Discours en vers sur l’emploi de la mythologie, lu dans la séance publique

Le 5 janvier 1843

Charles LACRETELLE Jeune

DISCOURS EN VERS
SUR L’EMPLOI DE LA MYTHOLOGIE,

LU DANS LA SÉANCE PUBLIQUE DU 5 JANVIER 1843,

PAR M. CH. DE LACRETELLE.

 

 

En vieillard obstiné, je viens, sans sacrilège,
Rendre un souffle de vie à nos dieux de collège,
Et bravant les brocards du critique malin,
Plaider pour Calypso, comme feu Patelin.
Poëtes, d’où vous vient le zèle iconoclaste ?
La foi de Polyeucte a pour vous trop de faste ;
Sur nous la tolérance a lui de toutes parts :
Doit-on la repousser du domaine des arts ?
On dirait qu’arrêtant la douce fantaisie,
Le dur Jansénius bride la poésie.
Je conviens qu’en dépit du siècle industriel,
Elle a su de nos jours reconquérir le ciel ;
Qu’ardente à triompher du rire de Voltaire,
Elle a de pleurs pieux arrosé le Calvaire ;
Qu’à d’austères leçons mêlant sa noble voix,
A l’esprit immortel elle a rendu ses droits.
Oui, sur d’affreux forfaits et sur la foi trahie,
Elle a fait éclater les foudres d’Isaïe ;
Ses hymnes inspirés me font entendre encor
La harpe de David, qui, sur le mont Thabor,
Exhale un cri d’amour que répètent les anges,
Et qui vient se mêler aux célestes louanges ;
Sa voix, plaignant les maux de ce siècle agité,
Invoque en soupirant le Dieu de charité ;
Elle rejette alors la fiction profane.
Quand la foi se tairait, le bon goût la condamne.
Mais son temple est-il donc fermé pour tous les jeux ?
Marche-t-elle toujours sous un ciel orageux ?
Avec d’illustres Grecs dont elle est noble fille,
Doit-elle renoncer à tout air de famille ?
De leurs chantres divins, ces dieux ont hérité ;
Homère leur donna son immortalité,
Et même malgré vous leur souffle vous inspire ;
En tuant Apollon, vous lui volez sa lyre.

 

En vers plus qu’aux autels la foi va s’étalant.
Tel jeune homme, en qui luit le feu du vrai talent,
Sur ce point seulement scrupuleux par système,
Contre de pauvres dieux fulmine l’anathème ;
Si j’ai nommé Vénus, me déclare païen,
Et puis à certain bal il vole en bon chrétien.
La mode ainsi le veut ; elle excelle à détruire,
A briser ses autels, sauf à les reconstruire.
Tandis que de nos vers elle bannit l’amour,
La fantasque revient aux modes Pompadour.
A ces tableaux fardés où les amours fourmillent,
Où, sous un lourd panier, les trois Grâces sautillent,
Je lui trouve souvent qu’un vulgaire odorat ;
Bientôt vous la verrez imiter de Dorat
Les airs avantageux et les fades délices,
Et de fraîches Hébé repeupler les coulisses.

 

Aujourd’hui nos amants, dans un dévot jargon,
Au lieu du bon Mercure invoquent leur patron.
Le fard a bien vieilli la reine de Cythère.
Mais pourquoi chargez-vous d’un galant ministère
Une vierge sublime, au milieu des douleurs,
Dont le charme divin resplendit sous les pleurs ?
De brillantes couleurs, au vieux temps ignorées,
Vous redorez encor les légendes dorées.
C’est jouer sur la foi plutôt que la servir.
Aux superstitions voulez-vous l’asservir ?
Dans de vains ornements votre style s’engage ;
A miracles niais il faut niais langage.
Puis on veut inventer, et c’est là votre écueil !
La foi ne souffre pas qu’on ébranle son seuil.
Lorsque d’atours nouveaux votre verve l’habille,
L’hérésie en vos vers innocemment babille.
S’ils sont, malgré vos soins, plus rêveurs que dévots,
L’ennui les punit mieux qu’autrefois les fagots.
C’est pour les éviter que dans la renaissance,
Les poëtes légers de notre vieille France,
Pleins de l’esprit galant plus que du feu divin,
Préférèrent la fable aux erreurs de Calvin.
Des maîtresses du roi flattant le goût profane,
Ils savaient adoucir la peu chaste Diane ;
Si vers l’idolâtrie ils semblaient trébucher,
Une galante cour les sauvait du bûcher.
Les dames à l’envi protègent qui les aime
Souvent un madrigal détourna l’anathème.
Marot, qui présidait leur constellation,
Fit un saut maladroit de Cythère à Sion
Scandaleux à Genève, à Paris hérétique,
Il pouvait en l’aimant rester bon catholique.
De ces dieux complaisants, sans doute, on fit abus
Il ne faut pas toujours s’inspirer de Phébus ;
Ce champ abandonné ne veut plus de culture,
Mais on peut y cueillir une fraîche verdure.

 

Au pied de l’Éternel renversez Jupiter,
Et de son aigre épouse affranchissez l’Éther ;
De Neptune brisez le trident tyrannique ;
Heureux si vous brisiez le trident britannique !
Surtout faites main basse au séjour de Pluton.
Avec ses noires sœurs écrasez Alecton
Et poursuivant Cerbère avec mainte risée,
Effondrez le Tartare en sauvant l’Élysée.
Mais sachez vous garder d’un zèle trop cruel ;
Que tout aimable dieu reste encore immortel.

 

Quoi ! vous abolissez les déités du Pinde,
Pour aller déterrer, dans le Nord et dans l’Inde,
Une Babel de dieux, un monstrueux troupeau
Devant qui Phidias briserait son ciseau.
Fuyez, Grâces, fuyez, ainsi que votre mère,
Et Cérès et Bacchus, et vous tous, dieux d’Homère,
Devant des dieux tortus, accroupis, grimaçants,
Dont les yeux secs et froids sont toujours menaçants,
Bien pourvus de laideur par les hiéroglyphes,
Et dont je vois partout les cornes et les griffes ;
Panthéon digne enfin des diables que Callot
Traça grotesquement de son pinceau fallot.

 

J’aime mille fois mieux la naïve féerie
De notre simple enfance innocemment chérie ;
Le vieux bonhomme y laisse endormir sa raison
Et remonte le cours de sa jeune saison.
Quelque fleur de bon sens dans ses contes se glisse.
Dans le petit Poucet je retrouve un Ulysse.
De l’Arabe ambulant les merveilleuses Nuits
Font toujours bonne guerre au démon des ennuis.
Chez le peintre enchanteur d’Armide et d’Herminie,
Le feu du sentiment alluma le génie.
D’un coup de sa baguette, Arioste, en ses vers
Parcourt en se jouant et charme l’univers.
Eh bien ces deux élus du monde poétique
Souvent laissent tomber un grain mythologique.
Au chantre de Roland, le pape Léon dix
Accordait en riant sa part de Paradis.
Si vous voulez à neuf reconstruire un Parnasse,
Imitez, surpassez l’Arioste et le Tasse ;
Mais de Virgile encore offrez-moi le parfum.
Sagement délivré d’un scrupule importun,
Fénelon, tout rempli de la céleste flamme,
Purifiait la fable au feu de sa belle âme.
Il nous fait mieux sentir tout le charme du vrai.
Eh bien, damnerez-vous le prélat de Cambrai ?

 

Au champ des fictions tout germe, tout varie.
Mais les Grecs sont toujours rois de l’allégorie,
Puisqu’ils savent l’orner de voiles transparents.
Conservons un vieux culte à nos premiers parents.
Partout ailleurs confuse, et contournée et louche,
Des énigmes du sphinx elle empâte sa bouche.
Pour tout diviniser, dans les prés, dans les cieux,
II fallait le concours d’un peuple ingénieux ;
Chaque bosquet, doué d’une faveur secrète,
S’il renfermait un dieu, renfermait un poëte.
Eh bien, dans nos jardins, sous nos ombrages frais,
Aux Faunes, aux Sylvains permettez quelque accès,
Et peignez devant eux la nymphe fugitive.
La science sévère est moins que vous craintive ;
Des astres dont son œil vient d’enrichir nos cieux
Elle aime à contempler la famille des dieux.
L’aimable botanique, en courant vers l’aurore,
Fait de notre heureux globe un théâtre de Flore,
Et vous la bannissez même de vos chansons.
Tous les arts ont frémi de vos dures leçons.
Contemplez d’Apollon le divin simulacre ;
Il a pu triompher du marteau d’Odoacre.
Quand Rome et l’univers rentraient dans le chaos,
Le Tibre l’a mille ans protégé sous ses flots ;
Il rayonne toujours de sa splendeur première ;
De l’empire du beau c’est toujours la lumière ;
Son regard, enflammé d’un sublime courroux,
Semble nous dire encor :Profanes, à genoux !

 

O vous, dont l’amitié me verse l’ambroisie,
Qui rendez mon vieil âge ivre de poésie,
Vous l’avez arrachée à de molles langueurs ;
Mais vous n’approuvez point ces fantasques rigueurs.
Avides conquérants, il faut à votre audace
Des champs où vous marquez une première trace
A travers des écueils qu’on frémit d’aborder ;
La lueur des éclairs suffit pour vous guider ;
Votre génie altier ne veut point de barrière ;
Mais laissez suivre au goût sa modeste carrière ;
Le vrai, le merveilleux, il peut tout réunir ;
S’il ne sait point créer, il sait tout rajeunir.
Sans plier les épis, il court à leur surface,
Et glisse sur les mers sans en porter la trace.
S’il rencontre la grâce en son mol abandon,
Laissez sur lui tomber un auguste pardon.
Du bon sens, que jamais son art ne violente,
II sait marquer l’empreinte en sa rime opulente,
Ou, sans chercher l’éclat du style brillante,
Se jouer sans effort sur un fleuve argenté ;
Et si le souffle manque à son roseau fragile,
S’enrichir d’un beau trait d’Horace ou de Virgile,
Contre de tels larcins pourquoi vous mutiner ?
Laissez sur toute fleur l’abeille butiner.