Discours sur les prix littéraires. Séance publique annuelle

Le 6 décembre 2001

René RÉMOND

SÉANCE PUBLIQUE ANNUELLE

le jeudi 6 décembre 2001

Discours sur les prix littéraires

PRONONCÉ PAR

M. René RÉMOND
Directeur en exercice

PARIS PALAIS DE L’INSTITUT

     Messieurs,

     C’est une tradition presque aussi ancienne que les sociétés humaines de reconnaître le mérite et de décerner des récompenses. Jadis, une couronne de lauriers distinguait les vainqueurs et les poètes chantaient leurs prouesses. Saint Paul n’évoque-t-il pas la récompense qui sera attribuée à celui qui a mené le bon combat ? En souvenir de Charlemagne dont une légende accréditée par le petit Lavisse voulait qu’il ait dispensé l’éloge et le blâme entre les bons et les mauvais élèves, jusqu’au seuil de la dernière guerre les lycées de la IIIe République honoraient la fête de l’Empereur qui avait alors son nom dans le calendrier des saints en offrant un goûter aux élèves auxquels le Conseil de l’établissement avait décerné les félicitations, distinction suprême, ou à défaut, concédé un témoignage de satisfaction. Du plus modeste collège municipal jusqu’au prestigieux Concours général des lycées, la distribution des prix à la veille du 14 Juillet couronnait l’année scolaire. Les sociétés savantes aussi observaient cet usage : combien d’écrivains, de Jean-Jacques Rousseau à Rivarol ont concouru sur des sujets imposés pour des prix institués par des Académies ! Notre Académie n’est pas en reste.

     Cette tradition immémoriale et universelle a récemment fait l’objet d’une critique radicale au motif qu’elle contrevenait au principe d’égalité : distinguer certains n’était-ce pas aussi rejeter tous les autres ? On a soupçonné l’empire de l’arbitraire, dans les choix de la faveur. Troublés par cette contestation, la plupart des établissements scolaires ont suspendu notation et attribution de récompenses. Le rite a dépéri de la distribution des prix.

     L’Académie française ne s’est pas laissé impressionner par ce procès. Année après année elle a continué à distinguer le mérite, le talent, la valeur. De cette façon de faire les raisons en effet n’ont rien perdu de leur pertinence. Honorer ceux qui excellent, c’est encourager à les imiter, susciter l’émulation. Aux raisons de toujours l’actualité en ajoute d’autres : jamais autant que depuis quelques années on n’a parlé, non sans raison, de la nécessité d’évaluer ; en toutes circonstances, que ce soit pour vérifier le bon emploi des fonds publics ou s’assurer de la concordance entre les objectifs et les moyens. Mais la raison principale reste que toute société s’honore en honorant le mérite et le talent. Les occasions ne sont pas si nombreuses de pratiquer la vertu d’admiration, qui est le complément indispensable du jugement critique. Chateaubriand préconisait de pratiquer une critique des beautés plutôt que des défauts.

     Encore faut-il que les choix effectués soient indiscutables : l’égalité ne peut être rompue qu’au nom d’une plus grande justice. Il serait grave de méconnaître de vrais talents, plus pernicieux encore d’honorer qui ne le mériterait point. La pratique des distinctions requiert donc discernement et impartialité. À cet égard la longue pratique de l’Académie apporte toutes les assurances. La liste dont il va être donné lecture est la dernière étape d’une procédure qui s’étire sur presque toute l’année. Tous les ouvrages présentés à l’Académie ou signalés par l’un des confrères font l’objet d’un rapport, sont examinés par une commission ; la Compagnie se prononce en dernier lieu sur les propositions, qu’elle ratifie ou modifie éventuellement. En certains cas la décision finale est issue d’un vote à bulletins secrets. De bout en bout, le parcours est collégial jusqu’à la présentation solennelle, en ce jour, de la liste des distinctions dont l’honneur m’est échu de donner lecture.

     Après l’attribution des prix dans les conditions que je viens de préciser, le moment est en effet venu de leur distribution avec la proclamation solennelle des lauréats. Cette année, l’Académie aura décerné 73 distinctions pour 1 210 000 francs.

     La liste des Prix s’articule en deux volets : les Grands Prix institués par l’Académie, et ceux établis par des fondations particulières.

     Le Grand Prix de la Francophonie, institué en 1986, de tous le plus prestigieux et le plus richement doté, a été décerné à M. François Cheng, Professeur émérite à l’Institut national des Civilisations et Langues orientales. L’objet de ce prix est de « couronner une personne qui, dans son pays ou dans le monde, a contribué de façon éminente par son œuvre, ses travaux, son action au maintien et à l’illustration de la langue française. » C’est la première fois qu’il est attribué à un Chinois. Né en 1929, d’une famille de lettrés, après avoir entrepris des études universitaires à Nankin, M. Cheng part pour la France à vingt ans. Quand il arrive à Paris, il n’y connaît personne et ne sait pas un mot de français. De surcroît la prise de pouvoir de Mao, quelques mois plus tard, fait du boursier un exilé. Coupé de la Chine, perdu dans le Paris des années cinquante, doublement déraciné, selon les termes de notre confrère Pierre-Jean Rémy, François Cheng connaît la double épreuve individuelle de l’exil et collective d’un destin national bouleversé. Dans une solitude extrême, en dépit d’une constitution fragile, débardeur aux Halles ou à la plonge dans des restaurants, François Cheng entame cette tribulation d’un Chinois en France. En même temps il suit des cours à la Sorbonne et à l’École pratique des Hautes Études. Chercheur au Centre de recherches linguistiques sur l’Asie orientale à l’École des Hautes Études en sciences sociales, il obtient le doctorat ès lettres et accédera à une chaire à l’Institut national des Langues et Civilisations orientales. Il mène de front la traduction de poètes français : Hugo, Baudelaire, Rimbaud, Apollinaire, Breton et Eluard, Saint-John Perse, Char et Michaux, et des travaux de calligraphie et de philosophie de l’art qui entretiennent sa relation avec la Chine.

     Son œuvre est l’aboutissement d’un double itinéraire intérieur : assumer son passé et sa culture d’origine, et s’initier à la culture occidentale à travers l’expérience de l’exil. « Si j’ai réussi quelque chose, confia-t-il un jour, c’est une sorte de symbiose. Je ne vis plus dans le déchirement, même si j’ai payé le prix fort de cette rupture dans ma vie. J’éprouve presque de la reconnaissance, comme si je renaissais à quelque chose, à une double culture. C’est la France qui m’a donné ce regard distancié, cette capacité d’analyse et cette possibilité de synthèse. Dans cette transformation, je n’ai pas le sentiment d’avoir perdu mon âme, mais au contraire d’avoir conservé la meilleure part des deux cultures. » Plusieurs recueils l’ont imposé comme un des meilleurs poètes de son temps : Trente-six poèmes d’amour, De l’arbre et du rocher, Cantos toscans. Il est venu plus tard à la fiction, Le Dit de Tianyi évoque, tant l’amour de la poésie est présent chez lui, les longs poèmes épiques de la tradition asiatique. Personne on en conviendra, n’était plus qualifié pour ce Grand Prix de la Francophonie.

     L’Académie a attribué pour l’ensemble de ses travaux la Grande Médaille de la Francophonie à M. le Professeur François Ricard qui, après des études au Québec et en France, enseigne la littérature française et québécoise à l’Université Mac Gill de Montréal. Il a été Professeur invité des Universités de Strasbourg et Bordeaux. Il a collaboré à l’Histoire du Québec contemporain, consacré plusieurs études à l’œuvre de la romancière Gabrielle Roy. On lui doit un ouvrage : La Génération lyrique, essai sur la vie et l’œuvre des premiers-nés du baby-boom qui a ouvert un débat sur la responsabilité sociale de cette génération dans la genèse du monde actuel. Il a dirigé la revue Liberté. Cette médaille reconnaît plus particulièrement la part qu’il a prise au maintien de notre langue dans cette grande Université anglophone.

     En attribuant à M. Milan Kundera le Grand Prix de Littérature qui distinguait un lauréat chaque année entre 1961 et 1979, et qui est depuis attribué tous les deux ans par alternance avec le Grand Prix Paul Morand, l’Académie a entendu honorer un des plus grands auteurs contemporains et souhaité témoigner sa gratitude à un écrivain qui a fait hommage de son œuvre à notre langue. C’est dans la Tchécoslovaquie des années 1960, que Milan Kundera a écrit en tchèque ses premiers livres qui ont été publiés à l’étranger avant qu’ils puissent paraître dans son propre pays. Des romans comme La Plaisanterie, La vie est ailleurs, Le Livre du rire et de l’oubli ont connu d’emblée un succès mondial. Pour avoir parfaitement saisi et décrit le mélange d’absurdité et de monstruosité qui caractérise le régime communiste, Milan Kundera connaît, après l’écrasement du printemps de Prague, les rigueurs de la censure. Contraint à l’exil, il se fixe en France en 1975. En même temps qu’il s’attache à réviser les traductions françaises de ses œuvres pour leur donner, selon ses propres mots, « la même valeur d’authenticité que le texte tchèque », il rédige directement en français deux admirables essais, L’art du roman, une réflexion sur le roman et la pensée occidentale, et Les Testaments trahis, qui comporte en particulier des hommages à Rabelais et à Kafka. C’est également en français que, revenu à la fiction, il écrit deux brefs romans, La Lenteur et L’Identité où se déploie son talent de moraliste. Milan Kundera, écrit Michel Déon, « est à l’image de ces nombreux écrivains étrangers qui ont choisi le français pour dire ce qu’ils avaient sur le cœur et dans la mémoire, et témoigner que l’imagination et l’intelligence trouvent encore en notre pays un espace de liberté sans lequel il n’y a pas de civilisation ». Il est le témoin lucide des inquiétudes et des incertitudes de notre temps : ni procureur, ni complice. Un homme libre que nous sommes heureux de saluer avec le Grand Prix de Littérature.

     C’est à M. Léon de Rosen pour ses souvenirs, publiés sous le titre Une Captivité singulière. À Metz, sous l’Occupation allemande, que l’Académie a décerné le Prix Jacques de Fouchier. Ce prix créé en 1998, est destiné à un « ouvrage remarquable par son sujet, sa composition, et dont l’auteur ne doit pas appartenir aux professions littéraires ». Ces conditions d’attribution sont remplies : l’auteur n’est pas un écrivain professionnel. « Je suis, dit-il, né le 16 novembre 1912 à Stockholm où mon père, le baron de Rosen, était conseiller à l’ambassade de Russie. » Un père russe, une mère italienne, voilà pour les ascendants, qui se réfugièrent en France après le coup d’État bolchevique. Élève au lycée Henri IV, il doit, faute de ressources, arrêter ses études. Il est embauché comme ouvrier dans une usine de la société Simca dont il gravira les échelons jusqu’à devenir directeur général adjoint. Il quittera cette entreprise pour Massey-Ferguson-France dont il sera le président-directeur général. L’histoire qu’il conte est singulière et le récit qu’il en fait remarquable. En septembre 1939, comme apatride, n’étant pas mobilisable, il s’engage comme volontaire étranger. Il obtient la nationalité française en mai 1940 au moment même où son unité, le 21e régiment de marche étranger, pénètre en Belgique : sa formation résiste aux tentatives répétées de l’ennemi de franchir le canal des Ardennes. Le 11 juin, c’est la retraite : il est fait prisonnier. Par chance, il est interné dans un camp situé en Lorraine annexée. C’est là qu’éclate l’originalité du livre. Toute la région, demeurée française de cœur, adopte ces prisonniers. D’où une situation souvent paradoxale qu 'il conte avec humour. Je cite notre confrère Alain Decaux : « Les gardiens allemands, condamnés à un régime plutôt spartiate, considèrent bientôt avec amertume et envie les paniers de rosbifs, de gigots, de volailles bardées de lard, de tartes et aussi de bouteilles de Riesling et de flacons de kirsch qui vont faire de ces vaincus des suralimentés. Indulgents, les prisonniers en remettent une part à leurs gardiens qui en contrepartie accordent des autorisations de sortie et quand un prisonnier va déjeuner en ville, il invite son gardien. Cette population lorraine, dotée malgré elle d’une carte d’identité allemande, affiche ainsi manifestement en choyant ces soldats sa fidélité à la France. » Léon de Rosen s’évadera assez facilement. Le récit, qui a été rédigé sur le moment, au jour le jour, fourmille de détails sur la vie quotidienne. C’est à ce titre un précieux document qui atteste un réel talent d’écrivain.

     Le Grand Prix de Littérature Henri Gal est un prix de l’Institut, nouvellement créé, décerné sur proposition de l’Académie française et qui est certainement appelé à tenir une grande place dans la vie de notre Compagnie. Il porte le nom de son mécène, Henri Gal, écrivain lui-même et bibliophile, qui a laissé un legs important pour récompenser une œuvre littéraire de haute qualité. La Commission du Grand Prix du Roman a proposé à la Compagnie que ce prix soit attribué à M. Simon Leys à l’occasion de la publication de son livre Protée et autres essais, et pour l’ensemble de son œuvre. Simon Leys qui est né à Bruxelles en 1935, sinologue et historien de l’art, a d’abord été connu dans notre pays en 1971 par le livre intitulé Les habits neufs du Président Mao, un des premiers à faire justice des images convenues sur le régime communiste chinois et la révolution culturelle. Simon Leys est en effet un de ces esprits libres, qui ne craignent pas de bousculer les idées reçues de l’Occident sur l’Extrême-Orient. Il est l’auteur de plusieurs études pénétrantes sur la Chine, son art, sa littérature, sa pensée. Il est aussi le parfait traducteur d’œuvres de nombreux écrivains et philosophes chinois que, sans lui, nous n’aurions peut-être jamais abordés, tel les Propos sur la peinture du Moine Citrouille-Amère ou les Six récits au fil inconstant des jours de Shen fu. Ce Grand Prix honore une œuvre originale et un esprit courageux.

     Le Grand Prix du Roman que l’Académie attribue chaque année depuis 1918 à celui qu’elle juge être le meilleur de l’année est allé à M. Éric Neuhoff pour Un bien fou. Tour à tour collaborateur d’un magazine féminin, critique de cinéma, critique littéraire, Éric Neuhoff a pratiqué toujours avec le même bonheur des genres aussi divers que l’essai et le roman, la chronique et la critique littéraire. Le sujet de son dernier ouvrage est à la fois grave et léger : c’est l’histoire d’une double trahison où le cynique se trouve pris au piège de la sincérité, « récit cruel, nous dit M. Michel Déon, d’une initiation à grande vitesse et méditation sur les aveuglements de l’amour. Mais Éric Neuhoff a conjuré ce tragique en l’inscrivant dans notre temps : sa musique, ses films, ses livres clés, ses libertés liberticides, ses sanglots refoulés, ses voyages éclair, son imagerie désordonnée ». Substituant le style du bloc-notes à celui de l’introspection, Éric Neuhoff confirme les espérances de ses brillants débuts.

     L’Académie a attribué son Grand Prix de Poésie, créé en 1957, à M. Guy Goffette pour l’ensemble de son œuvre. Né en Lorraine en 1947, ayant longtemps enseigné dans les Ardennes belges, Guy Goffette a imposé au fil des ans avec une quinzaine d’ouvrages, une œuvre poétique d’une grande délicatesse et d’une profonde humanité, dont M. Michel Déon dit qu’elle se situe « dans la lignée des poètes et des essayistes à la fois délicats et voluptueux. Essayiste, il est l’ami de Verlaine et de Bonnard, poète, il est l’héritier d’un Max Jacob ou d’un Claude Roy. Son dernier recueil, Un manteau de fortune, rassemble les plus précieux de ses poèmes, sensuels, rêveurs mais aussi d’un humour qui aurait été cher à Toulet ou à Tristan Derème ».

     Le Grand Prix de Philosophie, institué en 1987, couronne cette année l’ensemble de l’œuvre du Professeur Pierre Magnard, qui occupa jusqu’à une date récente la chaire de métaphysique à la Sorbonne. Spécialiste de la Renaissance, il s’est attaché dans son enseignement à faire revivre les grands idéaux qui naquirent, au printemps de l’Europe, d’une redécouverte de l’Antiquité classique et d’un commerce intellectuel et spirituel entre les nations. L’ouvrage qu’il vient de publier, Questions à l’humanisme, éclaire rétrospectivement tous ses travaux antérieurs. « Il est bon de lire ce livre, observe notre confrère Michel Serres, à l’heure où la bioéthique pose tant de questions sur ce qui est humain. » Car il traite de la constitution progressive de la question : « Qu’est-ce que l’homme ? », à partir du Moyen Âge et de la Renaissance, d’Albert le Grand jusqu’à la Pléiade et à Montaigne. Sur ces périodes et sur leurs philosophes, l’érudition de Pierre Magnard est sans défaut. Mais son mérite principal est de poursuivre la recherche au-delà de ces références historiques et de discuter des avatars de l’humanisme, aussi bien de l’âge des Lumières, des Encyclopédistes jusqu’à Emmanuel Kant, que dans les temps contemporains. Il aborde alors, avec la profondeur que permet la maîtrise de cet héritage, les si graves questions qui nous préoccupent aujourd’hui. Il se demande si le mot « humanisme » n’a pas perdu toute actualité pour ne plus traduire qu’une simple nostalgie. L’effort pour restaurer l’humanisme ne témoignerait-il pas plutôt de la disparition de valeurs nées il y a quatre siècles que de leur récurrence ? L’âge postmoderne de l’individualisme absolu mérite, à bon droit selon lui, l’appellation d’ère du vide. « L’humanisme véritable, conclut Pierre Magnard, doit se comprendre comme l’exigence imprescriptible de rencontre de l’autre dans son absolue singularité. Reconnaître l’homme dans l’homme, suppose que l’on sache voir en lui, fût-il le dernier de l’espèce, un être irremplaçable. » Écrit avec beaucoup d’élégance, d’expertise sage et de clarté, averti de tous les développements récents, ce livre prend rang parmi les meilleurs et l’ensemble de l’œuvre de son auteur méritait bien d’être couronné par le grand prix de Philosophie.

     En attribuant à M. Régis Debray, qui enseigne la philosophie à l’Université Jean Moulin de Lyon, le Grand Prix Moron de Philosophie créé lui aussi en 1987, pour son Introduction à la médiologie et pour les Cours de médiologie, l’Académie honore le fondateur d’une discipline nouvelle. Que recouvre donc ce néologisme ? Précisons pour prévenir toute équivoque que la médiologie a peu à voir avec la sociologie des médias et qu’elle se distingue radicalement des sciences de l’information et de la communication. Le médiologue ne prétend pas faire la synthèse des différentes approches du phénomène de la communication. Pour autant, il n’en prête pas moins d’intérêt aux données techniques telles que les matérialités du livre et de l’imprimerie. De même il insiste sur l’importance des institutions, Églises, partis, collèges, académies, qui sont autant de relais de la continuité historique propre à l’espèce humaine. L’entreprise du médiologue est proprement philosophique. Sous l’effet d’une égalisation croissante des peuples et d’un accroissement prodigieux des moyens de communication, notre temps cède de plus en plus à l’ivresse de la communication. Régis Debray observe que « le partage du passé commun devient de plus en plus malaisé, au fur et à mesure que la mise en commun de l’information se trouve facilitée ». L’homme moderne est écartelé entre une intériorité incommunicable, sans raison et sans norme, et une extériorité de part en part rationalisée, normalisée, dont la communication est devenue paradoxalement le principal phénomène. Dès lors il ne s’agit plus de déplorer, d’exorciser ou d’édifier. La responsabilité du philosophe consiste donc à comprendre la logique du devenir technologique pour en prévenir les effets. Dans son rapport, notre confrère Pierre-Jean Rémy salue cet appel à une éthique de la médiation, destinée à parer à un double danger : « l’oubli ou le mépris des contraintes techniques d’une part, la superstition des nouvelles technologies de l’autre ».

     Le premier Grand Prix Gobert d’Histoire, qui tire une partie de son prestige de son ancienneté, puisqu’il a été institué en 1834, pour récompenser le morceau le plus éloquent d’histoire de France ou celui dont le mérite s’en approchera le plus, est attribué à M. Pierre Pierrard, Professeur émérite à l’Institut catholique de Paris, pour l’ensemble de son œuvre qui s’impose par son importance comme par sa diversité. Très attaché à sa région du Nord, Pierre Pierrard en a fait ressortir les richesses cachées et en a éclairé l’histoire. Toute une partie de son œuvre est consacrée à l’histoire du monde du travail et du mouvement ouvrier qu’il évoque avec une sensibilité généreuse et une écriture chaleureuse. Il s’est intéressé à la chanson populaire. C’est surtout à l’histoire religieuse qu’il a apporté une contribution décisive : il s’est particulièrement attaché à l’étude des tensions entre le christianisme et la classe ouvrière ainsi qu’entre l’Église et les autres familles spirituelles, traitant aussi bien de l’histoire des curés de campagne que des rapports entre les catholiques et les juifs au temps de l’affaire Dreyfus. C’est à un historien complet servi par un réel talent d’écrivain que le grand prix Gobert rend un hommage pleinement mérité.

     Un second Prix Gobert est attribué à M. Venceslas Kruta, directeur d’Études à l’École pratique des Hautes Études, pour son ouvrage Les Celtes, histoire et dictionnaire, œuvre d’érudition monumentale, composée par un savant de premier ordre, et qui s’inscrit dans la tradition des grands ouvrages de référence scientifique.

     L’ouvrage auquel est attribué cette année le Prix de la Biographie littéraire s’intitule Claude Fabre de Vaugelas. mousquetaire des lettres françaises : il est consacré au premier titulaire du 32e fauteuil de notre Compagnie, qui connut une grande célébrité de son vivant et dont le souvenir se perpétue, il faut bien l’avouer, grâce à Molière. En retraçant la vie de l’auteur des Remarques sur la langue française, défenseur acharné du beau français, M. André Combaz, de l’Académie de Savoie, fait revivre une destinée singulière et passionnante. Il évoque sa jeunesse savoyarde, les relations privilégiées de sa famille avec saint François de Sales. L’ouvrage allie un récit d’une grande vivacité et un appareil scientifique des plus rigoureux, riche en informations souvent inédites.

     Le Prix de la Biographie historique a été partagé entre M. Guy Chaussinand-Nogaret pour son livre sur le cardinal Dubois et M. André Guillaume pour son Lawrence d’Arabie. Directeur d’Études à l’École des Hautes Études en sciences sociales, spécialiste reconnu du XVIIIe siècle, Guy Chaussinand-Nogaret s’est attaché à faire justice de la réputation faite au cardinal Dubois, dont il explique comment elle a pu se former : « Les vanités que les succès de Dubois avaient blessées, l’incompréhension qu’une intelligence politique exceptionnelle avait suscitée dans les esprits étroits ou rétrogrades, une faveur soutenue de la part du Régent, ce fut assez pour que les songe-creux, les envieux et les cyniques esquissassent un portrait diabolique du conseiller le plus fidèle, du diplomate le plus lucide, du ministre le plus éclairé, qui répara les torts faits à la France dans les dernières années d’un règne sans grâce que la Providence avait abandonné. » Pour autant l’auteur n’absout pas entièrement son modèle, mais ses défauts majeurs sont dit-il ceux d’une grande partie de la société qui entoure le Régent : il y ajouta il est vrai une « grande brutalité de manières d’ailleurs calculée ». La biographie rend justice à cet homme méconnu « européen des Lumières naissantes, précurseur dont les intentions et la lucidité échappaient aux nostalgiques attachés aux folies belliqueuses et inopportunes du règne de Louis XIV et de ses obsessions orthodoxes ». M. Alain Decaux déclare qu’on referme ce livre comblé par un portrait que l’on oubliera difficilement.

     M. André Guillaume est un spécialiste de la littérature anglaise et de la civilisation britannique. Sa traduction des Sept Piliers de la Sagesse fait référence. Grand connaisseur de l’œuvre de T. E. Lawrence, il a intégré les apports des travaux les plus récents sur son personnage qui introduisent la dimension psychanalytique. L’auteur, nous dit Mme Hélène Carrère d’Encausse, notre Secrétaire perpétuel, est de surcroît un excellent conteur, au style vif, clair et élégant : en témoigne le long chapitre sur la guerre au Proche-Orient et la révolte arabe. Ce livre familiarise le lecteur avec un épisode essentiel de l’histoire contemporaine, et fait revivre un personnage qui n’avait plus eu depuis vingt ans de biographe français

     Le Prix de la Critique, dont la création remonte à 1971, est décerné à Mme Laure Murat pour son livre La maison du Docteur Blanche, histoire d’un asile et de ses pensionnaires. « Ce n’est pas la première fois, observe notre confrère Marc Fumaroli, que l’histoire littéraire s’allie à l’histoire psychiatrique. Le nom de Jean Delay, notre regretté confrère, suffirait à attester la complicité entre ces deux disciplines. Dans le livre de Mme Murat le sujet n’est pas un seul écrivain, serait-il aussi grand que Gide, dans ses rapports avec le psychiatre, mais plusieurs générations d’écrivains du XIXe siècle, de Nerval à Maupassant, dont les rapports avec une véritable dynastie de médecins de l’âme sont retracés pour la première fois. Laure Murat s’est livrée à une patiente et méticuleuse recherche d’archives, et sur cette base documentaire, inédite et solide, elle a reconstitué avec autant de subtilité et de tact que de précision, la face d’ombre du romantisme et du naturalisme, ce mal du siècle créateur mais qui pouvait aussi tourner à la névrose, à la psychose, à l’impuissance intermittente ou permanente d’écrire. Tous ces malades, dont quelques-uns furent des génies, firent des séjours dans la célèbre clinique, devenue une sorte de salon littéraire à l’envers, où officièrent tour à tour Esprit Blanche et Émile le fils, selon une méthode artisanale, qui ne réussit ni mieux ni plus mal que d’autres, plus savantes, apparues depuis. Laure Murat a écrit l’un des chapitres les plus singuliers et les moins connus de notre histoire littéraire, celui qui regarde du côté de cette souffrance et de ces maladies mentales dont se paye souvent l’énergie créatrice moderne. »

     Le Prix de l’Essai, pareillement créé en 1971, revient cette année à Mme Belinda Cannone pour L’écriture du désir. « Belinda Cannone s’est penchée sur la naissance de la pulsion qui précède l’écriture de la fiction et s’ouvre au monde, à une figure du monde, explique notre confrère Michel Déon. Cachée dans les limbes, cette pulsion surgit et s’enrichit de l’acquis d’une civilisation et d’une hérédité, fragile alliage d’un énigmatique appel et d’un héritage. À la fois inventeur, instrumentiste et messager, le roman est l’intercesseur entre le monde inconnu ou encore informe et le lecteur innocent. Le langage est sa musique intérieure, audible de lui seul, traduite tantôt avec une calme sérénité, tantôt avec fièvre. Remarquable par sa clarté, dit encore Michel Déon, l’élégance de son propos mais aussi par la volupté caressante de son style, l’essai de Belinda Cannone répond dans le domaine du romanesque au lancinant pourquoi des origines, à la réalité présente et à l’incertitude future. Il n’y a pas d’œuvre dit Belinda Cannone, sans foi dans la toute-puissance de la création, sans l’ingénu espoir d’une survie dans le cœur et l’esprit des hommes. »

     C’est à M. François Bott qu’est décerné le Prix de la Nouvelle, qui date lui-aussi de 1971, pour son recueil de souvenirs Une minute d’absence. M. François Bott, romancier, est aussi un essayiste et un mémorialiste. Une minute d’absence est d’une grande originalité : les récits les plus imaginaires offrent toutes les apparences de la réalité d’un fait divers et les récits vécus paraissent relever de l’imaginaire. Mais le vrai bonheur de ce recueil, dit M. Michel Déon, est l’écriture : tout est dit avec une sorte de sérénité parfois douloureuse et un détachement, un fatalisme même, tout à fait prenant. Ce livre relève à la fois de l’élégie et du pastiche.

     Le Prix du Cardinal Grente destiné à récompenser l’ensemble de l’œuvre d’un membre du clergé catholique français, séculier ou régulier, est attribué au père Xavier Tilliette, prêtre de la Compagnie de Jésus, professeur émérite de la faculté de philosophie de l’Institut catholique de Paris et de l’Université pontificale grégorienne. Le père Tilliette a consacré une grande partie de ses travaux à l’idéalisme allemand, à Schelling en particulier, dont il s’est fait le savant biographe. Son dernier ouvrage Les Philosophes lisent la Bible, qui fait suite au Christ de la philosophie et à La semaine sainte des philosophes, publiés il y a quelques années, livre les raisons de ce choix : l’étude de cette période permet de saisir de façon exemplaire la constitution d’un jeu d’oppositions entre philosophie et théologie, savoir et foi, raison et révélation, science et religion, qui régit l’époque moderne. Le père Tilliette se propose de montrer comment, par l’articulation de la Bible, parole et événement, avec la philosophie on accède non seulement à une meilleure intelligence de l’Écriture mais s’opère aussi une transformation de la philosophie elle-même, au point que celle-ci aujourd’hui n’hésite pas à confondre ses voies avec celles de l’herméneutique.

     Entre religion et philosophie, la méditation érudite du père Tilliette n’invite pas à choisir l’un des deux termes au détriment de l’autre, ni à favoriser un compromis aussi périlleux que précaire : s’il n’est guère loisible de lire la Bible pour paraphraser Kant, « dans les limites de la simple raison », il n’est pas davantage nécessaire d’abdiquer toute rationalité face aux textes sacrés. L’écriture n’est pas en effet l’ultime instance qui juge et condamne toute philosophie. L’originalité de Schelling consiste au contraire à risquer la philosophie à la lumière de la Révélation. De cette entreprise le père Tilliette retire que la philosophie ne saurait appréhender le Dieu vivant comme le principe d’un raisonnement ni comme le terme d’une démonstration. Le Dieu du Sinaï ne supprime pas le Dieu des philosophes, il lui donne vie en le déliant des liens du discours et en l’émancipant des contraintes de la preuve.

     Au titre des Prix d’Académie décernés à des ouvrages qui touchent à sa propre histoire ou aux valeurs auxquelles l’Académie est essentiellement attachée, deux médailles de vermeil ont été décernées. La première couronne un auteur que nous avons connu avant de pouvoir l’identifier. Les interrogations nées en 1997 lors de la parution de Morituri de Yasmina Khadra ont trouvé cette année dans L’Écrivain une réponse émouvante. L’ouvrage en effet rétablit le lien, biographique autant que littéraire, entre Yasmina Khadra, signataire sans visage, et Mohammed Moulessehoul, auteur apprécié en France autant que dans le Maghreb, qui a publié de nombreux ouvrages sous son véritable nom. Le beau roman d’éducation qu’il nous donne aujourd’hui évite les pièges de l’introspection pour nous ouvrir au mystère rarement dévoilé d’une vocation littéraire et de l’apprentissage solitaire du métier d’écrivain. Le jeune homme, dont nous est dépeinte de manière sobre et pudique la douloureuse initiation dans un milieu indifférent ou hostile, fait l’épreuve d’une singularité qu’il appréhende sous les espèces de la fatalité. L’écrivain est bien celui qui, dans la crainte de ne pouvoir s’égaler à ce destin qu’il n’ose répudier, se laisse prendre à son corps défendant et comme au péril de lui-même au sortilège des mots, « ces assemblages de caractères morts qui, entre une majuscule et un point, ressuscitent d’un coup, deviennent foule, deviennent force et esprit ».

     La seconde médaille de vermeil a été attribuée à M. Dominique de Villepin pour son livre Les Cent Jours ou l’esprit de sacrifice. Dans cet ouvrage qui est d’un véritable historien et a connu d’emblée un succès public, l’auteur retrace jour par jour, avec talent, du débarquement au golfe Juan à l’embarquement pour Sainte-Hélène, les péripéties d’un des plus extraordinaires épisodes de notre histoire nationale. Avec lui, on observe les retournements de situation. Le sous-titre, « l’esprit de sacrifice », qui ne laisse pas d’interroger le lecteur, oriente sa réflexion peut-être moins en direction du pouvoir et de son exercice que du rôle de la contingence dans l’histoire générale.

     Le Prix du Théâtre, fondé en 1980, est attribué cette année à M. Éric-Emmanuel Schmitt pour l’ensemble de son œuvre dramatique. Le Visiteur, Variations énigmatiques, Hôtel des deux mondes, autant de titres qui ont brillé en lettres de feu à la façade des théâtres, autant de pièces, certaines traduites dans une trentaine de langues, jouées un peu partout dans le monde. L’auteur dramatique se souvient qu’il est philosophe. La préoccupation métaphysique, l’ampleur de l’inspiration, la richesse des thèmes trouvent leur expression dans l’agencement des intrigues, la sûreté des répliques, la force des caractères. Éric-Emmanuel Schmitt est aussi romancier et avec un même talent.

     Le Prix du Jeune Théâtre, créé pour récompenser un jeune auteur dramatique est attribué cette année à M. Fabrice Roger-Lacan, pour sa première pièce, Cravate Club, qui a été saluée par la critique. Il a fait un coup de maître et renouvelé le genre classique difficile du théâtre à deux personnages. Comment, dans un dialogue où les réparties font mouche, vont s’affronter les amis, et les intimes devenir étrangers. ? La découverte de l’un par l’autre ne peut être qu’un conflit. Deux merveilleux acteurs servent un texte où la forme et le fond se rejoignent : humour, cruauté, finesse, brio. Un exercice de style ? Mieux : un style, nous dit notre confrère Jean François Deniau.

     Le Prix du Cinéma, fondé par Mme René Clair, atteste que l’Académie ne boude aucune forme de création ni d’expression. Il va cette année à Mme Agnès Jaoui et à M. Jean-Pierre Bacri. Leurs noms sont inséparables : Cuisine et dépendances, Un air de famille, On connaît la chanson, Le goût des autres, pour ne citer que quelques-uns de leurs films, composent une suite de portraits de notre époque à la fois ironiques et tendres, aux personnages si vivants qu’on croit les avoir connus soi-même, dans des situations qui sont celles de notre vie aujourd’hui. Un dialogue savoureux dont la verve, qui peut être grinçante, n’exclut pas la drôlerie, témoigne d’un regard pénétrant sur la psychologie des êtres humains.

     La Grande Médaille de la Chanson française, dont la création remonte à 1938, est cette année décernée à M. Michel Sardou. C’est un enfant de la balle : ses deux parents étaient comédiens. Il a été fidèle à ce double héritage. Débutant à dix-huit ans à Bobino, il a eu une carrière éclatante. On ne compte plus ses tours de chant à l’Olympia, ses récitals au Palais des Congrès et à Bercy. Il compose des chansons dont il est lui-même l’interprète à la scène et qui sont sur toutes les lèvres. Il suffit de citer des titres pour que les paroles et les airs viennent à nos mémoires : La maladie d’amour, Un enfant, Les bals populaires, J’habite en France, C’est pour quand le beau temps, Mourir de plaisir, Une fille aux yeux clairs. C’est l’auteur et son grand talent que l’Académie française a tenu à reconnaître.

     Au titre du Prix du rayonnement de la Langue et de la Littérature françaises destiné à des personnalités ayant rendu à la langue et aux lettres des services signalés, l’Académie a décerné deux médailles de vermeil.

     L’une est attribuée à Mme Amalia Lacroze de Fortabat pour son action généreuse en faveur de la culture française en Argentine, et en particulier la part qu’elle a prise au développement de l’Alliance française à Buenos Aires. Toute son action est inspirée par un sentiment aigu de la qualité : elle s’efforce avec passion de trouver la solution des problèmes de tout un pays et de maintenir coûte que coûte une présence française qui fut une composante de la culture argentine.

     L’autre médaille de vermeil est attribuée au Professeur Roland Mortier, membre associé étranger de l’Académie des sciences morales et politiques, et membre de l’Académie royale de Langue et de Littérature françaises de Belgique, Professeur émérite de l’Université libre de Bruxelles et qui a enseigné en nombre d’Universités étrangères. Notre Compagnie a voulu honorer un savant, linguiste, philosophe autant qu’historien, dont les études comptent parmi les plus pénétrantes consacrées à l’esprit des Lumières. Roland Mortier ne s’est pas seulement attaché à suivre l’itinéraire intellectuel de Voltaire, Rousseau et surtout Diderot, ni à rendre compte de leurs pérégrinations à travers l’Europe savante, il a aussi tiré de l’oubli plusieurs écrivains obscurs ou dédaignés et exhumé les œuvres de la littérature populaire qui renouvelle singulièrement notre vision du XVIIIe siècle. S’il tente des rapprochements inattendus, avance des hypothèses audacieuses, il n’en affirme pas moins l’universalité des principes et des valeurs sur lesquels elles reposent et qui tiennent à une conception nouvelle de l’homme, de son destin et de son histoire. Il rappelle aussi que, si « jamais peut-être l’Europe ne prit une conscience plus aiguë et plus exquise de son unité culturelle qu’au XVIIIe siècle, c’est qu’en ce siècle elle s’est sentie et crue française. »

     Après la proclamation, l’acclamation. J’invite les lauréats dont les noms viennent d’être énoncés à se lever. Nos applaudissements ratifieront les choix de l’Académie et leur témoigneront notre estime.

     Cette énumération n’épuise pas la liste de ceux que l’Académie honore. Nous proclamons maintenant les prix institués par des Fondations et qui apparaissent sous le nom qu’ont voulu pour eux les auteurs des libéralités.

     Une médaille d’argent du Prix Heredia, destiné « à des auteurs de recueils de prosodie classique », a été attribuée à M. Tristan Buridant, pour L’Or des songes.

     Une médaille d’argent du Prix François Coppée, destiné à récompenser « l’auteur d’un recueil de poésie », couronne cette année M. Athanase Vantchev de Thracy, pour ses deux derniers ouvrages, D’antiques voix suaves et Soudain un séraphique frisson.

     Deux médailles d’argent du Prix Paul Verlaine, destiné lui aussi à « des auteurs d’un recueil de poésie », ont été attribuées l’une à M. Philippe de Chaunac-Lanzac, pour Gravé dans l’éphémère, et l’autre à M. Philippe Veyrunes, pour Les Voleurs d’arcs-en-ciel. L’Académie avait déjà distingué plusieurs fois M. de Chaunac-Lanzac pour des recueils précédents.

     Le Prix Henri Mondor a été fondé pour récompenser « un poète français de veine mallarméenne ». Il a été attribué cette année à M. Jean-Pierre Lassalle, pour ses Poèmes presque.

     Le Prix Maïse Ploquin-Caunan, destiné « à l’auteur d’un recueil de poésie, en vers classiques ou libres, d’expression romantique », a été décerné cette année à M. Claude Luezior, pour son recueil intitulé Fragile. Le rapport de Jacques de Bourbon Busset est le dernier texte que nous ayons de la main de notre regretté confrère. Il dit de l’auteur que ses poèmes sont à la fois très humains et foisonnants d’images.

     D’autres Fondations nous permettent d’attribuer, chaque année treize prix a des ouvrages de littérature et de philosophie

     Une médaille d’argent du Prix Montyon, destiné « aux auteurs d’ouvrages les plus utiles aux mœurs, et recommandables par un caractère d’élévation et d’utilité morales » est allée à Mme Alberte van Herwynen, pour L’Arpenteur des Lumières.

     Deux médailles, l’une d’argent, l’autre de bronze, du Prix La Bruyère, fondé « pour couronner des ouvrages de philosophie morale », sont allées, la première à M. Tzvetan Todorov, pour Mémoire du mal, Tentation du bien, et la seconde à M. Georges Balandier, pour Le Grand Système.

     Une médaille de bronze du Prix Émile Augier revient à M. Pierre Barillet, pour Quatre années sans relâche.

     Une médaille d’argent du Prix Émile Faguet, destiné à récompenser « un ouvrage de critique littéraire », va cette année à Mme Stéphanie Champeau, pour La Notion d’artiste chez les Goncourt.

     Le Prix Louis Barthou, est un prix de « littérature générale ». Il est décerné à M. le Professeur Jean-Louis Michaux, pour Le cas Beethoven, Le génie et le malade.

     M. Philippe Frey, pour Le Chevalier Songhaï  : médaille d’argent.

     Le Prix Anna de Noailles est destiné à « une femme de lettres ». Une médaille d’argent est allée cette année à Mme Maryline Desbiolles, pour Le Petit Col des loups.

     Deux médailles, du Prix François Mauriac, destiné à récompenser « de jeunes écrivains », sont allées, l’une d’argent, à M. Louis Védrines, pour Le Mezzetin, l’autre de bronze, à M. Olivier Bleys, pour Pastel.

     Le Prix Roland de Jouvenel a été fondé « dans l’intérêt des lettres ». Il est décerné à M. Michel Winock, pour Les Voix de la liberté.

     Le Prix Biguet récompense « un ouvrage de philosophie ou de sociologie ». Il couronne celui de M. Didier Masseau, pour Les ennemis des philosophes. L’antiphilosophie au temps des Lumières.

     Le prestigieux Prix Ève Delacroix récompense l’auteur d’un ouvrage « alliant des qualités morales à des qualités littéraires ». Il est décerné cette année à M. Marcel Schneider, pour Les Gardiens du secret.

     Le Prix Pierre Benoit est destiné à l’auteur d’un travail sur « la vie ou l’œuvre de Pierre Benoit ». Il honore cette année l’Association des Amis de Pierre Benoit, pour la publication des Cahiers des Amis de Pierre Benoit.

     Le Prix Jacques Lacroix, destiné à l’auteur d’un « ouvrage sur la vie des animaux » récompense cette année M. Pierre Déom, créateur et rédacteur de La Hulotte.

     Le Prix Raymond de Boyer de Sainte-Suzanne a été créé pour distinguer un « ouvrage de philosophie ou de pensée religieuse contemporaine ». Il a été décerné à Mme Chantal Delsol, pour son Éloge de la singularité. Essai sur la modernité tardive.

     Plusieurs autres Fondations dûes à de généreux donateurs nous permettent de décerner aussi des Prix d’histoire et de sociologie.

     Le Prix Guizot, créé pour récompenser un ouvrage « d’histoire générale », va à M. Francis Rapp, pour Le Saint Empire romain germanique ; d’Othon le Grand à Charles Quint, et une médaille d’argent est attribuée à M. François Crouzet, pour sa belle synthèse sur l’Histoire de l’économie européenne.

     Le Prix Thiers est attribué cette année à M. Pierre et Mme Solange Déyon, pour leur livre sur Henri de Roban, Huguenot de plume et d’épée, attachante figure

     Le Prix Eugène Colas est destiné lui aussi à couronner un ouvrage d’histoire. Il va cette année à Mme Nira Pancer, pour Sans peur et sans vergogne. De l’honneur et des femmes aux premiers temps mérovingiens, et une médaille d’argent est attribuée à M. Guy Hermet, pour Les Populismes dans le monde. Une histoire sociologique des XIXe-XXe siècles.

     Le Prix Eugène Carrière est destiné à des auteurs « d’ouvrage d’histoire de l’art ». Il est attribué à M. le Professeur Jacques Thuillier, pour son étude consacrée à Jacques de Bellange. Une médaille d’argent couronne à la fois M. Philippe Palasi, pour Jeux de cartes et de l’oie héraldiques, aux XVIIe et XVIIIe siècles et M. Michel Pastoureau, pour Bleu, Histoire d’une couleur.

     Le Prix Georges Goyau a été fondé pour « récompenser un ouvrage d’histoire locale ». Il est décerné à M. le Professeur Michel Taillefer, pour Vivre à Toulouse sous l’Ancien Régime. Une médaille d’argent récompense M. Jacques Messiant, pour Hondeghem, portrait d’un village des Flandres. Une médaille de bronze est attribuée à Mme Lydie Belmonte, pour De « la Petite Arménie » au boulevard des Grands Pins.

     Le Prix du Maréchal Foch a été fondé pour couronner un ouvrage « intéressant l’art et la science militaires ». Deux médailles d’argent sont allées au général Gilbert Forray, pour Pour quelques arpents de neige et au général Jean Simon, pour La saga d’un Français libre.

     Le Prix Louis Castex distingue « une œuvre littéraire qui permettra de mettre en lumière des souvenirs de voyages ou découvertes en archéologie ou en ethnologie ». Il couronne cette année M. le Professeur Alfred Adler, pour Le pouvoir et l’interdit. Royauté et religion en Afrique noire.

     Une médaille d’argent au titre du Prix Monseigneur Marcel, destiné à « un ouvrage consacré à l’histoire philosophique, littéraire ou artistique de la Renaissance », revient à M. Jean Bérenger, pour Tolérance ou paix de religion en Europe centrale (1415-1792).

     Le Prix Diane Potier-Boès récompense « un ouvrage consacré à l’histoire ou à la civilisation de l’Égypte ou des pays de la Méditerranée ». Il est attribué cette année à M. Pierre Vidal-Naquet, pour Le monde d’Homère, et une médaille d’argent récompense M. Édouard Sablier, pour Le prisonnier de Bourganeuf, Djem Sultan.

     Le Prix François Millepierres distingue « des recherches historiques sur l’Antiquité ou sur l’époque contemporaine ». Il est attribué à M. Georges-Henri Soutou, pour La guerre de Cinquante ans. Deux médailles d’argent ont récompensé M. Simon Epstein, pour Les Dreyfusards sous l’Occupation et M. Philippe Valat, pour Les Labyrinthes de la liberté.

     Grâce à d’autres généreux donateurs, l’Académie est aussi en mesure d’accorder des Prix de soutien à la création littéraire. Le Prix Henri de Régnier a été décerné à M. Jean-Clarence Lambert, pour son Anthologie de la poésie suédoise. Les deux autres, le Prix Amic et le Prix Mottart vont à M. Jean Rolin et à M. Lakis Proguidis. Ce sont aussi des hommages rendus à l’œuvre déjà publiée de ces deux auteurs.

     J’admire que de la diversité des volontés des fondateurs, auxquels nous réitérons l’expression de notre gratitude, puisse procéder la reconstitution d’un panorama complet de l’activité créatrice. Les lauréats ont tous bien servi notre langue que l’Académie a pour mission d’honorer. Elle leur en dit sa reconnaissance.