Dire, ne pas dire

Bonjour ! Bonne journée !

Le 5 octobre 2017

Bloc-notes

En montant dans l’autobus, gare à vous si, avant même de présenter votre navigo, vous ne lancez pas au conducteur un sonore Bonjour ! Il vous rappellera à l’ordre par un aigre Bonjour ! où vous sentirez plus de reproche que de cordialité. Vous entrez dans un magasin ? Un Bonjour ! initial n’est pas moins obligatoire, sous peine d’être tancé par un sévère Bonjour ! qui fustigera votre manque de courtoisie. Mais si cette interjection est devenue un devoir, en quoi garde-t-elle son sens de politesse ? En quoi exprime-t-elle mon envie d’être aimable ? Le conducteur d’autobus, le marchand de chaussures, comment ne ressent-il pas mon Bonjour ! comme une offense, puisque je ne suis pas libre de le lui refuser ? Ce qui est obligatoire perd aussitôt de sa valeur. Ce n’est plus moi qui salue, c’est un robot qui débite à ma place une formule stéréotypée et par là-même injurieuse.

Le Bonne journée ! qui accompagne ma sortie du magasin ne me fait pas plaisir non plus, et pour la même raison. On a mis un disque en route, on ne m’a pas adressé un message personnel. Vouloir assouplir les rapports sociaux en imposant des exclamations toutes faites me semble produire l’effet contraire. J’aime la liberté chez autrui : qu’il me dise quelque chose de gentil, à la bonne heure, à condition que ce quelque chose soit de lui, et non un mot de passe conforme à un cliché bien-pensant. Qu’il ne me dise rien du tout, à la bonne heure encore ! Tout plutôt que de sentir qu’on se débarrasse de moi comme on lance un os à un chien.

 

Dominique Fernandez
de l’Académie française