Rapport sur les concours d'éloquence et de poésie de l'année 1820

Le 24 août 1820

François-Juste-Marie RAYNOUARD

RAPPORT

DE M. RAYNOUARD,

SECRÉTAIRE PERPÉTUEL DE L’ACADÉMIE FRANÇAISE,

SUR LES CONCOURS D’ÉLOQUENCE ET DE POÉSIE
DE L’ANNÉE 1820.

 

L’Académie française avait à décerner dans cette séance un prix d’éloquence et trois prix de poésie.

Le sujet du prix d’éloquence était : Déterminer et comparer le genre d’éloquence et les qualités morales de l’orateur du barreau et de l’orateur de la tribune.

L’Académie avait prévu que, pour répondre dignement au programme en se renfermant dans les bornes prescrites à un ouvrage de concours il faudrait exposer et définir en peu de mots divers principes de littérature et de morale, discuter et résoudre rapidement des questions importantes, resserrer les observations, se borner aux aperçus généraux, aux principaux résultats, et qu’un pareil travail ne permettrait guère les formes pompeuses, les hardis mouvements de l’art oratoire. Mais l’Académie désirait que le succès du concours eût surtout l’avantage de diriger le talent, d’exciter la vertu ; et elle ne craignit pas de proposer un problème littéraire, qui devait être résolu par des méditations laborieuses, plutôt que par d’heureuses inspirations. Elle pensa que ce pouvait être un mérite assez remarquable que de réussir à caractériser l’éloquence, à indiquer ses rapports avec la vertu, sans recourir aux ressources brillantes, aux prestiges séducteurs de l’éloquence même.

Vingt-quatre ouvrages ont été envoyés au concours.

Dans le discours n° 1, portant l’épigraphe : Tum sunt notanda genera, etc., la question a été traitée beaucoup plus heureusement que dans tous les autres. L’auteur a eu le talent d’approfondir son sujet et la sagesse de le limiter. Sa manière est presque toujours didactique. La méthode, clarté, la précision sont les caractères dominants de ce discours. L’élocution sévère que l’auteur a préférée, prouve qu’il a eu le dessein de consacrer spécialement son ouvrage à la vérité et à la vertu.

L’auteur de ce discours est M. Delamalle, conseiller d’État, qui, après avoir occupé pendant longtemps un rang très-distingué parmi les orateurs de notre barreau, remplit aujourd’hui une place honorable qui lui permet de rendre encore utiles au prince et à la patrie sa longue expérience et ses talents.

Il a proposé, et l’Académie a agréé, que la valeur de ce prix fût destinée à un prix spécial d’éloquence, qui sera décerné dans la séance annuelle de 1821. Par ce noble désintéressement, il prouve qu’il sait pratiquer les vertus qu’il a si bien décrites dans son discours.

L’auteur du n° 22, portant pour épigraphe : Pectus est quod disertos facit, QUINT., paraît avoir été séduit par le faux éclat d’une division qui, l’égarant dès le principe, l’a détourné du sujet. Au lieu de caractériser et de comparer les genres d’éloquence, il a présenté une galerie de divers hommes éloquents, et il a choisi principalement ceux de notre tribune et de notre barreau. Substituant ainsi les personnes aux choses, il a seulement jugé quelques orateurs, quand il devait expliquer la théorie de l’art oratoire et les qualités morales qui en consacrent le triomphe.

Son style souvent animé, noble, éclatant, est quelquefois maniéré. À côté d’expressions très-heureuses, on en trouve de très-hasardées : mais dans l’ensemble de l’ouvrage on reconnaît un talent distingué que perfectionneront sans doute des études sévères et de sages méditations.

L’Académie a adjugé une mention honorable à ce discours, dont l’auteur est M. A. Malitourne.

Elle a accordé la seconde mention au discours n° 14, qui a pour épigraphe :

Dis-nous quel feu divin, dans tes fécondes veilles,
De tes expressions enfanta les merveilles.

MOLIÈRE, poème du Val-de-Grâce :

L’auteur a tracé d’une manière très-brillante l’histoire de l’éloquence ; mais il n’en a pas déterminé aussi heureusement les caractères ; il a traité trop succinctement les qualités morales de l’orateur. L’Académie a regretté que le talent qui distingue cet ouvrage n’ait pas été appliqué à toutes les parties du sujet. Des pensées profondes, un style ferme et élégant annoncent un écrivain exercé.

Il ne s’est point fait connaître.

L’auteur du n° 16 a choisi la forme du dialogue, forme peu favorable aux discours académiques ; il a trop généralisé le sujet, et il n’est pas arrivé à la solution précise des questions proposées. Toutefois l’Académie a cru qu’il méritait des encouragements à raison de quelques parties de son ouvrage, oh l’on remarque des sentiments nobles, touchants, exprimés d’un style élégant et gracieux.

Cet ouvrage est de M. Charles Magnin, qui avait obtenu en 1815 l’accessit au concours de poésie, dont le sujet était : Les derniers moments de Bayard.

Les trois sujets du prix de poésie étaient :

L’Institution du jury en France.

Ce prix avait été remis l’année dernière.

L’Enseignement mutuel.

Ce prix avait été pareillement remis.

Le dévouement de Malesherbes.

Ce dernier sujet était proposé pour la première fois ; la médaille a été fournie par un anonyme.

Trente-cinq ouvrages ont été adressés à l’Académie ; mais, d’après leur examen, elle a jugé convenable de remettre le prix au concours prochain, et a cependant accordé deux mentions honorables : la première au n° 17, portant pour épigraphe : L’échafaud n’était qu’un degré vers les cieux, DELILLE ; la seconde, au n° 33, portant pour épigraphe : Sunt lacrymae rerum, VIRG.

L’Académie espère que les concurrents redoubleront d’efforts pour rendre leurs ouvrages dignes du sujet proposé.

Le sujet du second prix de poésie était : De l’institution du jury en France.

Vingt-huit ouvrages ont été envoyés au concours.

Le sujet était vaste ; il pouvait fournir à tant de développements, qu’il eût été peut-être injuste d’exiger que les concurrents, dans de très-courts poèmes, l’envisageassent sous ses nombreux rapports ; il suffisait de saisir quelques-uns des plus remarquables.

L’auteur du n° 24, portant pour épigraphe : La mort d’un innocent est une calamité publique, MONTESQUIEU, a trouvé un cadre heureux ; il adresse une épître à un citoyen qui se dévoue avec quelque peine aux nobles fonctions de juré : et il lui explique les avantages de l’institution. Ln épisode intéressant se lie au sujet, le développe, et en fait même partie. Le style n’est ordinairement que le ton simple de répare familière. Mais, un quelques passages, l’auteur a pris un ton plus élevé, quand la circonstance le permettait ou l’exigeait.

Cette épître est de M. Ed. Mennechet.

Une mention honorable a été accordée au poème n° 25, portant pour épigraphe : Sontibus unde tremor, civibus inde salus.

On remarque dans ce poème quelques détails relatifs an jury, exprimés dans un style assez soutenu, et quelquefois animé. L’auteur est M. Charles Saint-Maurice.

Le sujet du troisième prix de poésie était : De l’enseignement mutuel.

La médaille de ce prix fut offerte, en 1818, par un littérateur distingué, qui depuis est devenu membre de l’Académie.

Ce prix avait été remis lors du précédent concours. Cette année, l’Académie a reçu dix-sept ouvrages.

Le prix a été adjugé au n° 17, portant pour épigraphe :

Mutuo ista flunt, atque... dum dotent, discunt. SÉNÈQUE.

Ce poème indique et célèbre les avantages de l’instruction populaire et le mérite du mode nouveau. Le style est toujours facile, souvent élégant et harmonieux. Quelques détails, surtout ceux qui concernent les travaux de l’école, sont décrits avec grâce et précision.

L’auteur est M. A. B. de Saintines, qui, dans le concours de 1817, avait partagé le prix de poésie avec M. Lebrun, auteur des tragédies d’Ulysse et de Marie Stuart.

Le prix qui devait être décerné à l’ouvrage littéraire le plus utile aux mœurs a été remis.