Discours de réception de Philippe Quinault

En avril 1670

Philippe QUINAULT

Compliment fait en 1670. par Mr. QUINAULT, Auditeur des Comptes, lorſqu’il fut reçû à la place de Mr. Salomon.

 

MESSIEURS,

Vous ne devez pas être ſurpris de l’étonnement qui me ſaiſit en entrant dans une Compagnie ſi celebre : il eſt difficile que j’occupe ſans quelque trouble la place que vous me faites l’honneur de me donner ; & je crains bien que vous ne remarquiez encore plus de deſordre dans mes paroles qu’il ne vous en paroît ſur mon viſage.

C’eſt l’effet ordinaire des faveurs qui touchent ſenſiblement le cœur de ne pas laiſſer toute la liberté d’eſprit qui ſeroit neceſſaire pour les graces que l’on eſt obligé d’en rendre en de pareilles occaſions : une extrême hardieſſe n’eſt pas ſi propre à bien remercier qu’un peu d’embarras ; & j’eſpere que vous ne compterez pas pour une faute ce qui vous doit être une marque de ma veneration.

Ne doutez pas, MESSIEURS, que je ne ſois inſtruit parfaitement de l’excellence de vôtre illuſtre Academie. Elle fut formée ſous les auſpices de Louis le Juſte, dont le Regne commença de rendre nôtre ſiecle ſi fecond en merveilles. Elle fut l’ouvrage de l’admirable Cardinal de Richelieu, qui la voulut établir comme la dépoſitaire de l’Immortalité qu’il avoit ſi bien meritée. Elle eſt aujourd’huy ſous la protection du grand Seguier, qui prend ſoin de l’appuyer de la même main, dont il ſoûtient ſi hautement la majeſté des Loix. Elle eſt compoſée de ce que la France a de plus achevé pour les belles Lettres, & pour la profonde érudition ; elle a des Heros, en qui Minerve guerriere & ſçavante a réuni les dons qu’elle ne diſtribuë que ſeparément au reſte des hommes ; elle a choiſi ce qu’elle a vu de rare dans les dignitez les plus ſublimes, & les plus ſacrées ; elle a même étendu ſon choix juſqu’aux premieres intelligences de l’État.

Je n’ay pas pris aſſez de vanité des applaudiſſemens dont mes Vers ont été quelquefois favoriſez, pour me croire digne d’être admis dans une Societé ſi pleine de gloire. Je ſcay, MESSIEURS, qu’il s’en faut beaucoup que le vulgaire apperçoive ce que vous pénetrez, & que ſouvent il y a bien loin de l’eſtime du peuple à vôtre approbation, auſſi n’ay-je ſouhaité d’obtenir la grace que vous m’accordez, que pour acquerir parmy vous la perfection qui me manque, & les lumieres dont j’ay beſoin.

Il en eſt du Royaume des Lettres ainſi que des autres Empires, il y doit avoir de la ſubordination, & l’harmonie ne s’y trouveroit jamais parfaite, ſi tous les Genies s’y rencontroient également élevez. Contentez-vous donc, s’il vous plaît, MESSIEURS, que je m’attache à vous étudier ſoigneuſement. Ce n’eſt pas une étude peu conſiderable, & tandis que vous ſacrifierez aux principales Divinitez du Parnaſſe, il eſt bon que vous ayez quelqu’un qui ſoit reſervé pour le culte de cette dixiéme Muſe, à qui Numa Pompilius fit élever des Autels dans l’ancienne Rome, & qui preſide à la Science de ſe taire, & à l’art de bien écouter. Je puis tirer de ſi glorieux avantages de ces emplois que l’impatience que j’ay d’en jouir, m’oblige à précipiter les proteſtations que je vous dois faire, de ne perdre de ma vie le ſouvenir de vos bienfaits, & de ne point avoir de plus forte paſſion que de vous en témoigner ma reconnoiſſance.