Réponse au discours de réception de l’Abbé de Caumartin

Le 8 mai 1694

Charles PERRAULT

Réception de l’abbé de Caumartin

 

 

Réponse de Mr. PERRAULT au difcours prononcé par Mr. l’Abbé de Caumartin, le jour de fa réception.

 

MONSIEUR,

Vous avez loué avec juftice l’illuftre Académicien que nous regrettons. Il eft vray que fon amour pour cette Compagnie luy a fait préférer à toutes chofes l’honneur d’y avoir place, que la Compagnie de fa part luy a donné toute les marques d’eftime qu’elle devoit à fon merite ; mais, MONSIEUR, aprés nous avoir parlé fi éloquemment de noftre douleur, vous n’avez rien dit de noftre confolation. Cependant comme dans un jour de joye tel que celuy où nous fommes, il eft plus convenable de jetter les yeux fur les biens que l’on acquiert, que fur ceux qu’on a perdus, permettez-nous de goutter à loifir noftre bonheur, & de le confiderer, fi cela fe peut, dans toute fon eftenduë. Nous ne pouvons, MONSIEUR, vous regarder, fans nous fouvenir de ces illuftres Anceftres, dont vous avez herité fi heureufement toutes les vertus ; fans voir ce fage Garde des Seaux que fon merite feul éleva à une fi haute dignité, & cette foule d’autres grands hommes, qui reveftus des plus belles Charges, leur ont tous donné plus d’efclat qu’ils n’en avoient receu. Je parlerois de ceux de voftre nom qui continuënt à rendre fervice à l’Eftat avec la mefme fuffifance & le mefme zele, fi je n’eftois emporté par l’impatience d’en venir à vous. Nous trouvons dans vous feul ce qui fuffiroit à plufieurs pour meriter noftre choix, un fens exquis qui ne fe trompe point dans fes jugemens, une vafte & profonde érudition, & enfin une vive éloquence, dont les premiers effais furpaffent les chef-d’œuvres des plus habiles, & viennent de charmer une Compagnie, où il n’y a gueres plus d’auditeurs que de maiftres dans ce bel Art. L’Hiftoire & la Chronologie n’ont efté que les amufemens de voftre enfance, & il y a long-temps que tous les fiecles font prefens à voftre mémoire. Il a fallu que ces connoiffances fe foient haftées de fe placer dans voftre efprit pour le préparer à la plus noble & à la plus divine de toutes les Sciences, qui eftant prefque fans bornes, ainfi que fon objet qui n’en a point, a pris plaifir à trouver une ame capable de la contenir toute entiere. Cette efpece de prodige a fait l’admiration de tous les Sçavans. J’en appelle à témoin ces hommes doctes, ces fages vieillards, dont les paroles font des oracles qui ne trompent jamais, & qu’on vient confulter des extremitez de la Terre. Ils n’ont pas feulement admiré la profondeur de voftre fçavoir, & la pénétration de voftre efprit à démêler les difficultez les plus embarraffées ; ils ont entreveu ce qu’on devoit efperer d’une capacité fi eftenduë, & les biens qui pourvoient en revenir un jour à l’Eglife & à l’Eftat. Ce fut dans ces mefmes lieux & dans ces mefmes combats de Doctrine, que celuy à qui nous devons ce que nous fommes, le grand Cardinal de Richelieu, fit paroiftre les mefmes talens, & donna les premiers augures de fon élévation. Vous venez de célébrer les vertus de ce grand homme avec tant de force & de délicateffe, que je me garderai bien d’y toucher, ny d’aller obscurcir par la foibleffe de mes expreffions les idées nobles & lumineufes que vous avez tracées. Il eft vray qu’en le louant de l’eftabliffement de cette Compagnie, comme de l’effet d’une prudence confommée, vous n’avez point remarqué que par-là il s’eftoit affeuré une fuite éternelle d’Éloges dans les réceptions des Académiciens, & je ne puis diffimuler qu’en moy-mefme je vous ay reproché cette obmiffion, quand j’ay vû de quelle forte & en quelles efpeces vous avez payé ce tribut de louanges. Cet éloge m’auroit tous-jours paru incomparable, s’il n’avoit point efté fuivi de celuy de noftre augufte Protecteur, où voftre Éloquence s’eft en quelque forte élevée à la hauteur de fon fujet. Il eft vray que la matiere eft abondante, & que LOUIS LE GRAND eft un de ces modeles achevez, dont tous les profils font également beaux, également dignes d’eftre imitez, & également inimitables. Quel plaifir ne trouvent point ceux qui font appellez à l’éclatante profeffion des armes, à le contempler du cofté des vertus militaires, & à raconter fes exploits, dont l’Hiitoire n’a prefque point d’exemples ? Combien nous-mefmes fommes-nous fenfibles à ce plaifir ? Mais laiffons cet emploi aux vaillans hommes qui l’ont fuivi dans fes Conqueftes, & fur qui s’eft répanduë une portion de la gloire dont ils ont vû le Héros tout environné. C’eft à eux à dire la fageffe & la beauté de fon commandement qui porte par tout l’ordre, la confiance & le courage; fon intrépidité qui croift à proportion des dangers, qui marquée vivement fur fon vifage fe communique jufqu’à fes moindres foldats, & ne leur permet point de fe ménager quand ils voyent où s’expofe la plus precieufe de toutes les vies.

 

Laiffons à ceux qui ont le bonheur de le fervir dans des emplois qui les approchent de fa Perfonne, la joye de publier fa bonté, fa douceur, & fon affabilité, qui font trouver plus de charmes à luy obéir qu’à commander par tout ailleurs, qui dans le mefme temps qu’elles femblent l’abbaiffer au rang de fes Sujets le rendent encore plus augufte, & l’élevent audeffus de tous les autres hommes. Que chacun admire en luy les vertus dont il a le plus de connoiffance, & puifque nous fommes deftinez à cultiver le bel Art de la parole, & que nous parlons devant une Affemblée qui en fait & fon eftude & fes delices, contentons-nous de le regarder aujourd’huy du cofté de ce precieux & fublime avantage. Ne croyons pas avoir choifi l’endroit le moins glorieux à un grand Prince : car bien que la puiffance fouveraine que le Ciel donne aux Rois foit le caractere le plus vifible de la Divinité, il eft vray neanmoins que la fuperiorité de la Raifon qui agit fur les efprits par la parole, exerce fur l’homme tour entier un empire encore plus abfolu, plus noble, & plus inviolable. Quand cette Reine que la fageffe de Salomon attira des extrémitez du Midy, eut veu la magnificence de fes baftimens, la richeffe de fes thretors, la fomptuofité de fes tables, le nombre innombrable de fes Officiers, & fur tout lorfqu’elle eut ouï les difcours de ce grand Prince; eftonnée de tant de merveilles, jufqu’à en perdre la refpiration, comme parle l’Ecriture, elle s’écria : Heureux ceux qui vous fervent, ceux qui fans ceffe font devant vous & qui écoutent voftre fageffe ! Son admiration excitée par tant d’objets admirables, s’arrefta toute fur le don de la parole, comme fur l’avantage par où Salomon luy parut le plus grand, le plus puiffant & le plus digne des louanges que luy donnoit la Renommée. Ce que je dis icy pourra fembler un paradoxe bazardé par un homme de Lettres pour honorer fa profeffion. C’eft cependant une vérité qui n’a pas efté avancée feulement par des Orateurs & par des Philofophes, mais que les plus grands Princes ont reconnuë. Un de nos Rois, c’eft Charles IX, qui fe délaffoit quelquefois à lire les Vers que luy adreffoit le célébre Ronfard, & mefme à luy répondre par d’autres Vers prefque tousjours meilleurs que ceux du Poëte, s’eft expliqué de la forte fur ce fujet dont nous parlons.

 

Ta Lyre qui ravit par de fi doux accords,

Taffervit les efprits dont je nay que le corps,

Elle ten rend le Maiftre & te fçait introduire

Où le plus fier Tyran ne peut avoir dempire.

 

Si le glorieux avantage de regner fur les efprits par la force de la parole a jamais efté donné à un Monarque dans toute fa plenitude, c’eft à celuy à qui nous obeïffons. Ses Difcours tous-jours dans les bornes d’une brieveté majeftueufe & dont on ne fçauroit rien retrancher, comme on le difoit de ceux de Demofthene, de mefme qu’on n’y peut rien ajouter, comme on l’a dit de ceux de Cicéron, renferment en peu de mots, plus de chofe, plus de fens & plus de fubftance que tout l’ambititeux amas de périodes nombreufes des Orateurs. Il n’y entre de paroles qu’autant qu’il en faut pour exprimer la penfée, de mefme qu’on n’employe autour des pierres precieufes qu’autant d’or qu’il en faut pour les mettre en œuvre. Telle eft l’Eloquence, lorfqu’elle part d’une ame du premier ordre, lorfqu’elle eft le fruit de la Sageffe, ou pluftoft qu’elle en eft la fleur qui s’épanche au dehors. Qu’on regarde toutes ces profufions de glaces qui tombent fans celle de fes mains libérales fur la vertu & fur le merite, on n’en verra point, quelque grandes qu’elles foient, qui vaillent la maniére dont elles font faites, & qui ne foient accompagnées de paroles cent fois plus precieufes que le bien-fait mefme. Qu’on interroge ceux qui reçoivent fes inftructions fur les affaires dont il les charge, ils diront qu’aprés les avoir receuës, ils fe font trouvez comme changez en d’autres hommes, tant les paroles du Prince avoient répandu de lumiere dans leur efprit, & y avoient fait germer de grandes & de nobles penfées. Confultons ceux que le merite fait entrer dans les confeils, ils avouëront que leur furprife, loin de diminuer, augmente tous les jours à la veuë de fa fageffe qui prevoit tout & y pourvoit en mefme temps, dont les projets ne manquent jamais leur effet aux momens qu’il leur a marquez, & que leur feule execution découvre aux yeux des hommes. Ils confefferont qu’eftonnez de la facilité avec laquelle il penetre les affaires les plus obfcures & demesle les plus embaraffées, ils comprennent encore moins avec quelle netteté, & avec quelle précifion il les décide. Que fi le tefmoignage de fes Sujets nous eftoit fufpect, nous n’aurions qu’à écouter celui de tant d’Ambaffadeurs qui venus avec des inftructions pleines d’adreffe politique ont efté deconcertez dés la premiere audience, qui fe font veus doucement contraints de quitter leur propre volonté pour prendre celle du Prince qui leur parloit, & qui retournez en leurs Païs ne fe laffent point de redire les merveilles qu’ils ont ouïes de fa bouche, fans eftre jamais contents de l’idée qu’ils en donnent. Aprés avoir remarqué l’ufage merveilleux que noftre Prince fçait faire la parole, n’oublions pas de dire qu’il ne luy arrive jamais d’en abufer, & que jamais (parce qu’il en connoift trop & la force & le poids) il ne l’a preftée ny à fa colere ny à fon mefpris. Si mon Difcours n’a pas formé une affez grande idée de ce Heros, il ne faut que jetter les yeux fur la fituation où il fe trouve. Le Ciel a permis que toute l’Europe fe foit foulevée contre luy, que la fterilité mefme fois venuë encore le combattre, & il ne l’a permis que pour faire voir qu’il l’a comblé de vertus fuperieures, & à tant d’ennemis & à toute l’inclemence des faifons. C’eft un fpectacle que le Ciel donne à l’Univers pour faire éclater le merite & la grandeur de fon chef-d’œuvre; fpectacle qui fera bien-toft fuivi d’un autre plus glorieux encore, où nous verrons la Paix accompagnée de l’abondance, couronner fes travaux heroïques, & répandre fur nous tous les biens qu’elle peut donner à la terre.