Hommage prononcé lors des obsèques de M. Philippe Beaussant, en la cathédrale Saint-Louis de Versailles

Le 13 mai 2016

Hélène CARRÈRE d’ENCAUSSE

HOMMAGE

À

M. Philippe BEAUSSANT

PRONONCÉ PAR

Mme Hélène CARRÈRE d’ENCAUSSE

Secrétaire perpétuel

en la cathédrale Saint-Louis de Versailles,
le vendredi 13 mai 2016

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Philippe Beaussant vient d’entrer dans son éternité. Il ne nous a pas quittés, car notre Compagnie est une très longue chaîne d’amis qui depuis près de quatre siècles se succèdent, mais ne se remplacent pas. Par la magie du souvenir, les morts restent aux côtés des vivants qui, dans leurs séances, les évoquent, les invoquent et voient toujours se presser autour d’eux la cohorte des confrères disparus. C’est cela le sens de l’immortalité académique.

Philippe Beaussant avait été élu à l’Académie il y a neuf ans à peine. Son prédécesseur était un personnage hors norme, tonitruant, toujours en mouvement, un baroudeur et un politique, Jean-François Deniau. Philippe Beaussant n’en était-il pas l’opposé ? Une silhouette mince et fragile, tout de retenue, discret, silencieux, n’intervenant que lorsqu’on le sollicitait. Et pourtant, comme ils se ressemblaient dans des styles différents. Amoureux de la mer, courant toujours le monde, l’un, Jean-François Deniau, par goût de l’aventure, l’autre, Philippe Beaussant, par amour de la musique qu’il allait porter à travers le monde. Et tous deux habités d’une même passion, celle de l’Académie et de la volonté de la servir jusqu’à leur dernier souffle. Il en fut ainsi, mais ce n’est pas toujours le cas. Notre Compagnie n’a pu survivre aux tempêtes de l’histoire, aux épreuves vécues par les siens et surtout à l’usure du temps et aux effets de mode que parce qu’elle a eu des serviteurs aussi fidèles et dévoués que ces deux-là.

Philippe Beaussant est entré à l’Académie sans encombre, on pourrait même dire sans efforts parce qu’une fée bienfaisante présida à son élection. Jacqueline de Romilly, dont le souvenir nous est si cher, lui remit la Légion d’honneur et nous fit alors partager les joies musicales et littéraires qu’elle devait à notre futur confrère. Elle nous dit combien cet esprit si subtil et multiple, mais aussi cet homme d’une grande qualité morale l’avait impressionnée. Il était, nous dit-elle, indispensable à l’Académie. Sans Jacqueline de Romilly, Philippe Beaussant, qui ne briguait jamais rien, qui se contentait de servir la musique, ne nous aurait certainement pas rejoints. Comme Jacqueline de Romilly fut sage, garante des intérêts de notre Compagnie. Car Philippe Beaussant, le discret, le silencieux, même si sa présence parmi nous a été trop brève, nous a énormément apporté. La musique d’abord. Nous savions avant de l’accueillir son immense connaissance des musiques française et italienne des xviie et xviiie siècles qui étaient dans notre pays quelque peu négligées. Il les a fait connaître, expliquées, dirigées dans des concerts, des centres musicaux qu’il créait, des festivals. La musique était en effet son univers depuis l’enfance où il écoutait sa mère jouer Bach. Bach toujours, et Couperin, Rameau, Lulli, Monteverdi… Notre confrère les a offerts au public, encourageant la fondation d’orchestres, d’institutions voués à la musique ancienne. Versailles lui doit d’avoir retrouvé une royauté comme haut lieu de la musique baroque. Mais le fou de musique était aussi un romancier délicat que l’Académie a maintes fois couronné, découvrant très tôt dans L’Archéologue un flûtiste qui était probablement Philippe Beaussant. La peinture était un autre monde qu’il aimait. Qui a mieux parlé de Titien ou de La Tour que lui ?

Son immense culture, son dévouement à la Compagnie, son infinie courtoisie ont incité les membres de la Commission du Dictionnaire, petit groupe très soudé qui travaille avec acharnement le jeudi matin, à le coopter très vite, ce qui est exceptionnel. Je le revois, arrivant avec un léger retard qui le remplissait de confusion ; mais il habitait loin de Paris et ce travail matinal lui imposait un très grand effort. Son arrivée était un heureux moment, nous l’attendions avec impatience et son avis était aussitôt requis. Nous le savions fragile, nous nous inquiétions pour lui, mais nous n’imaginions pas qu’il pût ainsi disparaître. La Commission se poursuit par un déjeuner, où nous cultivons un agréable usage, fêter tous les anniversaires. Nous avions prévu de célébrer hier Philippe Beaussant, sachant combien il était attaché à ce moment fraternel. La tristesse a remplacé la joie que nous attendions, mais Philippe était tout de même parmi nous hier.

On dit que pour entrer à l’Académie il faut être de bonne compagnie. Philippe Beaussant l’était certes, mais bien plus encore. Son extrême courtoisie, son attention aux autres, sa générosité, son tempérament chaleureux, tous ces traits que sa timidité et ses silences ne dissimulaient pas, étaient sa marque. Nous étions tous sensibles chez lui à une qualité rare, l’intelligence du cœur.

Il va cruellement nous manquer, mais nous savons qu’il ne nous a pas quittés. En ce moment où nous sommes tous rassemblés autour des siens, de sa femme Marie-Cécile, de ses enfants, de leurs enfants qui illuminaient sa vie, qu’ils sachent que, Philippe Beaussant hors de notre monde visible, ils restent, comme lui, à jamais, membres de notre famille académique.

Je voudrais terminer en disant que ce juste, cet homme lumineux, ce croyant aura bénéficié, à la fin de son parcours terrestre, d’une grâce à laquelle il attachait un grand prix. Il y a peu, un autre confrère infiniment aimé, comme Philippe Beaussant, a quitté ce monde, c’est Alain Decaux. Il est mort le dimanche de Pâques, ce qui pour ce grand chrétien était un signe du Dieu qu’il avait servi avec tant de foi. Le jeudi suivant sa mort nous en avons parlé dans notre petit groupe des serviteurs du Dictionnaire, et Philippe Beaussant – je revois encore son sourire à ce moment-là – y avait acquiescé avec ferveur. La même grâce lui aura été donnée puisqu’il est mort dimanche dernier. Or si nous savons tous que dimanche signifie, en remontant à son étymologie latine, le jour du Seigneur, notre langue n’y insiste pas. Mais en russe et dans la plupart des langues slaves, un seul et même mot désigne le premier jour de la semaine et Pâques, c’est le mot résurrection. Philippe Beaussant, dont je ne peux me résoudre à parler au passé, se réjouit sans aucun doute de cette grâce qui lui a été donnée. C’est le sens aussi de cet adieu, Philippe, que je vous adresse.