Discours de réception de Jean-Jacques de Mesmes

Le 23 décembre 1676

Jean-Jacques de MESMES

Discours prononcé le 23. Decembre 1676. par Mr. de MESMES, Preſident au Mortier, lorſqu’il fut reçû à la place de Mr. Deſmarêts.

 

 

MESSIEURS,

L’honneur qu’il vous plaît de me faire m’eſt d’autant plus ſenſible, que je m’y attendois moins & que je le merite peu : Et vous avez eu trop bonne opinion de moy, ſi vous avez cru que je pûſſe reparer la perte que vous avez faite, d’un homme dont le merite étoit ſi publiquement reconnu.

L’avantage d’être reçû parmy vous, doit flatter tous ceux à qui vous voulez bien y donner entrée ; Mais cet avantage eſt d’un prix infini, pour ceux ſur tout qui reconnoiſſent, comme moy, la diſproportion qu’il y a d’eux avec d’auſſi grands perſonnages que ceux dont cette Compagnie eſt compoſée.

En effet, on remarque en vous toutes les qualitez qui peuvent donner de l’éclat aux hommes, & tout ce qui peut faire paſſer des noms illuſtres à la poſterité. Quand je conſidere, MESSIEURS, toute vôtre Compagnie, j’y voy un diſcernement exquis répandu par tout, & cette ſorte de bon goût qui eſt ſi neceſſaire pour les choſes dont vous faites vôtre principale occupation.

Mais quand je viens à jetter les yeux ſur chacun de vous en particulier, je voy parmy ceux qui ſe ſont conſacrez à Dieu, la pieté & le ſçavoir dans un degré éminent, la valeur & l’intrepidité en ceux qui ſont nez pour commander dans les Armées, la fidelité & l’application jointes à une vertu au deſſus des ſoupçons, en ceux que ſa Majeſté a appellez au Miniſtere, ou qu’Elle a placez dans ſes Conſeils.

Enfin je voy parmy ceux qui ſe ſont plus particulierement dédiez aux Lettres, & ſur qui un établiſſement auſſi conſiderable que celuy de cette Académie, ſi celebre & ſi renommée ſe fonde & ſe repoſe davantage, j’y voy, dis-je, une ſi vaſte étenduë de connoiſſances que l’on eſt aſſuré de ne rien ignorer pour peu qu’on ſoit capable de vous former des doutes.

Auſſi, MESSIEURS, quand je me trouve parmy tant de perſonnes extraordinaires, & que faiſant reflexion ſur moy-même je me trouve ſi éloigné d’avoir les qualitez qu’il faudroit pour être reçu parmy vous, je ne puis croire autre choſe ſinon que l’amour des Lettres que je tiens de mes peres, doit ſeul avoir été le motif de vôtre choix.

C’eſt cet amour pour les Lettres qui m’a toûjours fait regarder vôtre inſtitution comme un des plus beaux Ouvrages du Miniſtere de Monſieur le Cardinal de Richelieu, & comme une choſe qui ne le rend pas moins admirable que l’heureuſe hardieſſe de ſes projets & ſes longues vûës pour la grandeur de l’État.

Que ne dirois-je point icy de luy, MESSIEURS, & que ne dirois-je point auſſi de Monſieur le Chancelier Seguier, qui luy a ſuccedé dans la place de vôtre Protecteur ? Si le Roy qui a bien voulu la couvrir de lumiere & de gloire en la rempliſſant luy-même, n’attiroit à luy, & ſi j’oſe ainſi parler, n’abſorboit par ſes rares qualitez & par ſes actions heroïques, toutes nos admirations & toutes nos louanges.

Il eſt grand dans ſes deſſeins, intrepide dans les perils, magnifique dans les bienfaits, également juſte dans la diſtribution des récompenſes & des peines, tellement appliqué à chaque fonction de la Royauté, qu’il ſemble qu’il ne ſoit occupé que d’une ſeule ; & ſuffiſant à toutes, il en remplit les devoirs ſans rien perdre de ſa tranquillité.

Tandis qu’il force les poſtes les plus importans de la Flandre, il envoye ſes Ambaſſadeurs les premiers au lieu deſtiné pour les conferences : Et tant de grands avantages remportez l’un ſur l’autre en Sicile par celuy qu’il a choiſi pour y commander, ne l’empêchent point d’offrir la paix à ſes Ennemis au même temps qu’il leur preſente la bataille, & que pour les y obliger il marche dans le cœur de leur pais, également prêt à finir la guerre, ou par les traitez oupar la victoire.

Tout le monde ſçait juſques où ſon courage & ſa valeur le portent dans les occaſions les plus dangereuſes. J’en ay tremblé toutes les fois que j’ay eu l’honneur de le ſuivre dans ſes Armées : & quoy que j’y fuſſe ſans peril, je n’ay jamais vû ſans une frayeur mortelle, les dangers où il expoſoit avec ſa perſonne ſacrée, le bonheur public & la fortune de l’État.

Tout le monde ſçait avec quelle ſageſſe & quelle capacité il gouverne luy-même toutes choſes, la penetration & la profondeur de ſon eſprit ſont tous les jours l’étonnement de ceux qui l’entendent décider dans ſes Conſeils, & la gloire & la félicité de ſon regne apprennent aſſez à tous les autres dans quel degré il poſſede les qualitez qui font les grands Rois.

Mais il n’y a que ceux qui ont le bonheur de luy être attachez domeſtiquement, qui puîſſent ſçavoir à quel point excellent en ſa perſonne toutes les vertus des particuliers. C’eſt là dans le domeſtique & dans le ſecret que temperant par ſa douceur & par ſa bonté le vif éclat de la Majeſté ſouveraine, il se fait voir à ſes Courtiſans le meilleur de tous les Maîtres, auſſi bien que le plus grand de tous les Rois.

Mais je ne ſonge pas qu’en parlant du Roy devant vous, MESSIEURS, je ſais une choſe que vous ſeuls pouvez bien faire : c’eſt vous ſeuls qui pouvez donner à ſa valeur, à ſa piété, à ſa ſageſſe & à ſa juſtice, tous les grands éloges qui leur ſont dûs : & je dois me tenir trop heureux de pouvoir mener ma voix parmy les votres.