Essai d'un portrait du Roy

Le 25 juin 1711

François de CALLIÈRES

ESSAI D’UN PORTRAIT DU ROY

 

DISCOURS LEU A L’ACADÉMIE Françoiſe, à la reception de Monſieur l’Abbé d’Eſtrées Commandeur de l’Ordre du S. Eſprit.

PAR MONSIEUR DE CALLIERES, Conſeiller ordinaire du Roy en ſes Conſeils, Secretaire du Cabinet de Sa Majeſté.

 

 

JE m’entretenois avec un de mes amis ſur les beautez de la Peinture : cet Art, me dit-il, eſt d’autant plus recommandable, qu’il ſert à perpetuer la memoire des grands hommes & celle de leurs belles actions ; mais les Eſcrits qui peignent leurs mœurs & leurs inclinations doivent eſtre preferez aux ouvrages des Peintres, parce qu’ils ſont moins ſujets aux injures des temps & plus propres à inſtruire le public.

Ils ont encore, luy reſpondis-je, cet avantage ſur les Ouvrages matériels, tels que ſont les Tableaux, les Statuës, les Medailles, & autres monuments de cette eſpece ; que ceux‑ci ne font connoiſtre que la moindre partie des hommes qu’ils repreſentent, qui eſt leur figure exterieure, & que les Eſcrivains inſtruits y adjouſtent des Peintures reſſemblantes de leurs qualitez naturelles & acquiſes, & de leur ſageſſe, de leur courage, de leur bonté, de la force & de l’eſtendüe de leur genie, d’où deſpend leur veritable gloire.

Cela me ſeroit ſouhaiter, repliqua mon ami, qu’on priſt ſoin d’exciter les gens de Lettres à bien peindre les grands hommes de leur temps, pour ſervir de modelle à ceux qui les ſuivront : ils ont, en la perſonne de noſtre Monarque une belle & ample matiere de s’exercer ; & comme l’honneur que vous avez de l’approcher vous donne la facilité d’obſerver & de connoiſtre plus particulierement ſes grandes qualitez perſonnelles & ſes vertus heroïques, je ſuis d’avis de vous exhorter à en faire un Portrait[1] d’aprés nature qui le caracteriſe ſi bien, qu’on puiſſe facilement l’y reconnoiſtre, comme vous avez desja fait dans un ouvrage plus eſtendu.

Je me defendis d’abord de m’engager à traiter une matiere ſi difficile & ſi relevée ; mais enfin preſſé par les vives inſtances de mon ami, & par les mouvements de mon zele, je luy promis de luy faire, non pas un Portrait du Roy, fini & terminé, mais une eſbauche la plus reſſemblante qu’il me ſeroit poſſible, et c’eſt ce qui a donné lieu à l’eſſai que voici.

 

ESSAI D’UN PORTRAIT du Roy.

 

L’air grand & majeſtueux, le viſage tous-jours ſerain : des graces naturelles reſpanduës ſur toute ſa perſonne, & juſques ſur ſes moindres actions, un abord doux & prevenant, une phiſionomie auguſte, annoncent à tous ceux qui le voyent qu’il eſt né pour plaire & pour commander.

Une foule d’hommes de toutes ſortes de proſeſſions, d’âges, de genies, d’humeurs & de caracteres, s’empreſſent continuellement à le voir & à l’entendre, & ils n’en ſont jamais raſſaſiez.

Sa preſence impoſe à cette multitude qui le ſuit ſans ceſſe, une douce neceſſité de luy obeïr & de prevenir meſme ſes volontez.

La juſteſſe, l’agrément & l’eloquence naturelle de ſes diſcours luy attirent les applaudiſſements & les eloges de tous ceux qui l’eſcoutent.

La douceur & l’egalité de ſon humeur ; les charmes de ſa converſation, le tour ingenieux & delicat de ſes expreſſions & de ſes Pensées, rendent ſon commerce delicieux à ceux qui ſont à portée d’en joüir, & l’art qu’il a de temperer l’eſclat qui l’environne, par de frequentes marques de ſa bonté, leur laiſſe voir parmi les qualitez du Heros celles de l’honneſte homme qu’il poſſede au plus haut degré.

Semblable à cet excellent Empereur, qui ne laiſſoit partir perſonne triſte ni mal content de devant luy, & qui ſignaloit chaque jour de ſa vie par ſes bienfaits ; il ne perd aucune occaſion de gouſter les meſmes plaiſirs ſi conformes à ſes inclinations, dont il a donné tant & de ſi frequentes marques, dans des temps plus tranquilles ; & il ne ſouhaite rien avec plus de paſſion, que de pouvoir ſoulager ſes peuples, & de les deſcharger des ſecours extraordinaires qu’il eſt obligé de leur demander, pour les mettre à couvert des ravages, des maſſacres, des incendies & des autres effets de la fureur de ſes ennemis & des noſres, qui enyvrez de leur ſuccés, ont refusé la Paix la plus avantageuſe qu’ils pouvoient jamais eſperer, croyant eſtre à la veille de nous réduire à leurs volontez, mais dont ils ont appris à ſe deſabuſer, & que ce qu’ils ne vouloient attribuer qu’à leurs propres forces, venoit du veritable deſir que le Roy a de reſtablir le repos & le bonheur de ſes Sujets, & de procurer en meſme temps celuy de tous ſes voiſins.

Les conditions avantageuſes qu’il avoit accordées à ſes ennemis, en leur relaſchant : une grande partie de ſes droits par ſes derniers Traitez de Paix, & l’exactitude avec laquelle il les a executez, ſont des preuves convaincantes de la fauſſeté des motifs dont ils ſe ſont ſervis, pour inſpirer à leurs peuples de vaines terreurs, afin de les deſtourner de la concluſion de cette Paix, dont la ſeureté eſtoit facile à connoiſtre par tant d’exemples de la moderation du Roy, & de l’exacte obſervation de ſes paroles.

Ils avoient encore une forte preuve de ſa durée, qui eſt la neceſſité dont elle eſtoit devenuë à tous les peuples des deux partis, qui avoient alors le meſme deſir & le meſme intereſt d’en joüir longues années, pour ſe remettre de leurs penibles travaux & des grandes pertes qu’ils ont ſouffertes ; il eſt aisé de développer par quels motifs ſecrets & par quels intereſts particuliers le public a eſté privé d’un bien ſi deſiré.

Quelque grande & quelque abſoluë que ſoit la puiſſance du Roy, ſa raiſon eſt tous-jours au deſſus ; elle ſçait la tenir dans de juſtes bornes, & elle le rend plus maiſtre de luy-meſme & de ſes deſirs, qu’il ne l’eſt de ſes Sujets les plus ſouſmis & les plus devoüez.

Son courage tient ſon ame dans une aſſiette tousjours tranquille, ſon eſprit tousjours libre & tousjours en eſtat de ſe ſervir de toutes ſes lumieres dans les plus grands perils : & il s’eſt fait voir plus grand dans les mauvais ſuccés qu’au milieu de tous ſes triomphes.

L’eſtenduë de ſon genie embraſſe toutes les connoiſſances neceſſaires pour remplir ſans embarras tous les devoirs du parfait Monarque, & ſans le diſtraire un moment de la pratique des autres vertus.

Tels ſont les ſoins du plus tendre de tous les Peres, qu’il vient de rendre au meilleur & au plus aimable de tous les fils : qui avoit merité par tant de Titres tout ſon amour & toute ſon eſtime : une ſi grande perte a mis ſa confiance à la derniere eſpreuve, elle a reſpandu une affliction generale dans les cœurs de tous ſes Sujets, & elle a fait dans le ſien une playe ſi profonde, que rien n’eſt capable de la guerir ; cependant il n’a pas interrompu d’un ſeul jour les ſoins immenſes qu’il prend pour mettre de toutes parts ſes Sujets à couvert des inſultes & des ſurpriſes de ſes ennemis.

Il joint aux qualitez de bon Pere & de bon Roy, celles de bon parent, bon ami, bon Maiſtre, & par deſſus toutes de zelé defenſeur de la vraye Religion, dont il maintient la pureté dans toute l’eſtenduë de ſes Eſtats, & il travaille ſans relaſche à l’eſtablir, à l’augmenter & à l’affermir juſques dans les climats les plus reculez.

D’un ſecret impenetrable dans la conduite de ſes grands deſſeins on ne les deſcouvre que dans le moment qu’ils eſclattent, ſemblables à un coup de foudre impreveu qui perce la nuë, la diſſipe, rend le jour plus clair & plus ſerain, & va tomber ſur les lieux qui luy ſont deſtinez de la main d’où elle part.

Tousjours ferme lorſqu’il s’agit de faire executer ſes Loix, ſa bonté naturelle & ſa clemence le portent cependant à les temperer autant qu’il luy eſt poſſible ; c’eſt-à-dire, autant que la Juſtice le luy permet, dont il ne ſe relaſche que lorſqu’il eſt queſtion de prononcer contre ſes propres intereſts, ou de faire grace à quelques coupables, ſans prejudicier à la ſeureté publique.

Protecteur des Sciences & des beaux Arts, bienſaicteur de ceux qui y excellent ; il reſpand un gouſt exquis & une grande magnificence ſur tous les Ouvrages qu’il fait executer.

Son activité tousjours egale & de ſang froid, reſſemble à celle d’un grand fleuve qui coule majeſtueuſement dans de vaſtes Campagnes, qu’il fertiliſe & qu’il embellit, fort différente de celle de ces hommes fougueux & emportez, qui ſe laiſſent entraiſner par la violence de leur temperament, tel qu’un torrent qui tombe avec impetuoſité du haut des Montagnes, ravage la plaine par ſes deſbordements, ſe diſſipe & ſe perd après une courſe precipitée & de peu de durée.

La grande jalouſie excitée contre luy, chez preſque tous ſes voiſins, & l’envie naturelle au commun des hommes, contre ceux qui s’eſlevent au deſſus d’eux par leurs qualitez heroïques, & par la ſuperiorité de leur genie & de leur puiſſance, taſchent en vain d’obſcurcir ſa gloire ; les nombreuſes armées, les grands efforts par terre & par mer, les negociations continuelles de cette multitude d’ennemis conjurez contre un ſeul Prince, ſont pour luy autant d’eloges ; il confond leurs projets au milieu de leurs plus heureux ſuccés, & lorſqu’ils ſe croyent ſur le point d’achever leur bizarre entrepriſe, qui eſt de dethroſher un Roy adoré de ſes Sujets, & de forcer une nation illuſtre par ſa fidelité ineſbranlable, & par la grandeur de ſon courage, de renoncer à ſes Loix & à ſes ferments, à ſon honneur & à ſa gloire, pour s’aſſujettir aux intereſts de commerce de ces meſmes ennemis declarez, qui ſelon eux ſont en droit de decider du ſort des Couronnes, & de regler ſuivant leurs volontez le gouvernement de leurs voiſins, ils ſe trouvent plus eſloignez que jamais de leur but.

LOUIS couvre ce Prince de ſon egide : les Sujets de ce meſme Prince changez en ſoldats victorieux arreſtent d’abord ſes ennemis au milieu de leur courſe, ils les chaſſent enſuite devant eux comme des troupeaux diſperſez, ils les pourſuivent depuis le centre de l’Eſpagne juſqu’aux bords de la Mer, où ces pretendus conquerants vont chercher un azile à l’abri de leurs vaiſſeaux, parmi un reſte de rebelles accablez de toutes les miſeres que leurs revoltes leur ont juſtement attirées.

Nous avons veu un autre vertueux Monarque chaſſé de ſes Royaumes, par la meſme politique de ceux qui comptent pour rien les droits d’un Souverain que ſa naiſſance & les Loix de l’Eſtat ont mis ſur le Throſne, lorſqu’ils s’imaginent quelque profit pour eux à l’en faire tomber ; le Roy qui fait tousjours ceder ſes plus grands intereſts à la gloire de reconnoiſtre & de ſecourir les legitimes Souverains contre leurs perſecuteurs, a non ſeulement receu, conſolé, ſecouru ce Monarque infortuné depuis ſa cheute juſqu’au dernier jour de ſa vie ; mais il continue de proteger & de ſecourir le Roy ſon fils, heritier legitime de ſes Royaumes que la Providence a ſans doute reſervé, pour y reſtablir la Paix & le bonheur dont leurs peuples ſe ſont privez par leurs funeſtes eſgarements.

Le Ciel vient enfin de faire ſentir aux Autheurs de cette ſanglante guerre, qu’il deſavouë & qu’il condamne leurs injuſtes deſſeins, lorſqu’il leur a enlevé le Chef de cette ambitieuſe Maiſon, qu’ils ont voulu elever à une puiſſance ſi demeſurée, & ont pour cela accablé leurs peuples de dettes ſi exceſſives, qu’il n’eſt pas en leur pouvoir de les delivrer d’un ſi peſant fardeau.

Voila ce qu’ont produit leurs vaſtes projets, & leurs promeſſes magnifiques qui ont eſté d’aſſeurer & de repeter chaque année, qu’ils n’avoient beſoin que d’une ſeule Campagne, pour achever la conqueſte de l’Eſpagne & des Eſtats qui en dependent, & pour oſter à la France tous les moyens de s’oppoſer à leurs efforts.

Paroles temeraires dont leurs peuples ont enfin connu l’illuſion, & qui n’ont autre but que de leur perſuader de prolonger la Guerre, à cauſe des grands avantages particuliers qu’en tirent ceux qui les y ont engagez, ſans s’embarraſſer des ſuites dont le poids ni les dangers ne roulent pas ſur eux, pendant que le Roy touché des malheurs de la Chreſtienté, eſt ſans ceſſe occupé du deſir de les faire ceſſer par le reſtabliſſement d’une Paix ſeure & durable, d’en partager les douceurs avec tous ſes ennemis, & d’effacer, s’il ſe peut, juſqu’au ſouvenir des calamitez causées par une ſi longue & ſi cruelle guerre.

 

 

[1] Le Panegyrique historique du Roy dedié à l’Académie Françoife.