Discours prononcé à l’occasion de la mort de S. Éminence le cardinal Eugène Tisserant

Le 24 février 1972

Marcel ACHARD

DISCOURS PRONONCÉ PAR

M. MARCEL ACHARD
Chancelier de l’Académie

à l’occasion de la mort de

SON ÉMINENCE LE CARDINAL EUGÈNE TISSERANT[1]
de l’Académie française

Séance du 24 février 1972

 

Messieurs,

Nous ne verrons plus, les jours d’élection, paraître au seuil de notre salle des séances, la robuste silhouette du Prince de l’Église qui était notre confrère.

Le Cardinal Tisserant est mort.

Disons-le — et nous le regrettons aujourd’hui plus que jamais — nous l’avons trop peu connu.

Les fonctions éminentes qu’il occupait au Vatican, puis, quand il dut les abandonner, l’état de sa santé, l’empêchèrent de participer à nos réunions du jeudi aussi souvent qu’il l’eût sans doute souhaité.

Mais même ceux qui n’avaient pas le privilège de son amitié savaient ce que nous apportait l’éclat de sa personnalité et nous ne pouvons oublier l’exemple que donnait ici la cordiale estime qui le liait au Pasteur Boegner, exemple d’œcuménisme pour les fidèles et, pour les autres, exemple de ce libéralisme qui règne — ou devrait toujours régner — au sein de notre Compagnie.

Monsieur d’Ormesson nous l’a dit :

« Quand on ne connaît pas, ou quand on connaît mal le Vatican, on imagine volontiers que tout y est onctueux, nuancé, amorti, ouaté, que l’art des ménagements et des balancements subtils y atteint son point de perfection. »

Il ajoute « que la personnalité du Cardinal ne s’accommodait guère de ces traits ». En effet, Eugène Tisserant n’était ni onctueux, ni nuancé, ni amorti, ni ouaté. Il appelait un chat, un chat dans son rude langage œcuménique.

Je me rappelle encore l’extrême surprise que j’ai éprouvée en entendant la première phrase de son Discours de réception, quand du haut de sa taille, il laissait tomber, de sa bouche spirituelle, avec une autorité doublée d’une impertinence rocailleuse :

« La Compagnie dans laquelle vous avez décidé de m’admettre a été fondée par un Cardinal et c’est pourquoi vous aimez avoir un Cardinal parmi vous. »

Il considéra, avec nous tous, que c’était là un remerciement inusité, mais tout à fait suffisant et il chargea Pie XII, Jean XXIII et même Pie XI de s’y associer pour en justifier le bien-fondé.

L’universalité de ses connaissances était déprimante.

Il parlait une vingtaine de langues, mortes pour la plupart et dut, au cours de ses études, être à la fois le maître et l’élève, faute de professeur.

L’hébreu, le syriaque, l’assyrien, l’éthiopien n’avaient pas de secrets pour lui — j’en passe, sinon de plus délaissées.

Monseigneur Tisserant justifia la prédiction que, le 23 décembre 1908, Saint Pie X écrivait sur le bréviaire du futur cardinal :

« Que Dieu te remplisse de toute bénédiction et qu’il exauce ta prière. »

Pendant vingt et un ans, en étant le second personnage de l’Église, vous avez, Monseigneur, pu distribuer vos bénédictions et faire exaucer vos prières.

 

[1] Mort le 21 février 1972, à Albano.