Réponse au discours de réception de Henry Houssaye

Le 12 décembre 1895

Ferdinand BRUNETIÈRE

Réponse de M. F. BRUNETIÈRE
au discours de M. Henry HOUSSAYE

DISCOURS PRONONCÉ DANS LA SÉANCE PUBLIQUE
le jeudi 12 décembre 1895

PARIS PALAIS DE L’INSTITUT

     Monsieur,

Vous venez de faire un si bel éloge de votre illustre prédécesseur, un éloge à la fois si juste et si complet, qu’en vérité je ne vois guère ce que j’y pourrais ajouter, et même vous m’avez enlevé jusqu’à la ressource de vous contredire.

Ne croyez pas au moins que je m’en plaigne, ni surtout que l’aveu m’en coûte ! Avec vous et comme vous, je suis en effet persuadé que, si notre siècle a connu d’aussi grands poètes, – et de plus abondants, ou de plus tumultueux, ou de plus passionnés, – que l’auteur des Poèmes antiques et des Poèmes barbares, il n’en saurait nommer pas un qui se soit formé de son art une plus noble, – je dirais presque une plus religieuse – idée, ni dont l’œuvre, dès aujourd’hui, soit marquée plus évidemment au caractère de l’éternité. J’estime également avec vous, et je répète après vous, que s’il n’a jamais voulu mettre la foule dans la confidence des secrets de son cœur, ni, selon sa forte expression, lui « prostituer son âme », le dernier reproche que l’on puisse pourtant adresser à l’auteur du Manchy, de l’Illusion suprême, de la Fin de l’homme, de Caïn, c’est le reproche d’avoir manqué de sympathie pour la souffrance humaine…

Éden, ô le plus cher et le plus doux des songes,
Toi vers qui j’ai poussé d’inutiles sanglots,
Loin de tes murs sacrés éternellement clos,
La malédiction me balaye ; et tu plonges
Comme un soleil perdu dans l’abîme des flots !

Les flancs et les pieds nus, ma mère Héva s’enfonce
Dans l’âpre solitude où se dresse la faim,
Mourante, échevelée, elle succombe enfin,
Et dans un cri d’horreur enfante sur la ronce,
Ta victime, Iaveh ! celui qui fut Caïn !

O nuit ! déchirements enflammés de la nue,
Cèdres déracinés, torrents, souffles hurleurs,
O lamentations de mon père, ô douleurs !
O remords ! vous avez accueilli ma venue,
Et ma mère a brûlé ma lèvre de ses pleurs.

Buvant avec son lait la terreur qui l’enivre,
À son côté gisant livide et sans abri,
La foudre a répondu seule à mon premier cri !
Celui qui m’engendra m’a reproché de vivre,
Celle qui m’a conçu ne m’a jamais souri !

Non, certainement, il n’a pas été l’impassible ou l’« Olympien » que l’on a dit, le poète qui a écrit ces vers désespérés ! Il a cru seulement qu’il y avait d’autres souffrances, plus dignes d’être chantées, que celles de nos amours trompées, de nos vanités blessées, ou de nos vulgaires ambitions déçues ! Et c’est pourquoi si les Méditations, si les Nuits, si les Contemplations ont, les unes après les autres, inauguré comme autant d’époques de l’histoire de notre poésie contemporaine, j’affirme comme vous, et avec vous, Monsieur, que les Poèmes antiques et les Poèmes barbares n’en ont pas ouvert, eux aussi, voilà plus de quarante ans, une moins nouvelle et une moins glorieuse.

C’est même ici que, si je l’osais après vous, je développerais volontiers ce qu’il vous a suffi d’indiquer d’un trait vif et rapide. Encore une fois, je ne saurais ni mieux louer le poète, ni le mieux admirer, pour de meilleures raisons ; je ne saurais mieux parler de l’homme, avec plus d’affection ni plus d’émotion. Mais avez-vous bien assez dit toute l’importance de la révolution dont le succès de son œuvre a donné le signal ? Vous nous racontiez tout à l’heure que, dans ces réunions du boulevard des Invalides, où M. Leconte de Lisle aimait à s’entourer des jeunes admirateurs de son talent déjà mûr, on avait encore « le sentiment du respect » ; et n’ajoutiez-vous pas que l’ardeur même d’une conviction un peu farouche n’empêchait pas cette impatiente jeunesse « de témoigner quelque déférence aux grands écrivains qui l’avaient précédée ». En êtes-vous bien sûr ? ce qui s’appelle sûr ? et vos souvenirs sont-ils aussi précis qu’ils sont sincères ? « Le sentiment du respect » ! Hélas ! Monsieur, souffrez que je vous dise à ce propos toute ma pensée, nous ne l’éprouvons guère que pour l’exiger des autres ! Nous ne devenons vraiment respectueux qu’en nous sentant devenir nous-mêmes respectables. Et comment, aussi bien, respecterions-nous, en littérature ou en art, ceux dont nous ne nous proposons que de défaire l’œuvre, pour la refaire ? Malherbe a-t-il « respecté » Ronsard ? Racine a-t-il « respecté » Corneille ? Voltaire a-t-il « respecté » Pascal ? et lequel de ses prédécesseurs dirons-nous que Victor Hugo ait « respecté » ? Jean- Baptiste Rousseau peut-être… et plus tard, le prophète Isaïe ! Quelle que fût en tout cas l’admiration de M. Leconte de Liste pour les grands poètes qui l’avaient précédé, je me la suis toujours imaginée plus voisine de l’émulation que du respect ; et vous me trouverez sans doute bien téméraire ! mais vous m’excuserez ; et j’aime à croire que M. Leconte de Lisle m’aurait lui-même pardonné, si ma témérité n’est après tout qu’une manière de rendre hommage à son originalité.

Il a voulu faire autre chose que les « romantiques » ; et là même est sa gloire, comme celle des « romantiques » est d’avoir, en leur temps, voulu faire autre chose que n’avaient fait les « classiques ». Il l’a voulu expressément ; il l’a dit en propres termes ; et il y a réussi ! À cet étalage d’eux-mêmes dont les romantiques avaient tant abusé, – dans leurs Méditations, dans leurs Contemplations, dans la description enflammée de leurs Nuits ; – à leur indiscrète manie de faire leur confession, et aussi celle des autres, sans en être priés, les Poèmes Barbares et les Poèmes antiques ont donc prétendu substituer, et ils ont en effet substitué une autre conception de la poésie, moins égoïste, moins personnelle, et non pas tout à fait nouvelle, mais renouvelée d’assez loin, et dérivée d’une source moins accessible à tout le monde, et moins trouble, et plus haute. Pareillement, si les romantiques, en général, – et à l’exception d’un ou deux… mettons trois ! – avaient affecté de dédaigner la correction, la pureté, la beauté de la forme, ou si même ils n’avaient pas craint de célébrer le prix de la laideur dans l’art, les Poèmes antiques et les Poèmes barbares leur sont venus rappeler, à eux et à toute une école issue d’eux, qu’on n’exprime rien d’immortel que par le moyen de la perfection de la forme, et que l’art, dès qu’il ne tend pas à la réalisation de la beauté comme à sa fin suprême, n’est qu’un « baladinage ». Et puisqu’enfin les romantiques n’avaient accrédité cette rhétorique étrange que pour en tirer le droit de suivre en tout la liberté de leur caprice ou l’irrégularité de leur fantaisie, les Poèmes Barbares et les Poèmes antiques ont témoigné par leur exemple que la beauté n’était pas une illusion de nos sens, mais de toutes les réalités la plus substantielle, comme étant ici-bas la seule qui nous console du mal inguérissable d’exister et de « l’horreur d’être hommes » :

Elle seule survit, immuable, éternelle !
La mort peut disperser les univers tremblants,
Mais la beauté flamboie et tout renaît en elle,
Et les mondes encor roulent sous ses pieds blancs.

C’est à la belle pièce d’Hypatie que j’emprunte ces beaux vers. Mais vous rappelez-vous encore l’hymne triomphal du poète à la Vénus de Milo ?

Du bonheur impassible, ô symbole adorable,
Calme, comme la mer en sa sérénité,
Nul sanglot n’a brisé ton sein inaltérable,
Jamais tes pleurs humains n’ont terni ta beauté !

Et dans vingt autres pièces de M. Leconte de Lisle, ni vous ni moi, Monsieur, ne serions embarrassés de retrouver la même idée. Il n’y en a pas de moins romantique, s’il n’y en a pas de plus classique, ou de plus grecque ; – et c’est justement où j’en voulais venir.

À Dieu ne plaise que je méconnaisse le service que le romantisme a rendu jadis à nos lettres françaises en leur ouvrant du côté du Nord des horizons ignorés ! et si j’en éprouvais la regrettable tentation, le poète de l’Épée d’Angantyr et du Cœur de Hialmar m’avertirait de n’y point céder ! Je lui ferais tort d’une moitié de son œuvre. J’oublierais que si la splendeur des étés des tropiques rayonne, pour ainsi dire, de quelques-uns de ses vers, il a su, dans quelques autres, qui ont le dur et froid éclat de la glace, trouver le secret de condenser toute la tristesse des brumes du pôle. Mais pour admirer les Niebelungen ou l’Edda scandinave, il n’a pas pensé qu’il fût nécessaire de leur sacrifier l’Iliade ou le Ramayana. En s’inspirant à des sources nouvelles, il ne s’est pas détourné pour cela des anciennes. Au contraire, il en a résolument appelé de la condamnation que le romantisme avait prononcée contre la tradition gréco-latine. Homère et Hésiode, Pindare. Eschyle et Sophocle, Euripide, Lucrèce, Virgile, Horace, il les a lus et relus ; il les a aimés ; il les a imités ; il les a même traduits. Et je ne répondrais pas qu’il en ait toujours ressaisi le vrai caractère, mais en les remettant en honneur, il nous a comme rattachés à nos vraies origines. La chaîne, un moment brisée ou interrompue, s’est renouée. Nous avons vu clair dans notre propre génie. Et nous n’avons pas renoncé aux acquisitions dont le romantisme avait fait pour notre poésie française un durable enrichissement, mais plutôt, c’est depuis lors que nous nous les sommes véritablement appropriées, ou qu’elles sont devenues tout à fait nôtres, en acceptant la discipline et le joug plus étroits de la forme classique. Et si ce retour à la tradition n’aura peut-être pas moins d’importance un jour que le mouvement violent par lequel, au début de ce siècle, nous nous étions écartés de nos anciens maîtres, le principal mérite en revient à M. Leconte de Lisle.

Dirai-je, Monsieur, qu’à cet égard vous avez continué son œuvre ? Oui ; si je ne craignais d’effaroucher votre modestie. Mais je puis bien supposer, et j’ai toutes sortes de raisons de croire que cette commune admiration de l’antiquité n’a pas été, entre vous et notre illustre confrère, le moindre lien d’une commune amitié. Vous étiez bien jeune, en 1867, quand vous lui fûtes présenté pour la première fois ! Mais vous étiez déjà l’auteur d’une élégante Histoire d’Apelles ! Mais vous reveniez déjà d’Athènes ! Mais vous aviez déjà formé le projet d’écrire votre savante Histoire d’Alcibiade ! La guerre de 1870 vous arrachait à vos travaux ; et, comme nous tous, pendant une année presque entière, vous cessiez de vous appartenir. Mais à peine les événements vous remettaient-ils en possession de vous-même que vous repreniez l’œuvre un moment suspendue. « La plus riche vie, – a dit Montaigne, – qui ait été vécue entre les vivants, et étoffée de plus de riches parties, et désirables, c’est, tout considéré, celle d’Alcibiade. » Du moins n’en voit-on guère dont les contrastes soient mieux faits pour séduire une imagination d’historien : je suis de ceux, vous le savez, qui ne conçoivent pas qu’il y ait d’historien sans un peu d’imagination. Votre livre justifiait l’opinion de Montaigne ; et l’Académie française vous couronnait. Animé par ce premier succès, vous méditiez un sujet plus vaste ; vous rêviez d’écrire l’Histoire de la Conquête de la Grèce par les Romains ; vous en amassiez lentement les matériaux ; et à la vérité, vous ne les mettiez pas, vous ne les avez pas mis encore en œuvre… Tant de choses dans la vie que nous menons aujourd’hui, nous font, sans le vouloir, infidèles à nos premiers rêves ! Mais vous ne l’étiez pas à votre amour du grec, et je me permets de vous en féliciter.

Je ne me permettrais pas si vous n’étiez qu’un simple « professeur ». Nous autres professeurs, – j’essaierais en vain de me le dissimuler, – on nous accuse couramment d’avoir inventé l’antiquité… pour en vivre ; et au fait, nous en vivons, d’une manière frugale, il est vrai, mais nous en vivons. Nous sommes donc un peu suspects lorsque nous disons que l’Europe sans les Grecs, ne serait pas l’Europe ; que des cinq parties du monde, si la plus petite a tenu dans l’histoire le rôle qu’elle y joue depuis trois mille ans, c’est à eux qu’elle le doit ; que dans les journées immortelles de Salamine et de Marathon, ils nous ont sauvés, nous, – et nos descendants, je l’espère, – nos arts, nos sciences, notre civilisation tout entière, de la ruine honteuse dont nous menaçait la barbarie de l’Orient. « Du côté de l’Asie était Vénus, c’est-à-dire, les plaisirs, les folles amours et la mollesse ; du côté de la Grèce était Junon, c’est-à-dire la gravité avec l’amour conjugal, Mercure avec l’éloquence, Jupiter et la sagesse politique. Du côté de l’Asie était Mars impétueux et brutal, c’est-à-dire la guerre faite avec fureur ; du côté de la Grèce était Pallas, c’est-à-dire l’art militaire et la valeur conduite par l’esprit. La Grèce depuis ce temps-là… ne pouvait souffrir que l’Asie pensât à la subjuguer, et en subissant ce joug, elle eût cru assujettir la vertu à la volupté, l’esprit au corps et le véritable courage à une force insensé qui consistait seulement dans la multitude. » Nous sommes suspects, je le sais bien, quand nous répétons ces paroles, qui ne sont cependant pas d’un « professeur » mais d’un évêque ! Et nous le sommes encore quand nous saluons dans les Grecs les ouvriers de la Renaissance ; quand nous voyons en eux les maîtres de nos Ronsard, de nos Racine, de nos Fénelon, de nos Chénier ; quand nous insinuons enfin que s’il y a d’honnêtes gens partout, il n’y a pas « d’honnête homme », sans un peu de grec. Nous sommes dans le pays de Molière ! et cette opinion a contre elle d’avoir été partagée par Vadius ! Mais, au lieu de venir de nous, quand de pareilles affirmations tombent des lèvres d’un grand poète, comme M. Leconte de Lisle, ou quand elles viennent de vous, Monsieur, le monde s’avise à ce coup que pour préférer les dialogues de Platon ou les discours de Démosthène…. à d’autres, on n’est point forcément un pédant, et que l’on peut même en être le contraire. Ce que le public ne comprenait pas, que l’on fît du grec pour rien, pour le plaisir, – sans un commandement exprès du roi, – je veux dire sans une espèce d’obligation alimentaire, il commence à l’entendre. Votre exemple lui sert de leçon, ou tout au moins d’un avertissement, et en même temps qu’il ne cache pas sa surprise, son étonnement joyeux, de retrouver sous l’helléniste un parfait Parisien, les philologues, les archéologues, les épigraphistes, les numismates vous en sont reconnaissants comme de la plus gracieuse des flatteries.

Avouez, Monsieur, que vous y avez mis quelque coquetterie. J’ai lu de vous un Mémoire sur un vase antique du musée du Barbakion ; et j’en sais un autre sur le Nombre des citoyens d’Athènes au Ve siècle avant l’ère chrétienne ; ce sont-là, convenez-en, des sujets bien austères. J’ai souvenance même d’un article retentissant où vous protestiez, – non sans éloquence ni sans quelque apparence de raison, – contre les libertés un peu vives que se sont permises quelques hommes d’infiniment d’esprit avec les plus poétiques fictions de la mythologie et de l’épopée grecques. Vous ne consentiez point que l’on s’égayât aux dépens du roi Ménélas, et, dans l’éloignement du temps, il vous semblait que ses infortunes eussent revêtu quelque chose d’auguste. Mais, Monsieur, et Aristophane ? Vous rappellerai-je le mot de ce vieil helléniste qui ne se lassait pas de faire expliquer à ses élèves, – de grands élèves, – les Nuées ou les Grenouilles? À la vingtième explication, raconte Sainte-Beuve, il en riait comme au premier jour, plus qu’au premier jour ; il en trépignait d’aise; et il en rougissait, car il était pudique ; et il s’écriait : « Ah ! Messieurs, quelles canailles que ces Grecs, mais qu’ils avaient donc de l’esprit ! » Oui ! et de cette sorte d’esprit qui consiste à savoir au besoin se moquer de soi-même ! Mais n’est-ce pas aussi pourquoi nous ne sommes point tenus d’avoir pour leurs dieux plus de vénération ou de pitié qu’ils n’en avaient ? Si nous voulons un jour nous indigner contre la Belle Hélène, je vous propose, Monsieur, d’attendre qu’Aristophane ait corrigé ses Grenouilles. Je n’insiste pas, après cela, sur la très ingénieuse, mais un peu paradoxale réhabilitation que vous avez tentée de Byzance ! « À voir dans l’hippodrome le peuple abandonné à lui-même, criant, riant, acclamant, murmurant, sans s’inquiéter de la présence de l’Empereur, on croirait un peuple heureux et libre », écriviez-vous un jour à ce propos !

C’est ainsi qu’un amant dont l’ardeur est extrême,
Aime jusqu’aux défauts des personnes qu’il aime !

Vous avez aimé la Grèce et l’hellénisme jusque dans leur décadence ; – et moi, j’avais tort, Monsieur, quand je vous accusais tout à l’heure de coquetterie, car j’entrevois maintenant le vrai motif de vos prédilections.

C’est que Byzance nous a conservé « le trésor des lettres grecques s» et, – n’est-ce pas vous qui en faites quelque part l’observation ? – « il n’y a pas longtemps encore que l’on attribuait à Anacréon des odes exquises, composées durant les premiers siècles de l’Empire par quelque obscur poète byzantin ». Vous êtes reconnaissant aux artistes byzantins de nous avoir transmis « les traditions du style idéal et la pratique de l’art ». Vous vous souvenez qu’à Venise, tout le long du Grand Canal, si quelque palais d’un style à la fois plus étrange et plus original attire et enchante nos yeux, il est d’architecture byzantine. Vous ne pouvez pas oublier que les fresques du mont Athos ont inspiré Cimabué. Et les noms des Chrysoloras et des Théodore de Gaza, ceux des Chalcondyle et des Lascaris sont inséparables pour vous de ce grand mouvement d’idées que l’on a si justement nommé du nom de Renaissance ! Vous êtes artiste ! et je dois convenir que si Byzance n’a rien qui puisse fixer la méditation du philosophe, en revanche, pendant plus de mille ans, rien ne lui a manqué de ce qui peut, de ce qui doit intéresser, retenir et charmer une âme d’artiste. Vous l’avez bien prouvé, dans votre vivante étude sur l’Impératrice Theodora, cette courtisane couronnée, dont la figure a également séduit l’un de nos plus érudits et de nos plus brillants confrères. Féconde en drames sombres, ou la corruption luxueuse et demi-barbare de l’Orient se mêle aux raffinements de la civilisation gréco-latine expirante, l’histoire du Bas-Empire n’est pas moins riche en impressions d’art. Et qui pouvait y être plus sensible que vous, l’historien du peintre Appelles ? vous, que les arts de la Grèce avaient déjà conquis à l’âge où l’on est encore sur les bancs du collège ? et vous, qui ne vous délassiez de vos autres travaux qu’en étudiant l’Antiquité au Salon de 1868 ?

Je ne saurais omettre, en effet, de rappeler la trace que vous aurez laissée dans l’histoire de la critique d’art. J’avais bien lu vos Salons, mais j’ai voulu profiter de l’occasion qui s’offrait à moi de les relire, et, – rassurez-vous, – je n’aurai garde, pour les louer, de les comparer à ceux de Diderot. Ce Diderot, qui passe pour avoir créé la critique d’art en France, l’y a peut-être pervertie ! Pour moi, j’aime justement vos Salons de ne pas ressembler aux siens. Si je regrette que vous n’ayez pas cru devoir persévérer dans cette voie, c’est pour la même raison. Et pour la même raison, je me plais à songer qu’un jour ou l’autre, nous vous y verrons revenir.

Car je n’ai point, je vous l’avoue, la prétention d’être un grand connaisseur d’art, et, au Salon de peinture comme à l’Opéra, je me contente d’aimer ce qui me fait plaisir. Mais c’est un tort ; c’est un grand tort ! et je m’empresse de confesser qu’il n’y a pas de plus fâcheuse erreur ; qu’il n’y en a pas de plus grave, de plus préjudiciable aux intérêts des artistes eux-mêmes et de l’art. Où irions-nous si nous érigions notre goût personnel en mesure et surtout en règle de nos jugements ? Aimer ce qui nous fait plaisir ! Mais, en matière d’art comme de littérature, et comme aussi bien dans la vie, toute une part de notre probité ne consiste qu’à réagir contre nos impressions. Et, si nous n’y réussissons pas, qu’arrive-t-il de nous ? Vous le savez, Monsieur, c’est alors que, comme Diderot, nous mêlons, nous confondons, nous brouillons tout ensemble. Nous louons comme lui les qualités littéraires d’un tableau. Nous admirons d’une statue les intentions morales. On nous entend parler d’un peintre comme nous ferions d’un romancier. Que vous dirai-je de plus ? Nous nous engageons sur la pente glissante qui mène à l’admiration de la lithographie sentimentale, le Départ de l’Émigrant ou le Curé conciliateur; et la pente est de celles que l’on ne remonte point.

C’est que nous manquons ici de guides, et dès qu’il en surgit quelqu’un, il meurt, – comme Eugène Fromentin, – à moins encore qu’à peine nous mettions-nous en chemin pour le suivre, il nous abandonne, – comme vous. Non que l’art et la littérature soient étrangers ou excentriques l’un à l’autre ; et, pour peu qu’il les prenne assez superficiellement, un homme d’esprit ne tarde pas à découvrir entre eux des rapports qui l’étonnent lui-même. Mais c’est au point précis où ces rapports s’évanouissent que commence la vraie critique d’art. Si donc deux peintres ou deux sculpteurs traitent le même sujet, s’ils nous montrent la même Madone avec le même enfant, ou la même Jeanne d’Arc, je voudrais que l’on me dit en quoi ces Jeanne d’Arc ou ces Madones diffèrent ; et que l’on me l’expliquât par des raisons techniques, par des raisons tirées de l’art ou du métier même du sculpteur ou du peintre. Il doit y avoir de ces raisons. Ou plutôt, il y en a, j’en suis sûr, puisque Eugène Fromentin, dans ses Maîtres d’autrefois, nous en a donné quelques-unes ; et tels encore de nos confrères, M. Eugène Guillaume, dans ses savantes leçons du Collège de France, ou M. Jules Breton, dans sa toute récente autobiographie d’Un Peintre paysan. D’une manière de dessiner ou de peindre à une autre manière, il y a autant de différence que du style de Corneille à celui de Racine ; et cette différence est « technique » ; et je voudrais qu’on me la fit entendre. « Après cela, dit Benvenuto Cellini dans un passage souvent cité, tu dessineras l’os qu’on appelle sacrum : il est très beau » ! Je voudrais savoir ce qu’il y a de si beau dans l’os qu’on appelle sacrum ! Et quand je le saurais, quand nous le saurions, si l’on persistait à faire de la littérature à propos d’une toile ou d’un marbre, on le pourrait, ou on ferait ! Mais nous, en attendant, nous aurions appris quelque chose ! Nos opinions ne seraient plus la naïve et mobile expression de notre incompétence ! Il y aurait eu une critique d’art, et non plus seulement, à propos d’art, de la critique encore et toujours purement littéraire.

Vous étiez digne, Monsieur, de poursuivre cette entreprise. Vous aviez tout ce qu’elle exigerait, pour être conduite à bonne fin, de connaissances exactes, de sûreté de goût, d’intelligence du métier. Vous nous eussiez donné, sans affectation de pédantisme, cette langue nouvelle, ce vocabulaire encore à naître, dont la vraie critique d’art aurait besoin avant tout. Vous n’auriez certes pas versé dans notre vieux Dictionnaire l’argot des ateliers, mais vous l’eussiez comme filtré, traduit en clair, transposé dans la langue de l’usage. Et ce que d’autres ont ainsi fait pour la théologie, pour la philosophie, pour la science, vous l’auriez fait pour l’art – si vous l’aviez voulu ! Mais d’autres études vous appelaient. Érudit et artiste, l’histoire vous tentait, sinon la politique, l’histoire contemporaine, l’histoire d’hier, celle qui se continue toujours sous nos yeux. Vous n’en disiez rien à personne ; vous dissertiez très congrûment sur la Loi agraire à Sparte ; vous nous racontiez le Premier Siège de Paris, par Labienus, en l’an 52 avant l’ère chrétienne ; vous discutiez les théories du « naturalisme » et les procédés de « l’impressionnisme » dans l’art. Mais tandis que l’on vous croyait tout occupé de peinture moderne ou de poliorcétique antique, vous relisiez la Correspondance et les Mémoires de Napoléon ; vous compulsiez les archives du Ministère de la guerre ; vous parcouriez les champs de bataille de la. Champagne et de la Belgique ; – et vous écriviez vos belles histoires de 1814 et de 1815.

Nous assistons depuis quelques années à un réveil inattendu de la légende napoléonienne ; et si je dis que, de ce réveil, votre 1811 a été le premier signal, je ne pense pas, Monsieur, que la remarque en soit pour vous déplaire. Les Mémoires de Marbot, – qui nous ont révélé dans ce colonel de hussards un si remarquable émule de l’auteur des Trois Mousquetaires, – n’avaient pas encore commencé de paraître ; et la dernière image que nous eussions de Napoléon, la plus récente, c’était celle que Taine en avait si profondément gravée dans ses Origines de la France contemporaine. On s’accorde communément à la trouver aujourd’hui plus vigoureuse que ressemblante. L’image que vous nous avez donnée de cet homme extraordinaire est-elle plus fidèle ? Ce que je crois du moins que l’on peut dire, c’est qu’elle est différente ! Mais elle a surtout quelque chose de plus héroïque ; et, sachant bien que l’adversité sera toujours l’épreuve de la véritable grandeur, vous n’êtes pas allé choisir, pour essayer de ramener à lui nos sympathies hésitantes, le négociateur de Léoben et de Campo-Formio, ni le vainqueur d’Austerlitz et d’Iéna, ni le triomphateur de Tilsitt et d’Erfurt, mais le glorieux vaincu de la campagne de France.

Les meilleurs juges, les plus autorisés, ont rendu pleine justice à la générosité de votre inspiration, à la précision de votre méthode, et à la lucidité de votre récit. « Je ne crois pas que nulle part, a écrit un de nos confrères, cette merveilleuse et lamentable campagne de France ait été exposée plus clairement et mieux mise à la portée des lecteurs les moins familiers avec les notions techniques. On voit nettement que dans aucune des phases de son incomparable carrière Napoléon n’a déployé plus de ressources de génie que dans cette lutte désespérée. Jamais soleil couchant n’a jeté plus de feux. Aucun spectacle n’est plus saisissant que celui de cet homme seul, n’ayant pour se défendre qu’une armée déjà décimée et des conscrits recrutés d’hier, qui fait tête aux légions de l’Europe entière et à tous leurs souverains accourus pour se repaître de ses dépouilles. Rien de plus dramatique que de le voir enfermé dans le cercle de fer qu’il brise à plusieurs reprises par un coup de force et d’éclat, mais qui se reforme impitoyablement et le serre de plus près d’heure en heure, jusqu’à ce que l’hallali final de cette chasse humaine sonne sous les murs mêmes de la capitale . »

Et pour obtenir cet effet d’émotion, comment vous y êtes-vous pris ? Vous avez laissé parler les faits. Ce que tant de vos prédécesseurs avaient cru devoir arranger ou dramatiser, vous avez compris, Monsieur, qu’il suffisait de l’exposer nûment. Vous avez jour par jour –, et presque heure par heure, – avec une abondance, et en même temps une exactitude dont je ne connais que bien peu d’exemples, reconstitué toute une année d’histoire. C’est pourquoi, s’il n’y a rien de plus « dramatique », il n’y a rien aussi de plus simple, de plus uni, de plus savant d’ailleurs en sa simplicité que votre 1814. Et il n’y a rien de plus vivant, parce que tant de menus faits, sous le nombre et le poids desquels un moins habile eût sans doute plié, ne vous ont servi qu’à nous montrer l’âme même de la France engagée dans cette lutte suprême et qu’à mêler ainsi, dans le cours entraînant de votre narration, au désespoir d’un seul homme, les angoisses de toute une grande nation.

C’est ce qui m’empêche, Monsieur, d’opposer à mon tour mon Napoléon au vôtre, on plutôt, et plus modestement, si je ne saurais partager tout ce que Napoléon excite en vous d’admiration, c’est ce qui m’empêche de le dire trop haut. Je songe au mot du moraliste : « Orgueil, contrepesant de toutes les misères ! », et quand j’évoque après vous tant de noms éclatants de victoires, vous ne pensez pas que j’ose disputer ma reconnaissance à l’homme qui les a pour jamais inscrits dans les annales de la patrie. Si grande que fût notre ancienne France entre les nations, Napoléon l’a faite plus grande encore. Vous ne croirez pas davantage que, si je me renferme dans nos propres frontières, j’admire médiocrement cette organisation intérieure dont il a jeté, voilà tantôt cent ans, ou consolidé, de sa main toute-puissante, l’une après l’autre, toutes les bases. Mais parmi tant de splendeurs, si je ne puis fermer l’oreille à tant de plaintes ou de malédictions dont les mères, dont les peuples, dont quelques-uns de ses serviteurs ont chargé sa mémoire, ne le comprendrez-vous pas ? J’entends la voix de Chateaubriand et celle de Mme de Staël ! J’entends la voix du plus généreux de nos poètes, – c’est Lamartine, à qui vous ne refuserez pas ce titre ! je l’entends nous rappeler ce temps « où il n’y avait pas une idée en Europe qui ne fût foulée sous le talon, pas une bouche qui ne fût bâillonnée par la main de plomb d’un seul homme » ; j’entends Augustin Thierry professer « de toute la conviction de son âme son aversion du régime militaire » ; j’entends Auguste Comte « flétrir de toute son énergie l’usage profondément pernicieux que fit de sa toute-puissance l’homme investi par la fortune d’un pouvoir matériel et d’une confiance morale qu’aucun autre législateur moderne n’a réunis au même degré » . Et je veux bien qu’ils exagèrent. Poètes et philosophes, ils parlent de Napoléon comme ils feraient de l’un d’eux, en politiques autant qu’en historiens. Ce qui n’empêche que, s’il fallait opter, c’est avec eux, c’est à leur suite que je me rangerais, – non sans quelque tristesse, et peut-être quelque remords, – mais avec la conscience de défendre contre les retours de popularité d’une grande mémoire les deux libertés qui nous importent d’abord, à nous qui écrivons, et qui contiennent peut-être toutes les autres : celle de penser comme nous voulons, et celle de parler comme nous pensons : sentire quae velis et dicere quae sentias.

Vous m’avez épargné la difficulté de ce choix, et je vous en remercie. Vous avez bien pu, dans votre 1814 et dans la première partie de votre 1815, vous faire quelque illusion, à mon avis du moins, sur la profondeur et l’universalité des sentiments que l’abdication de l’Empereur et son retour de l’île d’Elbe avaient remués dans l’âme populaire. Mais votre instinct patriotique, supérieur à toutes les discussions, ne vous a pas trompé. Car c’est alors, oui, c’est bien alors, en cette année 1814, que s’est comme achevée l’union de la France avec l’Empereur ; et ce que tant de prospérités n’avaient pu faire, c’est le malheur qui l’a consommé. De l’homme d’Arcole et de Rivoli, vous l’avez bien vu, Monsieur, c’est Montmirail et Champaubert qui ont fait l’homme de la France. En ces jours d’épreuves, si rien d’humain « n’avait battu jusqu’alors sous son épaisse armure », il s’est senti lié, par des fibres plus intimes, plus résistantes qu’il ne le savait peut-être lui-même, à son peuple fidèle ; et ce peuple a compris qu’il n’y allait plus, dans cette héroïque agonie, de la fortune ou des ambitions d’un seul homme, mais des destinées et de l’existence de la patrie commune.

Ce que vous avez si bien montré dans votre 1814, réussirez-vous à nous le montrer également dans la seconde partie de votre 1815 ? et quand il vous faudra juger la désastreuse aventure des Cent Jours, comment la jugerez-vous ? C’est ce que je ne veux pas examiner, mais vous pourrez toujours dire que si Napoléon n’était que le vainqueur d’Austerlitz et d’Iéna, il n’y aurait pas de « légende napoléonienne », et, qu’en réalité, c’est Waterloo qui l’a comme sacré pour nous. Sa légende est née du sein de la défaite, comme presque toutes nos légendes nationales, qu’il semble que l’on ait inventées, ou qui se soient formées d’elles-mêmes, pour protester au nom de l’idée vaincue contre la basse religion du succès. Et c’est pourquoi, Monsieur, si je ne puis former de vœux pour qu’il apparaisse un nouveau Napoléon parmi nous, si j’en forme même de contraires, je n’ai cependant pas peu de voir se propager la légende. Le premier devoir de la solidarité nationale est de nous ranger dans la détresse autour de ceux sont la gloire, en des temps plus heureux, a rejailli sur nous ; et, regardons-y bien, n’est-ce pas là tout ce que nous verrons dans cette évocation ou plutôt multiplication de l’épopée napoléonienne par le livre, le journal, et l’image ?

J’aurais terminé, Monsieur, si je n’avais négligé jusqu’ici toute une partie de votre œuvre, qui n’est peut-être pas celle où vous attachez vous-même le plus de prix, mais dont j’ai quelques motifs de faire une estime particulière. Au milieu de tant de travaux, – si divers, et si sévères, – que vous meniez de front avec une élégante aisance, vous ne vous désintéressiez de rien de contemporain, et, collaborateur assidu du Journal des Débats, vous trouviez, entre une lecture de Thucydide et une séance aux archives de la guerre, le temps de feuilleter tout ce qui se publiait de romans, de voir tout ce qui se jouait de drames, de lire tout ce qui se rimait de vers. Vous ne vous contentiez pas de le voir ou de l’entendre ; vous en disiez votre sentiment, avec votre franchise, avec votre vivacité de plume, avec votre courage habituels. Ni les grands mots ne vous en imposaient, ni les clameurs des coteries ne vous intimidaient, ni le tapage croissant de « la réclame » ne vous décourageait. Vous aviez la conscience de combattre le bon combat, et vous ne doutiez pas que la victoire ne dût finir par vous demeurer. Je dirais qu’en effet c’est ce qui est arrivé si, dans le même temps, non loin de vous, je n’avais un peu livré la même bataille, et qu’ainsi je n’eusse l’air, en vous complimentant, de me complaire moi-même dans mes propres souvenirs.

Ne le disons donc pas ; – mais, sans nous flatter d’y avoir aucunement contribué, ne pouvons-nous du moins constater, au nom d’un intérêt d’art qui nous dépasse l’un et l’autre, que, presque tout ce que nous demandions, nous l’avons obtenu ? L’imitation de la nature, qui est le commencement de l’art, n’en saurait être ni l’objet, ni surtout le terme. Convaincus de la vérité de ce principe, nous demandions que l’artiste, s’il devait se résigner à n’être désormais que le miroir de la réalité, la reflétât du moins tout entière, et que l’on retrouvât, dans l’image qu’il en donnerait, quelque chose de la variété, de la diversité, de la complexité de la nature. Faisant un pas de plus, nous demandions qu’il ne s’arrêtât pas à la superficie des choses, mais qu’il essayât d’en saisir et d’en exprimer le sens intérieur, la signification ultérieure et cachée. Nous demandions encore qu’il ne se fit pas un jeu cruel des misères de l’humanité, mais qu’il mit un peu de son cœur dans son œuvre, et qu’il comprît, qu’il sentît, qu’il aimât « la majesté des souffrances humaines ». Et nous demandions enfin, nous lui demandions de se souvenir que ce n’est pas l’homme qui a été inventé pour l’art, mais l’art qui a pour l’homme, et par l’homme, pour nous être une consolation de la vulgarité de l’existence, une invitation quotidienne à nous élever au-dessus de nous-mêmes, et quelque explication du mystère de notre destinée. C’est le changement que nous avons vu, Monsieur, s’accomplir depuis quinze ans, et nous avons au moins le droit de nous en réjouir ensemble ?

Aussi bien,

Est-ce un droit qu’à la porte on acquiert en entrant ;

et ces idées, vous ne l’ignorez pas, forment la substance de tout ce que l’on s’honore ici de conserver sous le nom de tradition. « Ce qu’en tout temps il y a de plus vivant dans le présent, aimait à dire un de nos confrères, c’est peut-être le passé » ; et il entendait par là que, sous la fluidité continuelle des apparences, il y a pourtant quelque chose qui dure et qui demeure. Nos morts ne retournent pas tout entiers au néant ; et nous ne vivons généralement que de l’héritage qu’ils nous ont transmis. N’est-ce pas ce que nous croyons, ce que nous avons toujours cru, vous et moi, comme lui ? Si je cherche la raison de cette vivacité que vous avez quelquefois portée dans la critique des œuvres contemporaines, n’est-ce pas là que je la trouverai ? comme aussi la raison de la fidélité que, sans en être moins parisien, vous garderez toujours à l’hellénisme et à la Grèce ? Vous ne voulez pas que la religion de la beauté soit donnée en proie à de nouveaux barbares. Et, puisque là encore est la raison de l’admiration, de l’affection que vous éprouviez pour votre illustre prédécesseur, je ne sais si c’est l’une des raisons du choix que l’Académie a fait de vous pour lui succéder, mais elle n’en pouvait faire un qui fût, je l’ose dire, plus agréable à une grande ombre ; et je souhaiterais, Monsieur, que vous eussiez retrouvé quelque chose de cette intention dans ce compliment de cordiale bienvenue.

Bossuet, Discours sur l’Histoire universelle.

Auguste Comte, Cours de philosophie positive

Augustin Thierry, Dix ans d’études historiques.

Lamartine, Des destinées de la poésie.

Duc de Broglie (Correspondant du 25 juillet 1893).