Discours sur les prix littéraires 2005

Le 1 décembre 2005

Frédéric VITOUX

Discours sur les prix littéraires

 

Messieurs,

Nous aimerions tout particulièrement cette année saluer et remercier les jeunes filles de la Légion d’honneur qui, depuis fort longtemps, nous font le plaisir d’être présentes sous la Coupole, à l’occasion de notre séance publique annuelle. À quelques jours près, nous célébrons en effet le bicentenaire de leurs écoles fondées par Napoléon Bonaparte, le 15 décembre 1805 très précisément. Cette date méritait d’être rappelée, avant d’en venir à la lecture de notre palmarès.

Messieurs,

Quand le baron Pierre de Coubertin songea à redonner vie aux Jeux olympiques de l’Antiquité, il envisagea tout d’abord, paraît-il, d’y introduire des épreuves d’art plastique et de poésie. Assez vite, sagement sans doute, il renonça à ce projet. On se prend tout de même à rêver au spectacle d’une finale olympique de haïku ou de sonnet, pour évoquer des formes brèves, autrement dit des épreuves de rapidité. Les athlètes du continent américain, les maîtres incontestés de la vitesse, auraient-ils en ce domaine triomphé aussi facilement des Japonais ou des Français ? Et que penser des compétitions d’endurance, l’épopée par exemple, qui est un peu le 10 000 mètres ou le marathon de la poésie ? Quel versificateur de fond, comme on parle d’un coureur de fond, aurait pu dans ces conditions l’emporter ?

Il peut paraître cruel de prononcer le mot d’olympisme ici même, à Paris, ville candidate encore il y a quelques mois à l’organisation des Jeux de l’année 2012. Notre intention, en vérité, est d’être réconfortant. Non, nous n’organisons pas les Jeux olympiques d’été dans un avenir proche, mais nous célébrons déjà chaque année à l’automne, en ce lieu qui vaut tous les stades du monde, les cérémonies protocolaires des jeux académiques – et le fantôme du baron Pierre de Coubertin devrait s’en féliciter sans réserve. Nos épreuves ne sont pas moins nombreuses que les disciplines olympiques et peut-être plus essentielles que le badminton ou le lancer du marteau féminin. La philosophie, l’essai, la nouvelle, le roman, la critique, la poésie, l’histoire, la défense de notre langue et de la francophonie font ainsi l’objet d’âpres compétitions où nous décernons des prix, des grands prix et même des médailles qui n’ont rien à envier à celles qui sont ailleurs d’or, d’argent ou de bronze.

Il n’est pas facile de prendre connaissance de centaines et de centaines d’ouvrages, et c’est pourtant notre mission première, à l’Académie, au sein de nos différentes commissions, au même titre que les travaux de notre Dictionnaire. Il est délicat de juger, d’établir des hiérarchies, d’écarter certains auteurs au profit d’autres, nous le savons. Aucune toise, aucun chronomètre électronique, aucune photo ne nous aident à départager nos concurrents. Les discussions, voire les disputes entre nous, sont donc tout naturellement vives.

Découragés, certains d’entre nous auraient peut-être envie de s’écrier parfois, comme Jules Renard : « On se trompe toujours sur ses contemporains ; ne les lisons donc pas ! » Ce serait se persuader à bon compte que la postérité, du moins, est infaillible. Une sottise qui faisait déjà sourire Chateaubriand : « Il y a des passions, des engouements, des erreurs de distance comme il y a des passions, des erreurs de proximité », disait-il.

Que nous reste-t-il alors ? Notre ferveur et aussi notre humilité. Notre confiance dans nos choix, nos récompenses, nos coups de cœur, et aussi notre intuition que d’autres auteurs auraient mérité d’être également salués et récompensés. Il est vrai que l’oubli d’une année pourra toujours être la récompense d’une autre, mais cette consolation, en attendant, ne consolera peut-être que nous-mêmes.

Venons-en donc à notre palmarès, et que les lauréats nous pardonnent si nous ne les juchons pas sur un podium, une médaille autour du cou, alors que retentissent les hymnes nationaux, une seule séance vraiment n’y suffirait pas ! Vos applaudissements leur seront du moins le plus agréable des hommages.

Le Grand Prix de la Francophonie a été attribué à Mme Jane Conroy, native du comté de Galway, en Irlande.

Universitaire renommée dans son pays, membre fondateur de l’Association des études françaises et francophones d’Irlande, Jane Conroy a consacré sa thèse de maîtrise, chez elle, à Marcel Aymé romancier, avant de soutenir à la Sorbonne une thèse de doctorat sur l’Angleterre et l’Écosse dans la tragédie française du XVIIe siècle. D’abord lectrice à l’université de Lille, elle a poursuivi sa carrière d’enseignante dans son pays, sans cesser pour autant de publier de nombreux travaux relatifs à la France, à ses écrivains et à son histoire. Les énumérer serait bien long, depuis une étude sur les voyageurs français en Irlande entre 1650 et 1850 jusqu’à sa prochaine édition critique d’un carnet de voyage du consul français envoyé par Louis XVI en Irlande à la veille de la Révolution. On ne saurait donc assez souligner la qualité et la constance de l’intérêt de Mme Conroy pour la culture française, dans ses liens si étroits avec son propre pays. Notre gratitude à son égard est profonde.

M. Elias Sanbar, qui vient de faire paraître aux éditions Gallimard un remarquable essai intitulé Figures du Palestinien, a reçu pour sa part la grande m édaille de la Francophonie.

Palestinien du dehors, puisqu’il a dû quitter sa ville natale d’Haïfa à l’âge de quinze mois, porté par sa mère dans un convoi escorté de blindés anglais, il a fait ses études au Liban.

D’une culture encyclopédique, nous rappelle notre Secrétaire perpétuel honoraire Maurice Druon, historien, ethnologue et penseur plus que philosophe, Elias Sanbar est rédacteur en chef de la Revue d’études palestiniennes. Professeur, il a enseigné au Liban, en France et aux États-Unis. Membre du Parlement palestinien, il a pris part aux négociations de Washington en 1992, puis aux accords d’Oslo. Elias Sanbar traite naturellement mais lumineusement du long conflit avec Israël, l’autre peuple qui revendique depuis tant de siècles la même terre.

Toute l’œuvre de M. Sanbar, je cite encore Maurice Druon, est écrite en français, dans une langue parfaite, claire, élégante, exemplaire, quelles que soient la difficulté ou la profondeur des sujets qu’il traite. Pour un rare ensemble de qualités d’un auteur qui honore la langue française, Elias Sanbar a été jugé digne d’une des plus hautes récompenses de l’Académie française.

Le Grand Prix de Littérature est attribué à Mme Danièle Sallenave pour l’ensemble de son œuvre – une œuvre vaste, ambitieuse, exigeante, chez cet auteur qui enseigne depuis quelques années au Département d’arts et spectacles de l’université de Nanterre. On lui doit des récits, des romans aussi mémorables que Les Portes de Gubbio, que couronna autrefois l’un des grands prix d’automne, ou, plus récemment, La Fraga, qui emprunte à la Venise décadente de la fin du XIXe siècle sa sensualité si fiévreuse... mais également des essais, des relations de voyage, des textes parfois engagés, généreux, comme ses Carnets de route en Palestine occupée, sans oublier des réflexions sur l’art. La place si riche et si singulière de Mme Danièle Sallenave dans notre paysage littéraire méritait ainsi d’être saluée.

Pour l’ensemble de son œuvre également, M. Denis Tillinac reçoit le Grand Prix de littérature Henri Gal.

Membre éminent de cette singulière et incertaine confrérie littéraire connue sous le nom de l’école de Brive, Corrézien de cœur sinon de naissance, Denis Tillinac est le type même de l’intellectuel aux facettes multiples. Proche du président de la République Jacques Chirac qu’il n’hésite jamais à défendre, voire à conseiller dans de retentissants articles, redoutable et savoureux polémiste, responsable depuis une dizaine d’années des Éditions de la Table ronde, Denis Tillinac est l’auteur, avant tout, de plus d’une vingtaine de romans, récits et essais. Avec humour, avec courage, avec un sens aigu de la formule et une indéniable générosité de cœur et d’imagination, il ne cherche pas à flatter les idées reçues. Un homme qui, comme lui, chérit par ailleurs d’Artagnan, le rugby et l’amitié ne saurait nous laisser indifférents.

Le Prix Jacques de Fouchier est décerné à M. Marc Desportes pour son ouvrage Paysages en mouvement, dont le sous-titre éclaire le propos d’une grande originalité : Perception de l’espace et transports, XVIIIe-XXe siècle.

On avait souvent souligné le rôle de la peinture dans la formation de la perception occidentale du paysage. Jamais celui de la technique et des systèmes de transport : chaussées rectilignes et uniformes du XVIIIe siècle, mécanisation de la traction sur rail au XIXe, qui contraint le voyageur au regard lointain, au détriment des abords, autoroutes isolées de leur contexte par opposition aux routes encastrées dans le paysage... Chaque mode de transport nouveau impose ainsi des façons inédites de se repérer, chacun est porteur d’une approche différente du paysage, que répercute le voyageur, le peintre, l’écrivain, l’ingénieur. Illustré de tableaux, de cartes et de plans, cet essai de haute culture, signé d’un polytechnicien ingénieur des Ponts et Chaussées, prend une place de référence, au cœur de notre réflexion sur l'environnement.

Le Grand Prix du Roman est attribué cette année à Mme Henriette Jelinek, dont la carrière littéraire est des plus singulières.

Découverte par Raymond Queneau au début des années 1960, elle va, pendant vingt ans, publier des livres qui, de La Vache multicolore à Ann Lee rachète les âmes, sont salués par la critique et le public. S’ensuivra un long silence que vient de rompre son dernier roman, Le Destin de Iouri Volodine, qui, comme son titre ne l’indique pas tout à fait, se déroule aux États-Unis, où Mme Jelinek a choisi pour l’instant de vivre. Son héros est un vieux Russe émigré que la réussite de son fils plonge soudain dans une prospérité dont il n’a que faire. Son cheminement intérieur le conduira plutôt vers un monastère orthodoxe aussi bien que vers un retour à l’esprit de son pays natal. Sans doute a-t-il fallu à Mme Jelinek le temps d’une longue retraite pour nous donner enfin ce roman superbe de simplicité, d’une si nécessaire et intense gravité.

La Théorie des nuages, le roman de M. Stéphane Audeguy, vaut à son auteur de recevoir le Prix Maurice Genevoix.

Par sa tenue, l’élégance distante de son style, le beau plaisir d’une langue française maniée avec grâce et esprit, nous explique notre confrère Michel Déon, ce livre étrange semble vraiment une éclaircie dans la production romanesque contemporaine. L’intérêt glisse d’un personnage à l’autre avec, pour seul fil narratif, un intérêt poétique, météorologique, pictural et psychologique pour les nuages, leurs formes, leurs naissances et leur explosion en pluie ou neige. On notera aussi que ce livre décrit avec une effrayante exactitude l’éruption d’un volcan dans les îles de la Sonde et l’effet de marée qui en résulte, un désastre prémonitoire de celui bien réel qui s’est déroulé après la rédaction de ce livre.

M. Robert Marteau pour l’ensemble de son œuvre se voit attribuer cette année le Grand Prix de Poésie. Il était temps de saluer un tel écrivain qui, en poésie, en prose, en récits, en journaux, a tant salué le monde, de sa campagne poitevine à celle des Solitudes de Gongora qu’il a traduites, des jardins de Paris au fleuve sans fin du Saint-Laurent, des forêts vivantes à la nature peinte, pour reprendre les propres termes de notre consœur Florence Delay que je vais continuer de citer...

Robert Marteau compose ses sonnets en marchant – et ses sonnets composent à leur tour des journaux intimes où chacun retrouve son intimité perdue, avec l’oiseau, le cyprès, le lilas, avec la vie dans ce qu’elle a de plus éphémère et de plus divin. Ses liturgies nous ramènent au point où les religions se confondent, au fond alchimique de toute littérature. Robert Marteau sait aussi bien parler aux autres – sa formidable expérience à la radio du Québec en témoigne – que faire parler les choses dans un français profond qui a traversé tous les âges de la poésie pour devenir notre extrême contemporain.

Le Grand Prix de Philosophie récompense M. Vincent Descombes pour son ouvrage Le Complément de sujet.

Actuellement directeur d'études à l'EHESS, Vincent Descombes a enseigné tout d’abord à l’université de Nice puis à l’université Johns Hopkins de Baltimore. Cette précision n’est pas indifférente. En effet, nous rappelle notre confrère Michel Serres, la philosophie se divise le plus souvent, dans le monde, en deux écoles distinctes et parfois rivales : la philosophie analytique, d’inspiration anglo-saxonne, enseignée aux États-Unis et en Angleterre, qui favorise la logique, formelle ou mathématique, et la philosophie continentale, d’inspiration germanique, qui est plus métaphysique et développe l’exégèse, l’herméneutique et l’interprétation des textes. Presque toute l’œuvre de Vincent Descombes tente de combler le fossé entre ces deux tendances. C’est dire son importance cruciale.

Le Grand Prix Moron doit, d’après ses statuts, être attribué à une œuvre philosophique qui favorise une nouvelle éthique.

Mme Florence Ehnuel, pour son ouvrage L’Amour conjugué, remplit de telles conditions.

Normalienne de formation, elle fut reçu première à l’agrégation de philosophie alors que ce concours était pour la première fois commun aux deux sexes, nous rappelle encore Michel Serres. Dans son ouvrage, elle se penche sur la question de l’adultère et du lien conjugal. Elle analyse les mensonges et les jalousies dont la cruauté constitua, dans nos traditions, la matière première des romans et des comédies de boulevard. Elle cherche surtout à définir une véritable éthique en cette douloureuse et souvent contradictoire question : comment demeurer fidèle lorsque le partenaire part ? comment rester fidèle encore, en répondant à l’adultère par l’adultère ?

Passionnant et nouveau, admirablement écrit, ce livre clair et maîtrisé propose sans conteste une authentique et courageuse nouveauté en matière de morale.

Le Grand Prix Gobert est attribué à l’historien Bartholomé Bennassar pour l’ensemble de son œuvre. Les différents travaux du lauréat, sur l’Espagne et l’histoire des Espagnols, avaient depuis longtemps été remarqués. Son dernier livre, La Guerre d’Espagne et ses lendemains en constitue d’évidence le sommet.

Cette effroyable guerre civile espagnole qui préluda à la Deuxième Guerre mondiale, Bartolomé Bennassar en étudie les origines aussi bien que les épisodes les plus tragiques. Ce qui donne tout son prix à cet ouvrage, nous précise notre confrère Alain Decaux, c’est son objectivité absolue. Les excès démesurés commis dans les deux camps sont dénoncés pareillement, tout autant que sont soulignés les actes d’héroïsme. Ce qui fait aussi la valeur de cet ouvrage qui mêle l’analyse générale à une foule de témoignages neufs, c’est l’exploitation exhaustive des archives devenues peu à peu accessibles non seulement en Espagne mais dans les pays impliqués.

Le Prix de la Biographie est attribué à M. Maurice Lever pour les trois volumes de son Pierre-Augustin Caron de Beaumarchais.

Son ouvrage est à l’évidence parfaitement décourageant – décourageant non pour ses lecteurs, tout au contraire, mais pour les historiens ou biographes qui auraient la funeste ambition, après lui, de se pencher sur la vie et sur l’œuvre du plus turbulent dramaturge français du XVIIIe siècle, et de prétendre y apporter du nouveau.

Spécialiste de la littérature et de l’histoire du XVIIe et du XVIIIe siècle, Maurice Lever s’est imposé en particulier comme le meilleur connaisseur du marquis de Sade. Aujourd’hui, sa fréquentation passionnée et érudite de Beaumarchais éclaire, avec une vivacité d’écriture qu’elle doit peut-être à son modèle, non seulement les virevoltes d’un homme pressé, tour à tour inventeur, maître de musique, agent secret, trafiquant d’armes, pamphlétaire, armateur, journaliste, dramaturge et créateur de notre Société des auteurs, mais aussi les contradictions et les tensions d’un siècle qui allait trouver son dénouement avec la Révolution française, comme si l’immortel Figaro, d’une certaine façon, triomphait.

Le Prix de la Critique revient à M. Jacques Body pour son Jean Giraudoux.

Longtemps professeur de littérature comparée à l’université de Tours, Jacques Body a consacré sa vie à Jean Giraudoux. Le préciser n’est pas une figure de style. Depuis sa thèse sur « Giraudoux et l’Allemagne » jusqu’à cette monumentale et définitive biographie, en passant par son édition critique des œuvres de Giraudoux dans la bibliothèque de la Pléiade, rien de ce qui touche à l’auteur de La guerre de Troie n’aura pas lieu ne lui est demeuré étranger. L’érudition la plus minutieuse conjuguée à la ferveur la plus absolue, n’est-ce pas l’une des définitions possibles de la critique que nous voulons défendre ?

Olivier Pétré-Grenouilleau, qui vient de publier Les Traites négrières, reçoit le Prix de l’Essai.

Pour la première fois, son auteur, membre de l’Institut universitaire de France et professeur à l’université de Bretagne, restitue dans leur ensemble et leur complexité la déportation, la traite et l’esclavage de millions d’Africains. C’est dire qu’il ne se contente pas de refaire l’histoire du « commerce triangulaire » Europe, Afrique, Amérique du Nord, mais qu’il prend en compte également les traites intra-africaines, liées aux guerres entre empires noirs, et les traites musulmanes.

L’auteur a le mérite de lier cette vision panoramique et plongeante à l’histoire des idées et des comportements, aussi bien qu’à celles des techniques et de l’économie. On pourrait qualifier sa démarche de braudélienne : la pesée globale et comparative d’un très grand et « monstrueux » phénomène historique, à l’origine du monde moderne.

À Fabrice Pataut, pour son recueil Trouvé dans une poche, revient le Prix de la Nouvelle. L’imagination, le sens de l’observation, la surprise très pirandellienne de certains de ses récits s’accordent fort bien à une écriture d’une rare élégance, nous précise Michel Déon qui nous a encouragé à saluer, chez cet écrivain, un authentique talent de conteur.

Pour son action en faveur de l’Académie française, le professeur Robert Naquet reçoit la médaille du Mécénat.

Membre correspondant de l’Académie des sciences et gendre d’André Maurois, le professeur Naquet a fait en effet un don exceptionnel à la bibliothèque de l’Institut, au profit de l’Académie : l’entière correspondance d’André Maurois, composée de plus de cinq mille lettres. On y retrouve les signatures de presque toutes les personnalités littéraires, politiques et artistiques qui ont compté, de 1920 à 1967. Candidatures, élections, commentaires sur les séances et les débats : trente ans de la vie de notre Compagnie s’y reflètent également.

Cette marque solennelle de gratitude et, j’allais dire, d’affection au professeur Robert Naquet nous a semblé à tous s’imposer.

Le Prix du cardinal Grente revient au père Jean Mambrino, de la Compagnie de Jésus, pour l’ensemble de son œuvre poétique. Traducteur de Kathleen Raine et de Gerard Manley Hopkins, critique littéraire et théâtral à la revue Études, il poursuit depuis sa jeunesse une œuvre poétique que l’on ne saurait réduire à sa dimension spiritualiste et que Florence Delay n’hésite pas à qualifier d’intense et radieuse. Les titres mêmes de ses recueils, Clairière, Sainte Lumière ou L’Abîme blanc, sont autant de mots clefs qui nous ouvrent à son chant si profond.

Le Prix du Théâtre couronne cette année Jean-Marie Besset pour l’ensemble de son œuvre.

Rien ne destinait a priori M. Besset, diplômé de sciences économiques et d’études politiques, à la carrière théâtrale. Il en est pourtant aujourd’hui l’un des hommes les plus complets : interprète, metteur en scène, adaptateur. Mais c’est bien entendu le dramaturge que nous avons tenu d’abord à honorer.

Depuis Villa Luca, sa première pièce en 1989 mise en scène par Jacques Lasalle, jusqu’à sa récente et remarquable Rue de Babylone, M. Besset ne témoigne pas, sur notre temps et nos sociétés, d’un optimisme démesuré. Sa cruauté, cependant, est attentive, délicate et, si l’on ose dire, généreuse. Certes, il explore sans concession « la pénombre des âmes », comme disait Arthur Schnitzler, mais le regard qu’il jette sur ses personnages, par exemple sur le vagabond et le riche industriel qui s’affrontent en un redoutable jeu de la vérité, dans le hall d’un immeuble de la rue de Babylone, est aussi empreint d’une remarquable compassion.

Le réalisateur Claude Chabrol reçoit le Prix du Cinéma, créé grâce à la fondation de Mme René Clair.

Chabrol fut à ses débuts, auprès de Jean-Luc Godard, François Truffaut, Éric Rohmer ou Jacques Rivette, l’un des plus brillants représentants de ce que l’on appelait alors la Nouvelle Vague, issue des Cahiers du cinéma, qui ne s’était pas montrée d’une tendresse excessive pour la plupart de ses grands aînés, pour René Clair en particulier. Le temps a passé. La verve critique souvent s’apaise, s’oublie ou se corrige. L’œuvre très copieuse de Claude Chabrol, tour à tour sarcastique, chaleureuse, goguenarde, acharnée à dépeindre avec une cruauté des plus réjouissantes la bourgeoisie provinciale française, a retrouvé une forme de classicisme. Son réalisateur compte à coup sûr aujourd’hui parmi les plus sûres valeurs du cinéma français de tradition.

La grande m édaille de la Chanson française est attribuée à Mme Catherine Lara.

Violoniste dès l’âge de onze ans, élève du Conservatoire, Catherine Lara n’oublie pas tout ce qu’elle doit à sa formation classique quand elle s’oriente ensuite vers les variétés. On n’énumèrera pas ici les titres des nombreux succès qui ont jalonné sa carrière. Ils restent dans nos mémoires, aussi bien que les engagements généreux et passionnés de Catherine Lara en faveur du SIDA ou d’autres causes humanitaires.

Deux médailles ont été attribuées dans le cadre des Prix du Rayonnement de la langue et de la littérature françaises.

Une médaille d’argent à M. Michel Humbert pour son action en faveur du développement de la langue française en Chine. Résidant à Yantai, une ville côtière du nord-est de la Chine en plein essor économique, il multiplie là-bas les rencontres francophones, développe ainsi l’usage du français et du droit français dans une région lointaine où les présences étrangères autres qu’anglophones sont extrêmement rares et disséminées.

Une médaille de vermeil à M. David Mendelson, docteur ès lettres diplômé de l’université de Paris IV et professeur à l’université de Tel Aviv. Sa carrière a été entièrement consacrée à notre langue et à notre littérature. Il a publié, seul ou en collaboration, près d’une vingtaine d’ouvrages sur l’émergence des francophonies, la culture francophone en Israël, pour ne rien dire de ses communications sur Simenon, Balzac, Proust, Chateaubriand et bien d’autres. Nous tenions aussi à l’honorer, avec notre reconnaissance.

Afin de ne pas prolonger indûment notre séance, je vous demanderai désormais de réserver vos applaudissements à la fin de la lecture de notre palmarès. Les lauréats pourront alors se lever tous ensemble et recevoir ainsi les hommages qui leur sont dus.

Le Prix Heredia, destiné à des auteurs de recueils de sonnets ou d’ouvrages de prosodie classique, revient à MM. Chaunes et Sylvoisal pour La Furie française ; ils reçoivent à ce titre une médaille de bronze.

Le Prix Paul Verlaine, destiné à l’auteur d’un recueil de poésie, est attribué à M. Lionel Ray pour Matière de nuit ; il reçoit une médaille d’argent.

Le Prix Henri Mondor, destiné à un poète de veine mallarméenne, est attribué à M. Bertrand Marchal pour Salomé.

Le Prix Moïse Ploquin-Caunan, destiné à l’auteur d’un recueil de poésie en vers classiques ou libres, d’expression romantique, revient à M. Werner Lambersy pour L’éternité est un battement de cils.

Le Prix Montyon, destiné à un ouvrage se signalant par son élévation morale, est attribué à M. Henri Hude, auteur de L’Éthique des décideurs ; il reçoit une médaille d’argent.

Une médaille d’argent est attribuée au père Laurent Sentis, pour De l’utilité des vertus, dans le cadre du Prix La Bruyère destiné à un ouvrage de philosophie morale.

Le Prix Jules Janin revient à Mme Venus Khoury-Ghata pour sa traduction de l’arabe de Commencement du corps fin de l’Océan d’Adonis ; une médaille d’argent lui est attribuée.

Le Prix Émile Augier, destiné à l’auteur d’une œuvre dramatique, est attribué à M. Christophe Pellet pour S’opposer à l’orage ; il reçoit une médaille de bronze.

Le Prix Émile Faguet, destiné à l’auteur d’un ouvrage de critique littéraire, revient à Mme Annick Bouillaguet et à M. Brian G. Rogers pour leur Dictionnaire Marcel Proust ; ils reçoivent une médaille d’argent.

Le Prix Anna de Noailles, destiné à une femme de lettres, est attribué à Mme Christine Jordis pour Une passion excentrique. Une médaille d’argent lui est attribuée.

Le Prix Louis Barthou, qui est un prix de littérature générale, revient à M. Pierre Daix pour Les Lettres françaises. Jalons pour l’histoire d’un journal.

Le Prix François Mauriac, destiné à un jeune écrivain, est attribué à M. Santiago H. Amigorena pour Le Premier amour ; il reçoit une médaille d’argent.

Le Prix Georges Dumézil, destiné à l’auteur d’un ouvrage de philologie, est attribué à M. Philippe Destruel pour L’Écriture nervalienne du temps ; il reçoit une médaille d’argent.

Le Prix Roland de Jouvenel, décerné dans l’intérêt des lettres, est décerné à M. Philippe Desan pour son Dictionnaire de Michel de Montaigne.

Le Prix Biguet, destiné à un ouvrage de philosophie ou de sociologie, revient à M. Georges Vigarello pour son Histoire de la beauté.

Le Prix Ève Delacroix, destiné à un ouvrage alliant des qualités morales à des qualités littéraires, est attribué à M. Roger Kempf pour L’Indiscrétion des frères Goncourt.

Le Prix Pierre Benoit, destiné à un travail sur la vie ou l’œuvre de Pierre Benoit, revient à M. Jean-Paul Tôrôk pour Benoit qui suis-je ?

Destiné à un ouvrage sur la vie des animaux, le Prix Jacques Lacroix est attribué cette année à M. Philippe Verro pour Double Voie.

Parmi les prix d’histoire générale :

Le Prix Guizot revient à Mme Janine Garrisson pour L’Affaire Calas.

Le Prix Thiers à M. Matei Cazacu pour Dracula, ; il reçoit une médaille d’argent.

Le Prix Eugène Colas à Mme Sylvie Lapalus pour La Mort du vieux. Une histoire du parricide au XIXe siècle.

Parmi les prix d’histoire et de sociologie à sujets définis :

Le Prix Eugène Carrière est attribué à M. Michel Hochmann pour Venise et Rome – 1500-1600, ainsi qu’à M. Jean-Marie Pérouse de Montclos pour L’Art de France. De la Renaissance au siècle des Lumières.

Le Prix du Maréchal Foch au général André Bach pour L’Armée de Dreyfus ; il reçoit une médaille d’argent.

Le Prix Monseigneur Marcel à Mme Michèle Fogel pour Marie de Gournay.

Le Prix Diane Potier-Boès à M. Alain Faure pour Champollion.

Le Prix François Millepierres à M. Jean-Paul Roux pour La Femme et l’histoire dans les mythes.

Enfin, dans le cadre des prix de soutien à la création littéraire :

Le Prix Henri de Régnier est attribué à M. Marc Alyn pour Le Piéton de Venise.

Le Prix Amic à M. Éric Le Nabour pour l’ensemble de son œuvre historique.

Le Prix Mottart à M. Raoul Mille pour Le Roman de Marie Bashkirtseff.