Discours de réception de Odet-Joseph Giry

Le 10 mars 1742

Odet-Joseph GIRY

DISCOURS

Prononcé le 10 Mars 1742.

Par M. L’Abbé DE SAINT-CYR, Sous-Précepteur de M. le Dauphin, lorfqu’it fut reçu à la place de M. le Cardinal de Polignac.

 

MESSIEURS,

QUELQUE flatteur que foit pour moi le choix dont je viens vous rendre de publiques actions de graces, je ne puis diffimuler le véritable motif auquel j’en fuis redevable.

 

L’honneur que j’ai d’être attaché à l’inftruction d’un Prince, l’efpérance & l’amour des François, a déterminé vos fuffrages en ma faveur. Vous avez fupofé en moi les talens ; ou plutôt, en m’affociant à vous, MESSIEURS, vous avez voulu me mettre à portée de les acquérir.

 

En effet, que ne dois-je pas efpérer de la grace que vous me faites ? Ce fonds d’érudition, d’efprit, de politeffe, dont le dépôt eft entre vos mains, & qui a été utile à tant d’autres ; ne feroit-il donc ftérile que pour moi, & ferois-je le feul qui ne trouverois pas à m’y enrichir ?

 

Mais je n’entre en poffeffion de tous ces avantages, qu’en fuccédant à M. le Cardinal de Polignac. Qu’ai-je à vous offrir, MESSIEURS, pour vous dédommager de la perte d’un fi grand homme ? Né pour l’ornement de fa Nation & de fon fiècle, fes grandes qualités & fa naiffance l’élevèrent bientôt aux plus hautes dignités & aux plus importans emplois. Il y réunit les fuffrages des Nations les plus oppofées par leurs coutumes & par leurs mœurs. Les Cours du Nord & du Midi retentiffent encore des applaudiffemens qu’elles donnèrent à la beauté de fon génie, & aux charmes de fon éloquence.

 

Dépofitaire des intérêts de la Couronne dans des temps critiques où l’adverfité éprouvoit un Roi, plus admirable encore dans fes difgraces que dans fes profpérités ; au milieu de ces hommes altiers dont les prétentions furpaffoient les fuccès, il conferva le même caractère de férénité & d’élévation qu’il avoit fait paroître dans les plus heureufes conjonctures.

 

Après de fi nobles travaux, il retrouvoit dans le fein des Mufes un utile & honorable délaffement ; & par l’étendue & la variété de fes connoiffances, il founiffoit fans peine aux différens objets trois Académies.

 

Il aima la Poëfie ; mais à l’exemple de ces illuftres Evêques des premiers fiècles, il la rappela à fa première origine en la faifant fervir à la Religion. Digne rival de Lucrèce, il ne le prit pour modelle que pour le combattre avec plus de fuccès, & pour orner d’une pompe plus brillante le triomphe de la vérité.

 

Tels font les hommes que la France a vu fleurir, MESSIEURS, depuis votre établiffement. L’Académie, qui fembloit d’abord n’avoir d’autre objet que d’embellir notre Langue, devint bientôt, tribunal du goût & de la littérature.

 

A ce fignal, la nature, comme de concert avec vous, devenue plus féconde, fembla fe hâter de produire ces efprits fublimes qui devoient nous fervir de modelles. Quelquefois en entrant parmi vous, ils ne paroiffoient être que ce que font ces rares métaux, ces pierres exquifes que l’art n’a point mis en œuvre ; tout y eft précieux, mais tout y eft encore obfcur & enfeveli. Ces heureux génies polis par vos foins, ne tardoient pas à rendre l’éclat & le feu qu’ils cachoient ; devenus Maîtres, ils formoient des élèves dignes de les repréfenter. L’Académie en poffeffion d’appeler à elle les hommes rares, vit tous les talens fe reproduire dans fon fein. De-là, que d’avantages pour les Belles-Lettres ! L’érudition Françoife jufqu’alors inculte & fauvage, apprit à shumanifer ; elle devint modefte & raifonnable. La nature avec fa noble fimplicité, fi long-temps bannie des ouvrages d’efprit, reprit enfin fa première autorité ; elle fut regardée comme le tableau original d’après lequel il falloit écrire & parler. Plus d’enflure, plus de faux brillant. Il fut décidé que la faine raifon préfideroit au difcours, & qu’elle deviendroit le fonds & la bafe de fes ornemens & de fes graces.

 

Heureufe révolution pour les Lettres, mais plus heureufe encore pour les mœurs ! Car qui peut ignorer le crédit qu’a fur les hommes la politeffe, fuite inféparable de la culture des beaux arts ? Elle infpire le goût de l’ordre & des bienféances, & nous difpofe à aimer la vertu. L’onction s’infinua infenfiblement dans les cœurs. La France ainfi cultivée ne forma que des citoyens dignes d’elle ; votre établiffement, MESSIEURS, fit connoître aux hommes tout le prix de la fageffe & de la modération.

 

C’eft ainfi que vous avez rempli les vues d’un Miniftre qui n’en eut jamais que de grandes & d’élevées. Ce n’étoit pas affez pour lui de rendre la France redoutable par les armes & par les fuccès de fa profonde politique ; il vouloit encore qu’elle n’eût rien à envier aux plus beaux fiècles d’Athènes & de Rome, pour la politeffe des mœurs, & pour la perfection des arts.

 

Animé du même efprit, un illuftre Magiftrat, par fon eftime pour les Savans, & par fon affiduité à vos Affemblées, concourt à la rapidité de vos progrès, & vous rend dignes des regards de LOUIS LE GRAND. Ce Prince, qui connoiffoit fi bien la véritable gloire, ajoute aux titres les plus éclatans, celui de votre Protecteur ; & par-là vous affocie en quelque forte à cette immortalité fi juftement acquife à fes exploits, à fes vertus, & à toutes les merveilles de fon règne.

 

Qu’il eft heureux pour nous de voir revivre dans l’augufte héritier de fon Trône, le même zèle pour la Religion, la même affection pour les Lettres, le même amour pour fes peuples ! Vous le reconnoîtrez, MESSIEURS, cet amour paternel dans les propres paroles de ce grand Prince : elles font une expreffion vive & naturelle des fentimens de fon cœur.

 

Un ouvrage préparé pour l’inftruction d’un fils, l’objet de fes foins & de fa tendreffe, raffembloit fous fes yeux les guerres, qui fous les règnes précédens ont agité la France, & troublé l’Europe entière. Voilà, lui dit il, en l’inftruifant en père & en Roi, voilà bien des victoires ; mais suffi combien de fang répandu ! combien d’hommes perdus pour l’État ! C’eft à Dieu que les Rois en répondent. La guerre eft un fléau, même pour les vainqueurs ; & ils ne la doivent jamais entreprendre qu’elle ne foit & jufte, & néceffaire. Utile leçon, & qui devroit pour le repos du monde être à jamais gravée dans le cœur de tous les Souverains.

 

Mais quel ufage ne fait-il pas lui-même aujourd’hui d’une fi importante maxime ? Il ne prend les armes que pour affurer à la paix un règne éternel, & pour éteindre enfin le funefte flambeau de la difcorde, que l’ambition & la jaloufie ont tant de fois rallumé.

 

Vous, cependant, Nation puiffante & magnanime, qui avez reçu de nous votre Religion, vos mœurs & vos Loix, amie conftante de la France pendant une fi longue fuite de fiècles, & qui n’euffiez jamais ceffé de l’être, fi vous n’aviez été malgré vous entraînée dans des querelles particulières ; vous voyez dans votre fein, fans défiance & fans effroi, des armes étrangères, qui n’en veulent ni à vos Villes, ni à vos Provinces, & qui mettent toute leur gloire à rétablir vos droits & votre liberté. Non, MESSIEURS, l’Allemagne ne fera plus pour la France une Terre ennemie : rendue à elle-même, elle reprend pour nous fes anciens fentimens.

 

En effet, quel hommage plus glorieux pouvoit-elle rendre au Monarque François ? Quel témoignage plus flatteur de fa confiance, que de fe déterminer par fes confeils dans le choix important qui décide pour jamais de fon bonheur & fon repos

 

Un Prince qui nous eft uni par le Sang & par les traités, ami fidelle, même aux dépens de fes propres Etats, afpire à un Trône déja plus d’une fois & fi glorieufement occupé par fes illufIres ancêtres. LOUIS reconnoît fon attachement & fon zèle, mais il les reconnoît en Roi puiffant & généreux : il fait qu’il importe à  fa gloire, que les Nations foient inftruites qu’on ne l’oblige pas en vain. Il parle : auffi-tôt une brillante Couronne, l’objet de la plus noble émulation, devient, & le prix de fa reconnoiffance, & le fceau de la liberté Germanique.

 

Tels font les fruits de l’équité & de modération d’un Prince éclairé par la fageffe, & fecondé par les confeils d’un Miniftre dont l’ambition & les défirs ne tendent qu’à la félicité publique. Qu’eft-il befoin, MESSIEURS, de le louer ce génie bienfaifant, toujours modefte, toujours tranquille, lors même qu’il balance les droits des Souverains ? Les faits le loueront affez ; & fes fervices de jour en jour plus éclatans & plus utiles, juftifieront à la poftérité l’amour & la vénération des François, & la confiance invariable de fon Maître.

 

C’eft fous tant d’heureux aufpices que nous voyons croître un jeune Prince, dont les progrès attirent les regards & l’attention de toute l’Europe. Les qualités aimables dont la nature l’a orné, ont déjà prévenu tous les cœurs ; mais les fentimens de fon ame qui nous annoncent un Prince humain & bienfaifant, nous font de bien plus sûrs garants de ce que nous en devons efpérer. Oui, MESSIEURS, il fent déja tout le prix de l’affection des Peuples, & fe croit obligé de la mériter ; mais fur-tout il fe plaît à foulager les malheureux. Combien de fois l’a-t-on furpris jettant en fecret dans le fein des pauvres des fecours abondans, cachant avec foin la joie qu’il en reffentoit, & rougiffant des bénédictions & des vœux qui révéloient des bienfaits ? Combien de fois ne nous a-t-il pas avoué qu’il s’étoit fenti ému, attendri à la vue de ces hommes fouffrans ? Ils ne font pas, difoit-il, d’une autre nature que nous ; & les Princes ne font plus heureux que les autres hommes, qu’en ce qu’ils ont plus de moyens de leur faire du bien.

 

Quel préfage pour nous, MESSIEURS, de voir ces heureufes difpofitions cultivées par de fi fages mains ! Ce n’étoit pas affez pour un fi important emploi, d’une haute naiffance, & de cette valeur qui détermine la victoire ; il falloit encore que l’élévation des fentimens, l’auftère vérité, & l’amour de la Religion s’uniffent aux vertus militaires pour mériter la confiance de notre Monarque, & le dépôt de nos plus chères efpérances.

 

C’eft à la même fupériorité de lumières que nous devons le choix d’un Prélat, dont l’éloquence pleine de raifon & de folidité, touche également dans fes difcours publics & dans fes inftructions particulières. Que ne peut pas la douce perfuafion qui fait rendre l’étude aimable, & faire difparoître tout ce qui s’oppofe à fes progrès ; qui fait infpirer le goût des connoiffances utiles, dont la véritable fin eft de perfectionner la raifon en 1’attachant à la vertu ?

 

Mais quelque autorité que les Lettres ayent fur les efprits & fur les mœurs, c’eft d’un principe plus fublime que nous attendons l’accompliffement d’un fi grand Ouvrage. Vous le favez, MESSIEURS, c’eft à la Religion feule qu’il appartient de donner au monde des Princes felon le cœur de Dieu, & felon le cœur des hommes. Puiffent ces falutaires maximes jufqu’à préfent reçues avec docilité, s’imprimer de plus en plus, & ne s’effacer jamais ! Puiffe un fi précieux Elève fe former pendant une longue fuite d’années fous les yeux de fon augufte père, dans le grand art de rendre les hommes heureux !