Dire, ne pas dire

Puff ! Poff !

Le 6 septembre 2018

Bloc-notes

On donne la chasse aux anglicismes abusifs, qui s’en plaindrait ? Il y en a pourtant un, oublié, qu’il serait pertinent de remettre en valeur. Stendhal avait essayé de l’introduire dans la langue française, en appelant « poff » tout éloge abusif d’un mauvais livre. Il faisait venir poff de l’anglais puff, « souffle, bouffée de tabac, bulle de savon », d’où : « chose vaine et futile ». Et, par nouvelle dérivation : « réclame outrancière et menteuse qui sert à lancer un méchant ouvrage ». Le 6 décembre 1825, Stendhal écrivait au rédacteur du Globe : « Je propose au public d’adopter le verbe poffer (du mot anglais puff), qui veut dire vanter à toute outrance, prôner dans les journaux avec effronterie. Ce mot manque à la langue, quoique la chose se voie tous les jours dans les colonnes des journaux à la mode, auxquels on paie le puff en raison du nombre de leurs abonnés ; car je dois l’avouer, monsieur, avec le verbe poffer (vanter effrontément et à toute outrance), je propose aussi le substantif poff. » La proposition a échoué. Le mot nous manque toujours. Jamais il n’aurait été aussi nécessaire, dans notre époque d’inflation publicitaire, où l’on dérange Proust pour mettre au pinacle un faiseur de longues phrases, Joyce pour justifier un charabia incompréhensible, et où on lit sur la quatrième de couverture de n’importe quel navet : « À lire de toute urgence ». On poffe à tour de bras, les 500 romans de la rentrée seraient tous dignes du Goncourt. Mais une sorte d’omerta continue à sévir. Comme disait encore Stendhal, « il y a peu d’hommes de talent assez téméraires pour se créer une demi-douzaine d’ennemis mortels par mois en dénonçant au public la parfaite nullité d’autant de prétendus chefs-d’œuvre poffés dans les quotidiens ». La forme anglaise puff a survécu quelque temps, sous la plume de Balzac (« Que de sales petits journaux, la honte du pays, vivent de calomnies et de puffs »), de Mérimée (« Je ne doute pas d’un grand succès pour les lettres si elles sont un peu puffées par les journaux »), de Théodore de Banville, de Scribe, des Goncourt, de Léon Daudet. La dernière occurrence se trouverait chez Gide, dans son Journal, à la date du 7 janvier 1902 : « Parlant de sa visite du matin au jeune sculpteur Charmoy, il [Viélé-Griffin] proteste contre l’œuvre et l’homme, n’y veut voir que puffisme, arrivisme et prétention. » Poff ! Puff ! Peu importe l’orthographe. La naturalisation n’a pas eu lieu, le mot a disparu, la chose est restée, de plus en plus envahissante. Puff ! Poff ! Comme cette syllabe courte, allègre, percutante, dégonflerait d’une chiquenaude tout battage médiatique !

 

Dominique Fernandez
de l’Académie française