Discours sur l’utilité des académies

Le 27 mai 1675

Paul TALLEMANT le Jeune

Discours de l’utilité des Académies, prononcé le 27 Mai 1675, par Mr. l’Abbé P. TALLEMANT le jeune.

 

MESSIEURS,

IL y a eu dans tout le cours des siècles peu d’assemblées de gens de lettres, qui aient paru sous le nom d’Académies. La première a été chez les Grecs, instituée par Platon, qui dans un lieu agréable aux portes d’Athènes, rassembla les plus habiles Philosophes de son temps pour conférer des plus épineuses questions de la Philosophie. La seconde a été chez les Romains, et Cicéron fut celui qui prit soin d’orner un lieu solitaire auprès de Rome, et c’est de là même que sont sortis ces beaux livres Académiques, et quelques-uns de ces traités que nous admirons encore tous les jours. On a vu dans nos derniers temps plusieurs autres Académies ; mais sans prétendre rien diminuer de l’estime qui leur est due, je compte pour la troisième l’Académie Française, instituée, sous l’aveu du Roi Louis Le Juste, par le Grand Cardinal de Richelieu. Souffrez, MESSIEURS, que je remarque en passant les glorieuses circonstances de ces illustres Académies, instituées par les trois plus grands génies que l’on ait vu naître parmi les hommes, florissantes dans les trois siècles du monde les plus beaux et les plus renommés, et immédiatement suivies du règne des trois plus grands Héros qui aient paru sur la terre. Quels instituteurs, Platon, Cicéron, Richelieu ! Quels disciples ! En Grèce, les Xénocrates, les Polemons, les Speusippes, les Aristotes : à Rome, les Pisons, les Luculles, les Hortenses, les Varrons : en France, les Balzacs, les Vaugelas, les Racans, les Voitures. Quels siècles ! Athènes florissante, Rome au sommet de sa gloire, la France triomphante. Quels. Princes, ou plutôt quels Héros enfin ont paru dans ces temps si remarquables ! Alexandre, Auguste, Louis. C’est ainsi qu’il semble que lors que les Lettres ont été dans le plus haut degré de leur élévation, elles ont nécessairement amené avec elles tout ce que la terre pouvait produire de plus merveilleux, et ont été accompagnées de tout ce qu’il pouvait y avoir de plus éclatant dans le monde ; ou plutôt, c’est ainsi que lors que le Ciel méditait de donner de grands Héros à la terre, il en préparait l’arrivée par un amas brillant de génies admirables dans tous les Arts et faisait précéder leur venue par de nouvelles lumières, qui semblaient venir par avance éclairer les lieux où ces grands hommes devaient paraître, pour rendre ces lieux plus dignes d’être le théâtre fameux de leurs grandes actions.

Ne croyez pas, MESSIEURS, que ces trois Académies doivent au hasard tout l’éclat dont elles ont brillé et dont elles brillent encore aujourd’hui ; c’est l’effet ordinaire et presque infaillible des Académies, de produire un grand nombre de personnages illustres, et de rendre ensuite un siècle célèbre en toutes choses.

Mais pour bien connaître toutes les différentes utilités des assemblées Académiques, et pour suivre quelque ordre, prenons une Académie dans sa naissance, examinons ses utilités, secrètes, et le profit qu’elle porte même à ses disciples, et ensuite nous la conduirons jusqu’au comble de sa gloire.

La première démarche de celui qui veut former une Académie est d’assembler les gens de lettres, et j’ose dire, MESSIEURS, que cette première démarche est presque tout. Je ne m’étonne point si on a vu si peu d’Académies ; je m’étonne encore moins que ces Académies aient tant fait d’honneur à leur siècle : il n’est rien de plus difficile que d’assembler des gens de lettres, mais il est aisé de concevoir que leur union et leurs conférences peuvent faire des progrès infinis. Il faut l’avouer, MESSIEURS, le savoir et le bel esprit sont ordinairement accompagnés de quelque orgueil, peu de complaisance, et de beaucoup de jalousie. Quand Platon voulut assembler ces Philosophes illustres qui composèrent son Académie, il eut besoin sans doute, de beaucoup de déférence à leurs sentiments pour ne pas choquer la délicatesse de leur orgueil, d’une grande douceur pour attirer leur complaisance, et l’on doit croire enfin qu’il eut un génie extrêmement élevé au-dessus d’eux, pour n’être point sujet à leur jalousie. Il faut des esprits du premier ordre, il faut de ces hommes extraordinaires que le ciel envoie si rarement, pour former de pareilles assemblées.

Il est vrai que cinq ou six fameux Personnages ont commencé en quelque manière les conférences de l’Académie Française, mais nous savons, MESSIEURS, à qui nous en devons la première idée et la véritable naissance ; c’était quelque chose que cinq ou six amis se fussent assemblés, mais pour faire l’élite de ce que la France avait de plus poli, pour établir une société douce et civile entre tous les rivaux d’un même siècle, pour ranger des gens de lettres sous une espèce de discipline, pour réunir enfin dans un ouvrage commun toutes les lumières des esprits les plus éclairez du plus florissant Royaume du monde, il ne fallait pas moins qu’un Richelieu. Combien de fois malgré ses soins a-t-on vu chanceler un dessein si grand et si utile ? Ne savons-nous pas que ceux mêmes qui avoient donné occasion à une si noble idée, ont gémi quelque temps de voir ainsi leur société augmentée, leur liberté gênée en quelque manière, et leurs secrètes assemblées devenues publiques ? Non il ne fallait pas moins qu’un Ministre plein d’autorité, d’un esprit au-dessus des envieux et des jaloux.

Mais s’il est difficile, MESSIEURS, de former une Académie, et d’assembler ceux qui en doivent être les ornements, on peut dire aussi que dès qu’elle est formée, tout devient facile, et que ceux qui la composent y découvrent tant d’utilités pour eux-mêmes, que les mêmes choses qui de leur part s’opposaient à son établissement, servent ensuite à sa conservation. Cette espèce d’orgueil si naturel à ceux qui par leur esprit se sont mis au-dessus des autres, perd par la société tout ce qu’il a de farouche, et ne conserve qu’une certaine fierté qui fait concevoir de grands desseins, et entreprendre de grands ouvrages : le manque de complaisance adouci par la civilité, sert à reprendre les défauts sans indulgence, mais aussi sans aigreur ; et la jalousie enfin se change en une noble émulation.

Sitôt que l’Académie fut formée, quel brillant amas de lumière ! que d’agrément et d’utilité pour ces grands hommes qui y furent appelés ! Quelle douceur d’être mêlé parmi l’élite des plus beaux esprits du monde ! quelle utilité de profiter de l’étude et de l’application des plus habiles en toute sorte de littérature ! Car enfin, MESSIEURS, on ne peut exceller qu’en une chose. La Poésie seule, vous le savez, se partage entre plusieurs personnes différentes, mais la société d’une Académie rend utiles à chacun tous les divers talents de ceux qui la composent, par ces conversations savantes et ingénieuses où chacun apporte de son fonds, et parle selon le génie que la nature lui a donné, et qu’il a cultivé par l’étude. Que ce fut un commerce agréable et utile tout ensemble, quand on vit dans un même lieu les Silhons, les Meziriacs, les Bourzeis, fournir ces savantes éruditions qui font tant de plaisir à l’esprit, et qui découvrent l’origine de toutes choses ; les le Vayer, les la Chambre, apporter les plus curieuses connaissances de la Philosophie ; les du Ryers, les d’Ablancours, les Vaugelas, découvrir tous les avantages de notre langue, par ces traductions admirables qui font tant d’honneur aux Anciens ! Quel profit, quelle douceur, MESSIEURS, de jouir en même temps de l’éloquence d’un Balzac, de l’agrément d’un Voiture, de la fécondité presque incroyable de Monsieur Godeau ! quelle satisfaction enfin de voir ensemble tant de Poètes fameux, les Haberts si heureux dans leurs belles et ingénieuses fictions, Chapelain si célèbre par tant de beaux ouvrages, Gombaut si savant à tourner de beaux Sonnets, Tristan si naïf dans ses descriptions, Maynard si châtié dans son style, et si agréable dans ses Epigrammes, Racan grand disciple de Malherbe, et également admirable dans le Pastoral et dans le Lyrique, et tant d’autres enfin que la Postérité n’oubliera pas s’ils échappent présentement à ma mémoire.

Je ne crois pas, MESSIEURS, qu’on puisse douter que tant de grands hommes ensemble ne s’instruisent beaucoup mutuellement ; les lumières des uns augmentent celles des autres, et il arrive infailliblement, que bien qu’on n’excelle qu’en une seule chose, on devient pourtant également capable en toute sorte de styles et de littérature.

Pourrai-je bien ici faire connaître à ceux qui m’entendent toutes les utilités qu’on tire de la continuation de ces sortes de conférences ? C’est là qu’on se forme un goût exquis et raisonnable par ces critiques judicieuses qui se font tous les jours : C’est là qu’on apprend à travailler solidement, et à polir ses ouvrages par le peu d’indulgence qu’on a pour les défauts, et par les sages avis que l’on reçoit.

Enfin c’est là qu’on cultive avec plus d’étude et de succès les talents qu’on a reçus de la nature, par la noble émulation de paraître, et de n’être pas inférieur aux autres. Vous connaissez la vérité de ce que je viens de vous dire, et j’avoue, MESSIEURS, que je l’éprouve plus qu’aucun autre ; L’Académie est une Bibliothèque vivante, on apprend tout sans peine et sans étude ; ma bonne fortune qui m’a amené parmi vous dès ma première jeunesse, m’en a fait faire une plus particulière expérience qu’à vous, qui êtes entrés dans l’Académie avec un jugement, et un goût tout formé, et avec toutes les belles connaissances que les gens de Lettres prennent soin d’acquérir. Si j’avais su profiter de mon bonheur, que j’aurais appris de belles choses parmi vous ! je laisse à juger du profit immense que j’aurais pu faire, ayant devant moi les plus beaux modèles, et entendant parler tous les jours les Maîtres en toute sorte d’arts et de sciences.

C’est ici, MESSIEURS, qu’il faut que je déclare à tous ceux qui nous honorent aujourd’hui de leur présence, la grandeur de l’Ouvrage que nous avons entrepris : qu’il nous soit permis une fois de prendre un peu d’orgueil, et d’avoir quelque opinion de nos veilles, et de nos travaux. Que faisaient après tout les Académiciens Grecs et Romains ? Ils étaient appliquez aux seules questions de la Philosophie ; mais dans notre travail quelle diversité, quelle abondance de matière ! que ne trouve-t-on point dans la vaste étendue d’une langue ; toutes les sciences et tous les beaux-arts, les règles de la société civile, les conversations galantes, que sais-je enfin, la nature, et les dépendances de toutes choses : les questions de la langue sont des trésors infinis, les mots sont comme les semences de tout ce qu’il y a d’agréable et de profond : qu’il faudrait de divers talents pour être un parfait Académicien ! il n’est rien dans la nature qu’il ne fallût posséder ; mais cette diversité qui se trouve dans les mots et dans les choses, se trouve heureusement aussi dans ceux qui composent cette Compagnie. S’il faut définir et diviser, nous avons des Philosophes ; s’il faut construire, nous avons des Grammairiens ; si les matières sont d’éloquence, nous avons des Orateurs ; si elles regardent la Poésie, nous avons recours aux Poètes : pour la politesse du style nous ne manquons point de Courtisans ; pour l’histoire les plus savants Historiographes de notre siècle sont parmi nous ; traitons-nous les matières de Justice ou de Politique ? ceux qui par leur mérite se sont élevez aux premières places dans le Ministère et dans les Tribunaux, ont soin de nous les expliquer ; parlons-nous d’affaires Ecclésiastiques ? nos Prélats et nos Abbés nous empêchent de nous y abuser. Enfin, MESSIEURS, si je l’ose dire même, nous trouvons parmi nous de la galanterie, et c’est ce mélange heureux, qui fait la douceur, et l’utilité de nos assemblées.

Je regarde Richelieu, ce fameux Cardinal comme un curieux qui cherche les fleurs les plus précieuses pour orner un parterre ; il ne se contentera pas de deux ou trois sortes de fleurs, quelque rares, et quelque belles qu’elles puissent être ; il en assemblera plusieurs, et songera seulement en chaque sorte de choisir les plus belles et les plus recherchées ; toutes ces fleurs différentes se servent mutuellement, leurs couleurs mêlées avec art se prêtent de l’éclat les unes aux autres ; et de leur agréable mélange enfin, il se forme une beauté surprenante qui rassemble en elle toutes les différentes beautés, qu’elles avaient chacune en elle-même. C’est ainsi qu’a travaillé cet homme rare qui a formé l’Académie ; il ne s’est pas contenté de Philosophes, et d’Orateurs, il a fait le choix parmi les Doctes, les Grammairiens, les Poètes, les Historiens, les Courtisans, de ceux que le mérite, et la renommée avoient distingués des autres ; à mesure que la mort cruelle nous a ravi ces grands hommes, ces places, non sans quelque heureuse fatalité qui préside à la réputation de cette Compagnie, ont été remplies dignement ; et c’est par cette heureuse suite de grands Personnages, presque tous différents dans leurs caractères, que l’Académie s’est élevée enfin à ce degré de gloire où nous la voyons aujourd’hui.

Jusques ici, MESSIEURS, j’ai parlé des utilités secrètes d’une Académie, et du profit qu’elle porte même à ses disciples : c’est maintenant au public que je m’adresse, et ceux qui nous écoutent seront peut-être surpris, quand ils apprendront tout ce qu’ils doivent aux veilles des Académiciens, et quand ils connaîtront tous les biens solides, qu’ils ont retirés de leurs doctes Assemblées.

C’est une commune ingratitude du vulgaire de ne rechercher jamais la première source du bien, et de ne s’attacher qu’à ce qui lui est le plus proche et le plus sensible : Demandez quelle est la cause de la politesse du langage et des mœurs et d’où vient que la France est maintenant si remplie de science et d’esprit ; fera-t-on l’honneur à l’Académie de lui en attribuer quelque chose ? Cependant MESSIEURS, il est vrai de dire que tout ce qu’il y a d’éloquence dans la chaire et dans le barreau, toute cette pureté de langage qui est répandue dans les écrits des particuliers, et cette justesse de style qui est presque universelle dans le Royaume, sont venues insensiblement des conférences de l’Académie. Je dis encore plus, c’est elle qui bannissant les métaphores, et les pointes ridicules, a formé le goût, et donné de l’esprit presque à tout le monde ; Et enfin il est aussi vrai que la politesse, et l’amour des Sciences et des beaux-arts, et mille autres biens sont dus à l’Académie ; comme il est vrai pareillement que l’Académie doit toutes ces choses, et se doit Elle-même au Monarque glorieux que le Ciel nous a donné. Car enfin, MESSIEURS, en matière d’Académie, comme en toute autre chose, c’est aux Chefs que la principale, et la plus grande gloire est due. La France a été fertile en grands Capitaines et en braves soldats : mais tout le cours de nôtre Monarchie en a‑t-il fourni en si grand nombre, et de tels que ceux que nôtre invincible Héros a conduits, et formés à la guerre ? Ce Royaume a de même été fertile en Savants et en rares esprits : mais la France, le monde ensemble en a-t-il jamais fourni de pareils à ceux que cet Auguste Monarque a inspirés, et formés aux grandes choses par le nombre surprenant de ses belles actions ?

Richelieu assembla les Muses autour du berceau du jeune Prince ; il semble qu’il prévit dès lors qu’elles auraient besoin un jour de nouvelles forces pour raconter le nombre de ses victoires ; et il voulut ainsi les assembler de bonne heure, pour leur donner le temps de se perfectionner entre Elles, et de se rendre dignes de chanter un jour les louanges du plus grand des Rois. Pendant qu’il croissait en âge, et que la Fortune et la Vertu lui préparaient ce destin admirable qui le met au-dessus de tous les Rois de la terre, ces savantes Filles concertaient en particulier, travaillaient à se polir et préparaient des guirlandes immortelles pour le couronner. Voilà la raison du silence de l’Académie pendant vingt années. Ses conférences étaient assidues, ses études étaient continuelles, et par des critiques raisonnables, par le choix du bon et du mauvais usage, par une exacte recherche de l’élégance et de la politesse, l’Eloquence et la Poésie s’élevaient insensiblement à la perfection où nous les voyons aujourd’hui. Il est vrai que l’Ouvrage commun de l’Académie n’a point encore été donné au public : mais tant de beaux Ouvrages partis de la main des particuliers ne font-ils pas de toute l’Académie ? D’où est venue cette élégance et cette justesse semées dans tous leurs écrits ? N’en sont-ils pas redevables à ces conférences Académiques, où les questions de la langue sans cesse agitées, ont enfin fixé le noble usage ? Mais disons tout, MESSIEURS, et avouons que sans la protection auguste dont le Roi a honoré l’Académie, elle ne serait pas encore élevée au degré de gloire où elle est parvenue. La paresse et la fierté des Muses ont été surmontées par les bienfaits et par les caresses de Louis ; et sa présence enfin, par sa protection Royale, a fait parmi ces doctes Filles, ce qu’elle a fait par tout où elle a porté sa Lumière. Ce grand Roi marche-t-il à la tête de ses armées ? les Villes se rendent en foule, les Provinces se soumettent en peu de jours, la Victoire vole d’une rapidité jusqu’ici inconnue sur la Terre. Veut-il élever des remparts et fortifier des Villes ? les pierres s’assemblent avec plus de vitesse que celles que la fable fit assembler par la main des Dieux, ou par le charme d’une divine harmonie. Veut-il bâtir des Palais ? il semble qu’un enchantement les fasse sortir du soin de la Terre ; c’est ainsi que sa présence agit dans l’Académie. Autrefois les travaux des Muses se faisaient dans un long loisir, et les Poètes et les Orateurs dormaient longtemps à l’ombre des lauriers en composant leurs ouvrages : maintenant tous les loisirs sont bannis du Parnasse, la Victoire ne laisse aucun intervalle, et les années suivant la rapidité et le progrès de ce fameux Conquérant, sont fertiles en beaux ouvrages autant que les siècles l’étaient autrefois. Quelle gloire pour vous, invincible Héros ! Que votre activité, vôtre douceur, et votre libéralité nous ont produit de biens ; sans compter la valeur que vous avez rendue héroïque jusque dans le cœur des moindres soldats ; sans parler de l’accroissement incroyable que vous avez procuré à tous les Arts, et de mille autres avantages qui ont mis la France au-dessus de tous les Royaumes du monde ! Que de biens nous sont venus de l’amour des Lettres que vous avez inspiré ! Les plus rares esprits se polissent encore, et se rendent recommandables en vous louant. Le grand nombre des beaux ouvrages si répandant par tout, donne de la politesse jusque parmi le peuple ; l’ambition d’attirer quelques-uns de vos regards inspire le travail, et l’adresse ; il renaît à tout moment de l’esprit, et des nouveautés surprenantes : tout s’anime, tout travaille. Quelle gloire pour vous, d’être vous-même l’Auteur de la grande réputation que votre siècle aura dans la postérité, et de voir que ceux-mêmes qui vous louent, vous doivent la beauté des Eloges qui servent à immortaliser vos grandes actions

Et à vrai dire, MESSIEURS, ce n’est pas un des moindres avantages de l’Académie, d’avoir des matières, nobles, diverses, grandes et merveilleuses, comme celles que nôtre Monarque lui fournit tous les jours. On lira les histoires avec le même attachement qu’on lit celles qui sont faites à plaisir. Les Poèmes faits à sa louange fourniront autant de beaux combats, et d’illustres aventures, que ces Poèmes ingénieux dont les agréables fictions ont enrichi toute la Poésie. Historiens, écrivez tous les jours, afin que rien ne nous échappe. Orateurs, ne finissez point vos Panégyriques ; dans le temps que vous les récitez, il s’offre encore de nouveaux sujets d’éloges. Poètes, partagez les matières entre vous, Louis se présente à vous également admirable, parmi les combats, et dans les jeux. En effet, il semble que cc grand Monarque s’applique à diversifier tous les exploits ; et on dirait qu’il s’étudie à chercher la gloire par toute sorte de chemins. Regardez-le d’un côté à la tête de cent mille hommes traversant les Etats de ses ennemis, et mettant en six semaines toute la Hollande aux abois. Voyez-le d’un autre côté avec un petit nombre de soldats, marchant comme en triomphe vers plusieurs villes d’Allemagne qui s’opposaient à ses desseins. La conquête qu’il en fit parut moins une expédition militaire, qu’une promenade, ou une fête. Tantôt il attaque une des plus superbes villes de l’Europe, et des plus renommées, par les longs sièges qu’elle a soutenus contre plusieurs fameux Capitaines ; et malgré la garnison nombreuse et l’abondance des munitions, en treize jours il s’en rend le maître. Tantôt comme s’il cherchait exprès les choses les plus difficiles, il choisit les temps les plus contraires pour conquérir une grande Province. Il semble qu’il en trouve l’expédition trop aisée durant la belle saison, et que voyant la faiblesse de ses ennemis, il cherche des obstacles dans la nature même pour trouver plus de résistance, et vaincre avec plus de gloire. Choisissez, MESSIEURS, parmi tant de beaux sujets. Représentez ce Monarque invincible donnant la loi à toute l’Europe, malgré l’ingratitude de ses Alliés ; peignez-le soutenant seul l’effort de trois Puissances redoutables par tout le monde ; montrez-le enfin parmi tant d’ennemis remportant victoires sur victoires.

Ceux qui n’ont pas la voix assez forte pour entreprendre de grandes choses, pourront considérer ce Prince Auguste au milieu de la paix, ou quand durant une sanglante guerre, funeste seulement à ses ennemis, il vient se reposer quelques jours à l’ombre de ses lauriers. La matière n’en sera pas moins riche ni moins belle, et l’on pourra encore le voir sous mille tableaux différents ; ici recevant les plaintes et les demandes de tout le monde avec douceur et patience ; là rendant la justice, et jugeant les différends des particuliers. D’un côté on le verra assidu dans son Conseil, et y passant sans relâche plus de la moitié de ses journées, afin de pourvoir à tout, et pour délibérer du repos de ses sujets ; de l’autre on le verra au milieu des fêtes et des plaisirs, et souriant d’y voir l’empressement et la joie de son peuple. Venez, envieux et jaloux, considérer de près l’aimable Prince, dont la gloire vous blesse les yeux. Après avoir éprouvé la force de ses armes, vous le trouverez ici environné de biens, et en le voyant vous le croirez encore plus que jamais invincible. Vous verrez ses trésors inépuisables : vous verrez ses peuples par troupes innombrables charger les Autels de présents en même temps qu’ils y font de ferventes prières. Vous apprendrez que durant que vous épuisez vos forces, Louis dans son abondance rend avec usure à ses sujets les présents qu’il lui avaient faits de leur propre mouvement, et que ces mêmes sujets les répandent sur la populace, et les emploient en prières et en festins. Vous saurez qu’il renaît à tout moment des soldats et des Capitaines, et que tout le monde s’empresse d’attirer les regards, et de mériter l’estime d’un Roi qui sait connaître le mérite et le récompenser. Vous connaîtrez enfin que l’envie et la jalousie ne peuvent rien sur un Prince chéri du Ciel, aimé de ses sujets, et également grand, et admirable en toutes choses.

Mon zèle me transporte, MESSIEURS, et j’allais peut-être en le suivant m’éloigner tout-à-fait de mon sujet. C’est assez de vous avoir proposé une partie des différentes matières qui doivent occuper vos veilles, et qui peuvent achever de persuader le public de l’utilité de vos assemblées. La langue Françoise par vos soins est parvenue à la dernière perfection : c’est à vous maintenant de pratiquer le bon usage que vous avez établi. Considérez le Juste rapport qu’il y a entre les trois siècles Académiques dont je vous ai parlé, et ajoutez-y que les langues Grecque et Latine avoient aussi dans ce même temps atteint leur dernière pureté. Puisque le siècle de Louis a le même avantage, je crois qu’avec vous, MESSIEURS, il ne manquera point de Demosthènes, d’Homères, d’Horaces, ni de Virgiles, et il y a apparence que nôtre grand Monarque, plus vaillant qu’Alexandre, et plus aimable qu’Auguste, trouvera aussi des Orateurs, et des Poètes, qui surpasseront ceux de l’antiquité.