Réponse au discours de réception de Charles-Jean-François Hénault

Le 23 décembre 1723

Charles-Jean-Baptiste FLEURIAU de MORVILLE

Réponse de M. le Comte DE MORVILLE, Miniftre & secretaire d’Etat, au Difcours prononcé par M. le Préfident HENAULT,

 

MONSIEUR,

C’eft le fort des honneurs mérités, de flatter autant ceux qui les accordent, que ceux qui les reçoivent. L’Académie vous a rendu defirs pour defirs, & vous avez trouvé qu’elle vous attendoit, quand vous avez paru la chercher. Elle a fait plus : j’ofe croire qu’elle vous a fervi felon vos fouhaits, en me chargeant de vous parler en fon nom, & qu’un devoir acquitté par l’amitié eft pour vous le plus agréable de tous.

Il y a long-tems MONSIEUR, que votre amour pour les Lettres eft celebre dans cette Compagnie ; les applaudiffements que vous y recevez aujourd’hui ne vous font pas inconnus ; vous y devez être accoutumé & vous les avez obtenus dans un âge auquel on feroit un mérite d’en concevoir l’efpérance. Tant de talens foutenus, ou plutôt rendus utiles par des qualités plus précieufes encore, par la douceur de vos mœurs, par la fûreté de votre commerce, par la conciliation que vous apportez aux affaires, par la pénétration auffi vive que réfléchie, dont vous les démêler, par l’attention que vous avez, & qui eft fi neceffaire, en perfuadant les autres de leur laiffer croire que vous ne penfez que d’après eux : enfin, par tout ce qui réconcilie les hommes de mérite avec ceux qui pourroient en être jaloux ; voilà ce qui fait fouhaiter vous avoir pour Confrere, &, fi j’ofe parler de moi, voilà ce qui rend votre amitié fi défirable.

Il feroit inutile de vous apprendre quelles font les occupations de l’Académie ; vous connoiffez trop bien l’objet de fon établiffement, pour ne nous pas aider à le remplir, MONSIEUR, nous fervira encore mieux de quelle utilité eft le commerce de l’efprit.

 

Celui auquel vous fuccedez faifoit de ce commerce les délaffemens les plus doux ; tout ce qui portoit cette marque lui étoit cher. C’étoit, comme vous l’avez dit, une reconnoiffance dont il ne rougiffoit point de s’acquitter envers les Lettres, qui s’étoient plû à faire voir dans fa perfonne de quoi elles étoient capables. L’art de concilier les intérêts divers, celui de réunir les hommes en les rendant utiles les uns aux autres, l’amour de la paix, les foins pour la procurer ; c’eft ce qui avoit mérité à M. le Cardinal du Bois, les bienfaits d’un Prince en qui toutes ces qualités étoient dans le degré le plus éminent, & qui fembloit n’avoir montré tant de fois à toute l’Europe fon amour pour la gloire, & l’éclat de tant de Vertus guerrieres, que pour les facrifier à notre bonheur & à notre repos.

Un facrifice fi pénible à fon cœur méritoit bien qu’il en pût jouir plus long-tems ; mais ce Prince nous échappe, il n’eft déja plus ; & la France en pleurant fa perte pleureroit celle de fon bonheur, fi elle n’étoit pas inépuifable en reffources, & fi fa reffource n’étoit pas toujours dans les Princes. Celui que l’on voit aujourd’hui chargé des foins du Gouvernement, promet à notre Roi, dont l’éducation lui fut confiée, des exemples de juftice, de courage & de vérité. Quelle inftruction peut être plus digne d’un Monarque, & plus utile pour la félicité de fes peuples ? Déja des qualités auffi rares à fon âge, étonnent ceux à qui il fe communique. Le ferieux des affaires ne le rebuta point ; le fecret femble né avec lui : ceux à qui dans les heures de fes amufemens, il permet moins de contrainte, & qu’il fouffre devenir prefque fes égaux, retrouvent bientôt leur maître, quand il eft rendu au Public ; enfin, pour tout dire, il rendra à nos neveux le grand Roi que nous avons perdu.