Réponse au discours de réception de Jean-Jacques Amelot de Chaillou

Le 25 août 1727

Jacques ADAM

RÉPONSE

De M. ADAM, alors Directeur de l’Académie Françoife, au Difcours prononcé par M. AMELOT DE CHAILLOU.

 

MONSIEUR,

II y a long-tems que l’Académie Françoife a jetté les yeux fur vous, & qu’elle vous a deftiné la place dont vous prenez aujourd’hui poffeffion. Vos vœux auroient été plûtôt fatisfaits, s’il lui avoit été permis, ou de les prévenir ou de s’étendre au-delà des bornes qui lui font marquées. Deftinée par fon Fondateur à perfectionner la langue & le goût de notre Nation, & à lui infpirer autant d’ardeur pour la fupériorité des Lettres, qu’elle en a toujours montré pour la fupériorité des armes ; elle porte fa vue de tous côtés, & tout ce qu’elle apperçoit de brillant & de propre à l’aider dans un deffein fi glorieux, elle brûle de l’acquerir.

C’eft ainfi qu’elle marche fans ceffe à fon but, & fi nous n’avons pas encore atteint à toute la perfection qu’elle s’eft propofée ; elle peut fe flater du moins qu’il n’y a point de Nation qui en ait approché fi près. En effet, quelle Langue vivante peut fournir fur toutes fortes de matieres autant d’excellens écrits que la nôtre ? La France a des Herodotes & des Platons des Sophocles & des Ménandres, des Anacréons & des Pindares, des Théocrites ; elle a même des Sapho. Et combien de grands Auteurs a-t-elle en des genres, que l’Antiquité n’a point connus ? Et fi l’on dit que notre barreau n’a point encore eu de Cicérons ni de Demofthenes, qu’on lui donne des Rois à accufer ou à défendre, & nous aurons bientôt des Philippiques à oppofer à celles d’Athenes & de Rome. A-t-on jamais écrit avec plus de pureté, plus d’exactitude, plus de nobleffe ? Quel fiécle a mieux connu que le nôtre le grand art de mêler toûjours l’utile avec l’agréable ? En quel tems a-t-on vu des ouvrages plus unanimement, plus conftamment, & j’oferai dire même, plus juftement applaudis, que ceux que nous voyons paroître de nos jours ?

Loin donc ces fombres & triftes pronoftics qui nous annoncent la décadence des lettres, & le régne prochain de la barbarie. Une telle crainte eft injurieufe à la Nation, au jeune & fage Prince qui nous gouverne, & au Prélat incomparable, à qui fon éducation fut confiée. Ce grand maître lui a gravé au fond du cœur avec les femences de toutes les vertus, un amour immortel pour les Mufes ; mais pour les Mufes, filles du Ciel, qui confacrent leurs chants à faire aimer les Sciences & la vertu, & à immortalifer les Héros. Pour ces Sirenes homicides, dont la voix n’enchante que pour faire périr ceux qui l’écoutent ; elles n’approchent point du Trône de notre augufte Protecteur. Mais pourroit-il ne pas aimer ces Mufes pleines de fageffe, qui ont avec un foin fi tendre conduit & inftruit fon enfance ? Il les aimera toujours, n’en doutons point ; & ce que le Prince aime, peut-on craindre qu’il ne foit pas aimé ?

Raffurez-vous donc, amateurs des Mufes Françoifes, notre Parnaffe ne perdra rien de la gloire, l’Académie paffera auffi brillante à nos neveux que nous l’ont laiffée nos Ancêtres. A un rameau d’or coupé par la Parque, il en fuccedera toujours un, qui ne fera pas moins précieux ; la fécondité de l’arbre qui les produit, nous en répond.

Nous l’éprouvons aujourd’hui, MONSIEUR, l’acquifition que nous faifons, nous dédommage de ce que nous avons perdu. Mais que dis-je perdu ? Ce que M. de Nefmond eut de terreftre & de periffable, vient, il eft vrai, de difparoître à nos yeux : mais fon mérite & fes vertus vivront toujours dans notre mémoire, & feront partie du tréfor de l’Académie. Son nom fera toujours cher à la France, il a été long-tems la terreur de fes ennemis par les victoires maritimes, qu’un fiecle de notre illuftre Prélat a remportées fur eux, ou feul, ou avec ces autres Neptunes François, dont la valeur a fait le prodige d’un fiécle accoûtumé à voir des Héros.

Mais fi ce guerrier fameux a bien fervi la Patrie contre les ennemis du dehors. L’Archevêque de Touloufe ne l’a pas fervi moins utilement contre d’autres ennemis d’autant plus dangereux qu’elle les portoit dans fon fein. Ce digne Succeffeur des Apôtres a éclairé & édifié une grande Province, où l’erreur ofoit encore fe montrer avec un front menaçant. Il a ramené ou rapporté au bercail avec une charité douce & patiente toutes ces brebis égarées. Il n’a d’ailleurs negligé aucune partie du troupeau qui lui étoit confié : Mais la portion la plus chere à fon cœur ont été les pauvres. Comme il foûpiroit fans ceffe vers les Tabernacles éternels, & qu’il avoit appris de la verité même que le droit d’y introduire, appartient aux pauvres, il n’a rien oublié pour s’en faire des amis, il a partagé fes biens avec eux, tant qu’il a habité cette terre d’exil, il leur en a laiffé la poffeffion entiere, lorfque Dieu l’a appellé à la patrie des Elus. Sa pieté au refte n’avoit rien de trifte ni de farouche : jamais homme ne fut plus liant, plus poli, plus propre à la focieté & à ce commerce fi doux, que forment les lettres & la vertu entre ceux qui les aiment : Grand maître d’ailleurs dans l’art de la parole, & qui dans fes difcours fçavoit admirablement réunir la douceur avec la force, la grace avec la majefté, les beautés naturelles avec tout ce qu’un art délicat y fcait ajoûter d’ornemens. Quand il a eu à parler au Souverain, il l’a fait avec toute la fageffe & toute la dignité, qui convient à un Miniftre du Roi des Rois ; il a fçû allier l’amour du Sacerdoce avec l’amour de l’Empire ; il a foûtenu les intérêts de Dieu fans bleffer ceux de Céfar, il a refpecté les bornes de l’une & de l’autre Puiffance, Pontife plein de zele pour l’Eglife, Sujet plein d’amour, & de fidelité pour fon Prince.

Tels furent les talens de l’Académicien illuftre à qui vous fuccedez : Ceux que nous retrouvons en vous, MONSIEUR, quoique d’un genre different rempliront parfaitement le vuide qu’il a laiffé. Nous fçavons que les Lettres ont toujours fait vos délices ; que les Mufes Greques & Latines vous font auffi familieres que les Françoifes ; que l’étude de la Jurifprudence & des Mathématiques, dont vous avez percé toutes les obfcurités n’a point rompu ce commerce aimable, & que dans vos emplois les plus pénibles, votre amour pour elle a toujours fçû leur ménager du tems, fans rien prendre fur celui que vous deviez au Public. Nous voyons bien que vous ne les avez pas aimées gratuitement. On reconnoît leur langage, dans ce difcours fi fleuri, que vous venez de prononcer, qui feul juftifieroit nos fuffrages, quand votre merite feroit tout à fait inconnu. Mais il y a long-tems qu’il a paru & fur un théatre fameux. Votre conduite a Rome a fait connoître que vous pourriez au befoin foûtenir les prérogatives de la Couronne, avec autant de courage que l’illuftre Barillon votre Ayeul, & ce Miniftre habile, qui a rendu votre nom celebre dans les Cours les plus déliées de l’Europe, & qui vous avoit affocié à une négociation délicate, reconnut deflors que rien n’étoit audeffus de votre capacité. Il en donna depuis un témoignage public, lorfqu’en vous envoyant au feu Roi, il vous remit la conduite de la grande affaire, dont il étoit chargé : témoignage d’autant plus honorable pour vous, que vous étiez dans un âge dont le feu pour l’ordinaire s’allie mal avec le phlêgme de la prudence. Votre féjour de la Rochelle a développé d’autres talens. Vous avez fçû conferver le calme dans le canton du monde le plus orageux, vous avez entretenu l’union dans l’azyle éternel de la difcorde. Vos louanges y font encore aujourd’hui unanimement publiées par des voix peu unanimes fur le refte : Preuve éclatante non feulement de votre droiture & de votre integrité, mais encore de votre talent à vous concilier les efprits.

Tant de lumiere ne pouvoit échaper aux yeux de ceux qui travaillent avec autant de fuccès que de fageffe à réparer les bréches de l’État : attentifs à raffembler auprès d’eux tout ce qui peut les aider à avancer ce grand ouvrage, ils vous ont appellé pour partager avec vous un fardeau fi noble. Que ce jugement vous eft glorieux ! Qu’il eft doux à un cœur comme le vôtre de fe voir affocié à un travail, qui a pour but la félicité publique ! Mais qu’il eft doux au public de voir fes intérêts en des mains fi pures : Il eft vrai que ces foins importants ôteront à nos Affemblées une partie des fecours qu’elles pourroient tirer de vos lumieres ; mais fi la République a vos travaux, l’Académie aura vos délaffemens. Nous en avons pour garans, & votre inclination pour nous, & l’exemple de ce grand Cardinal, né pour le bonheur de la France. Cet Hercule infatigable, fur qui le Ciel femble fe repofer de nos deftinées, au milieu de fes travaux glorieux, ne nous oublie point : Il vient de tems-en-tems faire briller parmi nous cette vertu refpectable, qui vient d’enchaîner le démon de la difcorde, & d’arrêter la paix fur la terre. Ce prodige qui eft encore préfent à nos yeux, la pofterité le croira-t-elle ? Toute l’Europe ne refpire que la guerre, les armées marchent de toutes parts, les provinces expofées font dans l’effroi, un déluge de fang paroît à peine fuffire pour éteindre l’embrafement qui s’apprête, cet Ange de paix fe montre, le calme revient ; il parle, toute la terre l’écoute : projets, haines, intérêts, tout eft fufpendu. Sa parole inviolable répond à tous les peuples de leurs droits. Confiance fans exemple : mais digne pourtant de la vertu, qui la fit naître.

LOUIS, qui connoiffez feul tout ce que vous devez à un fi digne Miniftre, & qui vous acquittez envers lui, en rendant vos peuples heureux : Suivez, fuivez toujours des confeils, qui vous ont acquis tant de gloire ; ils vous ont rendu le Tite de notre fiecle, les délices du genre humain. Quel Souverain fe vit jamais à votre âge l’Arbitre de tous les Souverains, & le Pacificateur du monde Chrétien ? Que de Villes, que de Provinces, que de Royaumes peut-être vous venez de garantir d’une ruine prochaine : Fut-il jamais victoire fi pure, fi heureufe, fi brillante ?

Aimez à vaincre ainfi, Héros pacifique. Il eft difficile qu’un grand Roi faffe trembler fes voifins, fans faire gemir fes Sujets. La juftice eft le grand foûtien des Etats, & le gage le plus certain de leur durée. Que la Justice donc foit la régle de tous vos projets, que votre attachement inviolable pour elle faffe la confiance de vos voifins, que ce foit un frein pour les ambitieux, & une reffource pour les foibles. La Paix eft fœur de la Juftice, & de leurs baifers chaftes, mais feconds, naiffent tous les biens, qui font la fplendeur des Etats, les bonnes loix, les Sciences, les Arts, la multitude du Peuple, l’état floriffant du commerce, la culture des terres, l’abondance des richeffes naturelles : quel charmant fpectacle pour un bon Roi que de rencontrer par tout fur fon paffage une foule innombrable de Citoyens contens, qui le comblent de bénédictions & qui par leur empreffement à le voir, & par des vifages pleins de joie rendent également témoignage de la félicité des peuples, & de la fageffe du Souverain.

Les Champs d’Arbelles & d’Iffus n’offrirent rien de fi doux à Alexandre : Quel fruit tira ce Conquérant de toutes fes victoires, & de tant de fang répandu. Redouté de tous les Potentats, haï des Grands de fon Royaume, victime enfin de leur perfidie, il périt à la fleur de fon âge, fans voir d’héritier qui pût s’affeoir fur ce Trône formé des débris de l’Univers. Ces grands fléaux de la terre font tour à tour les inftrumens & les objets de la vengeance celefte. Mais un Roi qui craint Dieu n’a rien à craindre des hommes, fon peuple l’adore, l’étranger le refpecte, le bras du tout Puiffant le foûtient ; l’éternité eft promife à fon Empire, & à fa pofterité facrée.

Cette grace que vous promîtes à David ; accordez-la, Seigneur, à notre jeune Salomon. Vous nous avez rempli de joie par les premiers fruits, dont vous avez béni fon hymen : mettez-le comble à ce bienfait, en nous donnant un Dauphin. Que de vœux s’élevent vers vous pour l’obtenir ! La France, l’Eglife, cent Peuples afpirent à voir le jour de cet enfant précieux, de ce Prince de paix, de ce défiré de tant de Nations. Formez Seigneur, formez bientôt dans le fein de MARIE notre augufte Reine ce rejetton de tant de Rois. Puiffe-t-il reffembler au grand Saint que nous honorons en ce jour, & n’être pas moins l’heritier de fes vertus que de fon fang & de fon Trône.