La 9e édition du Dictionnaire de l’Académie française définit le chic comme une « élégance un peu hardie ». Les deux termes sont proches, mais il existe de l’un à l’autre quelques nuances comme le montrent les exemples suivants. En regardant un joueur de tennis, on dira peut-être « quelle élégance ! » ou « quel chic ! », mais les deux énoncés n’auront pas la même signification : l’élégance pourra renvoyer à son jeu, à son attitude (face à l’échec, à la réussite ou à l’arbitrage) comme à sa tenue. Chic a un champ d’application plus restreint et ne pourra renvoyer qu’à sa mise. De la même manière, en parlant d’un écrivain, on peut évoquer l’élégance, mais non le chic, de son écriture. On entend d’ailleurs facilement « ça fait chic » alors qu’on dira plus difficilement « ça fait élégant » : le chic est bien du côté du paraître, voire de l’artifice ou du procédé : une vendeuse pourra vanter un accessoire, une tenue très en vogue en la présentant comme « le grand chic cette année ». L’élégance semble plus proche de l’inné, -on parle d’élégance naturelle-, et elle se range donc du côté de la distinction. L’étymologie de ces deux mots est d’ailleurs proche : eligere, « choisir, trier », pour l’un, distinguere, « différencier », pour l’autre. La langue a su marquer grammaticalement la nuance entre les deux : élégant est un participe présent à valeur active, tandis que distingué est un participe passé passif. C’est parce qu’elle sait choisir que la personne élégante devient une personne distinguée.
Le chic et l’élégance se rencontrent cependant en ce qu’ils reposent sur des codes qu’il faut absolument connaître sous peine de ridicule et d’exclusion sociale. C’est un euphémisme de dire qu’aujourd’hui on ne lit plus guère Jules Claretie, mais cet ami de Renan, qui le reçut sous la Coupole, nous a laissé avec Monsieur le ministre, paru en 1881, un ouvrage particulièrement éclairant sur le chic et sur sa parenté avec l’élégance et le snobisme. On y lit ceci : « Elle répétait souvent […] que Mme Vaudrey serait tout à fait charmante si elle avait du chic. Malheureusement elle est provinciale ; pas dans le mouvement. Elle sent toujours le Dauphiné ! » Et plus loin : « Elle voulait paraître. […] Elle appartenait corps et âme, à cette machine à multiple engrenage, brillante, tapageuse, leste, haletante comme une locomotive, qui s’appelle le chic. Le chic, mot indéfini, indéfinissable, variable et subtil hygromètre à cheveu, comme une tyrannie parisienne qui broie plus d’existences mondaines que le roi de Dahomey ne faisait de victimes aux jours de grandes fêtes. Tout pour Blanche, dans la vie la plus fouettée, la plus surexcitée, la plus nerveusement affolée, se réduisait à ces deux termes inévitables : ce qui était chic et ce qui n’était pas chic. Et non seulement ce qui était la mode, le vêtement le chapeau, les gants, le costume, l’étoffe, le bijou, la robe qu’il fallait porter, mais le livre qu’il fallait lire, la pièce qu’il fallait écouter. »
À côté, l’élégance pourrait sembler moins artificielle, elle l’est peut-être ; moins contraignante, elle ne l’est pas. Une cinquantaine d’années avant Monsieur le ministre, alors que le mot chic n’est guère en usage, Balzac écrit dans Illusions perdues : « Le baron du Châtelet avait parlé la langue du monde à une femme du monde. Il s’était montré dans toute l’élégance d’une mise parisienne […]. Par hasard, madame de Bargeton se mit à la croisée pour réfléchir à sa position, et vit partir le vieux dandy. Quelques instants après, Lucien, brusquement éveillé, brusquement habillé, se produisit à ses regards dans son pantalon de nankin de l’an dernier, avec sa méchante petite redingote. Il était beau, mais ridiculement mis. » Angoulême, ville d’origine de Lucien de Rubempré, vaut bien le Dauphiné… Chez Claretie comme chez Balzac, le sens du chic et de l’élégance est l’apanage d’une classe parisienne fortunée. C’est encore Lucien qui le constate : « J’ai l’air du fils d’un apothicaire, d’un vrai courtaud de boutique ! se dit-il à lui-même avec rage en voyant passer les gracieux, les coquets, les élégants jeunes gens des familles du faubourg Saint-Germain qui tous avaient une manière à eux qui les rendait tous semblables par la finesse des contours, par la noblesse de la tenue, par l’air du visage ; et tous différents par le cadre que chacun s’était choisi pour se faire valoir. »
On peut noter cependant que, paradoxalement, si le chic est synonyme d’artifice, ce caractère artificiel disparaît totalement quand il est employé comme adjectif antéposé, dans la langue familière, pour qualifier une personne. Si un homme chic ou une femme chic sont ceux qui suivent les injonctions de la mode du temps, on dira, s’agissant d’une personne qui se conduit avec délicatesse et bonhommie, qui attire la sympathie, que c’est un chic type, une chic fille.
Voyons pour terminer une courte leçon d’étymologie qu’a donné Littré au sujet du mot chic ; il est emprunté de l’allemand du Sud Schick, « convenance, habileté, savoir-faire ». On a cependant parfois donné une autre origine à ce terme. Littré en rend compte dans son Dictionnaire de la langue française. Il y écrit : « On assure que chic est le nom d’un jeune élève de David, pour lequel le maître avait beaucoup d’affection, et qu’il citait à tout propos à ses autres élèves ; le nom de ce jeune homme mort à dix-huit ans s’écrivait Chicque ». Il conclut par ces mots : « Il faut toujours se défier des étymologies anecdotiques, et, jusqu’à preuve contraire, l’étymologie allemande, qui est au Dictionnaire, reste la plus vraisemblable. »