Discours de réception de Jean Bouhier

Le 30 juin 1727

Jean BOUHIER

DISCOURS

Prononcé le Lundi 30. Juin 1727.

Par M. le Préfident BOUHIER, lorfqu’il fut élû par Meffieurs de l’Académie à la place de feu M. DE MALEZIEU.

 

 

MESSIEURS,

Quelque flateufe que foit pour moi l’unanimité de vos fuffrages, je fens combien il m’eft difficile de juftifier les heureux préjugés, qui vous ont déterminés en ma faveur.

Elevé, à la verité, dans le fein des Mufes, mais de ces Mufes auftéres, qui ont fi peu de commerce avec les Graces ; occupé de ces études épineufes, fi propres à émouffer la pointe de l’efprit & à éteindre le beau feu de l’imagination ; éloigné enfin de ces climats fortunés, où eft le centre du bon goût & de l’urbanité Françoife, quel titre ai-je pour me trouver au milieu de vous ? Sur quoi pouvois-je afpirer à la récompenfe de ces hommes rares, qui par leur maniere de penfer, & de s’exprimer, toujours noble, toujours élegante, toujours lumineufe, nous, faififfent d’admiration, & qui font nés pour fervir de modéle à quiconque fe mêle de parler, ou d’écrire ?

Tel fut l’illuftre Confrere, dont vous regrettez fi juftement la perte, & dont je fuis fi peu capable de vous confoler. Il étoit de ces génies heureux, qui femblent également formés pour tout ce qui leur plaît d’entreprendre. Inftruit à fond des Langues fçavantes, il ne les regarda que comme un paffage à des connoiffances plus relevées. La carriere immenfe des Belles-Lettres, de l’Hiftoire, de la Philofophie, lui parut encore trope étroite pour s’y renfermer. Il entreprit de pénétrer dans toutes les parties des Mathématiques, & il y égala les plus grands maîtres.

Bientôt la réputation, qu’il s’acquit dans les Lettres, lui procura un plus grand luftre. Choifi pour contribuer à l’éducation d’un jeune Prince, il lui applanit le fentier efcarpé des Sciences ; il fçût lui faire trouver du plaifir dans un travail, qui paraît aux autres, fi plein d’amectume ; & il admira le premier en fon difciple ces lumiéres fuperieures, qui ont brillé depuis avec tant d’éclat.

Trouvant les mêmes difpofitions, dans l’augufte Epoufe de ce grand Prince, il la guida dans la même route. Il l’aida à perfectionner ce génie fublime, qu’elle avoit reçû de la Nature ; & lui infpira ce goût épuré, ce fçavoir délicat, l’étonnement de tous ceux qui ont l’honneur de l’approcher.

Enfin, dans tous les différens emplois, dont il fut chargé, il mérita, il conferva jufqu’à la mort la confiance de fes Maîtres ; moins refpectables, fi je l’ofe dire, par l’élévation de leur rang, que par la jufteffe de leur difcernement, & par la protection conftante, dont ils ignorent le vrai mérite.

Qui le croiroit ? L’application la plus férieufe, les méditations les plus profondes, ne diminuérent jamais rien de l’enjouement naturel, qui charmoit en M. de Malezieu. De la féchereffe des fpéculations Géométriques, il paffoit avec une facilité merveilleufe à l’aménité de la Poëfie, & du plus élégant badinage. Vrai Protée, fon esprit prenoit toutes les formes qui lui paroiffoient propres à l’inftruction, ou à l’amusement des autres. C’étoit l’homme de tous les talens, de toutes les focietés, de toutes les heures.

En adoptant un fi digne fujet, MESSIEURS, vous remplîtes parfaitement les vûes de ce fameux Cardinal, qui affûra le premier l’immortalité à cette célébre Compagnie. On fçait que Richelieu, dans le tems même qu’il travailloit fi efficacement à faire redouter l’Empire François, n’étoit pas moins occupé du foin de le faire aimer. Au milieu de ces résolutions hardies, qui portoient l’effroi chez nos Voifins, il fongeoit à leur faire goûter la politeffe de nos mœurs, & à les attirer à nous par la douceur de notre commerce, par les charmes de nos fpectacles, & par le goût exquis de la Nation pour ces Arts, dont le but eft de rendre l’homme en quelque maniére plus humain.

Il lui falloit des efprits propres à feconder ce noble projet. La France en poffedoit plufieurs. Mais ils étoient épars. Ils n’avoient entre eux, que peu de liaifon. Ils n’étoient point excités par cette louable émulation qui feule fait entreprendre les grandes chofes. Chacun cultivoit à part un petit canton de la Littérature. Faute d’un fecours mutuel, le refte demeuroit inculte, & abandonné.

ARMAND ofa tenter ce que firent ces anciens Héros, qui perfuadérent aux hommes de quitter la vie agrefte & folitaire, pour établir de douces & d’utiles focietés. Il raffembla les Muses difperfées. Il les engagea à réunir leurs accords, pour former ici ces concerts divins dont l’harmonie fe répand dans tout l’Univers. Et de-là cet inconcevable progrès des Lettres en moins d’un fiecle. De-là ces prodiges d’Éloquence, & de Poëfie, qui font devenus fi familiers parmi vous. De-là ce concours d’Étrangers, qui par leur empreffement à vous voir, à vous entendre, à lire vos ouvrages, vous rendent un hommage d’autant plus doux, qu’il est auffi volontaire, que légitime.

Votre premier Protecteur fut heureufement remplacé par un illuftre Chancelier, qui fçut concilier l’amour des Lettres avec celui de la Juftice. Sous lui Thémis fit une alliance éternelle avec les Mufes. Deflors on jugea que le Senat n’étoit point incompatible avec le Lycée. Deflors on reconnut que la gravité de la Magiftrature pouvoit être utilement tempérée par l’agrément de vos exercices. Animé par les exemples, que j’en ai devant les yeux, ne fuis-je pas excufable, de vouloir du moins les imiter, quoique je ne puis efpérer d’y atteindre.

Mais de quelle agréable furprife me fens-je frapper ? Je crois vous voir ; tems heureux, où le plus grand des Rois daigna prendre l’Académie fous fa protection, & même la placer aux pieds de fon Trône. Infpirés alors par la majefté de ces lieux, enchantés de fes actions immortelles, quels efforts ne firent point vos Ancêtres, foit pour égaler par leurs chants la gloire de fes conquêtes, foit pour procurer à ce Héros des délaffemens dignes de lui ? Quel tems peut jamais effacer la mémoire des Corneilles, des Defpréaux, des Racines, & de tant d’autres, qui ont marché fur les mêmes traces, & qui ont rendu notre fiécle égal à celui d’Augufte ?

Héritiers de tous leurs talens, enflammés du même zele, vous n’en ferez pas moins qu’eux, MESSIEURS, pour la gloire d’un jeune Roi, qui vous honore aujourd’hui des mêmes bontés. C’eft peu que la Nature l’ait orné des graces les plus brillantes. Le Ciel a verfé dans fon Fein les vertus les plus folides ; vertus, qu’un excellent Miniftre a cultivées avec tant de fuccès, & qui croiffant tous les jours fous fes yeux, nous annoncent un fi beau Régne.

Avec quelle joie n’admirions-nous pas les heureufes difpofitions de ce Prince pour la piété, pour la juftice, pour l’humanité, quand le deftin a fait éclater la preuve la plus fignalée de fa haute fageffe, & de fa parfaite modération ?

Je ne fçais quel démon jaloux de la paix dont jouit l’Europe, s’étoit flaté de la troubler. En vain toutes les Nations témoignoient un fincere éloignement pour la guerre. La Difcorde formoit de toutes parts d’affreux nuages, affembloit des armées formidables, & les faifoit marcher comme malgré elles. LOUIS auffî-tôt fe prépare à l’enchaîner. Déja le fang bouillonne dans les veines de ce jeune Lion. Déja nos frontieres font couvertes de fes bataillons nombreux. Déja nos Guerriers brûlent d’impatience de courir fous fes ordres dans la carriére de la gloire. Quel appas pour un Héros, à qui tout femble permettre les fuccès les plus éclatans !

Mais au milieu de ces préparatifs, l’interêt de fon Peuple defarme fon bras. Touché pour nous des horreurs de la guerre, il écoute les paroles de paix. Il faifit par bonté l’heureux moment de nous la procurer. Accoûtumé dès l’enfance aux confeils les plus fages, il nous facrifie généreufement les lauriers dont la Victoire s’apprêtoit à le couronner. Nul triomphe ne lui paroît comparable à la félicité de fes fujets.

Un feul point manquoit à la fatisfaction publique. Nous demandions au Ciel de recompenfer tant de vertus par une nombreufe pofterité. Nos vœux, MESSIEURS, feront bientôt exaucés. Que tout le Parnaffe retentiffe de vos cris de joie, & de vos riantes acclamations. Pouvez-vous jamais être plus noblement, plus agréablement occupés, qu’à célebrer le plus beau fang du Monde, & le plus aimable des Rois ?

Pour moi, fur qui déformais va réjaillir une portion de votre gloire, moins j’aurai droit de la partager, plus le reffentirai vivement le prix de la grace, dont vous avez bien voulu m’honorer. Une grace fi peu attendue, fi peu méritée, me paroîtra toûjours nouvelle. Je ne fçaurois m’oublier au point de ne vous pas reconnoître pour mes Maîtres ; ou, fi quelquefois je m’égare jufqu’à me croire votre Confrére, ce ne fera jamais MESSIEURS, fans me répéter à moi-même, & ce que je dois à vos bontés & ce qu’il me refte à faire pour tâcher de m’en rendre digne.