarres circonstances, en vous amusant à tromper vos terribles gardiens par les ruses les plus comiques. Serait-ce donc à des souvenirs que nous devrions votre joyeuse Prison militaire ?

Il n’en était pas ainsi de moi à l’instant où Napoléon vint me frapper, j’étais époux, j’étais père ; mes opinions politiques étaient bien formées ; j’avais combattu pour l’indépendance des Amériques, j’avais défendu notre liberté naissante aux plaines de Champagne, j’avais entendu Mirabeau tonner à la tribune, j’avais vu périr les Girondins, et, sans être coupable d’ingratitude, il m’était permis de partager avec modération l’enthousiasme du peuple pour un général qui se disait le premier magistrat d’une république. Certes, je suis bien loin de disputer à ce grand capitaine toute la gloire qu’il mérite, qu’il a conquise sur tous les points de notre globe ; mais que pourrais-je dire après tous nos poëtes qui ont grandi de toute la hauteur de leur génie ? Cependant il est un éloge qui peut au moins égaler les leurs, qui, dans ma bouche, ne peut être une flatterie : je puis dire que par son génie guerrier, fait pour éblouir le monde entier, par la force de son administration, remplie d’hommes à talent, par la création de ses codes, cet immortel monument, il nous a forcés de l’admirer au moment même où il nous ravissait tous les droits du citoyen que nous avions conquis par tant de malheurs et tant de courage.

Seulement à l’époque de cet événement important de notre vie, j’ai toujours regretté que le grand homme se fut un instant distrait de ses glorieux travaux, qu’il se fût abaissé au point de s’irriter contre d’inoffensifs auteurs, et de faire subir à vous, à moi, à tant d’autres, des persécutions sans motifs, des arrêts sans jugement, et des peines sans lois.

Aux grandes et nobles qualités que vous avez justement reconnues dans Napoléon, vous n’avez pas oublié qu’elle était sa passion pour les lettres, et surtout pour la littérature dramatique. Il l’a prouvée au temps de ses grands succès, et même au temps de ses revers. C’est à l’intérêt seul qu’il y prenait que l’on doit la renaissance du théâtre après la révolution de 1789. Tout en exerçant une censure sévère sur tous les ouvrages qui paraissaient, il n’en parvint pas moins à répandre un certain éclat sur la scène française. À qui devait-on ce retour du public vers notre vieille littérature, si ce n’était à l’intérêt qu’il portait aux nouvelles compositions qu’il voulait connaître avant le public ? De là le plaisir qu’il semblait prendre aux entretiens des gens de lettres. Il discutait avec eux les beautés ou les défauts de leurs ouvrages ; il assistait à leurs premières représentations, soit dans ses châteaux, soit à Paris, et, par une louable émulation qu’il savait exciter parmi les auteurs, il les appelait à concourir à des prix qu’il ne décernait pas toujours. Un tel intérêt, manifesté par le premier homme de l’État, s’il ne crée pas le génie, parvient au moins à le découvrir, à le développer. Napoléon connaissait le cœur humain ; il savait que la considération, de nobles encouragements donnés à propos excitaient la reconnaissance des gens de lettres, et que leur reconnaissance ouvrait des routes à la gloire. Si Napoléon, parmi ses guerriers, voulait surpasser Louis XIV, qu’il surpassait en effet par son courage et ses victoires, Napoléon voulait être encore Louis XIV pour les hommes de lettres de son siècle, qu’il honorait de ses faveurs ou de ses persécutions.

Sans doute, ce n’est pas sous son règne que l’on eût pu voir des ouvrages dont vous nous avez rappelé l’immoralité avec tant de douceur et d’énergie. Il aimait trop les beaux vers de Corneille et de Racine pour qu’on pût supposer qu’il aurait encouragé le nouveau système littéraire.

Espérons que les jeunes auteurs, pleins de verve et d’ardeur, qui se sont un instant égarés du véritable but de l’art dramatique, qui doit être la morale en action, reviendront à des idées plus saines sur les convenances théâtrales. Dès qu’ils seront époux et pères, ils apprendront à respecter la pudeur publique. Oui, Monsieur, le moment arrivera où ils emploieront des talents qui promettent des supériorités dans l’avenir, à ne livrer au public que ce drame qui élève et honore celui qui l’a créé, qui fait bien penser de celui qui prend plaisir à l’écouter, et qui, tout en amusant le peuple, l’instruit de ses droits et de ses devoirs.

Cette immoralité sur le théâtre, qui a blessé, avec raison, tous les esprits nobles et délicats, ne peut avoir désormais qu’une existence éphémère. La morale, ce lien des sociétés, cette garantie des vertus publiques et privées, quelque effort qu’on fasse pour la corrompre, ne périra jamais. Elle existe toujours plus ou moins dans toutes les classes de la société, dans les plus humbles comme dans les plus élevées. Ne souriez-vous pas au plaisir de la rencontrer chez cet ouvrier laborieux qui, par amour pour ses enfants, songe, en faisant des épargnes sur son modique salaire, à leur assurer une existence pour l’avenir ?

Elle brille à toutes les pages de ces nombreux écrits que nous envoient ces jeunes gens studieux qui se disputent nos prix d’éloquence et de poésie.

Vous apprendrez par vous-même quels ouvrages utiles on doit à son influence, quels sont les travaux que s’imposent de généreux écrivains, pour découvrir les moyens d’adoucir le sort des infortunés et même des méchants que la loi repousse de la société.

Plus que personne vous l’admirerez encore (tout en leur ayant servi d’exemple) dans ces généreux citoyens qui abandonnent, au premier signal du danger, leur famille alarmée, pour défendre, en exposant leur vie, les grandes institutions qui assurent nos libertés.

Ne se fait-elle pas également reconnaître dans nos armées ? Voyez ces jeunes guerriers déjà si braves dans les combats, si humains pendant la paix. Un cri se fait entendre ! un ouvrier va périr dans un abîme ! ils accourent ; quel zèle ! quelle agitation ! quelle inquiète constance dans le travail ! Le malheureux est sauvé ! sublime résultat de la science et de la générosité militaire !

Comme elle est noble, imposante dans nos magistrats ! Qu’il est beau de les voir calmes au milieu des fureurs de parti, toujours indulgents, toujours justes, n’attendre leur plus grande récompense que de la considération publique, et de l’estime de soi-même !

Ah ! croyez, Monsieur, que cette morale si nécessaire au bonheur des hommes, beaucoup trop longtemps éloignée de notre scène, y reparaîtra bientôt dans tout son éclat. Pourrait-elle en être absente quand elle règne partout en souveraine ? quand vous la trouvez appuyée sur la raison et l’expérience, siégeant au sein de cette réunion de toutes les illustrations de la France, au milieu de ces nobles vieillards qui, après avoir servi la patrie dans tous les grands emplois, lui sacrifient encore les restes de leur glorieuse existence ?

De même vous apprécierez toute sa puissance dans ces élus du peuple, dans ces députés qui oublient les intérêts de leur famille pour ne s’occuper que des intérêts de la nation, dans ces ministres laborieux qui, sans aucun calcul d’ambition et dans le seul espoir de faire le bien de leur pays, ne craignent pas de lui sacrifier le repos de leur vie.

Enfin, Monsieur, cette morale dont je viens de prouver l’existence, vous l’avez reconnue dans tous les états, dans tous les rangs. Vous la trouverez plus grande, plus majestueuse encore au sommet de cette pyramide sociale que je viens de lui élever. Ne vous paraît-elle pas sublime dans cette royale famille qui fixe sur elle les regards de la nation, de l’Europe entière. Placée sur le point le plus élevé de ce beau monument, ne brille-t-elle pas comme un phare pour nous préserver des écueils et nous sauver de nous-mêmes ? Ce tableau de l’union, de la paix domestique, ne nous apprend-il pas à ne chercher le bonheur que dans ce qui nous entoure, dans les objets de nos plus chères affections ? Ah ! quelle mère n’a versé des larmes aux craintes trop renouvelées de cette autre mère qui n’a puisé sa résignation à supporter les peines qu’entraînent les grandeurs, que dans la vive tendresse de ses enfants, dans les vertus, dans le courage, dans le dévouement généreux de son auguste époux !