Hommage prononcé en séance lors de la mort de Marcel Pagnol

Le 25 avril 1974

Jean DANIÉLOU

Hommage à Marcel Pagnol[1]

DISCOURS

DE

Son Éminence le Cardinal DANIÉLOU
Directeur de l’Académie

le jeudi 25 avril 1974

 

Messieurs,

La mort de Marcel Pagnol laisse un grand vide parmi nous. Il était entouré de l’affection et de l’admiration de tous. Il nous manquera beaucoup.

Nous partageons la peine de sa femme et de ses enfants, celle de tant d’amis qu’il avait dans le monde des lettres et du cinéma, celle de tout un peuple.

Nous aimions sa simplicité. N’avait-il pas dit un jour que c’est la vertu qu’il préférait ? Il l’avait gardée au milieu de succès éclatants, dont il s’étonnait lui-même dans sa modestie. Il restait proche de tous.

Il était parisien et homme de terroir. C’est un des secrets de sa réussite. Il a porté au niveau de l’universel les figures familières de sa Provence natale.

Il a été un grand écrivain, un des plus grands de ce temps, à la fois par la transparence de son style et par la qualité humaine de son inspiration.

Notre Compagnie n’a fait que reconnaître sa valeur en l’accueillant. Il a rappelé qu’un de ses prédécesseurs au vingt-cinquième fauteuil était comme lui un enfant d’Aubagne. C’était l’auteur des Voyages du jeune Anacharsis.

Il était préparé à participer à nos tâches hebdomadaires. Ne nous a-t-il pas confié qu’une de ses premières passions avait été celle des mots : « Ce que j’écoutais, ce que je guettais, c’était les mots ; j’adorais grenade, fumée, bourru, vermoulu et surtout manivelle. »

Il nous a raconté son enfance dans des livres merveilleux, qui sont déjà classiques. Il a su exprimer avec une vérité jamais atteinte les prodigieuses aventures qui remplissent la vie d’un garçon de huit ans.

Nous entendrons toujours à cause de lui le grésillement des cigales dans le soleil d’août, nous respirerons les bouffées qui montent d’une touffe de thym dans un jardin de Provence.

Fils d’instituteur, il se rattachait à une tradition républicaine, celle de Michelet et de Pierre Leroux, quelque peu anticléricale, mais non étrangère à l’Évangile.

Il a fait revivre pour nous ce monde de son enfance, l’oncle Jules et la tante Rose, le petit Paul et l’ami Lilli, dans des pages pleines de tendresse et d’humour qui sont dans toutes nos mémoires.

Sa vie a été celle d’un homme de théâtre. Il s’était imposé avec le succès éclatant de Topaze. Ensuite sont venues les grandes pièces marseillaises, Marius, Fanny, César.

Comment ne l’aimerions-nous pas, même ceux d’entre nous qui l’ont peu connu, pour les joies qu’il nous a données, pour nous avoir fait tant rire et parfois pleurer ?

Le cinéma et la télévision lui ont permis d’avoir une immense audience populaire. Et il faut dire qu’aucune œuvre ne la méritait davantage.

Pour lui, il n’était pas besoin de forcer l’attention par des situations insolites. L’humanité qu’il nous décrit n’est exceptionnelle ni par le vice, ni par la vertu. Il lui suffisait qu’elle soit vraie.

Sa grandeur a été de nous faire percevoir la poésie contenue dans la vie quotidienne, dans ses joies et dans ses drames. Et c’est peut-être là le génie.

C’est à l’accompagner par le cœur au-delà de la mort, dans ce monde où la vie n’est pas abolie, mais accomplie, que ce grand vivant nous attire.

 

[1] Mort le 18 avril 1974, à Paris.