Réponse au discours de réception de Jean-Baptiste Surian

Le 12 mars 1733

Antoine DANCHET

RÉPONSE

De M. DANCHET, Chancelier de l’Académie, au Difcours de M. l’Evêque de Vence.

 

MONSIEUR,

Ce jour pouvoit être encore, & plus flatteur pour vous, & plus intéreffant pour le Public.

Lorfque l’Académie vous préparoit fes fuffrages, le fort qui nomme toujours nos Officiers, avoit femblé confpirer à rendre votre réception plus brillante.

Il avoit mis à la place que je fuis forcé d’occuper, un de nos plus illuftres Académiciens, ce Magiftrat, l’auguffe Chef du premier Parlement, ce Magiftrat auffi diftingué par la réputation de fon éloquence, que par l’éclat de fa dignité.

Si fes occupations lui euffent permis de vaquer à nos fonctions particulières, quel fpectacle plus touchant que de voir deux Orateurs applaudis tant de fois, l’un dans la chaire de la vérité, l’autre dans le temple de la Juftice, fe réunir en cette affemblée, & couronner, à l’envi, le tombeau du digne Confrère que nous regrettons ?

De votre part, MONSIEUR, avec quel fuccès venez-vous de remplir ce devoir ?

Pour ajouter de nouvelles couleurs aux vives images que vous avez tracées, il me faudroit les talens de celui que je ne puis dignement remplacer ; je me bornerai donc à exprimer les fentimens de nos cœurs.

L’affliction dont ils furent pénétrés en apprenant la mort de M. l’Évêque de Retz, a fait fon premier éloge. Dans des pertes fi confidérables, les expreffions de l’éloquence n’égalent point le filence de la douleur ; & ce que je ne crains pas de dire, c’eft que la nôtre, en cette occafion, a été telle, que l’Académie s’eft comme retrouvée au temps qu’elle perdit fes premiers Protecteurs.

A qui, en effet, devons-nous des larmes ? N’eft-ce pas au petit-neveu du Cardinal de Richelieu, l’auteur de toute notre gloire ? N’eft-ce pas au petit-fils du Chancelier Seguier notre fecond Protecteur, qui, dans les plus vives allarmes, ranima nos efpérances, en recueillant les Mufes éperdues.

Si la vénération & la reconnoiffance pour ces grands hommes nous rendent fi chères leurs images, que nous en faifons un de nos plus beaux ornemens, jufques dans le Palais de nos Rois : quel charme ne trouvions-nous pas à voir parmi nous, fe perpétuer dans leur poftérité, ce même amour pour les Lettres & pour les Arts, ces fentimens fi relevés & fi utiles, que jamais nous ne faurions, ni trop aimer, ni trop admirer ?

Quand les Graces & les Mufes d’intelligence s’applaudiffent d’avoir formé, pour enrichir cette Compagnie, un génie vif & brillant[1], qui verfe tant d’agrémens fur nos occupations toutes les fois qu’il paraît dans nos affemblées ; digne Académicien, Confrère aimable, qui foutient le nom de Richelieu, ce nom auffi précieux à l’Académie, qu’il fut glorieux à la France : pourquoi faut-il que nous n’ayons pu conferver en même-tems l’héritier du Sang & des rares qualités de Séguier ?

Qui ne fait le droit héréditaire que l’ancienne Maifon du Cambout avoit dans notre Compagnie ? N’y a-t-on pas vu fe fuccéder le père & les deux fils ? Eh ! quel contentement d’avoir vu en ces trois occafions, le public regarder nos élections, moins comme un retour de gratitude que comme une preuve de difcernement, & une fuite de cette juftice que nous rendons toujours à l’efprit, au goût, à l’érudition, au mérite perfonnel, quand même il feroit dénué des titres pompeux, qui trop fouvent emportent ailleurs la préférence !

Quel fonds de ce mérite perfonnel M. l’Evêque de Metz ne nous avoit-il pas apporté ?

Vous avez peint en lui, MONSIEUR, & quel autre pouvoit mieux s’en acquitter ? Vous avez peint ce qui caractérife un grand Evêque, une piété folide & fans fard, un zèle éclairé & fans fiel, une vigilance fans interruption, une charité fans bornes. L’Orateur Chrétien trace aifément les vifs & riches portraits de ces vertus fublimes, lorfqu’il en eft lui-même un excellent modèle.

Pour moi, je ne dois envifager que l’homme de Lettres & le Citoyen ; encore fous l’un & l’autre de ces titres, M. de Metz ne méritoit-il pas un Panégyrique plus éloquent ?

Né avec les avantages d’un efprit vif, d’une pénétration prompte, d’un jugement exquis & d’une mémoire fûre ; il joignit dès l’enfance à ces heureux dons de la nature, des fecours d’éducation plus heureux encore.

A l’étude des fciences, il joignit, ce qui en relève le prix, l’art de bien dire. Perfonne ne connoiffoit mieux le génie & la délicateffe de notre langue, perfonne ne la parloit & ne l’écrivoit avec plus de pureté & plus de précifion. Eh ! faut-il en être étonné ? Prefqu’au fortir du berceau il avoit été en quelque forte Académicien. Armand du Cambout fon père, premier Duc de Coiflin, vécut affez long temps dans l’Académie pour en devenir le Doyen ; fa maifon n’étoit-elle pas le rendez-vous de tout ce que la France avoit alors de rares génies, d’Auteurs admirés par les talens & refpectés par les mœurs ? Poëtes, Orateurs, Hiftoriens, tous y étoient reçus avec les diftinftions dûes aux différens mérites. C’étoient les premiers Inftituteurs des petits fils de Séguier ; chacun fe faifoit un plaifir de former ces dignes élèves, qui fur les traces de leurs ancêtres, devoient à leur tour foutenir l’empire des Lettres. C’eft dans ce commerce fupérieur à toutes les leçons, que M. de Metz avoit puifé ce langage qui donne de la force aux penfées, ce goût fin qui décide des ouvrages d’esprit, cet air naturel & enjoué qui fait le charme de la fociété.

Attaché à la Cour, & par fa naiffance, & par la charge de premier Aumônier, il y porta jeune encore ces manières polies que les autres s’efforcent d’y acquérir ; il n’eut qu’à fe préfenter pour fe faire applaudir. La corruption y refpecta fon cœur ; ennemi déclaré de la flatterie, zélé partifan de la vérité : fi quelquefois il la paroit de fleurs, ce n’étoit que pour la rendre plus aimable, & pour lui donner plus de crédit en des lieux où trop fouvent elle eft regardée comme étrangère. Jamais, peut-être, courtifan n’eut-il avec fon maître des entretiens plus libres, & en même-temps plus refpectueux. Que ne fied-il pas de hafarder, quand tout part d’un fonds fi louable, & fi préfente fous une forme fi riante ?

Affocié à nos travaux, combien de fois nous fit-il fentir la folidité de fon efprit, & l’étendue de fes connoiffances ? Il nous aimoit ; l’un de fes plus chers plaifirs étoit de commercer avec nous ; & fi les devoirs qui l’appelloient auprès de fon Roi, ou parmi fes Diocéfains, ont jamais pu lui coûter des regrets, c’eft en penfant qu’ils l’arrachoient à la douceur de nos exercices.

Voilà, MONSIEUR, une légère ébauche de l’homme de Lettres ; mais de quels traits peindrai-je le Citoyen ?

A confidérer ce nom par la jufte idée que les Grecs & les Romains y avoient attachée, il renferme feul le plus parfait éloge des Héros qu’Athènes & Rome ont le plus exaltés. La définition du vrai Citoyen étoit, felon eux, de mettre la grandeur dans la vertu, de ne reconnoître d’autre gloire que celle de la Patrie, & de ne trouver de bonheur que dans la félicité publique. Si ce nom peut encore chez les François conferver toute la force, qui jamais dans toutes fes acceptions l’a mieux mérité que M. de Metz ?

Suivons le dans la Province confiée à fes foins, au fein d’une Ville dont il fut les délices, & dont il fera toujours l’admiration. Quelle foule de vertus l’accompagne ! Tendreffe pour fon troupeau, affabilité pour fes inférieurs, fermeté pour fes devoirs, fidélité pour fes amis, attention à leur marquer des égards fans vouloir en exiger. Qualités, qui le rendiez fi aimable, je devrois célébrer tout le pouvoir que vous aviez fur fon cœur, & que vous lui donniez fur celui des autres ; mais de plus fingulières merveilles m’entraînent.

Laiffez-moi le contempler à la tête des Citoyens, plus par l’élévation de fes fentimens que par celle de fon fang. Pour avoir part à fon amitié & à fon eftime, c’eft affez de contribuer en quelque forte à la gloire du Prince & au bien de la Nation. Son Palais, fa table, fes tréfors font ouverts au mérite de toute efpèce. Quel accueil fait-il à ces Guerriers que le fervice retient fur nos frontières, toujours prêts à répandre leur fang pour l’Etat ! Il les recherche avec empreffement, il les reçoit avec nobleffe, mais fans faste ; s’il fe porte à des magnificences, c’eft quand des fecours ordinaires feroient trop au-deffous des befoins.

Eh ! fur combien d’objets, en combien de formes une charité auffi ingénieufe qu’étendue, trouve-t-elle le fecret de fe communiquer ? Des Communautés entières foutenues par fes libéralités ; de Saints Monaftères les un relevés de leurs fatales pertes, les autres enrichis de nouveaux fonds ; des Maifons de refuge, pour réprimer le libertinage, dont l’exemple allarmeroit la pudeur & corromproit l’innocence ; des Hôpitaux deftinés à ces malades que la misère accable autant que les infirmités ; des Séminaires ouverts à une pieufe, mais pauvre jeuneffe dévouée au miniftère des Autels ; autour de cette Place[2], dont le nom eft fi cher à tout un peuple, de vaftes édifices pour y contenir les troupes dans l’exacte difcipline, & pour affurer aux Habitans la tranquillité domeftique. Quels plus dignes emplois, foit de fes revenus, foit même de tes fonds ? Ces dépenfes qui feroient honneur à des Souverains, ne font-ce pas autant de monumens qui éterniferont la mémoire du dernier des Coiflins ?

C’eft pourtant cette renommée, c’eft ce concours de louanges que fon cœur redoutoit le plus. Quand fa main répandoit des largeffes, quelle attention à fe cacher ! combien de familles infortunées rétablies dans leur fplendeur ! combien de perfonnes de toute condition maintenues dans leur état par des penfions annuelles ! Aujourd’hui dans l’amertume des larmes, elles n’ont d’autre confolation que de publier ce qu’elles étoient forcées d’enfevelir dans le filence, par la crainte d’offenfer leur bienfaicteur.

Vous avez fu, MONSIEUR, faire fentir au milieu de tant de vertus, ce qui leur donne le plus beau luftre, en remontant jufqu’à leur véritable fource. C’étoit à vous de les rechercher dans le fonds d’une religion, qui, même des moindres actions des hommes, fait faire des œuvres dignes de Dieu ; c’étoit à vous de mettre le comble à la gloire de votre prédéceffeur, comme c’eft auffi à vous de nous adoucir fa perte.

Enfin, MONSIEUR, nous vous voyons dans une place où nos défirs vous demandoient depuis long-temps, & lors même qu’il ne nous étoit pas permis de vous y admettre.

Au milieu des applaudiffemens que votre élection nous attire aujourd’hui, ne craignons pas de rappeler les reproches que vous nous avez fait effuyer ; ils vous ont fait honneur, mais fans nous bleffer.

Pendant le cours de vos travaux évangéliques, lorfque nos Temples retentiffoient de vos louanges, vos Auditeurs fortant également édifiés des faintes vérités, & touchés de votre éloquence, fe plaignoient à nous de ne pas trouver votre nom fur nos liftes, au nombre de ces fameux Miniftres de la parole de Dieu, qui ont autant illuftré l’Académie, qu’inftruit l’Eglife. Alors, pour répondre à leurs plaintes, nous étions forcés de citer nos réglemens et nos ufages. Votre vertu contente de fe rendre utile, fans en vouloir d’autre récompenfe, s’étoit renfermée dans une Congrégation refpectable à la vérité, & qui tant de fois a formé de célèbres Prédicateurs & de faints Prélats ; mais où les Statuts de l’Académie Françoife ne nous permettent pas de chercher des Confrères : heureufement pour elle, comme pour la Religion, celui que nous avons l’honneur d’appeler notre Protecteur, a écarté les barrières qui vous féparoient de nous, & en vous élevant à l’Epifcopat, nous a mis en droit d’affocier votre gloire à la nôtre.

Votre modeftie, MONSIEUR, vous avoit-elle perfuadé que vous auriez la liberté de vous cacher toujours dans une retraite ? Le pouviez-vous croire, fous le règne d’un Prince jufte rémunerateur du mérite, d’un Prince que la Sageffe a pris foin d’inftruire, & qu’elle ne ceffe d’éclairer dans les occupations du Gouvernement ! N’eft-ce pas elle qui lui fait connoître que la vertu eft d’autant plus digne des récompenfes qu’elle les défire moins ; qui lui montre à difcerner les fujets & à les honorer des places qu’ils peuvent honorer eux-mêmes ? N’eft-ce pas par les confeils de cette même Sageffe que la France goûte les douceurs d’une longue paix, que les Mufes s’applaudiffent de la plus glorieufe protection, & que vous en particulier, MONSIEUR, vous êtes monté à ce rang où les plus fignalés talens deviennent plus importans, & à la fanctification des peuples, & à l’accroiffement de la Religion ? mais en même temps combien deviennent-ils honorables à cette Compagnie !

Vous y entrez, MONSIEU, comme en triomphe, couvert de palmes d’une nouvelle victoire, fuivi d’acclamations fi récemment méritées par l’éloge d’un Monarque, qu’il étoit d’autant plus difficile de bien louer, qu’il offroit plus de différens fujets de louanges ; mais qui indépendamment de fes divers exploits, ne peut être trop cher à la France, depuis que fon Sang uni au Sang de nos Rois, nous adonné le plus vertueux des Princes & le plus aimable des Maîtres.

Chargé de foutenir la renommée de ces Panégyriques dûs au plus fameux Perfonnages, vous venez à nous, MONSIEUR, fur les traces des Poncets, des Fléchiers, des Boffuets. Quelle raifon de nous applaudir ! quel motif de placer votre nom à la fuite de ces noms qui font un éternel honneur à l’Académie !

 

[1] M. Le Duc de Richelieu.

[2] Place de Coislin où font bâties les cafernes.