Dire, ne pas dire

De chozz et d'ottres

Le 9 janvier 2018

Bloc-notes

Qu’arrive-t-il à l’oreille des Français ? Comment un peuple, fier à bon droit de la qualité musicale de sa langue, laisse-t-il perdre certains sons, et parmi les plus mélodieux ? Allumez la radio et vous entendrez journalistes et interviewés évoquer les « symptommes » d’une crise, la « hosse » des prix, le « rolle » du gouvernement, une « zonne » de combat, la « fonne » et la flore, le « Rhonne » et la « Dromme ». Et cela, sans que les émetteurs de ces abruptes abréviations phoniques soient des Méridionaux. La mode se propage, les faibles imitent ce qui se dit autour d’eux afin de se sentir dans le vent et portés par la modernité, et le o fermé, légèrement et agréablement allongé, s’ouvre et disparaît. L’accent du Midi rachète son absence par de nombreuses autres délices sonores, en particulier par les e qui refusent de rester muets. Mais l’accent qui prolifère à la radio, comme à la télévision, étouffe une des notes du français, escamote une de ses ressources, l’appauvrit.

Il serait intéressant de connaître l’origine de cette manie. Qui a mis la puce à l’oreille de qui ? – une puce dont la morsure réduit la sensibilité acoustique.

Le plus inquiétant ? Le o fermé n’est pas le premier des sons vocaliques à s’éteindre. Je signalai dans un autre bloc-notes l’effacement jadis d’un i plus long dans épître que dans petite, d’un ou plus long dans croûte que dans doute, d’un u plus long dans flûte que dans culbute. Je me référais à un livre de grammaire de 1872 dans lequel ces distinctions étaient enseignées. Nous avons déjà abandonné plusieurs sons de notre bel instrument, et nous risquons d’en perdre un autre par insouciance et soumission à l’air du temps. Nous devenons des malentendants, et pour une fois ce n’est pas la faute des Anglo-Américains. C’est plutôt une « otto-infection ».

 

Vu cette évolution, on peut se demander à quels autres dégâts il faudrait s’attendre. Nous « plérons »-nous à prendre des bains de « mér » ? Serons-nous incapables de distinguer une patte de mouche d’une « patte » feuilletée ? Le français est une langue qui compte avant tout sur sa richesse vocalique pour produire sa musique, et il souffre actuellement d’une autre déformation, qui consiste à ajouter à la fin des mots un euh retentissant et superflu : « bonjour-euh », un « match-euh ». Heureusement, je suis loin d’être le seul à avoir relevé et regretté le phénomène des o raccourcis ; toutes les portugaises ne sont pas ensablées. Peut-être la mode périra-t-elle d’elle-même. Sinon, ce sera une ottomutilation.

 

Sir Michael Edwards
de l’Académie française