Il y a quelque temps, un grand journal du soir évoquait « l’art perdu du papotage » et se désolait du fait que « l’omniprésence des écrans et des écouteurs marginalise le small talk, ce bavardage où l’on parle de tout et de rien avec son voisin ». Peut-être n’est-il pas inintéressant de se pencher sur ces noms et quelques autres appartenant au même champ sémantique.
Papotage est dérivé, par l’intermédiaire de papoter, qui a d’abord signifié « manger sans ardeur », de l’ancien verbe paper, « manger » ; il désigne des propos légers et frivoles sur des sujets de peu d’importance. C’est un synonyme de bavardage, pour ce qui est de la légèreté et de la futilité des propos échangés. Ce dernier est souvent innocent, il est énervant quand il trouble l’attention, mais ce peut parfois être une forme de médisance. C’est un dérivé de baver, et donc un parent de bavard, surnom qu’on donna aux avocats en raison de leurs trop longues plaidoiries. On le déforma en baveur et baveux. Ce dernier servit alors à nommer des journaux mal imprimés puis, par métonymie, des journalistes trop prolixes. C’est aussi de baver que l’on a tiré l’expression tailler une bavette. Dans ce type de propos on trouve aussi le caquet, forme de bavardage particulièrement bruyant et souvent malveillant. On en a tiré le synonyme caquetage, qui a éliminé caqueterie. À cette liste on pourrait ajouter les potins, ces rumeurs colportées sur autrui, ordinairement peu bienveillantes. Ce nom est dérivé du normand potine, la chaufferette que les femmes avaient l’habitude d’apporter à la veillée où elles échangeaient des commérages. Commérage, qui s’est d’abord rencontré au sens de « baptême », la commère étant à l’origine la marraine, désigne généralement un bavardage indiscret et empreint de malveillance. Il est assez proche du ragot, un déverbal de ragoter, proprement « grogner comme un sanglier ». Notons en effet que le verbe ragoter vient, quant à lui, d’un autre ragot, existant dès le xive siècle, qui désigne « un sanglier mâle » et « un homme à taille courte et épaisse ». Cancaner est, lui aussi, lié au monde des animaux puisqu’il signifie, en parlant d’un canard, « pousser son cri », puis, par extension, « débiter des cancans ». Mais, assez étrangement cancaner et cancan, quand ce dernier a le sens de « ragot », n’ont pas la même étymologie. Cancan est tiré, nous dit Littré, « du latin quanquam (quoique), à cause de la querelle qu’excita dans les écoles du Moyen Âge la prononciation de ce mot, les uns disant [kan-kan], à l’ancienne mode, les autres [kouan-koua-m’], à la nouvelle mode, qui est restée la nôtre ». Littré nous apprend d’ailleurs que cancan est également le « nom que les enfants et les gens du peuple donnent aux fruits du sycomore formés de deux samares soudées par la base, qui tournoient longtemps en l’air avant de tomber ». (Les enfants les nomment aujourd’hui hélicoptères.)
Il existe d’autres termes désignant le fait de s’adresser à autrui, mais sans nuance de malveillance cette fois : les noms causette et causerie, dérivés de causer. Ils n’ont pas exactement le même statut. Le premier désigne une conversation familière, un bavardage et ne s’emploie plus guère que dans des locutions comme faire la causette, un bout de causette, un brin de causette. Le second, qui s’est d’abord rencontré avec le sens de « bavardage futile », désigne essentiellement aujourd’hui un exposé sans prétention, sur un sujet donné, lié notamment aux sciences ou à la littérature. Il doit une partie de son succès aux Causeries du lundi, recueil d’articles de critique littéraire que Sainte-Beuve fit paraître dans différents journaux de 1851 à 1862. Ces mots sont parents de causeur, nom dont la définition était éclairée par cet intéressant exemple dans la deuxième édition du Dictionnaire de l’Académie française : « Il y a des hommes qui sont encore plus causeurs que des femmes. » Le causeur ne deviendra aimable que dans la septième, et brillant dans la neuvième. C’est aussi de causer que dérive causeuse, ce petit canapé bas, le plus souvent capitonné et à dossier cintré, où peuvent s’asseoir deux personnes, en particulier pour converser. Cela nous amène naturellement à la conversation, un échange de propos, un entretien familier entre deux ou plusieurs personnes. C’est le sens de ce mot aujourd’hui, mais on en faisait également naguère un euphémisme désignant les relations sexuelles ; nous avons d’ailleurs emprunté de l’anglais criminal conversation la locution conversation criminelle, qui ne s’est conservée que dans l’expression être surpris en conversation criminelle, « en flagrant délit d’adultère ». Le nom entretien suppose, quant à lui, un échange de propos de haute tenue sur un sujet déterminé, le plus souvent entre des personnalités scientifiques, littéraires ou politiques, et destiné à l’information du public. Quand ces entretiens sont menés sur le mode de la conversation par un philosophe ou un homme d’Église, devant un auditoire restreint, on les désigne sous le nom d’entretiens spirituels. Il est vrai cependant qu’aujourd’hui entretien s’emploie aussi dans un sens affaibli, comme un équivalent français du nom anglais interview.
Voyons pour conclure les hyperonymes de tous ces mots : parole et parler. Ils sont neutres et il faut leur adjoindre des adjectifs ou des adverbes pour leur donner un caractère mélioratif ou péjoratif. Ils sont tirés, plus ou moins directement du grec parabolê, « comparaison, rapprochement » puis « parabole, discours allégorique » et sont des parents étymologiques des formes, passées par l’espagnol, palabre et palabrer.