Discours de réception de Honoré-Armand de Villars

Le 9 décembre 1734

Honoré-Armand de VILLARS

DISCOURS

Prononcé le 9 décembre 1734.

Par M. le Duc DE VILLARS, lorfqu’il fut reçu à la place de M. le Maréchal Duc de Villars fon père.

 

 

MESSIEURS,

C’eft à regret que je profite fi tard de la grace que vous m’avez faite. Dans ma longue maladie, j’ai reffenti comme un furcroît à mes autres peines, la néceffité de fufpendre les marques publiques de ma reconnoiffance. Cependant aujourd’hui que tout m’invite à la faire éclater, je me trouve humilié de l’honneur même que je reçois. Mon amour propre flatté de votre choix, eft effrayé par la difficulté d’y répondre. Lorfqu’il s’agit de parler de vous, & devant vous, je ne vois plus que vos talens, la gloire où vous daignez m’affocier, ce qu’elle fuppofe, ce qu’elle récompenfe, & ce qui me manque pour la mériter. Je fais cet aveu d’autant plus volontiers qu’il rehauffe vos faveurs. Il me fuffit de vous découvrir les fentimens qu’elles font naître, & je me flatte qu’à vos yeux le langage du cœur tiendra lieu d’éloquence.

Hé ! comment pourrois-je, MESSIEURS, même avec les fecours de l’art que je n’ai pas, m’occuper des foins de l’efprit, dans un moment & dans un lieu où tout retrace ma perte & renouvelle ma douleur ? Affis au milieu de vous, mes regards y cherchent encore celui auquel je fuccède ; mon amour & mon refpect ne s’accoutument point à nie trouver dans la place qu’il rempliffoit, & je ferai long-temps à n’apporter que des larmes où il apportoit tant de mérite. Pardonnez, fi dans un jour fi brillant pour moi, je m’abandonne à tous mes regrets ; vous-mêmes me jugeriez indigne de vos bontés, fi dans le temps que vous vous offrez à moi pour me confoler, je cherchois à oublier le fujet de ma trifteffe.

Je fai d’ailleurs que vous la partagez. Et n’eft-ce pas affez le dire, que de jetter les yeux fur le fils, feulement pour honorer la mémoire du père ? Tous les éloges dont ces lieux retentiffoient fi fouvent pour lui, font moins glorieux à fon nom qu’une indulgence fi marquée.

Oferai je pourtant le dire ? Si cette indulgence peut être méritée, il en étoit digne par fes fentiments pour vous. Flatté du titre que vos fuffrages lui avoient décerné, il le mettoit au rang des plus honorables dont il étoit revêtu. Admirateur de vos connoiffances, de vos talens, de vos ouvrages, il ne ceffoit d’en louer la variété, les graces & la force : fenfible aux charmes de vos entretiens, il ne connoiffoit de loifir aimable que celui qui le rendoit à vous ; ardent pour l’honneur des Lettres, étonné du progrès qu’elles vous doivent, que ne difoit-il pas de la grandeur & de l’utilité de votre établiffement ! Combien s’en accroiffoit à fes yeux l’idée de cette intelligence fublime qui vous donna au monde ! Occupé de la pratique des leçons de ce grand homme, frappé plus que tout autre de l’élévation, de l’univerfalité, de la fuite profonde fes vues, il ne le trouvoit pas moins digne de vos hommages quand il fondoit votre empire dans le fein de la Monarchie, que lorfqu’il affermiffoit l’autorité du Trône contre la révolte, qu’il défarmoit le Schifme, qu’il abaiffoit l’Autriche, & qu’il enchaînoit les Mers. Le Cardinal de Richelieu par ces prodiges de politique & de fageffe étoit infiniment utile à fa nation ; mais par votre établiffement il le devint à toute l’Europe. La vraie grandeur dans un peuple eft moins fa puiffance que la lumière qu’il diftribue. Rome par fes forces n’a été qu’un temps la maîtreffe du monde ; elle fubfifte toujours, elle l’inftruit encore par les écrits immortels qu’elle a produits.

Mais cet afcendant, ce privilége de l’efprit que Richelieu voulut donner à France, il n’eut que le bonheur de prévoir & fa perte alloit entraîner la vôtre, fans l’illuftre Seguier, qui ne fit que paffer lui-même. Vos deftinées demeuroient incertaines ; elles fe fixerent enfin, & il fe leva pour vous ce jour où vous n’eûtes plus à chercher de Protecteurs, où ce titre devenu trop grand pour qui ne régnoit pas, vous n’eutes plus d’autre appui que le Trône même, ni d’autre demeure que celle des Rois. Quelle gloire dans cette adoption ! Quel éclat elle répandit fur vous ! Mais quel éloge pour la main augufte qui daigna l’y répandre ! Et qu’il eft beau que le même Prince, l’admiration, l’amour & le père de fes peuples, ait été tout enfemble l’appui, le rémunérateur & le père des Lettres ! L’Europe entière voit tonjours avec plaifir l’hommage confiant que vous rendez à fes vertus, & la reconnoiffance également fidèle & ingénieufe qui vous infpire pour lui.

En vain cependant vous femblez épuifer à le louer, toutes les reffources de l’éloquence. Le fujet fe renouvelle en le traitant, & le portrait de LOUIS ne s’achevera jamais, quoiqu’on y travaille fans ceffe. Après tout, qu’importe que le génie en foit humilié ? La vraie reconnoiffance ne veut qu’honorer fon objet ; moins elle peut l’épuifer, plus elle eft contente. Continuez donc, MESSIEURS, de célébrer le Héros qui a pour jamais affuré le repos des Sciences & le vôtr ; faites de plus en plus admirer & connoître à la poftérité les merveilles de fon régne ; peignez le Conquérant, le deftructeur de l’Héréfie, le Légiflateur de fes peuples, le Protecteur des Rois, le Pacificateur du monde. Ceux qui viendront après vous, trouveront encore affez de matière à leurs talens. Ils auront à le louer même de ce que l’avenir produira de louable ; il lui appartiendra, parce qu’il en aura donné l’exemple.

Que ne puis-je célébrer dignement avec vous la mémoire du meilleur des Rois !  moi qui lui dois tout ce que je fuis, & qui ne trouve que des traces de fes bienfaits dans la Maifon d’où je fors, & dans celle où je me fuis allié ; moi toujours excité par l’exemple d’un père comblé de fes graces, & (ce qui lui étoit le plus flatteur) honoré de fa confiance & de fon eftime. Il fut affez heureux pour exécuter une partie des hauts deffeins de cet invincible Monarque, & pour aider à la gloire de fes armes. Hé ! que ne pouvoit pas fon ardeur pour un fi bon Maître ! C’eft à elle qu’il attribuoit fes divers fuccès  ; elle a furvécu à la perte de ce grand Roi ; elle a ranimé les forces ; & les derniers inftans de fa vie, dévouée tant de fois au fervice de la Patrie, ont été confacrés à l’augufte Héritier du Trône & des vertus de LOUIS.

Déjà, MESSIEURS, ce Prince a rempli ce que vous attendiez de lui dès fes premières années ; ce que nous en promettoit le fage modérateur qui a cultivé fes qualités naiffantes, & qui depuis lui a fi heureufement infpiré fes vertus, le goût de la juftice & de la vérité, l’efprit de l’ordre, le refpect de la Religion. Vous avez chanté fous ce règne les douceurs d’une paix tranquille ; une matiére nouvelle s’offre aujourd’hui, publiez fes victoires & fes conquêtes.

Il n’appartient qu’à vous, feuls difpenfateurs de la vraie gloire, d’élever à la fienne un monument durable. Pour moi, partagé entre le bonheur de le fervir & celui de vous étudier, aprés les foins de mon zèle pour lui, mon occupation la plus douce fera de venir apprendre de vous à exprimer les fentimens de refpect & d’admiration qui lui font dûs. Heureux, fi dans l’ambition de lui plaire, mes efforts, é j’ofe le dire, un amour héréditaire, pouvoient contribuer un jour à la profpérité de fes armes, comme vos éloges à fa gloire. Si j’y parviens, j’aurai rempli le plus vif de mes défirs, & peut-être que par-là du moins j’aurai fu mériter ou juftifier l’honneur de votre choix.