Réponse au discours de réception de M. Sylvestre de Sacy

Le 28 juin 1855

Narcisse-Achille de SALVANDY

Monsieur,

Ce lieu vous est connu ! il vous est favorable. Le succès, dont les témoignages éclatants et unanimes vous entourent, n’est pas le premier qui vous ait accueilli sous ces voûtes. Il y a longtemps déjà, j’ai peur qu’il y ait quarante ans bientôt, quand l’Université empruntait à l’Institut cette tranquille demeure, sapientium, a-t-on dit récemment, templa serena, pour distribuer ses couronnes et peut-être éveiller de généreuses ambitions, l’un de ses plus hauts dignitaires, vieillard illustre, homme de bien éminent, savant plein de gloire, eut, à cette place même, en vous pressant dans ses bras, la joie de couronner son fils. Nous comprenons qu’aujourd’hui, en venant vous asseoir au milieu de nous, vous ayez cru voir cette noble image vous accueillir et vous protéger encore. Vous avez eu raison, Monsieur. Elle ne vous a pas ouvert cette enceinte ! Mais, en consacrant les droits du fils, nous avons été heureux d’honorer la mémoire du père. Nous étions sûrs que l’Institut tout entier applaudirait à l’hommage qui remonte de vous à l’une de ses plus pures et de ses plus grandes renommées.

Vous étiez dans votre droit, Monsieur, plus que personne, en parlant des noblesses littéraires, et vous saviez qu’elles sont toujours les bienvenues, parce que leurs preuves se font au grand jour. Plus elles sont un rare privilège, plus on aime cette sève généreuse qu’une seule génération n’épuise pas. On la considère comme un bon augure public. On sent qu’elle ne peut se rencontrer qu’aux époques de force et de fécondité, quand l’émulation se conserve dans les âmes, les nobles espoirs dans les cœurs, quand les fils aiment les héritages qu’il faut conquérir, et mettent du prix à l’estime de leur temps et de leur pays. Heureux de la voir se multiplier de toutes parts, nous remarquons qu’elle s’annonça de bonne heure en vous, unie à une autre hérédité plus précieuse encore que celle des dons de la pensée. Vous portiez dans une carrière toute différente des traditions paternelles, dans une vocation pleine d’ardeur et de péril, le même amour des études patientes, la même modération de besoins et de désirs, un esprit de famille également inébranlable, quelque chose de cette foi, sévère à soi-même avant de l’être aux autres, où votre illustre père avait trouvé l’honneur de sa vie, et où vous cherchiez le flambeau de la vôtre. On vous voyait parlant aux hommes de leurs plus chères préoccupations sans vous mêler avec eux, luttant pour leur repos ou leur gloire sans leur rien demander, même la renommée, faisant marcher de front, par une exception rare, la politique et la solitude, par une plus rare exception dédaignant de faire marcher de front la politique et l’ambition, constituant une sorte de Port-Royal à vous seul, d’où vous proposez à votre patrie, avec un singulier mélange de modestie et de fermeté, vos vues et vos principes, tout à fait digne, enfin, de retrouver sur les bancs de l’Institut l’héritage du maître et du guide de votre jeunesse ; car vous gardiez fidèlement celui de son caractère et de ses vertus.

Journaliste à la fois éminent et estimé, qui traitez tous les jours des passions humaines sans employer leur langage et parlez de tout le monde sans blesser personne, dont la parole et la vie sont dignes des intérêts discutés par vos graves et savantes controverses, que peut avouer pour interprète ce grand public de France attentif depuis tant d’années à vous lire et à vous méditer, qu’on vit toujours dévoué aux idées d’ordre, de modération, de liberté sage, et qui les appuyez visiblement à de hautes croyances, le sceau de l’élévation morale est empreint dans vos écrits. Je suis sûr de vous complaire, si j’ajoute que c’était là le premier de vos titres à nos yeux.

Les lettres sont en même temps la pensée vivante d’un peuple éclairé tel que nous, sa conversation immortelle, et son propre enseignement de chaque jour. Elles ne peuvent être grossières sans tout dégrader, impies sans tout corrompre, anarchiques sans tout détruire, dépourvues de convictions et de principes sans tout avilir. Il faut savoir résister aux mauvais vents qui soufflent sur elles, tantôt à la faction et tantôt à la servitude, quelquefois au faux goût et à ses entraînements, trop souvent au dérèglement des mœurs ou des idées, c’est-à-dire à la déchéance de l’esprit par la corruption, peut-être à son abdication devant le règne des intérêts vulgaires et des avidités coupables, en un mot, à tout ce qui pervertit et abaisse les nations !

Si nous n’avions pas eu ces maximes, il nous aurait fallu les inventer pour cette nouvelle branche de littérature, et, en quelque sorte, cette faculté nouvelle de l’esprit humain, qui est à la fois littérature et politique, qui constitue une force longtemps ignorée, maintenant universelle, dont les législateurs des lettres ne peuvent pas détourner leur pensée plus que ceux des États. Ah ! Monsieur, pourquoi, dans ses routes diverses, la presse ne s’est-elle pas réglée sur les exemples qui pouvaient, comme les vôtres, guider sûrement sa rapide fortune ? Nous autres, vieux nochers du régime constitutionnel, qui avons navigué parmi les lames insensées, nous ne suivrons pas à son égard les va-et-vient de l’opinion, trop-facilement résignée à la voir presque alternativement exercer ou subir la tyrannie. Mais comment ignorer les difficultés du problème posé à la société présente, qui ne peut pas détruire ce grand instrument, qui ne voudrait pas s’en passer et qui n’a pas su s’en servir ?

Le journal parle de tout, s’adresse à tous, arrive partout, partout en même temps. C’est un livre qui recommence chaque jour, ne finit jamais, va chercher, va solliciter le lecteur à son foyer aux deux bouts de la terre, toujours le même et toujours nouveau, puissant à la fois par ce double empire de la répétition perpétuelle et de la perpétuelle diversité. C’est une prédication qui ne lâche pas prise, qui revient à la charge sans repos, qui est la goutte d’eau sur le rocher, qui peut finir par être le torrent, et on sait qu’elle l’a été ! C’est une tribune, d’où l’orateur, tranquille, avez-vous dit, et affranchi des émotions de la lutte et du spectacle, fait arriver sa voix, sans effort, au monde entier. Dans vingt États aujourd’hui c’est un quatrième pouvoir, comme lui-même s’appelle, mais qui n’émane que de soi, n’a point de mandat, se passe également de délégations et de suffrages. Par-dessus tout c’est un privilège ; car tout le monde ne peut pas s’en saisir. En naissant, le journal est légion. Il exige l’association des éléments les plus contraires, des forces les plus diverses, l’esprit, l’argent, une clientèle qui sera un parti, une secte peut-être. Aussi est-il à la fois industrie et propagande. Il unit la religion et la politique, l’art et la science, le roman et l’histoire. On dirait le Protée antique, armé de la vapeur moderne ; que dis-je ? armé de ce fil par lequel la pensée humaine d’un bond parcourt le monde, rapide comme la lumière, qui est plus que jamais sa vive image Il saura ce soir ce que font nos soldats, au moment où je parle, à mille lieues de la patrie. Il communique avec les cabinets, les parlements, les congrès. En même temps, il confine à la bourse, il confine au théâtre. Il y confine jusqu’à s’y engloutir, jusqu’à y vivre et y régner ! Ce pourra être de ces seuls points de vue qu’il juge et dirige les choses humaines ; du fond de ces abîmes, qu’il dénonce la corruption des gouvernements, et marque l’à-propos des révolutions. Le scepticisme, la vie d’aventure et la soif de l’or ont tellement engourdi le sens moral dans certaines régions, que tous les désordres peuvent se rencontrer. Nous pourrons les voir tous étalés au grand jour. Dans l’innocence de ses vices, chacun s’en vantera.

Mais l’oublierons-nous en votre présence, Monsieur ? Le bien, comme le mal, est de ce monde. La presse est une arme à l’usage de tous deux. Elle a donné de grands défenseurs et de grands boulevards aux libertés sensées, à l’autorité, à la religion, à tout ce qui fait le fond des sociétés humaines. Elle est la parole, elle est la pensée à la plus haute puissance, pécheresse ou salutaire, suivant les hommes, les temps, les nations. Les nations trouvent facile de tout mettre à son compte, y compris leurs propres faiblesses. On voit aisément ses torts, et, la plupart du temps, on ne les accuse que quand ils ne sont plus. Mais on ne voit pas ses services, qui consistent dans le mal qu’elle évite, dans les fautes qui se seraient commises, dans les intérêts qui auraient souffert, dans les gouffres qui se seraient creusés. C’est là, bien que cachée et insaisissable, l’une de ses principales vertus.

Aussi l’Académie se fait-elle un devoir d’honorer les écrivains si nombreux, parfois illustres, qui ont recouru au journal pour l’instruction des hommes, quand ils ont joint à un vrai mérite le respect pour leur œuvre et pour leur mission. Qu’ils aient été les défenseurs de l’ordre ou bien de la liberté, elle les veut sincères, honnêtes, animés d’une sollicitude véritable pour cette grande patrie dont ils invoquent le nom à chaque soleil.

Personne, Monsieur, n’eût contesté ces titres à votre prédécesseur, de qui vous avez parlé si bien que l’interprète des sentiments et des regrets de l’Académie ne pourra plus que vous répéter. Très-littéraire dans ses goûts, littéraire par son talent, M. Jay, sans avoir jamais pris une part directe aux affaires, eut, en réalité, une carrière toute politique. À vingt-deux ans, il crée dans sa province, à Lesparre, au fond du Médoc, une feuille constitutionnelle. En Amérique, il recommence vaillamment, dans la langue même du pays, pour défendre les intérêts français auprès du nouveau monde. Il écrit dans le Journal de Paris, sous l’empire. Ensuite, il attache son nom à une revue puissante ; et déjà l’un de nos plus grands journaux remplissait sa vie, au point de la tenir mêlée aux choses de ce monde, jusque dans le voisinage de ses quatre-vingts ans. La littérature a des auteurs et des critiques ; la politique, des hommes d’État et des journalistes. Mais les critiques ne répondent pas de la marche des lettres. Les journalistes, au contraire, partagent la responsabilité des gouvernants. On l’a senti à vos réserves, quand vous parliez de votre prédécesseur ; à votre modestie, quand vous parliez de vous-même.

Antoine Jay était né aussi dans cette grande année 1769, la plus féconde de l’histoire, sur ce sol non moins fécond de la Gironde, près du berceau de Montaigne dont il a écrit l’éloge et dont votre plume, après un maître illustre, a donné une analyse, qui restera. C’était éminemment un homme de 1789. Il en avait toutes les convictions ; il en eut à perpétuité toutes les espérances. Cette génération enthousiaste et captive, car elle n’avait d’horizon qu’elle-même, croyant par-dessus tout à la raison humaine et voulant avec une sincère passion la félicité publique, devait jusqu’au bout ignorer les difficultés et les périls, même après s’y être brisée. Encore M. Jay fut-il de la partie, favorisée du sort, qui trouva en soi des forces pour résister aux fautes extrêmes. Il avait, au plus profond de son âme, trois amours qui sont pour l’homme public d’admirables sauvegardes, car, dans l’action, ils le préservent des entraînements, et, dans la retraite, des regrets : l’amour de l’étude, celui des champs, celui de la famille. Sa longue carrière leur fut fidèle ; comme vous l’avez dit, ils le rendirent heureux, et le bonheur, qui vous inspire de si nobles paroles, doit bien avoir le mérite de rendre les plus téméraires, conservateurs par quelques endroits.

Ce qui put encore y contribuer pour lui, c’est qu’il avait grandi à l’ombre d’un manoir qui était authentiquement dans sa famille, par une rare fortune et une plus rare sagesse, depuis le temps des croisades. Son père, grand admirateur de l’Émile, l’élevait, selon l’usage d’alors, sur ce modèle ; mais il était père, et s’était appliqué, au risque de trahir la méthode et d’en compromettre les fruits, à développer dans l’âme qu’il façonnait un pieux attachement pour ce toit héréditaire, et un culte véritable pour toutes les affections du foyer domestique. Sa tendresse plaçait dans le cœur les sentiments religieux que le maître, jusqu’à vingt ans, ne met nulle part. Ne nous étonnons pas que, déjà reçu avocat à Bordeaux, au début des orages, et, en quelque sorte, Girondin de naissance, Jay se détourne promptement des voies populaires, afin de lutter par la presse, avec courage, pour ce qui restait de l’ordre et des lois, c’est-à-dire pour ce qui restait de la liberté. C’est alors que, vaincu, il s’enfuit jusqu’aux États-Unis, loin des souillures sanglantes de la révolution. Il resta huit années dans cet exil volontaire, rempli par de sérieux travaux, honoré par l’amitié de Jefferson et par celle de notre vénérable Cheverus, marqué par un incident qu’il aimait à raconter la rencontre d’un autre Français, jeune et fugitif comme lui, qui était, comme lui, tombé déjà du haut de bien des mécomptes, et devait tomber, quelque jour, de plus haut encore, après avoir donné, sur la pente d’une révolution nouvelle, dix-huit ans de repos et de liberté aux Français.

Il se hâta de revenir parmi nous, dès que l’ordre renaquit, paré de gloire et de génie, mais au prix d’un pouvoir sans contrôle et sans limites. Blâmerons-nous, Monsieur, son obscure accession à un régime si différent de celui qu’il avait rêvé ? Ce serait injustement le confondre avec ces hommes qu’on avait vus extrêmes, la veille, dans la démocratie et la liberté, le lendemain dans les dignités et la servitude. Chez lui, rien de semblable ! Il n’accepta que des occasions de cultiver en paix les lettres. Il poursuivit les palmes académiques, illustré par ses défaites mêmes, grâce aux rivaux devant lesquels il s’effaçait. C’est ainsi qu’il traça ce tableau du XVIIIe siècle, le plus animé de ses écrits, à mon avis le plus éloquent, le plus remarquable de tous. Il met vivement en lumière les grands côtés de son sujet, louant tout sur des points où vous distinguez, mais plus logique peut-être que s’il distinguait davantage. Il est de ceux qui m’étonnent toujours, il n’est pas de ceux qui m’étonnent le plus, laissez-moi vous le dire, en croyant qu’on proteste pour la liberté, la justice, la tolérance, ces grandes et saintes choses, quand on fait l’apologie d’hommes et d’idées qui n’ont pas toléré le christianisme, qui ont enfanté la terreur, et ne laissèrent debout, au dernier jour du siècle, sur l’horizon de la patrie et sur celui du monde, que l’épée du 18 brumaire !

La vie du cardinal de Richelieu date de la même époque. Ce livre, simple et grave, le seul que notre littérature ait consacré directement au fondateur de l’Académie française, n’a peut-être d’autre défaut que de trop raconter Richelieu d’après la surface des événements, comme on faisait autrefois ; de ne s’être pas assez inspiré, comme on ferait aujourd’hui, de Richelieu lui-même, de ses écrits, des choses que, sur le fond de ses desseins, lui-même a dites à la postérité. Évidemment, c’est au spectacle d’une domination maîtresse de tout jusqu’à tout perdre et jusqu’à se perdre elle-même, que Jay écrivit l’histoire de cette autre domination, dure, mais sage et féconde, qui légua à la France cent cinquante ans de suprématie incontestée dans tout l’univers. Quand le livre parut, l’auteur put l’adresser au patriotique héritier du grand ministre, ministre à son tour, mais sous le poids de tous les désastres, avec l’obligation de consoler nos plaies et de les fermer.

La restauration était venue. Vous avez parlé, Monsieur, en termes dignes de vous, de ce grand gouvernement assis sur le droit ancien des trônes et sur le droit nouveau des peuples. Ses garanties vous étaient chères. Elles étaient plus chères à M. Jay qu’à personne. Le trouble où les catastrophes contraires d’une année fatale vinrent sitôt jeter toutes les situations et tous les esprits, explique seul son concours aux luttes d’un libéralisme démocratique et ombrageux qui sépara trop les institutions de leur source royale, et qui, en fin de compte, n’a pas tourné au profit de la liberté.

Le Constitutionnel est l’œuvre fondamentale de M. Jay. Il lui a donné trente ans de sa vie, comme vous à cet autre grand journal sur lequel vous répandez vos lumières. Il l’avait créé sous un autre titre pendant les cent-jours, et n’arbora qu’ensuite ce nom qui a été un drapeau qui résumait tout le régime donné par la maison de Bourbon à la France, en abritant à son ombre une des plus redoutables oppositions qu’on vit jamais. Croyant en péril les intérêts ou les principes nés de la révolution, il appela à leur défense tous ceux qui l’avaient servie, sans s’inquiéter assez de ceux qui prétendraient la reprendre et la continuer. Il fondit en un seul corps, dans des symboles nouveaux, les souvenirs contraires de la république et de l’empire, sans imaginer que des souvenirs pussent conduire à des réveils. Il se trouva que M. Jay possédait les qualités essentielles de cet autre guerrier de la vie civile, qu’on appelle le journaliste. À un tact prompt et sûr, à un talent simple et clair, qui cherchait peu l’effet, point la couleur, mais qui avait de la logique, de l’ironie, et se mettait aisément à la portée du grand nombre, il joignait cette modération de langage qui a l’air de ne pas frapper et porte ainsi des coups plus sûrs, cet atticisme des hommes d’autrefois, très-marqué chez M. Jay, que la démocratie permet quand il la sert, par-dessus tout l’habileté, ou plutôt la stratégie de discussion, qui est en France d’un effet plus grand qu’ailleurs. Sous ces auspices, le Constitutionnel arriva à un succès immense, le plus grand que la presse eût connu.

C’était un journal de combat. Il a vaincu. Il a vaincu au delà des vœux de son fondateur et de la plupart des esprits éminents qui l’assistèrent ; car il embrassait trois gouvernements dans les plis de son manteau : la royauté constitutionnelle sur des bases plus populaires, la république, un nouvel empire. M. Jay n’appelait de ses vœux que le premier. Il a vécu assez pour les voir tous trois. Mais, s’il fut moins logique que les événements, il le fut beaucoup plus que la plupart de ses amis : car la victoire obtenue, il s’en contenta. Il trouva dans le gouvernement de 1830 la satisfaction de ses maximes, et il le défendit. Le Constitutionnel put combattre encore tel ou tel ministère, attendu qu’on ne croyait pas démolir les choses en travaillant à démolir les hommes, qui, au contraire, se sont trouvés, à l’épreuve, plus solides. Mais, en réalité, il entendait affermir les institutions dans les esprits. De sa personne, M. Jay, appelé à la députation par ses concitoyens de la Gironde, ne fit voir dans les assemblées, pendant dix années de législature, que le conservateur résolu et dévoué, non plus le combattant. Je le dis à sa louange, d’autant plus que son désintéressement égala sa sagesse. Il ne demanda rien pour lui-même. Il demandait pour la France le repos dans son immense et impatiente liberté. Dieu ne l’a pas voulu !

Une justice, très-désintéressée, que je rendrai à l’ancien Constitutionnel, par suite à notre vieux confrère qui le rédigea si longtemps, et à toute cette masse d’opinions que son journal et lui façonnèrent, c’est qu’ils ont contribué, malgré tout, à semer cet instinct des garanties légales qui a fait durer un gouvernement libre dix-huit années. Quand la révolution est venue tout renverser, ce principe salutaire l’a enchaînée et nous a aidés à surmonter le péril. On a pu voir que trente-cinq années d’une prédication et d’une pratique constante du respect des lois n’avaient pas passé en vain sur la France. L’opinion publique, les administrations, l’air même, en quelque sorte, s’en pénètrent. Les régimes abolis se survivent dans la mansuétude générale, dans la régularité de tous les services, dans la sécurité publique. On demande quelquefois ce que nous avons dû à l’esprit qui avait régné si longtemps. Je réponds hardiment : Les biens dont nous n’avons pas cessé de jouir !

Parmi tous ses travaux politiques, M. Jay sut se créer des titres particuliers, dans le Constitutionnel et dans ses écrits, au souvenir reconnaissant des lettres. Vous rappeliez tout à l’heure la querelle célèbre du romantisme. Pourrions-nous ici l’oublier, oublier les grands coups du zélé vieillard pendant toute la durée de la guerre ? Pour nous, ce sont les vraies guerres. Il s’y passa quelque chose d’étrange. Quand le drapeau des idées, ou plutôt des formes nouvelles, fut arboré, on vit les mêmes esprits qui considéraient les doctrines philosophiques et sociales du XVIIIe siècle comme la lumière et la loi du monde, remonter cent ans plus haut, pour emprunter au grand siècle le joug heureux des lois qu’il avait imposées au théâtre, à la poésie, à la littérature entière. Le Constitutionnel, le National, tous leurs alliés étaient remplis du nom de Louis XIV, sans nul profit pour ses petits-fils. Ce n’était qu’une inconséquence de plus. Temps heureux, du reste, où ces questions, jetées à travers les luttes les plus solennelles et les plus brillantes, savaient encore intéresser les esprits ! Sans avoir aujourd’hui cette concurrence, d’autres difficultés nous défendraient d’aborder le fond du débat. Ce qu’on peut dire, c’est que les deux camps avaient beau jeu pour se livrer une guerre éternelle, dans un champ nécessairement indéterminé, entre la liberté nécessaire aux conceptions du talent et la règle indispensable à la perfection de l’art. M. Jay et ses amis avaient raison d’invoquer et de défendre ces lois du goût qui n’ont été écrites qu’après coup, quand les chefs-d’œuvre étaient venus, mais que l’esprit de l’homme portait en soi, et qui sont exactement aux œuvres de la pensée ce que les préceptes de la conscience seraient à nos actions, quand les législateurs n’existeraient pas. C’est que tout est loi, visiblement ou non, dans cet univers, œuvre sublime du législateur suprême. Cela serait vrai de la politique comme de la littérature, si on savait y regarder, ou plutôt si on le voulait. Mais les peuples aiment mieux écouter leurs passions qu’approfondir ces règles cachées, ces secrets et invincibles ressorts des choses humaines. Eux aussi font des tragédies en six actes, des drames en tableaux sans nombre ; et ensuite, au lieu de rentrer en eux-mêmes, de chercher où le plan était en défaut, ils se contentent de s’étonner et de se plaindre, quand l’œuvre n’a pas réussi.

L’Académie, au terme de la lutte, a fait comme la Grèce après Homère, élevant des temples à tous les héros différents de ce siège éternel et immortel qui lui a valu l’Iliade. Notre sanctuaire pacifique s’est ouvert aux champions contraires, par honneur pour ce qu’ils avaient de commun entre eux l’amour de l’art, le talent, les œuvres qui étaient avouées de la langue et du goût. Le défenseur le plus convaincu de nos grandes lois et de nos grands modèles, l’historien du cardinal de Richelieu avait sa place marquée au milieu de nous. Il fut élu en 1831. Son discours de réception fut le résumé de sa vie publique, résumé remarquable, dédié naturellement à l’Académie française, puisque, dans sa carrière, la littérature et la politique étaient inséparables.

Le sort voulait que le fondateur du Constitutionnel eût à louer l’un des fondateurs éminents de l’ère de 1814, l’un des rédacteurs de la Charte, grand seigneur et ecclésiastique tout ensemble, enfin l’abbé-duc de Montesquiou, qui, appartenant à l’Institut par une autre Académie, et y siégeant fidèlement à ce titre, appartenait par ordonnance royale à l’Académie française depuis dix-sept ans, et n’avait pas pris séance. Cette noble mémoire était chère à tous les gens de bien et à tous les gens d’esprit. Le cri de l’expérience perça partout dans les loyales appréciations du récipiendaire sur la première révolution, comme la voix de l’illusion dans ses satisfactions et ses espérances sur la seconde. Il plaint profondément les temps plus habiles à détruire qu’à édifier. Il rappelle le mot de Sieyès : Vous voulez être libres, et ne savez pas être justes ! Il salue la fin de l’esprit de guerre et de conquête. Il honore dans l’abbé de Montesquiou sa sollicitude pour l’indépendance de l’Académie française et la dignité des lettres. Il rappelle, en passant, la déconvenue d’un candidat qui, dit-il, « dans le cours de ses visites, alla solliciter son suffrage, et n’obtint pour toute réponse que ce mot : Est-ce que je suis de l’Académie ? » Enfin, M. Jay parle de la victoire de 1830, des forces de la nouvelle royauté qu’il avait contribué à fonder ; il demande ce qui pourrait retarder l’union désirable des esprits, et s’écrie en terminant : « La liberté, comme la paix, est la pensée du siècle. La France enseignera par quelles vertus on la conserve : c’est la seule gloire qui lui manque, et c’est la plus pure de toutes ! » M. Jay ne réfléchissait pas que ce qui est une victoire risque toujours de n’être pas un dénoûment. Il n’y a que les transactions qui aient cette puissance.

Voici dix ans à peine que le confiant et infatigable publiciste déposa, dans la plénitude de ses lumières, la plume qui avait entretenu, avec le plus nombreux public qu’on puisse imaginer, le commerce le plus long et le plus fidèle. « M. Jay, dit une note que j’aurais voulu transcrire tout entière, avait pris part pendant quarante années aux luttes de son pays, sans que jamais l’égalité de son humeur et la tranquillité de son âme l’eussent abandonné. Lorsque la vie du monde lui offrait toutes les séductions, il vivait dans sa famille d’une vie douce, grave et retirée. C’était là le bonheur inappréciable qu’il goûtait dans le sanctuaire de son travail, et il eût voulu le cacher à tous les yeux. Jusque dans un âge avancé, la mémoire vénérée de sa mère faisait battre son cœur. Il se rappelait sa figure angélique, sa résignation, les soins que, tout enfant, il essayait de lui rendre ; sa paupière se mouillait de larmes au doux nom de cette mère dont il se rappelait les vertus avec attendrissement ! » Ces lignes filiales étaient touchantes à redire. Elles valent mieux que les louanges académiques. On comprend que le cœur écrive ainsi, quand l’esprit avait été formé à une telle école.

M. Jay a vu venir avec son invariable fermeté l’heure des séparations suprêmes et des suprêmes enseignements, au moment où, malgré ses quatre-vingt-cinq ans, il se préparait à se rapprocher de nous. Du reste, ses liens avec l’Institut ne sont pas brisés : son gendre compte parmi les lumières d’une autre Académie, sœur de la nôtre. Sa longue vieillesse avait trouvé dans notre savant confrère, M. Dufrénoy, un ami et un fils.

La transition de l’ancien Constitutionnel au Journal des Débats n’est pas aussi difficile aujourd’hui, Monsieur, qu’elle l’eût été autrefois. Le laps des événements et des générations devait rapprocher les distances. Pendant toute la première moitié de la restauration, les Débats étaient placés au faîte des intérêts et des principes monarchiques. La royauté la religion, les hiérarchies sociales, n’avaient pas de plus altière citadelle ; la révolution et le scepticisme, de plus éloquents adversaires. M. Bertin l’aîné, qui gouvernait les Débats, d’accord avec un frère très-homme d’esprit et plus mêlé à la politique active, avait été l’ennemi et la victime de la république, la victime et l’ennemi de l’empire. Il leur était implacable. Il ne voyait qu’une machine de guerre dans le libéralisme improvisé qui se réclamait tour à tour des théories révolutionnaires ou de la gloire impériale. C’était un libre penseur et un bourgeois du vieux sang, qui tenait à la royauté par sa raison : regardant tous les grands éléments de l’ordre politique comme solidaires et inséparables, il avait soin de ne jamais les séparer dans son intrépide patronage. Je dis patronage, car il l’entendait ainsi. Également simple et fier, il se tenait en dehors de la cour, du monde et presque du pouvoir, ne voyant les Bourbons que dans l’exil, les ministres que chez lui, les grands nulle part, au fond très-ami d’une liberté sage, plein de lumières, plein de sens, doué, au moral comme au physique, de cette force herculéenne qui revit sur une toile célèbre, et qui, en ce moment même, tient la foule étonnée en suspens devant cet inconnu à l’attitude, au regard, aux mains si fermes, dans les galeries où l’art français, tel que nous l’avons contemplé depuis cinquante ans, se fait admirer du monde. Le public ne sait pas que, sous les auspices de cet homme, un journal fut une puissance en Europe, dans le monde des idées et des croyances, dans celui des monarchies, par la confiance de toutes les sociétés et l’estime de tous les gouvernements.

Bien des choses y aidèrent : cette fermeté de direction, cette politique précise, l’éclat de la forme, la sollicitude pour les lettres, par-dessus tout la constante convenance de langage qui s’est conservée jusqu’à ce jour. C’était une des plus hautes expressions de la liberté de la presse qui se soient vues nulle part. La renommée de M. de Chateaubriand planait sur les Débats, et semblait élever tout à son niveau.

Par un singulier contraste, au lieu d’être, comme le Constitutionnel, intraitables et farouches envers la liberté littéraire, les Débats se relâchaient dès lors de leur âpreté conservatrice pour incliner vers les doctrines nouvelles. Ils souriaient à de jeunes et nobles essais. C’était leur théorie du libre-échange qui commençait à se faire jour.

Une situation plus difficile naquit de l’éclatant déchirement des opinions monarchiques sous deux chefs illustres ; déchirement fatal car ce ne sont pas les ennemis qui perdent les grandes causes, ce sont les amis divisés entre eux. Ce fut à travers le feu de la lutte engagée alors, que, bien jeune encore, comme ces volontaires à l’air timide et à l’âme courageuse, vous prîtes place dans le camp où, depuis, vous avez combattu sans repos. Je me rappelle vos premiers essais. Vous me permettrez de vous dire que vos deux qualités éminentes, si nécessaires toutes deux à l’œuvre d’un journal, l’esprit politique et l’expression prompte, claire, quand il le faut éloquente, s’y faisaient déjà sentir.

Une jeune et docte amitié, que les années n’ont fait qu’affermir et qu’illustrer, qui vous accueille sur nos bancs (M. Saint-Marc Girardin), vous avait fait aimer, à son exemple, cette manière moderne d’opiner dans les affaires du pays. Les anciens, avec leur beau soleil, couraient sur la place publique. Nous, au contraire, nous nous renfermons ; nous nous recueillons ; nous disons ce que nous avons dans l’esprit, dans l’âme peut-être, à une feuille de papier qui va le répéter, deux heures après, à tout l’univers. Vous avez été, plus que personne, de ces orateurs à huis clos, umbratiles, aurait dit Cicéron, votre auteur préféré, suivant ce que nous ont appris des pages qui ne peuvent s’oublier. Les orateurs à ciel ouvert ont plus d’éclat, ils ont plus de puissance et de plus vives joies, à un jour donné. Cet autre garant, si éloquent et si illustre, que vous avez aussi près de vous (M. Guizot), pourrait, mieux que personne, nous le dire. Par les feuilles publiques, le combat, l’émotion cette jouissance intime de l’action personnelle, est de tous les jours ; il faut seulement que la raison et la conscience aient approuvé le but et la roule. En politique, c’est ce choix qui demande au point de départ les longs examens. Ensuite, une âme ferme va droit devant soi. La vie est faite pour être la servante dévouée, la servante docile et fière des bonnes causes : elle n’a de prix que par là.

Sans doute, on a des tristesses amères. Je ne parle pas des délaissements, des trahisons, des injustices, avez-vous dit, communes misères de la vie humaine qu’une vie publique doit savoir surmonter. Mais les choses qu’on a aimées et respectées se brisent ! Celles qui semblaient le plus revêtues de puissance tombent en poussière ! Les ruines s’ajoutent aux ruines ! En France, nous avons tous passé par ces épreuves, depuis soixante ans. La Providence semble les envoyer pour tenter les caractères, pour fortifier les âmes, pour éclairer, apaiser, rapprocher les esprits. La vie, c’est le combat ; ce n’est pas la victoire. Quand les temples tombent, il y a Dieu plus loin. Quand les trônes, quand les institutions s’écroulent, il y a les principes, les intérêts publics qui demeurent, qui ne sont pas emportés par la tempête. Il y a l’ordre, la justice, la paix, l’honneur du pays, la gloire du drapeau, les grands emplois du génie national qu’on peut et qu’on doit défendre, clientèles glorieuses et immortelles qui élèvent à leur niveau l’âme et la pensée.

Vous avez noblement accompli cette mission, Monsieur. Car, après la révolution de 1830, pendant dix-huit années, étranger au pouvoir, vivant loin de lui, vous avez professé hautement tout ce que le pays comprend, aujourd’hui enfin, relativement à l’autorité, à ses droits, au rang qu’elle doit tenir dans les sociétés. Au milieu de tous les déchaînements, vous avez défendu, presque sans exception, les gouvernants qui vous étaient souvent inconnus, la royauté à laquelle vous l’étiez. Vous parliez, on peut le dire maintenant, comme fera l’histoire. Après les derniers bouleversements, vous avez continué votre appui aux grands intérêts sociaux ; ou, s’il est des questions vis-à-vis desquelles, entre tous les journaux également voués avec un noble talent et un loyal courage à la défense publique, vous laissiez voir parfois des sentiments particuliers et presque des voies contraires, ceux qui vous aiment n’ont qu’à relire quelques préfaces admirables de candeur, de chaleur d’âme, de foi intrépide, quelques rééditions pleines d’audace, qui semblent, à l’égard du XVIIIe siècle, non pas un démenti, mais un défi et un sarcasme : on apprend par là que votre âme n’a pas fléchi !

Votre critique littéraire rend souvent témoignage de vos intimes pensées. C’est un de ses grands côtés. Les travaux de cet ordre, qui sont facilement populaires dans une région supérieure à la popularité, furent de tout temps une gloire du Journal des Débats. L’un de vos devanciers, l’aimable et excellent M. de Féletz, dut sa place au milieu de nous à la délicatesse exquise et à la finesse de ses jugements dans un temps où cette science n’avait pas pris l’essor qui en fait une des branches principales de la littérature française. Aujourd’hui, les noms, les talents éminents se pressent en foule à la pensée. C’est un des services considérables que rend la presse aux lettres, de tenir l’esprit public au courant de tous les travaux et de toutes les renommées, de combattre les fausses directions et les fausses gloires, d’éclairer ces matières par de doctes et ingénieux retours sur l’histoire littéraire, de répandre enfin de plus en plus la connaissance des productions et de la marche de l’esprit humain. Vous avez pris, entre les maîtres, un rang digne de vos autres travaux. Nulle part ne sont mieux marquées l’élévation naturelle et la sagacité de votre esprit. Votre habitude de beaucoup lire, et celle de relire sans cesse les grands auteurs, font passer dans vos jugements des élans d’enthousiasme si fins et si sûrs à l’égard de ces guides immortels de l’esprit français, qu’après vous avoir lu, on les connaît mieux et on en jouit davantage. Les matières religieuses, en particulier, ont le don de vous inspirer d’une façon rare et supérieure. On sent qu’elles sont pour vous un patrimoine de famille. Vous y portez des ardeurs, une étude, des sentiments profonds, quoique divers, qui ne sont pas de notre temps. On vous suit comme un guide qui a des sentiers à lui, mais qui sait les choses de la spiritualité autant qu’aujourd’hui on les ignore. Vous les aimez et les faites aimer, tout en vous renfermant dans un cercle étroit de grands hommes et de purs modèles qu’il ne faut pas vouloir étendre en deçà de Pascal ni au delà de Bossuet, pas même, je crois, pour aller jusqu’à Fénelon, mais qui est assez grand encore car cette colossale image de Bossuet y resplendit dans des flots de lumière. Alors le chrétien paraît, ce que notre temps connaît trop peu. Il vous dicte sur la Bruyère, sur la Rochefoucauld, sur Montaigne, sur saint Anselme, sur les anciens, sur nos contemporains illustres, sur Bossuet toujours, des pages qu’on peut, après les leurs, toujours relire. Elles soulèvent les questions les plus dignes de fixer les regards de la pensée humaine. Il s’y rencontre des cris de l’homme qui attachent et qui charment. Pourquoi ne le dirais-je point ? Quelques-uns étonnent. On est habitué à croire que cette école illustre de stoïcisme chrétien, de catholicité soumise et distincte, de vertu et d’austérité inflexibles qui troubla Louis XIV et peut-être Bossuet lui-même, s’est perdue à travers nos ruines. Mais on sait que les maîtres, si terribles à ceux qui leur étaient suspects de corrompre ou de fausser la foi, étaient toujours prêts à se montrer plus terribles encore à ceux qui l’auraient niée ou combattue. Ce double caractère, ces deux missions, font la sécurité et l’orgueil de leur conscience. Si donc, dans l’état présent du monde, quand on a vu les périls que les forces morales peuvent courir au milieu des sociétés et ceux que courent à leur tour les sociétés qui ont perdu ce soutien, un disciple survivant de ces grands hommes était découvert, solitaire et en quelque sorte égaré au milieu de nos mœurs et de nos idées si peu rigides, comment admettre qu’il ne parût, qu’il ne combattît que pour revendiquer une moitié de l’héritage, et aujourd’hui la plus facile ?

Le discours que nous venons d’entendre, Monsieur, est un morceau de critique littéraire qui justifie par son éclat ce que j’ai dit de tous les autres, et constaterait vos droits, s’ils eussent fait question pour personne, même pour vous. Seulement, pour la première fois, le grand cardinal s’est vu faire son procès dans cette enceinte. Vous savez qu’il est en bons termes avec ses juges. Il a composé le tribunal. Par malheur, cela lui arrivait de son vivant, et nous tenons compte à M. Jay d’avoir fait justice, sans réserve, de ses poursuites impitoyables, de ses justices irrégulières et sanglantes. Mais, Monsieur, accepterons-nous, sur sa politique même, la sévérité de votre jugement ? Vous aussi ne l’auriez-vous pas légèrement prononcé, sur quelque faux bruit de l’histoire qui, examiné de près, resterait sans fondement ? Est-ce le grand corps de la noblesse française que le terrible ministre a frappé, lui, si fier gentilhomme, si blessé, dans tout ce qu’il a écrit, que son Ordre, où il voit le nerf de l’État, n’eût pas plus d’ascendant et plus de droits, si occupé de ce qu’il appelle dès lors son rétablissement, si convaincu du besoin qu’en ont les Français avec leur perpétuelle habitude de porter la guerre aux quatre coins du monde ? Qu’a-t-il fait autre chose, et il l’a fait précisément dans cet esprit, que de briser la domination monstrueuse de gouverneurs de province audacieux oppressifs, à moitié rebelles, qui tenaient sous le joug la noblesse, le peuple et la couronne ? Il ne les a pas atteints à titre de nobles, ni de feudataires, ni même de grands seigneurs, mais à titre de serviteurs de l’État altiers et tout-puissants, qui ne tendaient à rien moins qu’à détruire, du même coup, l’autorité royale et l’unité française. Il n’a pas renversé une institution, mais un abus, un abus récent et désastreux, né des guerres civiles, et qui devait finir avec elles. C’était la seconde race qui recommençait. Richelieu a refait la monarchie. Il a refait et sauvé la France.

En nous applaudissant de tout ce que vous avez fait entendre d’utile et d’élevé sur les forces intermédiaires qui ont manqué à la monarchie, et qui sont nécessaires aux nations plus qu’elles ne le savent aujourd’hui, est-ce Richelieu que nous prendrons à partie pour un fait général et permanent de nos annales ? Accuserons-nous son génie de n’être pas allé jusqu’à constituer en corps politique la noblesse française ? Il y avait un obstacle, lui-même l’a dit partout : c’étaient ces grands corps, dépositaires admirables de la puissance judiciaire, détenteurs irréguliers d’une partie de la puissance législative, et incapables de la saisir tout entière. C’est là ce qui a détourné le cours de notre histoire et entravé au même degré la noblesse et les communes, mais cela dans tous les siècles, et sous les Guises comme après le cardinal. Le cardinal, du moins, voulut autour du souverain, comme lui-même l’a dit dans ce chapitre de son testament, Que les meilleurs princes ont besoin d’un conseil, ce qu’il appelle le trésor d’un conseil délibérant, indispensable à la félicité de l’État. Il y a deux cents ans passés que dort dans la tombe le grand homme qui parlait ainsi. Vous ne diriez rien de plus, Monsieur. Lisez ces belles pages, vous qui savez relire ! vous verrez comment ce mâle esprit justifie sa formule célèbre, que le roi, en changeant de conseil, change de maximes. C’est l’idée moderne tout entière.

En quoi la noblesse avait-elle le cœur moins haut et l’existence moins digne sous ce régime ? Où voyons-nous la cour, depuis lors, ou plus suivie, ou plus enchaînée, ou plus dominante, que sous les Valois ? En quoi étaient des courtisans, puisque vous avez dit ce mot, les Turenne et les Luxembourg, les Vauban et les Villars, les héros de Fontenoy et de vingt batailles ? Où trouve-t-on les âmes moins libres qu’au temps de leurs ancêtres, chez la Rochefoucauld, le cardinal de Retz, Saint-Évremond, madame de Sévigné, madame de la Fayette, Fénelon, Boulainvilliers, Saint-Simon, dois-je aller avec vous jusques à Condorcet, jusques à Mirabeau, et tant d’autres tribuns ? La noblesse de France avait eu trois offices dans notre histoire le gouvernement et la diplomatie en commun avec le parlement et le clergé, les lettres en commun avec tout le monde, les armes à peu près sans partage. A-t-elle failli sous Louis XIV, a-t-elle failli, dans tout le cours du XVIIIe siècle, à aucune de ces gloires ? Dans les deux grands siècles, comme vous dites si bien, et comme dit le monde, a-t-elle laissé déchoir la puissance, l’honneur ou l’esprit de la France ? À tous ces titres, jamais l’éclat ne fut plus universel ; et on ne niera pas qu’elle n’eut sa part dans les travaux et les triomphes de la pensée comme dans ceux du gouvernement et de la guerre, quand Descartes, Vauvenargues, Condillac, Péréfixe, d’Aguesseau, Montesquieu, Buffon, Maupertuis, Chastellux, d’Argens, Caylus, Choiseul-Gouffier, le duc de Nivernois, étaient la contre-partie brillante des Pontchartrain, des Fleury, des d’Argenson, des Machault, des Choiseul, des Vergennes, des Malesherbes, ou bien des Grillon, des Richelieu, des de Vaux, des d’Estaing, des Suffren, de ceux dont tout le monde dit ici les noms, et devant qui je m’arrête parce que leurs héritiers m’écoutent. Lorsque la révolution éclate, l’ingratitude serait étrange d’oublier quels noms, quels hommes font la grandeur populaire de l’assemblée constituante et celle de nos premières armées. Ce n’est pas l’esprit des cours qui domine ces nobles cœurs, pas assez, hélas ! Qu’on regarde au dedans, qu’on regarde à la frontière ! Dans les grandes actions, dans les fautes la plupart généreuses, dans les exploits dès l’abord incomparables, qui se place à l’avant-garde de la France ? Quels sont les orateurs puissants et enthousiastes de la nuit du 4 août et de tant de jours fameux ? À quels généraux appartient l’honneur de cette campagne de 1792, qui répare en quelques semaines les désastres de la race de Charlemagne, et nous rend, après huit cents ans, l’Austrasie démembrée, c’est-à-dire l’Escaut, la Moselle, le Rhin, plus les Alpes, magnifiques et salutaires conquêtes qui devaient être sitôt reperdues ? Là, Biron, Custine, la Bourdonnaye, Dillon, Montesquiou, Rochambeau, la Fayette, Beauharnais, deux Bourbons, ont préparé la route aux héroïques plébéiens qui vont paraître, les uns et les autres également courtisans de la liberté, de la patrie, des périls, de la victoire ! Si nous traversons cet abîme de la révolution, auquel tout un monde s’arrête, après lequel, Dieu merci ! un autre recommence, que voyons-nous dans les rangs décimés par les proscriptions ? Les lettres et les armes restituent aux fils de ceux qui furent la noblesse de France leur place au soleil de la patrie. Si vous passez les noms en revue, vous reconnaîtrez qu’ils marchent aux premiers rangs dans la gloire littéraire. Ils réclament le dernier dans nos régiments. Depuis que la guerre et les périls sont revenus vous trouveriez les plus grands noms de l’histoire parmi nos sous-officiers et nos soldats. Ils savent où Louis XVIII a dit qu’est renfermé le bâton de maréchal de France : ils vont l’y chercher. Demandez à nos généraux de Crimée, à nos chefs de la flotte, ce qu’ils pensent de ces fils de courtisans, qui sont accourus de tous côtés, jeunes ou non, pour solliciter leur part de gloire ! Si une bombe ennemie tombe sur la poudrière des tranchées, deux compagnons d’armes, deux héros s’élancent à la fois pour étouffer, s’il se peut, au prix de leur vie, l’étincelle incendiaire : l’un, qui est un de ces volontaires, un enfant encore, officier déjà, depuis quelques jours, par le droit du courage, et qui a le sang de trois grands ministres de la monarchie dans les veines (Chateaubriand, Malesherbes et Colbert), l’autre, un intrépide matelot. Ils sauvent leurs camarades ; ils sauvent la batterie et la tranchée. Il n’y a qu’un cri d’admiration dans nos vaillantes lignes, pour le dévouement et l’audace des deux rivaux de gloire. La main du général en chef attache en même temps sur les deux poitrines, à la vue de l’armée, l’étoile pour laquelle le Français sait si bien mourir. C’est le mot héroïque qu’une voix inspirée, dont nous sommes fiers, répétait, il y a quelques jours, dans la chaire chrétienne : Ils sont allés ensemble à la peine, ils vont ensemble à l’honneur ! C’est la vraie image de la société française de nos jours. Les anciennes distinctions, les anciennes divisions ont disparu : ne les faisons pas revivre ! Il n’y a plus qu’un esprit au sein de la nation : qui le sait mieux que vous et qui l’a mieux dit tant de fois ? Personne aujourd’hui, dans la noblesse française, n’a la prétention de commander à nos armées par le droit de naissance. Personne, dans notre active démocratie, ne conteste à l’instruction, à la vaillance, aux services, même relevés de l’illustration héréditaire, les droits de conquête qui sont le recours et l’apanage de tous. L’unité, que Richelieu a voulue par l’autorité, est aujourd’hui par les lois, par les mœurs, par les sentiments, par les idées. Elle fait notre puissance. Dans les épreuves, elle fera notre salut. Les classes éclairées marcheront de concert, toutes les fois qu’il le faudra, sans envie et sans haine, sans crainte et sans reproche.

Sévère pour notre fondateur, Monsieur, vous placez haut sa principale création. Un ami des libertés de la pensée humaine, des travaux de l’esprit, du respect dû à ceux qui s’y livrent et s’y distinguent, du contingent que le mouvement intellectuel apporte à la grandeur française, pouvait-il ne pas avoir le sentiment de tout ce que comprend l’institution à laquelle Richelieu a mis le sceau de son génie ? Elle repose sur le principe magnanime et profondément politique de la dignité des lettres. Elle la constitue ; elle y joint l’ascendant, des droits, un pouvoir, tout ce qui touche et élève des cœurs tels que le vôtre. Il savait que c’est un des intérêts essentiels de notre patrie.

Résolu de tout temps à n’accepter d’autre prix de vos travaux et de vos services qu’un siège au milieu de nous, vous avez été conséquent avec vous-même en louant beaucoup l’Académie, même en sa présence. Elle ne peut s’en plaindre, ni s’en étonner. Elle n’est pas tenue d’être modeste pour l’esprit humain, pour les lettres françaises, pour les grands hommes qui ont marqué son rang dans le sentiment public. C’est l’honneur de notre pays et celui de notre fondateur, qu’il y ait un lieu où ces souvenirs, où ces pensées saisissent tout esprit élevé, imposent à toute âme généreuse. Tant de beaux génies ont marché à la tête de la compagnie, en même temps qu’à la tête de la France et du monde, qu’il faudrait être incapable de tout commerce avec ces glorieuses mémoires, pour pénétrer dans le sanctuaire qui les rassemble, sans trouble et sans respect.

Notre âge a fortifié ce sentiment, en réunissant en un seul corps tant d’autres corps illustres, et associant dans un même faisceau tant d’autres gloires qui nous seraient restées étrangères ! Le disciple éminent des lettres, quand il vient s’asseoir parmi nous, prend place dans ce sénat plus vaste, devant qui s’incline, depuis soixante ans, l’hommage des nations civilisées. Si l’Académie doit être l’image de l’esprit français, on peut dire que, par ses découvertes, ses œuvres, ses renommées nationales, ses adoptions universelles, l’Institut est le centre du savoir et de la pensée du monde. C’est la vue première, la première création de la monarchie, complétée et agrandie. Rien ne pouvait plus honorer les lettres, rien ne parle à l’âme plus profondément que cette double association et ce double honneur.

Nous pouvons d’autant plus y attacher notre orgueil, qu’en nous donnant place dans le cadre nouveau créé par l’esprit moderne à son image et à sa mesure, une intelligente et libérale sagesse a su conserver à l’œuvre de Richelieu et de Louis XIV tous les avantages qu’elle tient du privilége de sa durée.

Ainsi, nous savons que nos fondateurs, dans leur jeunesse, avaient pu hanter Montaigne, Charron et Bodin. Depuis lors, la plupart des esprits supérieurs de nos deux grands siècles se sont succédé dans la compagnie, se sont fait entendre à la place où vous êtes. Cette grande lignée ne s’est pas un jour interrompue ; la révolution ne l’a ni brisée, ni affaiblie. Après tous les noms immortels dont, grâce à vos invocations, cette voûte retentit encore, ceux de Bernardin de Saint-Pierre, Ducis, Lemercier, Portalis, Desèze, Ségur, Chateaubriand, Ballanche, Bonald, Laîné, Fontanes, l’évêque d’Hermopolis, le cardinal de Bausset, Saint-Priest, Lacretelle, Delavigne, Laplace, Cuvier, Royer-Collard, attesteraient, au besoin, que la France, en se transformant, ne s’est pas abaissée, que l’Académie, comme vous avez tenu à le prouver, n’a pas décliné en vieillissant.

Il y a donc là une représentation perpétuelle du génie national, étrangère aux vicissitudes des temps, aux formes de la politique aux caprices de la fortune. Elle retrace ce qui ne change pas dans nos destinées changeantes, ce qui perpétue l’ascendant et la grandeur de notre pays à travers toutes les inconstances et tous les périls, c’est-à-dire la vive flamme, la sève créatrice que Dieu a mise au fond de l’esprit français, la langue qui est sa parole, la littérature qui est sa pensée, le goût qui est sa règle et sa force, notre amour naturel du beau et du bon, par-dessus tout le culte des idées généreuses, qui est inné dans notre nation et qui fait son empire sur le monde.

Vous cherchiez tout à l’heure, Monsieur, pourquoi les tribunes s’élèvent sans jeter sur nous une ombre, comment elles disparaissent sans que nous croyions être enrichis par ce veuvage ? En voilà les raisons ! C’est que, puissante sur les lettres, puissante sur l’esprit public par l’autorité du temps et par cette suite d’illustrations incomparables, l’Académie l’est plus encore par la nature de sa mission, par l’excellence tout aussi incomparable de son domaine. Les choses, si éminemment françaises, dont le dépôt nous fut remis, à l’origine de ce grand mouvement de l’esprit humain qui dure encore, sont également chères à la pensée publique, quels que soient les temps. Voyez nos solennités ! L’élite du monde leur est fidèle. Nos auditoires pourront changer : il ne se verra pas que ces bancs soient déserts. Il ne se verra pas davantage que la chaîne soit brisée entre l’auditoire et l’orateur, si peu digne qu’il soit de sa tâche, parce qu’au sein d’une assemblée française, où se passent en revue toutes ces idées de beauté morale, de grandeur intellectuelle, de gloire nationale, il y aura toujours, du cœur qui parle à ceux qui écoutent, de sûrs échos. On sent qu’ici les regards sont fixés sur une des fortunes de notre patrie, celle qui lui est toujours fidèle, qui ne fait pas attendre le prix de la persévérance et du courage, qui est le génie même de la paix et de la civilisation, mais qui se fait honneur de buriner les fastes de la guerre, fût-ce par des mains guerrières elles-mêmes, quelquefois par des mains illustres, et rend les grandes actions immortelles. Il n’y aurait plus de France le jour où notre pays ne saurait plus combien les travaux intellectuels, combien les intérêts de la pensée importent à son rang dans l’univers.

La gloire des lettres et celle des armes ont toujours été invariablement réunies chez les peuples, privilégiés de la Providence, qui ont marché à la tête du genre humain. Ce double génie nous a été donné plus qu’à nul peuple sur la terre. Et qu’on ne dise pas que ce fut parce que la royauté française, digne image de la nation, se fit honneur sans interruption de protéger les écrivains ! C’est une erreur. Elle fit bien plus que de les protéger : elle les comprit et les respecta. Elle les traita de la même façon que les représentants de la gloire guerrière. Nos rois appelaient mon cousin les maréchaux de France, Catinat ou Villars ; de nos jours, sous la restauration, Jourdan, Soult, Oudinot, Macdonald, Masséna ! À leurs yeux, les distances disparaissaient par la victoire. On était de plain-pied avec eux, on était de leur famille, par l’honneur, quand on avait bien servi la France. De même pour les lettres ! Louis XIV les voit errantes ; il les loge royalement dans son Louvre. Un prince du sang, qui vient d’être élu, s’étonne de s’asseoir sur un simple banc. Il réclame. Louis fait honneur à la réclamation. Il envoie à la compagnie les quarante fauteuils célèbres. Cette âme superbe, qui ne voyait rien sous le soleil de supérieur à sa race, lui reconnaît quelque chose d’égal : ce sont les lettres, la compagnie qui les représentait, la pensée humaine qui n’avait pas de plus vives lumières. C’est parce qu’il portait en lui de ces instincts supérieurs, que le monde, d’une voix unanime, reconnaît Louis XIV pour le grand roi.

Né loin du rang suprême, mais issu de ce sang de l’Italie où le culte du génie semble inné, et distingué lui-même entre tous les humains par un de ces vols extraordinaires de l’intelligence qui font atteindre à toutes les hauteurs, fût-ce pour s’y briser, Napoléon, malgré son inquiétude des élans de la pensée, trouvait en lui-même des instincts de même nature. Qui ne sait le mot : « Laissez-nous du moins la république des lettres ! » C’était le cri du membre de l’Institut couronné.

Ce cri voulait dire que le vainqueur du monde reconnaissait la sagesse profonde de ses grands devanciers ; il voulait dire que la dignité des lettres et leur indépendance sont nécessaires à leur splendeur, comme l’honneur l’est aux armées. En effet, elles ne demandent rien de plus, et donnent en échange à leur époque tout ce qu’elles ont de renom et d’éclat. Elles en ont besoin pour leur essor, pour leur sécurité, pour leur discipline. Car la dignité ne vient pas seulement d’autrui ; elle vient avant tout de soi-même. Vous nous aiderez, Monsieur, à ne pas l’oublier : au milieu des perpétuels changements d’institutions, d’idées, de symboles, c’est à nous qu’il appartient de travailler à raffermir, avec l’autorité que nous donnent trois siècles de notre histoire, les choses de tous les temps, les lois éternelles de la morale, du goût, du respect de soi et des autres, qui sont la force et l’honneur des littératures comme des nations. C’est l’utilité d’un grand corps tel que le nôtre, seul établissement séculaire d’un vaste empire, qu’on sache que, dans cette France aux nobles besoins, à travers le courant d’intérêts confus que les révolutions multiplient et qu’enfanterait à elle seule la plus grande des révolutions, celle du temps, à côté de tout ce qui est nécessairement concédé à la Fortune, il y a quelque part un sanctuaire de l’Esprit, et que l’esprit lui-même n’y aplanit pas seul les avenues, que le succès n’y est pas tout, qu’on y veut d’autres marques du sceau divin. La vraie dignité des lettres est à ce prix, et on ne saurait dire ce qu’il faut considérer comme y étant le plus intéressé, des destinées publiques, ou bien de leur propre éclat.

Ces pensées, dans un tel lieu, sont le couronnement naturel des délégations successives, si glorieuses, si chères et trop peu méritées, qui m’ont placé tout à coup, dans le temps où nous sommes, en présence de la chaire, de la tribune, du journal, et m’ont valu l’honneur d’introduire presque en même temps, dans la commune demeure de Chateaubriand et de Féletz, de Desèze et de Royer-Collard, de Bossuet et de Fénelon, l’éloquent et saint évêque, l’orateur illustre, le digne représentant de la presse conservatrice, honnête, éminente. On sent profondément, au moment de rentrer dans l’ombre et le silence, que ces fortunes pressées dans une vie, cette trace empreinte dans une histoire qui ne peut pas périr, ce souvenir légué à ceux qu’on aime, ne pouvaient se justifier que par le devoir, accepté sans réserve, de présenter à notre temps des vérités utiles, et la sincère joie de pouvoir parler avec confiance à notre pays, malgré toutes les vicissitudes, de sa grandeur et de sa gloire.