Réponse au discours de réception de MM. Boyer et de La Chaussée

Le 25 juin 1736

Jean-Joseph LANGUET de GERGY

RÉPONSE

De M. L’ARCHEVESQUE DE SENS, Directeur de, l’Académie Françoife, aux Difcours de M . L’Evêque de Mirepoix & de M. de la Chauffée.

 

MESSIEURS,

Il arrive quelquefois fur le Parnaffe ce que nous ne voyons que trop fouvent parmi les mortels. La jaloufie fe met entre les fœurs ; & au lieu d’être amies, elles deviennent rivales.

 

Vous l’avez vu, MESSIEURS[1], par les plaintes que la Mufe Clio vous a portées contre fa fœur Calliope. Celle-ci enflée de fes fuccès & de cette commode liberté dont jouit l’Eloquence, avoit entrepris, dit-on, de critiquer la régularité de fa fœur ; & fous prétexte de la délivrer d’une gêne importune, elle avoit effayé de lui enlever la meilleure partie de fes charmes, en la dépouillant de fa cadence & de fon harmonie. Clio s’eft défendue par cette Epître qui vous eft connue. Elle juftifie habilement la Poëfie par la Poëfie même ; elle fait fentir par expérience, que l’effor du génie n’eft pas toujours étouffé par la céfure & par la rime.

 

Votre Tribunal qui juge du mérite de l’Eloquence & de celui de la Poëfie, & qui les couronne également, réconcilie en ce jour les deux fœurs. En ce jour, dis-je, où nous adoptons pour Confrères leurs Elèves chéris, & où nous réparons foigneufement dans l’ordre de l’éloquence & dans celui de la poëfie, la perte que nous avions faite dans l’une & dans l’autre.

 

Nous avions perdu en M. Malet un homme capable de ces Poëfies légères qui fourniffent à la Société d’agréables amufemens : d’autres mérites étoient encore à regretter en lui. Vous les avez expofés, MONSIEUR[2], & je n’ai qu’à applaudir aux louanges que vous lui donnez. J’ajouterai feulement, fi j’ofe glaner après vous, un trait qui tout feul peut honorer fa mémoire. M. Malet a toujours travaillé dans les finances, & cependant il eft mort fans richeffes.

 

Ce fut par l’éloquence de fes Plaidoyers, que M. Portail fe fraya un chemin à la première Magiftrature. Vous, MONSIEUR[3], vous venez de nous tracer fon portrait d’une main habile. Mais oferois-je le dire, ni vous, ni nous, ne pouvons en faire un éloge plus éloquent que le furent ces regrets fimples & fincères, dont ce peuple immenfe qui habite le temple de la Juftice, honora fes funérailles.

 

C’eft auffi, MONSIEUR[4], par l’éloquence de vos Sermons, que vous avez été connu du monde, dont votre fainte retraite vous avoit féparé. Vous le fuyiez, & il vous fuivoit ; vous le condamniez, & il vous aimoit ; vous parûtes dans Paris comme un Prophète au milieu d’Ifraël. Bientôt la Cour envia à la Ville le fruit qu’elle tiroit de vos inftructions. Les Grands en furent édifiés, & encore plus de votre humilité qui donnoit une nouvelle force à vos difcours, & ils fe rangèrent en foule au nombre de vos Difciples.

 

Elevé à la dignité épifcopale, comme les SS. Pontifes des premiers fiècles, c’eft-à-dire, fans autre appui que vos talens, vos vertus & les vœux du Public, vous n’avez pas regardé ce rang acquis par un long travail, comme un titre qui vous donnoit droit au repos. Vous avez foigné les brebis confiées à vos foins avec le même zèle dont la Cour & la Ville avoient été long-temps édifiées ; & vous n’avez pas dédaigné d’ouvrir affidûment pour l’inftruction des Peuples groffiers des campagnes, une bouche accoutumée à annoncer aux têtes couronnées les vérités du falut.

 

Vos Difcours méritent d’autant plus nos éloges, que vous vous êtes attaché à cette éloquence majeftueufe digne de Dieu, dont vous annonciez la parole. Vous avez méprifé cette éloquence frivole qui amufe l’auditeur, & qui le flatte fans l’émouvoir, fouvent même fans l’infrruire.

 

C’eft en effet trop peu pour l’Orateur Chrétien de plaire à l’auditeur ; c’eft même trop peu de l’inftruire ; il faut qu’il le touche, qu’il l’ébranle, qu’il le confonde. Ce n’eft pas avec les agrémens du ftyle & la délicateffe des penfées, qu’on fait trembler un pécheur obftiné, ou qu’on tire des larmes falutaires d’un cœur endurci. Quand il eft queftion d’annoncer la parole de Dieu, & fi j’ofe m’exprimer ainfi, de faire parler Dieu même, c’eft en Dieu qu’il faut le faire parler. Les gentilleffes des expreffions, les tours ingénieux, les portraits amufans, les faillies brillantes ne furent jamais fon langage.

 

Ecoutez ceci, jeunes Eccléfiaftiques, qui entrez dans la carrière de la prédication ; profitez de la leçon que vous fait l’Académie en couronnant un Orateur vraiment Chrétien. Ce n’eft pas que nous méprifons les fleurs que produit un génie naiffant. C’eft par leur abondance que les arbres au printemps annoncent une heureufe récolte ; mais le Jardinier habile retranche fans pitié ces branches trop chargées, & il ne laiffe que ce qui doit porter du fruit. Ufez de la même précaution & en compofant, fongez bien plus à la gloire de celui dont vous êtes l’organe qu’à cette frivole gloire que voue voudriez peut-être acquérir. Nos Peintres n’habillent leurs divinités qu’avec des draperies nobles & graves, qui fe fentent de la dignité de l’objet qu’ils repréfentent. Ne fe rendroient-ils pas ridicules, s’ils paroient leurs déeffes avec les modes frivoles des femmes du fiècle, & leurs dieux avec les magnificences de nos jeunes Seigneurs ? L’éloquence de la Chaire exige les mêmes précautions ; elle eft avilie, quand on prétend l’orner avec les gentilleffes d’une Epître ou d’une Epigramme. C’eft dans les Prophètes, & non dans les jardins du Parnaffe, qu’il faut cueillir ce qui doit l’embellir ; & ce qui décoreroit le langage des hommes, n’eft propre fouvent qu’à déshonorer le langage de Dieu.

 

Pour vous, MONSIEUR, c’eft par fageffe & non par ftérilité que vous avez évité ce défaut. On reconnoît par le Difcours que vous venez de prononcer, que les graces du ftyle & les tours ingénieux vous font familiers ; mais l’auftère vertu dont vous avez fait profeffion toute votre vie, a réglé votre goût ; & attentif uniquement à la gloire de Dieu, vous avez méprifé en homme de bien cette gloire vaine que l’on recherche quelquefois par un ftyle indigne de la gravité du faint miniftère.

 

C’eft à l’amour, & aux regrets de votre Diocèfe fanctifié par votre parole, & encore plus par vos exemples, que SA MAJESTÉ vous a enlevé pour vous confier l’éducation d’un Prince, l’appui du Trône & l’efpoir de la Nation. Faut-il que le Roi par fon choix ait prévenu le nôtre ? Oui, il l’a fallu. Votre modeftie vous déroboit à nos recherches, & une exacte & fainte réfidence formoit un obftacle invincible à nos vœux. Le Roi a levé cet obftacle par fon choix ; & en vous rapprochant de nous, il nous a montré de près ces vertus, fi j’ofe le dire, de Société, qui devoient augmenter en nous le défir de vous avoir pour Confrère ; cette douceur, cette bonté, cette noble fimplicité qui donne tant de relief aux plus grands hommes. Nous avons vu, & nous avons admiré en vous un homme fans fafte, fans intrigues, folitaire au milieu du grand monde, ftudieux & appliqué dans le centre de la diffipation, paifible dans le féjour des paffions & du tumulte. Vous êtes à la Cour, & les Courtifans ne vous connoiffent que par l’éloignement que vous avez pour leurs amufemens, leurs jeux, leurs compagnies & leurs vanités.

 

Le comble de notre bonheur feroit de jouir à loifir dans nos Affemblées d’un homme d’un fi aimable caractére ; mais une occupation plus importante vous retient. Continuez, MONSIEUR, des foins dont le fruit eft annoncé par le fuccès étonnant de quelques mois. Verfez dans le cœur du DAUPHIN ce que le vôtre reffent de piété envers Dieu, de tendreffe pour les Peuples, de zèle pour la Religion, de charité pour les malheureux. Affocié à ce Seigneur[5] dont la probité eft égale à la naiffance, & dont la naiffance eft fi fupérieure, préparez de concert un bonheur certain aux fiècles à venir : nous n’en jouirons pas, c’eft pour nos neveux que vous travaillez ; mais nous mourrons contens, quand nous laifferons à notre Nation des gages affurés de la durée d’une félicité dont elle jouit déja, & dont elle jouira lon-temps fous le clément, le fage, le pacifique LOUIS XIV.

 

Pour vous, MONSIEUR[6], c’eft avec des talens différens que vous remplacez cet illuffre Magiftrat que nous avons perdu ; & ces talens font auffi précieux à l’Académie Françoife, qu’ils ont été applaudis par le Public. Votre Mufe qui s’eft effayée avec fuccès dans la Fauffe Antipathie, s’eft montrée un an après fi mûre dans l’Epître de Clio, & dans les Préjugés à la mode, qu’elle a fait concevoir de vous de hautes efpérances. Si en un an, & dans un âge peu avancé, vous avez fait tant de progrès, que fera-ce fi vous augmentez toujours de même ? Ne verra-t-on pas un jour revivre en vous cet ancien fléau des vices & du ridicule, le célèbre Molière ?

 

Ici je devrois peut-être, en qualité de Directeur d’une Académie à qui la Poëfie eft chère, m’étendre davantage fur le mérite de vos Comédies ; mais l’auftère dignité dont je fuis revêtu, m’oblige à être refervé. N’aurois-je pas même à craindre qu’on ne me fit un reproche, fi je louois également, & l’Orateur chrétien, & le Poëte profane, & fi je diftribuois à la fois des éloges, & à celui qui a préparé des fcènes au Théâtre, & à celui qui a compté le Théâtre au nombre des fcandales qui excitoient fon zèle ?

 

Non, MONSIEUR, le reproche feroit injufte. Je puis, fans bleffer mon caractère, donner, non aux fpectacles que je ne puis approuver, mais à des pièces auffi fages que les vôtres, & dont la lecture peut être utile, une certaine mefure de louange, tandis que l’Académie, en vous adoptant, donne à la beauté de votre génie & aux graces de vos poëfies, la couronne qu’elles méritent à fes yeux. Celui-là en effet mérite fans doute, même de nous, quelque éloge, qui a banni de fa fcène les paffions criminelles qui corrompent communément nos fpectacles, & qui a fu faire fervir fes fictions poëtiques à donner aux hommes d’utiles leçons. Ainfi en rendant juftice à la fageffe de vos vues, on pourra convenir fans peine qu’il y a quelque rapport entre celui qui condamne nos Théâtres, & celui qui effaye de les corriger.

 

Continuez, MONSIEUR, à fournir à nos jeunes gens, je ne dis pas des fpectacles, mais des lectures utiles, qui en amufant leur curiofité, les rappellent à vertu, à la juftice, aux fentimens d’honneur & de droiture que la nature a gravés dans le cœur de tous les hommes, & à répandre un falutaire ridicule fur les bifarres goûts de la jeuneffe de notre fiècle. Les Orateurs chrétiens trouveroient moins d’obftacle au fruit qu’ils défirent, fi les efprits étoient préparés aux vérités chrétiennes par les vertus morales, & par les fentimens que la raifon infpire. Car hélas ! qu’il eft difficile de faire de vrais Chrétiens de ceux qui n’ont pas encore commencé d’être des hommes raifonnables.

 

Tels font ceux que vous avez fi bien caractérifés dans les Préjugés à la mode, gens qui n’ont ni fentimens, ni mœurs, ni amitié, ni pudeur, ni connoiffance de devoirs de la fociété & des règles de la bienféance ; qui font fans attention pour les anciens, fans docilité pour les vieillards, fans égard pour les favans, fans refpect pour la Religion, même fans vraie amitié pour les compagnons de leurs plaifirs, qui critiquent tout fans rien favoir & qui, fans expérience & fans étude, décident hardiment de toutes chofes ; qui fe croyent favans quand ils ont méprifé tout remords, & fecoué par impiété tout principe & toute croyance ; enfin qui ne connoiffent de vertu qu’une valeur féroce, une franchife groffière, une générofité prodigue, & une probité mal conçue & mal foutenue. Voilà ce que de nos jours on eft déja à vingt ans. Voilà le caractère de cette jeuneffe qui fe figure qu’il eft du bon air d’avoir déja à cet âge méprifé tous les devoirs, & épuifé tous les vices ; caractère fi étrange, & néanmoins fi commun, que le facré & le profane, le férieux & le comique, la chaire & le théâtre doivent fe liguer pour rendre ces libertins auffi ridicules qu’ils le font, & auffi odieux qu’ils méritent de l’être.

 

Cependant, MONSIEUR, nous jouiffons des douceurs de votre fociété ; vos amis rendent témoignage combien elle eft aimable. L’on voit par les fages & nobles fentimens que vos Poëfies expriment, qu’ils font empreints dans votre cœur, & que la vertu & la probité donnent ce vrai prix à vos talens, fans lequel les plus brillans n’empêchent pas ceux qui les poffèdent, d’être fouverainement méprifables.

 

Mais, MESSIEURS, dans ce jour célèbre, le regret que nous accordons à nos pertes, & les applaudiffemens que nous devons à ceux qui les réparent, confommeront-ils tout le temps que nous deftinons à ces exercices publics, & ne profiterai-je pas de ce noble concours de tant de perfonnes de marque, pour rendre plus folemnel le tribut de louanges que nous devons au Roi notre Protecteur ?

 

L’événement qui s’accomplit à nos yeux, l’heureux dénouement que le Roi donne à cette guerre qui allarmoit nos défiances, mérite de nous des éloges nouveaux. Autrefois j’ai célébré dans ce lieu fes vertus, fi j’ofe le dire, privées & domeftiques, qui feules fuffifoient pour lui gagner tous les cœurs. Je vous le repréfentois affable dans fa Cour[7], pacifique dans fes deffeins, chafte dans fes plaifirs, équitable dans fes Jugemens, modéré dans tous fes défirs. Quelle gloire pour un Roi ! Pouvoir tout ce qu’il veut, & ne vouloir rien que ce qui eft jufte ! Mais le temps nous développe dans le nôtre de nouvelles grandeurs qui doivent confommer notre amour & enlever notre admiration.

 

A la mort de LOUIS LE GRAND, nous crûmes toutes les merveilles fi épuifées par fon règne glorieux, que nous nous bornions à défirer pour fon augufte Succeffeur qu’il pût les copier, en marchant fur la trace de fes victoires. Notre amour nous trompoit fur notre vrai bonheur. Dieu nous en préparoit un plus folide, & un autre ordre de merveilles dans la modération & la fageffe de LOUIS XV.

 

C’eft ce que nous préfente cette paix dont nous goûtons déja les prémices ; paix auffi fubite que nos victoires ont été rapides ; paix dont le plan embraffe toute l’Europe, la calme & la défarme, &qui admirable dans fon projet, & étonnante dans fon fuccès, ne l’eft pas moins dans la manière dont elle fe traite & fe conclut.

 

Autrefois, pour parvenir à une paix fragile, que de myftères pour en ménager les préparatifs ! Des Congrès, des Médiateurs, une foule d’Ambaffadeurs, des préliminaires équivoques. Les faifons fe confumoient à difputer fur le cérémonial, & les Peuples fatigués foupiroient long-temps après un bonheur qu’ils ne recevoient que quand ils étoient las de l’attendre. Aujourd’hui tous les abords du temple de la paix font applanis, toutes longueurs font anéanties, & tout appareil pompeux & embarraffant eft réputé ce qu’il eft le plus fouvent dans fon fond, c’eft-à-dire, fafte, amufement, inutilité. De fages préliminaires fe trouvent fignés avant qu’on ait prononcé dans le Public le nom de paix. Un mois fuffit à notre Roi pour faire pofer les armes dans toute l’étendue de l’Europe, & pour y rétablir la tranquillité.

 

Autrefois, pour parvenir à la conclufion d’un Traité, que d’adreffes & d’intrigues ! Que de diffimulations même & de rufes ! Des colères feintes, des ruptures fimulées, de fauffes confidences, des paroles données, retirées, éludées quelquefois aux dépens de la droiture & de la bonne foi. Aujourd’hui ces rufes font auffi méprifées que le vain cérémonial. La bonne foi réciproque eft l’ame unique de cette négociation nouvelle. Le Roi dans fon cabinet, l’Empereur dans le fien, s’accordent entr’eux comme des frères unis qui partagent une fucceffion commune. droiture & l’équité préfident à leur Confeil ; elles écartent tous ces obftacles que font naître les défiances & les rufes. Ils balancent feuls le fort de tous les Etats, & les Puiffances alliées ou ennemies refpectent l’équité de leurs projets.

 

Autrefois le dénouement final des ennuyeufes conférences confiftoit dans les hauteurs du vainqueur, dans l’épuifement des vaincus, dans les menaces des Puiffances médiatrices. Le vainqueur parloit en maître. Le vaincu cédoit par crainte. En figeant la réconciliation & la paix, il gardoit dans fon cœur le dépit & la haine ; & fi l’on ceffoit d’être armé, on ne ceffoit pas d’être ennemi. Des Traités exigés par la force, & accordés par la crainte, n’étoient gardés qu’autant qu’on étoit contraint par la néceffité. Celui qui perdoit, confervoit avec fon dépit, le défir violent de fe dédommager & de fe venger. Aujourd’hui la juftice, la convenance réciproque, les égards mutuels, les avantages certains que chacun trouve dans le projet, en caufent la facilité, & en affurent la durée. LOUIS vainqueur n’infulte pas à l’Empire affoibli ; fa modération lui fait laiffer à chaque Puiffance de quoi fe fatisfaire. Il ajoute à fon Royaume deux Provinces, & fes voifins ne les lui envient pas. Lui-même n’envie pas à la Maifon d’Autriche la grandeur qu’il lui affure, & il trouve plus glorieux de lui céder des Etats, que d’en envahir.

 

Voilà, MESSIEURS, quelque chofe des prodiges nouveaux du règne de LOUIS ; prodiges peu connus jufqu’à nos jours. Voilà ce qu’opère cette intelligence pacifique qui préfide à fes Confeils. Voilà ce que peut un Miniftre équitable & modéré auprès d’un Roi modéré lui-même, & qui obéit auffi volontiers aux loix de la juftice & de la bonne foi, qu’il eft obéi avec amour par fes Sujets. Ceft-là, Peuples impatiens, ce que ce Miniftre fage & tranquille vous ménageoit dans le fecret. Tandis qu’il contenoit nos armées victorieufes dans un repos qui déconcertoit votre vivacité, vous en étiez allarmé ; vous vous offenfiez de voir le Rhin & le Pô bordés par des armées formidables & victorieufes, qui fous des tentes guerrières goûtoient les délices de la paix. Parce qu’elles avoient vaincu jufqu’aux élémens en fureur, vous vouliez qu’elles furmontaffent les fleuves & les montagnes, pour aller porter la défolation & la terreur dans le cœur de l’Empire. Reconnoiffez aujourd’hui la témérité de vos jugemens, & la fageffe de celui qui retenoit les armées dans une inaction falutaire, & qui fous ce calme apparent nous préparoit des conquêtes qui ne nous coûteroient point de fang. Voici quel eft le fruit de ces fages ménagemens. L’amitié & la juftice, la confiance & la droiture vous acquièrent plus de Provinces que vous n’en euffiez acquis par les victoires. Un Roi[8] fi juftement aimé, & cependant abandonné fi triftement par fon Peuple, fans effufion de fang rentre dans fes droits, & il eft reconnu par fes rivaux même. Il fera dédommagé par une fouveraineté plus gracieufe, des terres ravagées & défolées dont il cède le Domaine. Toutes les Nations de l’Europe reçoivent la loi, non de LOUIS XV & de fon Miniftre, ils n’ont garde de paroître la donner ; mais les Nations armées la recevront des mains de l’équité & de la juftice ; LOUIS s’y foumet lui même par probité & par modération. Toutes les Nations contentes, l’admirent & s’empreffent de l’imiter.

 

Manes du grand Armand, qui aviez épuifé, ce femble, toutes les merveilles d’un miniftère glorieux, venez & voyez. Tout grand que vous êtes, ces événemens, difons même, ces prodiges nouveaux ne méritent-ils pas vos regards ? Votre gloire eft incomparable, mais il refte encore des routes qui mènent à une autre forte de gloire qui aura auffi fes admirateurs.

 

Le Cardinal de Richelieu remue toute l’Europe par l’activité de fa politique. Il fait marcher des armées de toutes parts ; elles paroiffent où on ne les attendoit pas ; elles femblent fortit de deffous la terre. Je vois dans ces opérations étonnantes des refforts multipliés, des forces mouvantes, de puiffantes machines. Le Cardinal de Fleuri paifible dans fon cabinet, communique fa tranquillité à toute l’Europe ; fans inquiétude, fans s’émouvoir, fans rien perdre de cette douceur aimable qui orne toutes fes actions, il fixe les inquiétudes des têtes couronnées ; il veut que tous les Etats foient comme une même famille, où des frères bien nés vivent entr’eux fans ambition & fans défiance ; & il réuffit.

 

Le Cardinal de Richelieu pofe pour fondement de fa politique, de contredire, d’abaiffer, d’abattre même, s’il eft poffible, la Maifon d’Autriche, comme une Maifon rivale qui ne pouvoit fubfifter qu’aux dépens de la Maifon de France. Le Cardinal de Fleuri entreprend de réunir ces deux illuftres Maifons : il n’envie pas à la Maifon d’Autriche la fplendeur qui lui eft propre. Elle n’a rien qui offufque celle de la Maifon de Bourbon ; & établiffant entr’elles, pour maxime fondamentale, la droiture, la bonne foi & l’équité, il fatisfait aux intérêts de l’une & de l’autre ; & de deux Maifons rivales, il en fait comme une feule & même Maifon.

 

Le Cardinal de Richelieu prend fon vol de fi haut, qu’il fond même fur l’aigle dans fa plus grande élévation ; il l’étonne, il l’atterre, il lui arrache fa proie. Le Cardinal de Fleuri le charme par fa douceur, il l’apprivoife par fa franchife, il lui donne fa proie & il le contente ; & cependant il vient à bout de partager avec lui l’empire des airs, & de lui faire aimer ce partage.

 

Le Cardinal de Richelieu s’affujettit toutes les Nations l’une après l’autre ; il nourrit entr’elles des jalousies réciproques ; il profite de leurs divifions ; quelquefois même il les excite ou il les fomente habilement pour affoiblir les ennemis de fon Roi. Le Cardinal de Fleuri ne veut pas que fon Roi ait des ennemis ; il a en horreur toute intrigue qui puiffe paroître injufte ; il regarde le droit des gens & l’égalité dans la juftice, comme le reffort des traités le plus efficace & le plus durable ; il veut que chacun foit content qu’il vive fans défiance & fans allarme. Il cimente fes projets par l’intérêt que chacun trouve à les adopter. Toutes les Nations admirent & paroiffent fatiffaites ; & fi quelque jaloux conçoit du dépit, il n’ofe éclater, de peur de paroître injufte.

 

En un mot, le Cardinal de Richelieu défefpère fes Succeffeurs par la profondeur de fes deffeins, par la hardieffe de fes entreprifes, par la rapidité de fes fuccès ; qui pourra l’imiter ? Le Cardinal de Fleuri veut avoir des imitateurs ; il trace à ceux qui viendront, le plan d’un Miniftère plus fimple, plus facile, & peut-être plus fûr ; il accrédite la bonne foi & la probité ; il prépare les moyens de l’imiter, en donnant le modèle d’une politique dont tous les cœurs droits portent les refforts dans leur propre vertu.

 

Je ne demanderai pas ici, MESSIEURS, lequel des deux a le plus d’avantage ; je laiffe volontiers au Cardinal de Richelieu tout l’éclat & la fplendeur de fon miniftère. A Dieu ne plaife que je veuille diminuer la gloire de notre Fondateur. Fleuri, le modefte Fleuri s’offenferoit fi je lui donnois ou la préférence ou même l’égalité. Mais fans porter de jujement, je dirai fimplement ce que mon goût m’infpire. J’aime mieux la paix que la victoire, la bonne foi que l’intrigue, la juftice que les conquêtes. J’aime mieux voir, en un mot, que la puiffance de mon Roi s’accroiffe & s’étende fans fe faire de jaloux & je le crois plus grand, s’il n’a point d’ennemis, que s’il les avoit terraffé tous.

 

A ces avantages affurés il en fuccédera, fans doute, d’autres de jour en jour, dont nous goûterons la douceur fans inquiétude & fans allarme. La bonté de Dieu femble les devoir à la piété du Roi, à la bonne foi de fes traités, à la modération de fes défirs. Une Reine, mdèle de toutes les vertus, les attire par fes prières. Elle nous les prépare même par fon heureufe fécondité. Vous murmurez à ce mot, MESSIEURS, & il paroît vous étonner, parce que la naiffance d’une Princeffe n’a pas rempli toute l’étendue de nos efpérances. Mais apprenons à connoître le prix de ce don du Ciel, & à ne pas étouffer dans nos murmures les fentimens d’une jufte reconnoiffance. Vous voudriez encore un Prince, vous l’aurez : Dieu l’accordera, non à nos vœux impatiens, mais à la ferveur d’une Reine felon fon cœur. Mais en attendant, pénétrez dans l’avenir, & élevez vos vues jufqu’aux deftinées futures, & vous verrez fix Princeffes affifes fur les Trônes de l’Europe, porter par-tout les leçons de fageffe, de douceur & de bonté qu’elles auront reçues des exemples du Roi leur père. En elles, & par elles, LOUIS régnera dans toutes les Cours fans détrôner les Rois. Il eft une Monarchie univerfelle dont l’ambition ne trouble perfonne. C’eft la feule que LOUIS veut fe procurer, & il l’emportera par l’admiration & par l’amour. Lui qui s’abftient de faire des conquêtes, fubjuguera le monde fans l’envahir. Ses vertus reproduites dans les Princeffes fes filles lui concilieront tous les cœurs. L’Europe ne fera plus qu’un même peuple, le démon de la difcorde en frémira, mais il fera enchanté.

 

 

[1] Épître de Clio pour la défenfe de la Poëfie par M. de la Chauffée, dédiée à l’Académie Françoife.

[2] M. l’Evêque de Mirepoix.

[3] M. de la Chauffée.

[4] M. l’Evêque de Mirepoix.

[5] M. le Duc de Châtillon, Gouverneur du Dauphin.

[6] M. de la Chauffée.

[7] Difcours pour la réception de M. l’Abbé Terraffon.

[8] Le Roi de Pologne.