Rapport sur le concours d’éloquence de l’année 1834

Le 9 août 1834

Antoine-Vincent ARNAULT

RAPPORT DE M. ARNAULT,

SECRÉTAIRE PERPÉTUEL DE L’ACADÉMIE FRANÇAISE

SUR LE CONCOURS D’ÉLOQUENCE DE L’ANNÉE 1834

 

PREMIER CONCOURS.

Éloge historique de Jean-Baptiste-Antoine-Robert Auget de Montyon.

 

« Ce n’est pas seulement à cause de ses dons aux pauvres et de ses fondations utiles, disait, en 1832, l’homme si regrettable qui siégeait à cette place, que l’Académie propose ce sujet ; elle invite les concurrents à faire attention à ce mot historique. M. de Montyon a cultivé les lettres ; il a composé un assez grand nombre d’ouvrages qui ont été imprimés, et dont plusieurs ont obtenu du succès, et jouissent encore d’une estime méritée ; il fut administrateur, intendant de province, l’émule et l’ami de Turgot. En un mot, sa vie entière a été celle d’un homme éclairé, d’un homme vertueux, animé de l’amour de ses semblables, et, en mourant, il ne témoignait qu’un regret, celui de ne leur avoir pas fait assez de bien… Peindre M. de Montyon tel qu’il était, ce sera avoir fait son éloge, ajoutait le judicieux Andrieux. »

Ce mérite a fait distinguer, entre les pièces composées sur ce sujet, la pièce que l’Académie couronne aujourd’hui. C’est une juste appréciation des facultés morales de M. de Montyon, et de l’accord qui se trouve dans toutes les circonstances, entre ses actions et ses principes, soit comme homme privé, soit comme administrateur, soit comme écrivain. Un style élégant, mais dénué d’emphase et d’affectation, une diction simple et franche comme le caractère que l’orateur avait à peindre, convenaient surtout dans l’éloge d’un homme qui provoque aussi souvent l’attendrissement que l’admiration, et se recommande par un constant exercice des vertus paisibles. Mais il est inutile de s’étendre davantage sur le mérite d’une pièce qui doit être lue dans cette séance, et dont le public pourra, dans un moment, juger par lui-même. Passons donc à un autre objet, et rendons compte de l’examen d’un autre concours dont le sujet, proposé pour la seconde fois, avait été renvoyé à cette année.

 

SECOND CONCOURS.

Du courage civil, de ses différents caractères, des services qu’il rend à la société, de ses droits à la gloire et à la reconnaissance publique.

 

Le prix proposé pour un sujet si riche semblait devoir être remporté au premier concours. L’Académie n’en faisait aucun doute. Voilà deux fois cependant que son espérance est déçue. Bien plus, le produit du dernier concours a été moins satisfaisant que celui du premier. Sur douze pièces, elle n’en a pas trouvé une qui lui parut mériter une mention. Les pièces nouvelles ne valent pas à beaucoup près celles qui avaient été écartées l’année dernière, et parmi celles des pièces du concours précédent, qui ont été reproduites à celui-ci, on n’a pas retrouvé toutes les améliorations dont elles semblaient susceptibles.

Cela tient surtout à ce que le sujet n’a pas été compris par la plupart des concurrents. Ils s’obstinent à regarder comme courage civil tout ce qui n’appartient pas au courage militaire. L’erreur est grande. Il y a autant de courages spéciaux qu’il y a de professions différentes. Le courage civil peut s’allier à tous ces courages-là ; mais ils ne sont pas par eux-mêmes courage civil. Les affections naturelles, l’enthousiasme religieux l’attachement à une profession sont des sources de courage ; mais portent-ils essentiellement le caractère du patriotisme, principe du courage civil ? C’est de la nature de l’intérêt qui vous fait agir, que ce courage prend sa dénomination.

Le courage civil est celui qui vous fait tout sacrifier à vos devoirs de citoyen, celui qui subordonne tous vos intérêts à l’intérêt général; ce n’est pas seulement le courage qui conduit au milieu de la multitude furieuse le magistrat protégé par les seuls insignes de ses fonctions, ou qui maintient dans une imperturbable immobilité le soldat assailli par des séditieux, que l’organe de l’autorité civile ne lui a pas permis de repousser; c’est surtout le courage de Nathan, qui, moins tolérant envers David que d’autres directeurs de conscience royale, lui reproche d’avoir ravi la brebis du pauvre, d’avoir enlevé la femme d’Uri; c’est le courage de saint Ambroise, lorsque, enflammé de l’amour de l’humanité, et bravant toute la puissance de la colère impériale, il ferme les portes du temple, il interdit la participation des saints mystères à Théodose, couvert du sang de ses sujets ; c’est le courage du premier président de la Vacquerie, qui, sommé avec menaces par Louis XI de faire enregistrer au parlement des édits onéreux pour le peuple, répond à ce despote : « Sire, nous venons remettre nos charges entre vos mains et souffrir tout ce qu’il vous plaira plutôt que d'offenser nos consciences ; » c’est le courage du baron d’Orthe, qui, chargé d’exécuter à Bayonne l’ordre de massacrer les protestants, répond à Charles IX : « Sire, j’ai communiqué le commandement de Votre Majesté à ses fidèles habitants et gens de guerre de la garnison : je n’y ai trouvé que de bons citoyens et de braves soldats, mais pas un bourreau. C’est pourquoi eux et moi prions très-humblement Votre majesté de vouloir bien employer nos bras et nos vies en choses fesables. »

L’intérêt de la société n’est-il pas le premier mobile de ces actions, qui toutes n’étaient pas commandées par la profession des hommes à qui elles appartiennent ? Ces actions, quel que soit l’habit de ces hommes, ne sont-elles pas essentiellement d’un citoyen ?

L’Académie ne peut pas se persuader, malgré le mauvais succès de deux épreuves, qu’une troisième n’obtienne pas un meilleur résultat, et qu’un sujet si propre à élever l’âme et à exercer les plus nobles facultés de l’esprit, ne soit pas enfin traité d’une manière convenable. Elle espère aussi qu’interrompant des travaux moins féconds en gloire, si productifs qu’ils puissent être sous d’autres rapports, l’élite des littérateurs entrera enfin dans le concours dont elle semble s’être tenue éloignée jusqu’ici. Malgré la résolution qu’elle avait énoncée l’année dernière, proposant donc ce sujet pour la troisième fois, elle en fait celui du concours de 1836, et proportionnant le prix aux difficultés qu’il semble offrir, elle porte à trois mille francs la valeur de la médaille.