Discours de réception M. Dupré de Saint-Maur

Le 29 décembre 1733

Nicolas-François DUPRÉ de SAINT-MAUR

M. DUPRÉ DE SAINT-MAUR ayant été élu par Messieurs de l’Académie Françoise à la place de feu M. L’EVESQUE DUC. DE LANGRES, Pair de France, y prit séance le Mardi 29. Décembre 1733. & prononça le Discours qui suit.

 

Messieurs,

Je me vois avec étonnement dans cette Auguste Compagnie. Quels titres m’y ont introduit ? Je n’en veux chercher d’autres que vos bontés ; elles me touchent plus que la gloire même à laquelle vos suffrages m’élèvent aujourd’hui.

Votre indulgence m’autorise à compter entre vous quelques amis ; permettez-moi, MESSIEURS, de m’en flater. Sans cette confiance oserois-je me présenter dans une Assemblée où l’amour des Lettres réunit avec tant d’éclat des Personnes recommandables par leurs talens, célèbres par leurs Ouvrages, illustres par leurs dignités ?

Tels furent, MESSIEURS, les Hommes rares qui formèrent votre Etablissement, & qui vous préparèrent les moyens de porter notre Langue à son plus haut point de perfection. Avant qu’ils parussent, l’enflure, l’affectation, les tours empruntés des Langues étrangères, & les citations amenées en foule pour faire briller un sçavoir inutile au sujet, passoient parmi nos Orateurs pour l’ame de l’éloquence. Nulle conduite dans les Ouvrages d’esprit ; un monstrueux assemblage de figures entassées sans choix en offusquoit toute l’ordonnance.

Ces ornemens prodigués ne satisfaisoient point la raison ; mais on étoit entraîné par l’exemple ; vos Ancêtres s’élevèrent : ils entreprirent d’étouffer ces informes productions d’une fausse Littérature ou d’une imagination peu réglée.

ARMAND, à qui rien n’échappoit, fut frappé du succès de leurs travaux. Ce sublime génie, semblable à ces intelligences qui président aux destins des Empires, comprit que ses vûës ne devoient pas se restreindre à remporter des victoires, à prendre des villes, & à conclure des traités. Il voulut encore que la France lui dût le goût & la politesse que viennent aujourd’hui chercher parmi nous les autres Nations.

Ses regards animèrent votre Société naissante : & bientôt vos Ecrits, modèles parfaits en tous genres, nous apprirent à ne reconnoître de beautés que dans l’accord de l’esprit & de la raison ; les ténèbres qui régnoient depuis plusieurs siécles se dissipèrent ; l’éloquence reprit son ancien lustre ; & les pensées qui sont en apparence le fond le plus libre que les hommes tiennent de la nature, commencèrent à s’assujettir aux régies.

SEGUIER votre second Protecteur soutint l’ouvrage de Richelieu : dès-lors vous vous fites un devoir d’immortaliser ces deux grands hommes ; vous leur rendez sans cesse hommage, & dans les louanges dont vous leur payez un tribut toujours nouveau, toujours varié, les ressources de votre esprit sont encore moins admirables, que la constance de vos sentimens.

Oui, MESSIEURS, la reconnoissance est la première loi que votre choix nous impose ; aussi les qualités du cœur, comme celles de l’esprit, sont-elles le vrai caractère de l’homme tel que vous le demandez, & tel que vous le formez. Vous les aviez trouvées, MESSIEURS, dans l’Illustre Prélat à qui j’ai l’honneur de succéder.

Je ne relèverai point ici l’éclat de sa naissance. D’autres motifs plus touchans pour Vous, déterminèrent vos suffrages en sa faveur ; on n’a point oublié que sa jeunesse annonça les dispositions les plus heureuses ; que l’étude paroissoit moins un travail pour lui qu’un amusement ; & qu’à peine sorti de l’enfance il sentoit toutes les beautés d’Homère & de Virgile.

A la lecture des meilleurs Ecrivains de l’antiquité profane, il joignit l’intelligence de la langue dans laquelle ont été dictés les Livres saints ; & la sécheresse de cette Langue ne lui ôta rien du brillant ni de la délicatesse qu’on admiroit dans sa maniére de penser & de s’exprimer.

Des talens si distingués lui méritèrent l’honneur de votre adoption : mais la douceur qu’il goûtoit dans vos exercices ne prévalut point sur les devoirs ; l’épiscopat vous l’enleva ; & sa résidence dans son Diocèse, où il s’ensevelit jusqu’à sa mort, consomme son éloge.

Plus j’envisage la supériorité de ses connoissances ; moins je me sens capable de reparer la perte que vous avez faite. Qu’aurois-je, MESSIEURS, à produire pour justifier un choix qui m’est si glorieux ? Seroit-ce la foible traduction du chef-d’œuvre de la Poésie Angloise ? Je ne m’aveugle point assez pour croire ce premier essay digne de Vous. Quand vous avez jetté les yeux sur moi, sans doute vous vous êtes souvenus de Monsieur de Valincour, & vous avez accordé au sang qui m’unissoit à lui, une place que vous n’aviez jusqu’à présent déférée qu’au mérite.

Heureux si j’acquerois dans vos entretiens cet aimable enjouement d’esprit qu’il tenoit de la nature, & cette majestueuse simplicité de stile qui donnoit de la force à ses discours, sans en écarter les grâces.

Un triste événement nous a privés du plus noble fruit de ses veilles. La gloire de LOUIS LE GRAND n’en souffrira point ; nos fastes peuvent périr ; les merveilles de son règne vivront éternellement : l’envie elle-même pourra-t’elle cesser de publier les actions d’un Héros qui fut tout ensemble, le modele, la terreur, & le soutien des Rois ?

France, ta splendeur est l’ouvrage de cet Auguste Monarque ; tu lui dois plus, tu lui dois un Prince dans lequel tu vois revivre toutes ses vertus ; son zèle pour la Religion, son amour pour la justice, sa tendresse pour ses peuples, & cette prudence consommée, qui dans l’âge des passions le rend aussi maître de lui-même qu’impénétrable dans ses secrets.

Déja ses armes victorieuses vengent les droits des Souverains, & la foudre tombe sur ses ennemis avant même qu’ils ayent pressenti l’orage qui les menaçoit. LOUIS, au milieu de ses triomphes conserve toujours sa modération ; l’unique objet de ses conquêtes est de nous ramener cette paix aimable qui fit si longtems ses plus cheres délices.

Quel vaste champ, MESSIEURS, pour exercer les divers talens que vous possédez ! Quel bonheur pour Vous de trouver dans la voix publique les Eloges que vous devez à votre Protecteur ! En exposant vos sentimens, vous devenez les interprètes de la Nation ; vous partagez ces sentimens avec elle ; mais les grâces dont vous les ornez vous les rendent propres.

Continuez, MESSIEURS, de transmettre à la postérité les louanges de ce grand Roi. Vous y joindrez celles d’un Ministre vertueux, modeste, équitable, occupé du bien public, négligeant sa propre grandeur, & qui dans le plus haut rang n’a d’autres richesses en partage que la confiance de son maître, & la vénération des hommes. Les sages principes par lesquels il se conduit n’ont jamais varié, & les sentimens qu’il a imprimés à notre jeune Monarque assirent notre félicité.