Rapport sur les concours de l'année 1924

Le 4 décembre 1924

René DOUMIC

ACADÉMIE FRANÇAISE

SÉANCE PUBLIQUE ANNUELLE

DU JEUDI 4 DÉCEMBRE 1924

RAPPORT SUR LES CONCOURS DE L’ANNÉE 1924

DE

M. RENÉ DOUMIC
SECRÉTAIRE PERPÉTUEL

 

 

MESSIEURS,

Un de vos plus illustres confrères, — qui ne fut jamais reçu en séance publique : c’est Chateaubriand que je veux dire, — n’admettait qu’une forme de la critique, qu’il appelait : la critique des beautés. Tout au moins convient-elle un jour de l’année : celui où votre rapporteur a l’agréable devoir de complimenter en votre nom vos lauréats. Et comme ces lauréats sont nombreux, de plus en plus nombreux, je me hâte d’aborder ma tâche, en allant tout droit à celui de vos prix auquel une longue succession de titulaires éminents et la sévérité même de vos choix ont donné le plus de prestige.

L’ouvrage qui a remporté, cette année, le grand prix Gobert, L’histoire du peuple acadien, que M. Émile Lauvrière publie sous ce titre, La tragédie d’un peuple, n’est pas seulement le fruit de patientes recherches, c’est une œuvre de foi, une action, une bonne, une belle action. L’auteur a voulu nous émouvoir pour une cause juste et sainte : il y a réussi. À l’évocation de tant de souffrances et de tant de vertus, on se sent tour à tour étreint par la douleur et soulevé par l’admiration.

L’Acadie ! Combien de Français songent que sur cette presqu’île, qui s’étend entre l’Océan Atlantique et le Golfe du Saint-Laurent, un drame s’est joué, l’un des plus atroces dont l’histoire ait gardé le souvenir, qu’un peuple a été la victime de ce drame, et que ce peuple était français ? M. Lauvrière a écrit son livre pour raviver le lien qui doit nous unir à nos frères d’Acadie : il s’est donné mission de nous remettre en mémoire cette Alsace-Lorraine d’au delà des mers, aussi sacrée que l’autre.

La réputation nous a été faite d’être un peuple qui ne sort pas de chez soi. Au XVIIe siècle, on rencontre les Français sur toutes les routes du globe. C’est un ami de Champlain, le sieur de Poutrincourt, qui, aux premières années du siècle, aborde à ces rives inconnues, et sème, dans ces terres incultes, le premier blé confié au sol d’Amérique, un blé français.

L’Acadie est fondée. Pendant les cent dix ans de notre occupation, en dépit des attaques incessantes de voisins plus nombreux, mieux armés, et surtout mieux soutenus par leur Gouvernement, la colonie ne cesse de prospérer ; les campagnes, plantées de pommiers et de cerisiers, ont un aspect de « petit Normandie ». Les premières familles, une quarantaine, ont multiplié, formé des villages. Vie patriarcale, travaux des champs, pureté des mœurs. Peuple sain, peuple heureux.

Hélas ! ce bonheur va être brusquement interrompu. De funestes traités nous enlèvent l’Acadie, — sans toutefois nous enlever le cœur des Acadiens. « Jamais, déclarent ces braves gens, nous ne prêterons le serment de fidélité à la Grande-Bretagne, aux dépens de ce que nous devons à notre pays et à notre religion. » Le vainqueur s’irrite. Comment venir à bout de ce peuple entêté ? Un seul moyen : la déportation. Dix mille hommes sont saisis par ruse, embarqués de force, dispersés aux quatre coins du monde. « Et, derrière eux, ils peuvent voir flamber une à une toutes les maisons de bois des riants villages qu’avait fait surgir l’allègre labeur de quatre générations. Quand les vents d’hiver eurent disséminé les lourdes volutes de fumée et les cendres épaisses de ce colossal incendie, il ne resta plus, sur ces terres naguère verdoyantes, que les puits, les cheminées de pierre noircies et les saules, qui, dans la tristesse des lieux, semblaient pleurer le deuil d’une nation anéantie. »

Voilà le martyre acadien.

Et voici le miracle acadien.

Condamné, traqué, déporté, ce peuple mis au tombeau en est sorti. Aidé de ses seules vertus, il a réussi à préserver, au milieu de populations hostiles, son intégrité ethnique et sociale. Aujourd’hui, cent soixante-dix ans après le « Grand dérangement », il vit d’une vie plus intense que jamais. C’est qu’une force l’a soutenu : la religion. Un fait a prévalu contre tout : l’incoercible natalité acadienne. Que ne peut-on attendre d’une race qui, proscrite, opprimée, double tous les vingt ans ? À l’heure actuelle, il y a plus d’Acadiens hors d’Acadie qu’en Acadie. M. Lauvrière estime à 500 000 hommes la population acadienne de l’Amérique septentrionale. Et maintenant ce peuple, prenant conscience de lui-même, a résolu de sortir de l’espèce d’abandon auquel jusqu’ici l’avait condamné son triste sort. Une nouvelle génération d’Acadiens s’élève, intelligente, instruite, entreprenante. Au dernier Congrès acadien, tenu sur le site sacré de la Grand Prée, au pied de la statue d’Évangéline, le frère Marie Victorin a prononcé cette belle parole, résumé de toute une histoire de souffrance et de fidélité : « On nous a pris et repris nos terres, on nous a pris nos richesses mais il est deux joyaux qu’on n’a pas pu nous prendre : notre langue française et notre foi catholique. » Le livre de M. Lauvrière consacre cette histoire magnifique et trop peu connue. En le couronnant, vous avez voulu associer l’Académie à cette œuvre de réparation et aider à se propager cette radieuse nouvelle : un peuple est ressuscité.

 

Une œuvre d’histoire encore, ou plutôt l’ensemble d’une œuvre historique, a valu à son auteur le grand prix Broquette-Gonin. Et, cet auteur-là, l’auteur de Vieilles maisons, vieux papiers, est si connu si goûté de milliers de lecteurs, qu’en lui apportant votre témoignage vous pouvez être assurés d’avoir répondu au sentiment de tout ce qu’il y a de lettrés en France.

Un homme singulier, ce M. Lenotre. On me dit qu’il n’est pas né à Paris. Nul ne connaît comme lui son Paris. Seulement ce n’est pas le Paris d’aujourd’hui, celui des bâtisses neuves et des autobus, c’est le Paris des vieux hôtels et des diligences, Le Paris de la Révolution et de l’Empire. Il s’y promène, comme si ce Paris n’avait jamais changé. Il ne voit pas l’immeuble qu’on a construit, mais la maison qu’on a démolie. Derrière cette fenêtre, il entrevoit le masque irrité d’un membre de la Convention ; derrière cette porte, il entend battre le cœur d’un suspect. Ce chercheur patient, le plus pacifique qui soit au monde, vit clans la compagnie des grands criminels, des espions, des traîtres et des conspirateurs. Vous le rencontrez ; vous le croyez seul : il est en train d’écouter Robespierre ou Danton, ou bien il emboîte le pas d’un policier de Fouché. Sa vraie vie, celle de l’esprit, n’est qu’un tissu de complots et d’imbroglios, une suite de sombres péripéties et de catastrophes. Vous vous dites : quel romancier il aurait pu être ! Mais il sait, lui, que l’histoire est bien plus dramatique et bien plus romanesque que le roman.

Historien, il a créé un genre, dont il parle trop modestement quand il l’appelle la « Petite Histoire. » Ne se compare-t-il pas à l’original de La Bruyère qui savait que Nemrod était gaucher et Sésostris ambidextre ? Et ne se reconnaît-il pas pour tout mérite de nous apprendre « la couleur du couvre-pied de Robespierre et le nom de la femme de chambre de la citoyenne Danton » ? Mais cette petite histoire éclaire la grande. Cette histoire anecdotique, entre ses mains, devient l’histoire psychologique : elle scrute les âmes et leur arrache leur secret. Rappelez-vous les portraits de Fouquier-Tinville, de Hébert, de Roland et de tant d’autres, tracés par un historien qui s’en tient scrupuleusement aux documents et se refuse même le droit de juger, ils nous font entrer dans l’intimité des acteurs du grand drame. Et ils illustrent le fait le plus caractéristique de cette époque fameuse : l’écart prodigieux entre la grandeur des événements et la médiocrité des hommes. M. Lenotre est en train de rendre à l’histoire de la Révolution le même service que jadis Sainte-Beuve à l’histoire littéraire. Ses études et ses monographies nous aident à fixer les traits d’une famille humaine : la famille redoutable et jamais éteinte des révolutionnaires.

 

À un parfait humaniste, M. Pierre Villey, professeur à l’Université de Caen, a été attribué le prix Jean Reynaud. Dans un premier livre, M. Pierre Villey, historien de Montaigne, a relevé parmi tous les écrivains, grecs, latins, italiens, français, qu’avait lus le grand liseur, toutes les sources des Essais, et suivi leur influence à travers toute notre littérature. Il applique aujourd’hui la même méthode de recherches à tous les Grands écrivains du XVIe siècle. La tâche vous semble énorme. Et, Messieurs, je n’ai pas encore fait mention d’une circonstance qui, devant un tel labeur, semble presque incroyable : M. Pierre Villey, depuis sa première enfance, est aveugle. Ces travaux de patience et de minutie, qui supposent le maniement de milliers de volumes, l’investigation à travers des textes innombrables, M. Pierre Villey les a exécutés sans le secours de la vue ! Souvenez-vous alors de l’apostolat qu’il mène auprès de ses frères aveugles, ne cessant de leur répéter qu’ils ne sont pas séparés de la communauté humaine, qu’ils ne sont pas des « emmurés », qu’aucun domaine de l’activité spirituelle ne leur est interdit, pourvu qu’ils aient le cœur bien placé. Depuis trente ans, il leur en fournit la meilleure des preuves : son exemple. Seulement, il fallait avoir le cœur bien placé... Je suis assuré, Messieurs, d’être votre fidèle interprète en affirmant à M. Villey que dans la distinction que vous lui avez accordée, vous avez mis toute votre estime pour l’érudit, mais aussi votre admiration respectueuse pour l’homme qui, à chaque minute de son labeur quotidien, renouvelle ce triomphe éclatant de la volonté sur la nature.

 

On a défini l’histoire « du roman qui a été », et le roman « de l’histoire qui aurait pu être. » Ce mot s’applique exactement aux deux principaux romans que vous avez couronnés : Aricie Brun, de M. Émile Henriot, à qui vous avez décerné le prix du roman ; l’Équipage, de M. Kessel, qui a obtenu le prix Paul Flat.

Ce sont deux livres très différents.

Le récit de M. Émile Henriot est abondant, touffu, de trame souvent lâche, et de teinte parfois grise. Tous ces traits sont voulus. Adaptés au caractère de l’œuvre, ils contribuent à lui donner son air de réalité. M. Henriot s’est proposé un dessein dont il y a peu d’exemples dans le roman français : conter l’histoire d’une famille pendant un siècle. Son récit, commencé en 1817, s’achève en pleine guerre de 1914. En un siècle, la famille a eu le temps de se développer, de se ramifier, de se multiplier ; et je ne jurerais pas que nous nous y retrouvions toujours. Va pour les parents et les beaux parents, frères, beaux frères, oncles et neveux ; mais quand arrivent les cousins, petits cousins et neveux à la mode de Bretagne, on y renonce.

À ce grouillement de personnages il fallait un personnage central. Qui sait même si ce n’est pas autour de son héroïne qu’est né le roman de M. Emile Henriot ? J’ignore tout de la façon dont il compose, mais j’imagine qu’il a dû rencontrer dans la vie, grave et douce sous ses cheveux blancs, une de ces femmes qui sont la bénédiction d’une famille. Il s’est demandé quels secrets dorment au fond de ces veux limpides. Quand elle était jeune, était- elle de celles qui plaisent ? A-t-elle aimé, a-t-elle été aimée ? Aricie était, dans la famille Brun, l’ainée : « Rôle ingrat dans les familles pauvres, qui consiste à réparer les fautes des autres, sans avoir jamais le droit d’en commettre, parce que personne ne serait là pour y remédier. » De bonne heure, elle a pris le pli d’être raisonnable. Jolie ? Ce qualificatif est si banal ! De l’esprit ? On peut si bien, tout en ayant de l’esprit, n’être qu’un sot ! Mais du bon sens, et du courage, et de la belle humeur. Une fois s’est lue sur ce visage, soudain transfiguré, l’illumination du bonheur entrevu, et si tôt évanoui. Une occasion s’offrira qu’Aricie refasse sa vie. Mais il en coûterait le bonheur d’une autre. Alors, naturellement et sans effort, parce que telle est sa part ici bas, elle se sacrifie. Jusqu’au bout, elle aura été fidèle à sa devise : « servir », sans jamais s’être doutée qu’ainsi pratiquée la servitude est une grandeur.

Vie manquée, diront ceux qui s’en tiennent aux apparences. M. Émile Henriot en juge mieux : il apprécie à sa valeur le rôle de ces mères sans enfants qui, si elles ne transmettent pas le flambeau, « empêchent du moins la grande idée de la race de se dissiper à travers ces vivants épars, que la vie a séparés » ; il salue justement en cette créature effacée « un modèle d’humanité supérieure. » L’Académie sait gré à M. Henriot d’avoir tracé, d’un pinceau délicat et nuancé, cette figure de chez nous, et opposé à tant d’images fausses et mensongères, qui nous dénigrent à l’étranger, cette image, si simplement vraie et si ressemblante, de notre société bourgeoise.

À ce roman d’allure sinueuse et lente s’oppose le bref et impétueux roman de M. Kessel, l’Équipage. Roman de guerre par un écrivain qui a fait la guerre, et qui en a gardé le frémissement dans ses nerfs. Le sujet : la vie d’une escadrille, peinte dans sa réalité quotidienne, et traversée de ces minutes glorieuses qui embrasent, comme des éclairs, le ciel des combats. Une trame serrée, une forme dépouillée ; aucune complication de style, mais toujours le mot juste et qui peint. Pas un portrait, et tous les personnages vivent. Entre ces figures, toutes jeunes, toutes rayonnantes de vie et d’ardeur, il en est une qui se détache et tire à elle tous les cœurs. Ce charmant capitaine Thélis, il n’est personne qui ne serait prêt à mourir pour lui dans l’escadrille dont il est l’âme. Vingt-quatre ans et ce don du commandement qui du camarade fait un chef ! Sa mort semble celle de ces jeunes héros, dont les anciens disaient qu’ils sont aimés des dieux. Et elle est, pour le lecteur lui-même, un deuil. J’entends dire que M. Kessel, pour dessiner cette silhouette héroïque, n’a rien eu à inventer : il lui a suffi de regarder vivre et mourir celui dont il a exprimé, en des mots qui ont la ferveur d’une prière, l’âme ingénue et brûlante. Je le crois volontiers. Le mérite n’en est que plus grand, d’avoir su peindre d’après nature ce type de l’officier français.

 

L’Équipage est un roman de guerre. Il y a, paraît-il, des gens qui ne veulent plus qu’on parle de la guerre. Vous, messieurs, vous ne commettez pas cette impiété. C’est sur les fonds de l’Académie que vous avez prélevé deux prix, de 3 000 francs chacun, pour les attribuer à des publications destinées à perpétuer le souvenir de nos combattants. Voici l’Anthologie des écrivains morts à la guerre, publiée par l’Association des écrivains combattants, et à laquelle M. Thierry Sandre donne tous ses soins. Ce sont quatre volumes où chacun des 450 écrivains morts pendant la guerre, est représenté par quelques-unes de ses meilleures pages. Ainsi, grâce au zèle pieux de leurs compagnons d’armes, ceux qui allaient être des poètes, des romanciers, des historiens, des critiques et qui ont sacrifié leur rêve d’art à leur devoir envers la patrie, ne mourront pas tout entiers. M. Jean Vic, dans les six volumes qu’il intitule Littérature de guerre, analyse tout ce qui a paru pendant les quatre années et plus qu’a duré la lutte. Son but est de permettre aux historiens de l’avenir de retrouver les idées et les sentiments de la France pendant la grande guerre, tant au front qu’à l’arrière ». Combien une telle œuvre était utile, plus qu’utile, nécessaire, je l’aurai fait comprendre en disant qu’elle est pour la France de la guerre une assurance contre la calomnie, — que cette calomnie vienne de l’étranger, hélas ! ou d’ailleurs.

L’Anthologie des écrivains morts à la guerre de M. Thierry Sandre, — la Littérature de guerre de M. Jean Vic, — je voudrais qu’il n’y eût pas une bibliothèque publique, pas un collège et pas une mairie en France, où ne fussent mis en belle place ces deux recueils qui sont des témoins. S’il est vrai que l’éducation est surtout affaire d’exemple, les vrais éducateurs de notre jeunesse ne sont-ils pas ces grands aînés, morts pour que la France vive ?

 

Honneur à ceux qui se souviennent ! Le livre consacré par Paul Régnier à la mémoire de Paul Drouot, a la grâce d’une fleur déposée sur une tombe par une main féminine. À travers ces pages, mouillées de larmes, les amis de Paul Drouot retrouvent, tel qu’ils l’ont connu, ce jeune homme d’un charme grave et d’une si fine sensibilité. Qu’il y eût en lui un poète, les fragments de son Eurydice deux fois perdue, publiée après sa mort, ne permettent guère d’en douter. Mais chez ce petit neveu du général Drouot brûlait une flamme héroïque. Quand éclata la guerre, en dépit d’une santé déplorable, il voulut aller au front. Il eut ce mot, jailli de sa conscience : « On vivra toute sa vie avec ce que l’on aura fait dans cette guerre. » Cette récompense lui était réservée, d’être attaché à la personne d’un chef admirable. Ce que le roman nous disait tout à l’heure du capitaine Thélis, je le trouve déjà appliqué par Paul Drouot au commandant Madelin. Et c’est lui qui devait retracer pour l’histoire la mort de ce chef si aimé. Nous reverrons toujours le commandant Madelin tel que nous le montre Paul Drouot, debout sur le bord de la tranchée, la canne levée. « Nous ne pouvions détacher nos regards de ce point immobile. Tout le monde se fichait du bombardement, tout le monde pleurait, tant c’était sublime. » Il ne s’était pas écoulé beaucoup de temps, lorsque, le 9 juin, à midi, lui-même tombait frappé d’un éclat d’obus. Comme la mort a réuni les deux frères d’armes, ils resteront unis dans notre souvenir.

Le souvenir, mieux que le souvenir : la présence. Lisez ce livre de tendresse mystique qu’une femme d’élite, Vega, intitule Les Présences invisibles. Chacun des chapitres s’achève par une pièce de vers : la pensée, pour s’élever plus haut, emprunte les ailes de la poésie. Et peu à peu de ces pages ferventes se dégage et passe en nous cette conviction que les morts vivent, qu’ils sont présents et qu’ils nous parlent. Invisibles à nos yeux, ils sont près de nous, si nous savons être près d’eux : leurs voix familières ne se sont tues que pour les autres... Le plus bel éloge qu’on puisse faire d’un tel livre, c’est de compter les douleurs dont il a été le confident, et qu’il a peut-être adoucies.

 

Tant de sacrifices ont eu du moins le résultat de rendre à la France son rang dans le monde. L’Académie, pour aider à la diffusion de notre langue et de notre littérature à l’étranger, dispose d’un grand prix de 10 000 francs. Cette année, quand il s’est agi d’attribuer ce prix de la Langue française, elle s’est trouvée cruellement embarrassée. Deux œuvres s’offraient à elle, toutes deux si intéressantes, si agissantes toutes deux, qu’elle ne pouvait se décider ni à écarter l’une ou l’autre, ni à partager le prix entre elles. Alors, elle a trouvé une solution élégante : elle a doublé le prix.

L’une de ces œuvres est la « Fédération de l’Alliance française aux États-Unis et au Canada ». Cette Fédération, — qui n’a de commun qu’une partie de son nom avec l’excellente Alliance française de Paris, — groupe tous les cercles où l’on se réunit dans diverses villes d’Amérique pour acheter des livres français et causer en français. Ce qui caractérise ces organisations, c’est qu’elles sont non pas françaises, mais américaines, composées de citoyens américains, vivant de subsides américains. La Fédération a été présidée tour à tour par M. James H. Hyde, par M. Harper, et à partir de 1906, par M. Le Roy White, homme exquis de finesse et de modestie, admirable de générosité, qui a gardé la présidence jusqu’à sa mort, survenue en 1923. Aujourd’hui, le président est M. Frank D. Pavey, avocat à New-York.

L’activité de la Fédération prend toutes sortes de formes. C’est sur son invitation que chaque année un conférencier français va de ville en ville, faire ses quatre-vingts conférences, et parfois pousse jusqu’à la centaine. Elle procède à des échanges de professeurs, elle organise des Congrès. Quand elle apprend que M. Brieux est de passage aux États-Unis, elle le saisit au collet et ne le lâche pas qu’elle n’ait obtenu de lui une conférence. Quand les fêtes pour le 3centenaire de Molière appellent MM. Maurice Donnay et André Chevrillon en Amérique, elle leur fait une réception triomphale. Et voulez-vous savoir, Messieurs, comment elle compte employer le montant du prix que vous lui avez accordé ? Il formera le noyau d’un fonds spécial destiné à augmenter le nombre des conférenciers français. Ce fonds spécial sera désigné sous le nom de « Fonds de l’Académie française ». Il s’accroîtra par des souscriptions américaines. Il a déjà commencé. Dès maintenant vos l0 000 francs sont devenus 22 000, qui travailleront à la meilleure des propagandes, — celle qui est faite en Amérique par les Américains.

L’autre de ces bonnes propagandistes est l’œuvre des Écoles d’Orient. Plus que jamais, son utilité s’impose, au lendemain d’une guerre qui lui a légué tant de ruines à réparer au cours d’une paix où traités, conventions et protocoles semblent s’être donné le mot pour nous arracher les derniers lambeaux de notre traditionnelle suprématie en Orient. Mais il y a une force des choses. Chrétiens venant du Taurus et de l’Arménie, Syriens, Chaldéens se groupent sous le drapeau de la France et sentent le besoin de prendre tout à fait les couleurs françaises. Or, là-bas, ces deux mots sont synonymes : catholique et Français. Sous l’impulsion d’un apôtre dont la vaillance est universellement connue, Mgr Lagier, l’œuvre entretient non seulement des écoles, mais des hôpitaux et des dispensaires. Elle fonde des séminaires en ces régions où chaque séminariste devient un pionnier de l’idée française. Œuvre d’intérêt général, elle apporte son aide à tous nos établissements, à nos 1 100 établissements du Levant. À ces établissements il faut des religieux et des religieuses, et on tremble à la seule pensée que des lois néfastes pourraient en tarir le recrutement. Puis il faut les entretenir. Maurice Barrès, dans son Enquête aux pays du Levant, constatait qu’avant la guerre, un religieux coûtait de 300 à 400 francs par an. Cela fait 1 500 francs d’aujourd’hui. 1 500 francs pour la dépense de toute une année, au prix où sont maintenant les choses, si vous trouvez que c’est bien cher, je vous dirai ce que coûte un ministre britannique ou américain : 30 000 francs... Encore faut-il trouver ces pauvres 1 500 francs. Nos Chambres de commerce se sont émues. Sur l’initiative d’un professeur de droit, M. Eugène Delepoulle, président de l’œuvre à Tourcoing, et de Mme Jules Desurmont-Motte, elles ont, depuis la guerre, trouvé chaque année 150 000 francs. On n’a pas oublié à Tourcoing, et dans toute la France du Nord, la journée du 12 mars 1922, au bénéfice des Écoles d’Orient, et l’enthousiasme qu’elle a soulevé, grâce à la présence du maréchal Foch. Puisse le prix décerné par l’Académie à l’œuvre des Écoles d’Orient appeler sur elle d’autres générosités ! Pour nous tous c’est un pressant devoir de défendre contre leur effroyable misère nos religieux d’Orient, parce que nous n’avons pas de plus ardents, ni de plus utiles défenseurs de nos intérêts.

Attentive à tous les courants de sympathie que l’idée française provoque à travers le monde, l’Académie ne pouvait manquer de distinguer un livre intitulé Le français, langue diplomatique moderne, dont Fauteur, M. James Brown Scott, professeur à l’Université de Georgetown, déclare dans sa préface « Il n’y a pas une goutte de sang français dans toute ma personne. » Alors M. James Brown Scott n’est pas suspect, quand il s’inquiète des tentatives faites pour déposséder la langue française de son rôle séculaire de langue diplomatique. Vous vous souvenez de ce qui s’est passé à la Conférence de la paix et comment, M. Lloyd George ayant brandi le chiffre de 170 millions d’Anglo-Saxons, le président Wilson a revendiqué pour la langue anglaise de pouvoir être appelée « la langue diplomatique du Pacifique ». À cet argument, qu’on peut appeler l’argument arithmétique, M. Scott fait cette réponse toute simple, que le rôle international d’une langue ne dépend pas du nombre de personnes qui la parlent chez elles, sans quoi la langue de la diplomatie devrait être le chinois. Mais le français doit au génie de notre race et à l’effort de nos grands écrivains une clarté incomparable, qui est sa marque. C’est cette clarté qui doit lui conférer, aujourd’hui comme jadis, un honneur et une mission où M. Scott n’hésite pas à voir un gage d’entente loyale pour toutes les nations civilisées et de paix pour le monde entier.

Et n’est-il pas digne de remarque que l’étude la plus complète qui ait été consacrée jusqu’ici à l’un de nos grands poètes, soit due à un étranger ? M. Miodrag Ibrovac est de nationalité serbe ; il enseigne à l’Université de Belgrade. Transporté par la lecture des Trophées, il est venu en France, afin d’y suivre, partout où elles le conduisaient, les traces de son poète préféré : à Senlis où le petit créole, devenu élève du collège Saint-Vincent, échangeait le soleil éclatant des Tropiques contre le ciel voilé de l’Ile-de-France, à l’École de Droit et à l’École des Chartes, aux après-midis dans la boutique de Lemerre, éditeur des Parnassiens, aux soirées de Leconte de Lisle, et jusqu’à ses propres réceptions du samedi, où tous les apprentis poètes venaient apprendre du maître impeccable les secrets de l’art. Tout ce qu’on peut savoir sur la genèse des Trophées, M. Miodrag Ibrovac l’a réuni dans ce livre, auquel nul ne pourra désormais se dispenser de recourir. Et à force de vivre dans l’intimité du poète, il a pu réformer sur plus d’un point son image faussée par la légende, et le défendre de ce reproche d’insensibilité si facilement adressé à qui se montre trop ter pour étaler sa sensibilité en public.

 

Heredia a connu, encouragé, guidé plusieurs des poètes, que vous avez couronnés. Tel M. Ernest Prévost qui obtient le plus important de vos prix poétiques, le prix Saint-Cricq Theis, pour son Livre de l’Immortelle amie, où passe un large souffle lyrique. Tel le bon poète parisien, Philippe Dufour, qui a si bien mérité le prix Davaine par toute une carrière dédiée au culte de la Muse. Six poètes se sont partagé le prix Archon Despérouses ; Paul Souchon, qui, dans ses Chants du Stade, célèbre le sport, roi du jour ; Maurice Magre qui nous conduit à La porte du Mystère ; Louise Dromart pour Le bel été ; Georges Delaquys pour ses Ballades du dimanche ; Johannès Merlat pour Les chansons des plaines et des montagnes ; Gaston Berardi pour ses Sonnets de guerre et d’après guerre.

À travers ces recueils réjouissons-nous de constater une heureuse tendance : le retour à la prosodie traditionnelle, la seule qui ait droit de cité dans la poésie française, ayant pour elle l’unanimité de nos grands poètes. Qu’il s’agisse du rythme ou de la rime, on sait quelles libertés avaient prises à leur égard les écoles nées de la réaction contre le Parnasse : vers seulement assonances, singuliers rimant avec les pluriels, et le reste. Mais la poésie n’a rien à gagner à un excès de liberté. Las de ces élégances d’hier, déjà périmées, nos poètes se rendent compte que les vers ne sont pas faits seulement pour être entendus, mais aussi pour être lus, que les mots n’ont pas seulement une sonorité, ils ont un visage et il n’est permis à personne de défigurer les mots français. Quelqu’un l’a dit à merveille, et c’est un de vos lauréats, M. Charles Derennes, dans son charmant recueil La Fontaine Jouvence. S’adressant à un jeune confrère en poésie, il le met en garde contre ces prétendues audaces qui ne sont qu’une prime à la facilité, une concession à la paresse et au laisser aller :

Tes égaux, tes camarades,
Qui veulent chanter aussi,
Ornent de rimes malades
Tel rythme mal réussi.
Laisse faire ! Laisse faire !
Ces pauvres gens, petit frère,
N’ont rien produit, semé rien ;
Ils ne savent pas qu’en France
Nul ne chante et nul ne pense
S’il n’est bon grammairien.

Nous saluons avec joie ce rappel au respect de la langue et de la prosodie.

 

Je voudrais louer, comme ils le méritent, de fort beaux livres, La prise d’Alger de M. Esquier, qui a obtenu le second prix Gobert ; le Vauban de M. Daniel Halévy, modèle de ce genre de l’essai, cher à Taine et à M. Paul Bourget ; Le beau Jardin, où la comtesse de Pange a évoqué avec tout son cœur l’Alsace redevenue française ; Père et fils, où M. d’Entrammes a retracé avec tant d’émotion un drame de famille, et combien d’autres !... Je voudrais ; je ne puis : ils sont trop ; du moins je m’excuse de ne remplir qu’incomplètement une tâche trop vaste.

Et je n’ai encore rien dit de vos prix d’ensemble. À M. Raymond Recouly, écrivain habile, journaliste rompu au métier, toujours en quête d’information et chez qui le chroniqueur alerte se double d’un grand voyageur, le prix Née. Mgr Grente, à qui est échu le prix Vitet, n’est pas seulement le type du prélat lettré, qui a fait de son évêché du Mans un des plus chers asiles de la culture classique. Lorsque, il y a quelques années, il accompagna le cardinal Dubois en Asie-Mineure, en Palestine, en Égypte, il eut l’honneur de scander par son éloquence les diverses étapes du voyage et, au retour, de retracer en un livre qui est un hommage à la plus grande France, toutes les visions qu’avait aimées en Orient son regard d’évêque patriote.

Le prix Paul Hervieu, décerné à M. Jacques Copeau, récompense, en même temps que sa pièce, La Terre natale, l’effort qu’il a poursuivi pendant plus de dix ans au théâtre du « Vieux Colombier ». Qui ne se rappelle cette merveille d’ingéniosité et de goût que fut, à ce théâtre, la mise en scène du Carrosse du Saint-Sacrement de Mérimée ? Dans sa lutte contre ce qu’on désigne, comme il convient, d’un nom barbare, l’industrialisation du théâtre, faut-il croire que M. Copeau s’attaquait décidément à trop forte partie ? Constatons seulement que des difficultés passagères ne l’ont pas découragé. Toutes nos sympathies l’accompagnent à ce château de Morteuil, en Bourgogne, où il a transporté son école d’art dramatique. Et puisqu’il s’efforce de donner aux futurs comédiens « cette culture générale qui leur restituera les hautes qualités humaines et la dignité du nom d’artiste, » de toutes nos forces nous souhaitons qu’il y réussisse, afin de ne pas laisser définitivement prononcer le divorce du théâtre et des lettres.

Vous entendrez tout à l’heure un fragment du discours sur Diderot qui a remporté le prix d’éloquence. L’art avec lequel le lira le merveilleux lecteur qu’est M. Robert de Flers, sera la meilleure manière de louer cette prose brillante d’un poète... Car il faut que vous sachiez quel a été notre étonnement quand nous avons décacheté l’enveloppe mystérieuse qui garde jusqu’au bout le secret du concours, d’y trouver le nom du même écrivain qui avait remporté, l’an dernier, le prix de poésie. M. Edmond Porcher écrit aussi agréablement en vers et en prose, et discourt aujourd’hui de Diderot aussi aisément qu’il versifiait hier en l’honneur de Molière.

Enfin, le Grand prix de littérature à M. Abel Bonnard. Tour à tour poète, romancier, chroniqueur, — j’ajoute : charmant causeur qui, suivant la meilleure tradition de chez nous, pratique la conversation comme un art, — M. Abel Bonnard est surtout un moraliste. Le jeu des idées et des sentiments l’intéresse plus que celui des formes et des couleurs. Le livre que, devenu voyageur, il nous a rapporté de Chine est encore un livre de moraliste.

Certes, il a rempli toute sa tâche de touriste consciencieux. Il est allé partout où il faut être allé. Il a vu le Temple du Ciel et la montagne de Charbon, et les tombeaux des Ming, et ce qui reste de la ruineuse muraille de la Chine. Il est entré dans les boutiques des marchands, Il s’est mêlé à la foule, il a vu défiler dans les rues de Pékin le cortège du général vainqueur : il y a toujours eu Chine un général vainqueur : seulement, ce n’est jamais le même. Il a rendu visite à nos missionnaires. Dans la morne plaine chinoise, il s’est représenté ce que peut être leur existence, sous ce climat terrible. À Hiens-Hsien, il a compté les centaines d’enfants qu’ils avaient sauvés de la famine. Et c’est pour les avoir ainsi vus à l’œuvre qu’il leur apporte ce témoignage, de lui avoir donné à contempler en eux les modèles de toutes les plus belles vertus françaises.

Mais ce qui a surtout frappé M. Abel Bonnard, c’est qu’arrivé à un moment critique de l’histoire de la Chine il a pu voir comment tout s’y modifie. Cette Chine, où il voyageait, il sentait en elle une Chine qui s’en va. Et il ne semble pas être d’avis qu’elle ait beaucoup gagné à se moderniser. Entre tant de choses qui sont déjà du passé, il en est une surtout qu’il regrette : l’antique et bientôt défunte politesse. Il a pu encore respirer le parfum de cette politesse chinoise, naguère fameuse : il en cite plusieurs traits charmants. À les lire, on en vient à se demander si l’avènement du sans gêne et du débraillé, dont les grâces ont décidément conquis notre Occident, est bien un progrès. Même, au risque d’être tenu pour un peu antédiluvien, on se prend à déplorer que la ci-devant politesse ne soit plus qu’un souvenir, une curiosité, un bibelot japonais, une chinoiserie.

Or, cette transformation que le voyageur constate en Chine, ne s’étend pas seulement à la Chine. Tout change en ce moment dans le monde, et, — M. Abel Bonnard en fait la juste remarque, —pour la première fois la crise s’étend « à l’humanité tout entière. » Tout change, mais est-ce pour changer en mieux ? Écoutez ce qu’en pense M. Abel Bonnard : « Une laideur uniforme s’étend sur toute la terre. La fête de la vie s’éteint... Les objets morts de l’industrie ont partout remplacé les objets vivants des arts... Cette immense décoloration annonce la fin d’une époque. Ce qui se perd, c’est tout ce que l’homme avait acquis, conquis sur lui-même, tout ce qui était hiérarchie, mœurs, discipline, et il ne reste à la place que la monotonie des appétits. » Tel est le l’ait : tout ce qu’il y avait de meilleur au monde, tout ce que nous devions au long effort de l’humanité, se perd un peu plus chaque jour. Mais le laisserons-nous se perdre ? N’essaierons-nous pas de le sauver ? M. Abel Bonnard nous y convie, non sans éloquence : « La passion de l’uniformité n’enflamme que les plus piètres esprits. On ne saurait, dans l’état présent des choses, se proposer de plus noble fin que de sauver, s’il en est temps, les différentes âmes de l’humanité. » Noble croisade, en effet, besogne urgente à laquelle nous convie le voyageur clairvoyant et attristé !

Car il ne sert de rien d’ignorer ou de nier les inquiétudes, qui, à l’heure présente, se font jour partout, et même dans les régions sereines de la littérature et de l’art. C’est un poète, votre lauréat, M. Ernest Prévost, qui jetait hier ce cri d’alarme : La poésie va-t-elle disparaître ? À voir que, de plus en plus, journaux, revues et maisons d’édition font aux poètes un accueil chétif, il redoute que la poésie ne finisse, faute de poètes. C’est un romancier, un des plus célèbres, l’un d’entre vous, M. René Boylesve, qui déclare que le roman est un genre en danger. Eh quoi ! en danger, le genre auquel la mode prodigue ses sourires et les Mécènes leur argent, pour qui la réclame enfle toutes ses voix, embouche toutes ses trompettes, actionne tous ses hauts parleurs, le genre grand favori, le genre tentaculaire, qui tend à absorber toute la littérature ? Mais c’est justement cette pléthore du genre qui inquiète M. René Boylesve. Tout le monde aujourd’hui écrit des romans ; mais conter est un don et tout le monde n’est pas né conteur. Des sujets, qui jadis auraient pris forme d’étude historique ou critique, sont mis en roman ; mais tous les sujets ne sont pas des sujets de roman. Les lecteurs de romans sont une foule, mais une foule ne se compose pas uniquement de gens de goût. Cependant les auteurs dramatiques se plaignent des difficultés grandissantes que rencontre l’écrivain de théâtre, soucieux de son art. Quant à l’historien, au critique, au philosophe, désespérant de se faire imprimer, il renonce à produire. Suffit-il de répondre que la poésie ne peut pas mourir et que nous en avons vu bien d’autres ? L’optimisme ne vaut que s’il est producteur d’énergie. L’esprit français sortira victorieux de cette crise, nous n’en doutons pas ; encore convient-il de l’y aider, C’est à quoi servent vos concours. Et telle est l’utilité d’une séance comme celle-ci, où ne se respire que la plus pure atmosphère morale et littéraire. Dans le tumulte d’une époque troublée, faite à souhait pour le boniment des charlatans, le public a, plus que jamais, besoin d’un guide qui l’empêche de s’égarer. Il sent lui-même ce besoin et c’est à vous qu’il demande d’être ce guide. Parce que votre Compagnie est la seule qui, venue du passé et survivant à tant de bouleversements, lui offre l’image de la continuité, il se tourne vers vous avec confiance. Nous donc, de tout notre cœur de Français, de toute notre conscience de lettrés, veillons à ne pas laisser notre littérature dévier de la grande voie de lumière, où, depuis bientôt trois siècles, l’Académie française a maintenu le génie national.