Rapport sur le concours d’éloquence de l’année 1830

Le 25 août 1830

François ANDRIEUX

RAPPORT DE M. ANDRIEUX,

SECRETAIRE PERPÉTUEL DE L’ACADÉMIE FRANÇAISE
SUR LE CONCOURS D’ÉLOQUENCE DE L’ANNEE 1830,

Remis à 1831

 

 

Le sujet était l’Éloge de Lamoignon Malesherbes.

Entre les discours envoyés l’année dernière, l’Académie avait eu le regret de n’en pouvoir distinguer qu’un seul, non pas pour lui décerner le prix, mais pour le mentionner honorablement.

Le dévouement héroïque de Malesherbes, ses derniers entretiens avec l’infortuné Louis XVI, enfin sa mort courageuse, avaient fourni à l’orateur un récit pathétique qui produisit, à la première lecture, une impression profonde, et qui valut à ce discours la distinction qu’il obtint.

Ce même ouvrage a été renvoyé au concours de cette année.

La dernière partie, celle qui avait motivé la mention honorable, a été conservée tout entière ; l’auteur a changé, ou, pour mieux dire, a refait la première partie, mais non pas avec succès.

Des réflexions tirées de loin, quelquefois hasardées, des rapprochements forcés entre les événements du temps de Malesherbes et ceux de l’époque actuelle, quelques petites anecdotes plus propres à figurer dans une notice biographique que dans un discours du genre élevé, ont fait tort aux pages pathétiques de l’ouvrage ; ce sont ces pages qui décident l’Académie à mentionner encore une fois honorablement cette estimable composition.

Un rival plus heureux qui n’avait point concouru l’année dernière, s’est présenté dans la lice et a remporté le prix. Son discours, enregistré sous le n°6, porte cette épigraphe : Virtutem videant !

L’auteur est M. A. Bazin, avocat à la cour royale de Paris. L’orateur n’est point allé donner contre l’écueil que semblent chercher la plupart des panégyristes, et qui est de renfler leurs discours de louanges excessives et sans proportion avec le mérite du personnage auquel ils les prodiguent ; ils font, comme disait le roi Agésilas, de grands souliers pour de petits pieds ; le héros qu’ils célèbrent est toujours, à les entendre, un homme incomparable ; les vertus qu’il a pratiquées, les talents par lesquels il s’est distingué, les services qu’il a rendus à la société sont au-dessus de tout ; rien ne les égale rien n’en approche ; bien entendu que lorsqu’ils auront un autre éloge à faire, ils tiendront un langage tout différent ; ils rabaisseront les vertus, les talents, les services qu’ils avaient mis au premier rang, pour en élever d’autres à leur place.

Cicéron nous apprend que dans les éloges funèbres qu’on prononçait à Rome, on osait faire entrer des triomphes d’invention, des consulats imaginaires, de fausses généalogies ; à l’exemple de ces anciens panégyristes, nos faiseurs d’oraisons funèbres se sont permis trop souvent de supprimer des vérités qui seraient peu louables, et d’y substituer des fables arrangées habilement. Il serait curieux de tirer de mémoires véridiques le récit exact des faits et gestes de ces grands, de ces puissants de la terre offerts à notre admiration et à nos respects dans des phrases pompeuses et mensongères, et de faire imprimer une biographie bien sincère sur chacun d’eux à la suite de son oraison funèbre, pour en être le commentaire et le correctif. Quelle différence entre la pauvreté des faits et la magnificence des paroles ! Que d’erreurs volontaires à rectifier ! Que de mécomptes dans l’héroïsme des princes et dans les vertus des princesses !

Le vrai, le grand mérite que l’Académie a reconnu dans le discours qu’elle a couronné, c’est que l’orateur a traité son sujet en écrivain juste et consciencieux ; c’est qu’il a donné a Malesherbes précisément les louanges qui lui conviennent ; c’est qu’il s’est défendu de toute exagération. L’Académie avait annoncé, dans son programme, qu’elle demandait moins un éloge de Malesherbes que son portrait ressemblant ; l’orateur est parfaitement entré dans cette pensée il s’est attaché à la ressemblance; il a montré le grand citoyen, le magistrat ferme et intègre, l’ami des sciences et des lettres, homme droit, éclairé, courageux, pratiquant la religion du devoir jusqu’à lui faire le sacrifice volontaire de sa vie. Il a composé avec talent un beau et fidèle portrait ; et il a mis en tête de son discours le titre modeste d’éloge historique.

Si l’on lui reprochait de n’avoir pas pris les formes solennelles ni le ton élevé soit des oraisons funèbres, soit des éloges oratoires composés autrefois par d’habiles écrivains pour des concours semblables, il pourrait répondre qu’il a voulu être historien plutôt que panégyriste, qu’il faut le juger d’après le système de composition qu’il a cru devoir adopter et non pas en le comparant à des orateurs dont il reconnaît le grand talent, mais qu’il ne lui a pas convenu cette fois de prendre pour modèles.

Je dois ajouter (car ces sortes d’observations littéraires qui peuvent être d’une utilité générale entrent dans les devoirs rigoureux de l’Académie), je dois ajouter, dis-je, que dans ce discours qui annonce un esprit capable de pensées fortes et de réflexions profondes, on a remarqué avec peine quelques traits recherchés, parfois obscurs, quelques phrases manquant de simplicité et de ce naturel qui caractérise les bons écrivains quoi de plus simple, par exemple, que la lettre de Malesherbes au président de la Convention, lettre par laquelle il s’offre pour être le défenseur de Louis XVI? C’est assurément une des belles choses qu’on ait jamais écrites ! C’est un monument d’éloquence comme de vertu ! d’autant plus admirable que son auteur n’a point songé à le faire admirer ! Il n’y a que l’âme la plus noble, la plus tendre, la plus pure qui puisse inspirer une lettre semblable ! Tout l’esprit du monde n’y atteindra jamais. L’auteur du discours a bien senti le prix de cette lettre dans laquelle Malesherbes tout entier respire. Il en a embelli son ouvrage en l’y transcrivant. L’assemblée l’entendra tout à l’heure.

L’auteur va faire lui-même la lecture de son discours.