Discours de réception non prononcé en séance publique

Le 5 mars 1874

Émile OLLIVIER

Discours de M. Émile Ollivier

élu le 7 avril 1870 en remplacement de M. de Lamartine

 

Messieurs,

Après la mort de Mirabeau, sa place sur les bancs de l’Assemblée constituante fut laissée vide, afin qu’un signe visible marquât et l’étendue de la perte et l’impossibilité de la réparer. Un hommage pareil était dû parmi vous à Lamartine. Votre constitution ne vous a permis de le lui rendre que pour un temps, mais vous lui avez choisi un successeur dont le titre principal fut de l’avoir admiré et aimé ; de la sorte, en paraissant occupée, sa place restera vide. Je ne saurais donc mieux vous exprimer ma gratitude qu’en vous entretenant aussitôt de mon illustre prédécesseur. Je n’envisage pas sans émotion le devoir de caractériser l’œuvre et de parcourir la vie d’un mortel qui fut à la fois un poète, un chef d’État, un orateur, un historien, un triomphateur acclamé, un vaincu décrié, et qui, en toute occasion, asservissant sa souveraineté de gloire à la discipline morale des humbles, se montra, dans la fortune adverse aussi bien que dans la fortune propice, un honnête homme selon la touchante dignité du mot, un exemplaire exquis de ce que la nature humaine peut offrir de plus achevé. Les muses aimables ou sévères qui, après l’avoir doté, ne lui refusèrent jamais leur secours, pourraient seules célébrer dignement celui en qui elles se sont complu. Si j’osais, je les invoquerais à la manière antique !

Au XVIIe siècle, s’étaient établis deux gouvernements absolus : un gouvernement politique, celui de Louis XIV ; un gouvernement du goût, celui de Boileau. Dès le XVIIIe siècle, tous les deux déclinent : le pouvoir politique par l’incapacité des héritiers du grand roi, le pouvoir littéraire par la faiblesse des successeurs du grand critique. Au XIXe siècle, ils sont renversés l’un et l’autre. Le mouvement politique commence en 1788, et c’est au début de l’une de ses évolutions, en 1801, qu’Atala imprime l’impulsion décisive au mouvement littéraire. Lamartine ne distingua pas entre ces révolutions ; il les adopta également, mais pour les ennoblir et les régler. Il ne crut pas que la régénération poétique dût aboutir à un réalisme grossier, et l’émancipation politique à un nivellement brutal. Ainsi apparaît sa vie vue d’ensemble ; ainsi elle reste considérée dans ses particularités littéraires ou politiques.

Une précision grêle et une sécheresse élégante amoindrissaient notre littérature épuisée par ses chefs-d’œuvre, lorsque des novateurs la rapprochèrent de la nature. Les uns peignirent ses magnificences et ses grâces ; les autres exprimèrent les affinités secrètes de ses phénomènes et de nos passions ; les uns empruntèrent des sensations et des couleurs à ses merveilles qui paraissaient n’avoir pas été regardées encore ; les autres se soulevèrent par elle et avec elle jusqu’à la sphère où les bruits et les voix se confondent dans une adoration. Presque au même temps notre société traversait une convulsion tragique, les classes se heurtaient et changeaient de place ; les nobles apprenaient à connaître les angoisses de la pauvreté, les plébéiens, les entraînements de la toute-puissance, et, terrifiées par ces écroulements, les âmes modernes ressentaient le trouble vague et douloureux qui, à la chute de la civilisation païenne, avait tour à tour désolé et exalté l’élite des hommes.

De cette innovation esthétique et de cet ébranlement social sortit une renaissance pleine de fécondité. L’imagination ranima sa sève engourdie, et les créations originales recommencèrent. Notre idiome, en retenant sa propriété classique, accrut ses puissances d’expression et ressaisit quelques-unes des qualités savoureuses de ses temps de prodigalité. Il acquit une flexibilité, une liberté, une hardiesse, une variété, une aptitude à tout dire et à tout peindre, qu’autrefois Fénelon avait jugées incompatibles avec sa rectitude logique et sa limpidité correcte. Ce renouvellement profita surtout à la poésie, elle ne fut pas affranchie des difficultés inhérentes à une langue fière et malaisée à dompter ; elle apprit toutefois à les mieux surmonter, elle se plia à des souplesses encore ignorées, et alors nos poètes, déjà consacrés au théâtre, obtinrent à côté des poètes lyriques renommés dans les littératures réputées poétiques, sinon la supériorité reconnue à notre incomparable prose par nos plus persévérants détracteurs, du moins une honorable égalité, et, aux nations orgueilleuses de leurs chantres célèbres, nous pûmes opposer sans présomption la pléiade triomphante où brillaient les Lamartine et les Victor Hugo, les Vigny et les Musset.

À la vérité, la rénovation ne fut pas l’œuvre de ceux qui en profitèrent le plus, et, tandis que notre prose avait reçu son essor des poètes, Malherbe et Pierre Corneille, l’éclosion des poètes modernes fut, due à des prosateurs, Jean-Jacques Rousseau, Bernardin de Saint-Pierre, Chateaubriand. Leur prose, à défaut de la cadence rythmique par laquelle le vers soutient et prolonge la vibration des mots, avait tiré de la pondération des idées et des images un rythme aussi harmonieux, quoique moins matériel. Avant Lamartine, quelques précurseurs s’étaient, approchés de la source de rajeunissement, aucun d’eux ne s’y était abreuvé. Cette initiative était réservée à l’auteur des Méditations. 1820 marque cette date, aussi importante dans les annales de notre esprit national que celles du Cid, de Tartuffe et de Phèdre. De ce moment la versification cessa d’être un simple mécanisme, ou un badinage ingénieux, ou l’élégie des attachements passagers ; elle redevint l’instrument privilégié de l’imagination, la langue propre de l’idéal, et les sentiments en vogue au début du siècle, déjà épuisés, parurent nouveaux une seconde fois dès que la diction de Virgile et de Racine les eut embellis de sa magie éternellement nouvelle.

Presque toujours l’initiateur se montre injuste envers le passé qu’il continue ; il le méconnaît ou il le brise. Souvent aussi il vaut par les pressentiments plus que par les œuvres. Lamartine vint accomplir et non répudier, il ne méconnut pas ceux auxquels il succédait, et, dès le début, il parcourut en quelques pas le domaine où il était entré le premier ; il eut en même temps la fraîcheur heureuse des commencements et la plénitude profonde des maturités. Tout pleure, tout brûle, tout prie, tout plane, tout est débordant d’aspirations immortelles dans ses hymnes suaves, épanchés d’une intelligence élue avec autant de facile profusion que la lumière s’échappe à flots le matin du soleil renaissant. Tout est parfum et mélodie ; délices à l’oreille et ravissement au cœur, dans ses strophes musicales qui, semblables à des vagues venues de loin, poussent longuement leurs larges ondes sans repos et déroulent avec une puissance tranquille leurs couleurs changeantes, leurs reflets mêlés d’ombres, leurs nonchalances charmantes, leurs sonorités continues. Rien n’est trop familier ou trop élevé pour cet enchanteur. Les péripéties ordinaires des sentiments naturels, la langueur des jeunes attentes, les fantômes entrevus et envolés, le déchirement des séparations, se modulent en ses accords aussi noblement que les mystères de la nuit, les éblouissements du jour, les évolutions cadencées des mondes, l’incompréhensible immensité de l’Éternel. Son vers, d’une fluidité attique, inépuisable en métamorphoses, circule à travers les narrations difficiles et les détails de la vie intime rejetés jusque-là de la poésie comme trop pédestres, entoure de majesté ce qui est élevé, orne de délicatesse ce qui est familier, unit la gravité de ce qui résiste à la séduction de ce qui plie et l’effusion des fortes passions aux notes légères du dialogue de Tibulle et de Délie. Autant que les maîtres primitifs, le poète moderne paraît d’intelligence avec les choses. Pour lui, la montagne, la source, l’arbre, la prairie, le nuage, ont des paroles qu’il entend, des soupirs qu’il recueille, des plaintes auxquelles il s’unit, des prières qu’il répète, des élévations dont il s’inspire, et volontiers, à la suite de l’adorable François d’Assise, il dirait au soleil : « Mon frère ! » et aux hirondelles : « Mes sœurs ! » La laideur seule lui échappe ; les marais ne l’attirent pas, et il ne se complaît qu’aux étoiles, réelles aussi. Sa poésie, c’est l’émotion par le beau. Ne lui demandez pas le bel esprit des poètes citadins de la famille d’Horace ou de Béranger ; il n’est, comme Virgile, qu’un paysan de génie. Parfois sa forme déborde, s’épand outre mesure, et la diffusion de la lumière efface le contour des objets ; néanmoins la conception elle-même ne devient jamais excessive, et, dans les plus intempérantes extases, son lyrisme reste la flamme de la raison. Et tout cela sans efforts, par la grâce des spontanéités natives.

Quelle que soit la beauté des Méditations et celle des Harmonies publiées ensuite, de même que ces portiques imposants sous lesquels Raphaël distribue les groupes fameux des philosophes anciens, elles ne sont qu’une préparation, l’encadrement de la création capitale, de Jocelyn, chef-d’œuvre impérissable.

Le sacrifice dans sa perfection héroïque, long, obscur, se nourrissant en silence de ses âpretés, ignoré de ceux qui l’inspirent, accepté pour lui-même, avec l’aide de Dieu sans doute, non en vue d’obtenir ses récompenses, voilà la donnée du poème. Sacrifice, lorsque, ému encore de l’apparition des rêveuses jeunes filles sur les gazons nouvellement reverdis, l’adolescent quitte le monde afin d’assurer à sa sœur l’or nécessaire à une union souhaitée ; sacrifice, lorsque, frémissant encore des cantiques à deux voix jetés vers le bonheur, le lévite renonce à son ivresse afin de rompre le pain de la mort à l’évêque martyr. Le récit de ces renoncements est navrant, ce sont des gémissements plus que des récits ; et cependant aucune monotonie ne les alanguit, tant est consommé l’art qui se cache sous l’apparente simplicité. Des contrastes délicatement gradués alternent avec des similitudes ravissantes, et, murmurant ou épanoui, endormi ou tourmenté, le paysage s’unit continuellement à l’action ainsi que l’orchestre à une mélopée lyrique.

Jocelyn est la légende des destinées brisées : et combien y a-t-il d’existences terrestres qui, par un côté du moins, n’aient été tranchées en leur fleur ? Aussi la commisération ineffable que le poète répand sur les misères et les afflictions du pauvre sacrifié est-elle en réalité une commisération répandue sur les misères et les afflictions de la plupart d’entre nous. Par là ce poème devient le livre de tous et achève le nom définitif de la poésie de Lamartine, qui est consolation. On console en faisant descendre les pensées célestes ou en faisant monter les pensées tristes. L’auteur de Jocelyn console de cette seconde manière. Il ne heurte pas la douleur, il ne la rudoie pas ; il la caresse, la berce avec des refrains attendris, puis la prend sur ses ailes, l’élève et par cela même la dissipe. La lecture de René, de Childe Harold, de Rolla, a-t-elle calmé la détresse de quelqu’un ? Personne ne fermera Jocelyn sans se sentir meilleur, et, s’il souffre, moins désolé. S’adressant au Seigneur, le poète lui dit :

Que ta grâce les désaltère !
Tous ceux qui marchent sur la terre
Ont soif à quelque heure du jour ;
Fais à leur lèvre desséchée
Jaillir de la source cachée
La goutte de paix et d’amour !

Tu l’as fait jaillir pour nous de la source cachée, ô poète, la goutte de paix et d’amour ! Et, plus que l’enchantement de tes rimes, ce bienfait te conservera vivant parmi les hommes ! Tu vivras dans leur mémoire aussi longtemps qu’il y aura une jeunesse, un printemps et des larmes !

La gloire de la poésie ne suffit pas à Lamartine, il voulut aussi celle de la politique. Dès lors plus d’émotions recueillies, plus d’enthousiasmes pieux, plus de loisirs et de rêveries, plus de paix ; mais le combat, les blessures reçues et rendues, les résultats autres que les espérances, les haines ou les perfidies, l’envie, les empressements éphémères et les délaissements prolongés, les victoires contestées entre de longues attentes et de longues défaites. Qu’allait-il demander au monde de la dispute, ce privilégié de l’intelligence ? Et pourquoi, pouvant habiter en dominateur les régions sereines, est-il volontairement descendu sur nos rudes sentiers ? Ne le regrettons pas. L’action est encore au poète une occasion de déployer ses forces inspirées, et c’est un chant aussi qu’une belle vie harmonieusement conduite à l’honneur et au devoir.

La révolution de 89 se compose de certains principes et d’une méthode d’action. Contrôle régulier de la nation, liberté civile, abolition des privilèges, égalité de tous devant la loi, liberté de conscience : tels sont les principes, ils sont vrais et nouveaux. Pessimisme, terrorisme verbal et matériel à ses divers degrés : telle est la méthode d’action, elle est une perversité et une vieillerie. Souvent les amis de la révolution se sont montrés attachés à la méthode autant qu’aux principes, ses ennemis ont été contraires aux principes non moins qu’à la méthode. Lamartine s’est préservé de ces exagérations opposées : quoiqu’il ait été un panégyriste constant des vérités de 89, il n’est pas devenu un terroriste même modéré, ou un pessimiste même parlementaire ; et, quoique son nom ait été mêlé à une révolution, il est certainement une des ligures les moins révolutionnaires de notre temps.

À peine arrivé au terme de son apprentissage diplomatique, il se vit placé entre deux actes d’une politique extrême : l’adresse des deux cent vingt-un, dirigée contre un attribut essentiel du pouvoir monarchique ; les Ordonnances, préparées contre les institutions représentatives. Il n’adhéra pas plus à l’agression de la chambre qu’à la violence du roi ; il blâma M. Royer-Collard, le rédacteur principal de l’adresse ; il refusa de seconder le prince de Polignac, le signataire des Ordonnances.

La révolution accomplie, Lamartine pensa que l’établissement de 1830 avait entrepris trop contre le droit de la monarchie et les intérêts traditionnels, pas assez en faveur du droit populaire et des intérêts démocratiques ; qu’il avait eu le tort d’accepter l’investiture d’une assemblée usurpatrice, un faux parlement, disait-il, et, ayant détruit l’hérédité, d’avoir éludé l’élection. Il résigna son emploi diplomatique, et il s’éloigna.

À travers la mer d’Ionie qu’Homère lui avait rendue chère, il alla parcourir la terre de la plus brûlante des poésies, visiter la ville qui avait révélé le Beau et au milieu de laquelle saint Paul avait nommé le Dieu Inconnu. Où il espérait recueillir la mémoire des siècles écoulés, il rencontra la douleur, et il apprit que ce ne sont pas seulement les jeunes filles nées en Israël qui parfois passent avant le soir.

Son élection à Dunkerque le rappelle en France. Député, il prête le serment que fonctionnaire il avait refusé, et non pour le violer. Il le prouve en défendant M. Molé et la prérogative du roi contre la coalition de 1839. Cet épisode terminé, il demande qu’une oligarchie de trois cent mille électeurs cesse d’être la représentation légale d’une nation de trente-six millions d’âmes, et qu’une part plus considérable soit accordée dans les lois à la fraternité sociale. Dédaigné, il se sépare du parti ministériel : toutefois, par impatience d’ambition, il ne devient pas de constitutionnel factieux ; il avertit et ne menace pas. Il se tient éloigné des banquets agitateurs de la réforme et demeure en dehors de la coalition de 1847, renouvellement dans la presse et dans la rue de la coalition parlementaire de 1839. Il refuse de signer contre le dernier ministère de la monarchie de Juillet un acte d’accusation, véritable dérision du bon sens politique. Il préfère l’isolement à la pratique en commun des injustices d’une opposition systématique.

Il s’oublie cependant à son tour, le 22 février, dans l’une des assemblées de la coalition à laquelle il avait été exceptionnellement appelé. L’objet de la réunion était de décider si l’on se rendrait au banquet interdit de l’un des arrondissements de Paris. Les habiles excitent, puis au moment de l’action se dérobent ; dès qu’ils sont sûrs d’être dépassés, ils se montrent prudents : de cette manière ils ont par leurs alliés les bénéfices de la violence et par eux-mêmes les profits de la modération. Ces raffinements ne s’adaptaient pas au caractère martial de Lamartine, le péril le poussait en avant, et il allait au bout d’une situation. Aux orateurs qui conseillaient de respecter l’interdiction gouvernementale, il répondit : « C’est une reculade ; je n’ai pas donné le rendez-vous, eh bien, j’irai, n’eussé-je avec moi que mon ombre ! » La renonciation au banquet annoncé rendit vain cet emportement que plus tard il a condamné lui-même.

Y a-t-il beaucoup d’hommes de lutte qui puissent se targuer de n’avoir cédé jamais à l’entraînement cette fatalité de la vie publique ? La tentation est d’autant plus dangereuse que les applaudissements se proportionnent à l’intensité de l’égarement, redoublent à mesure qu’il augmente, diminuent dès qu’il se rectifie, jusqu’à ce qu’ils se changent en outrages aussitôt qu’on revient au sang-froid et à la confession courageuse de la réalité. Le jour de l’erreur la plus répréhensible de Lamartine fut aussi celui de sa plus bruyante popularité. Il ne tarda pas à acquérir des droits à une admiration plus durable et mieux méritée par sa conduite pendant la révolution de février.

Quand il adhéra au gouvernement provisoire, le roi auquel il avait prêté serment avait abdiqué, l’hôtel de ville était aux mains du peuple, le trône avait été brûlé aux Tuileries, les rues étaient couvertes de barricades, le palais Bourbon forcé, et, par la proposition de la régence de Mme la duchesse d’Orléans, les amis de la dynastie avaient détruit eux-mêmes leur légalité et perdu le droit de l’imposer à des ennemis, ou plutôt il y avait déjà plusieurs heures que le gouvernement s’était livré lui-même.

Depuis Charles Ier et Strafford l’usage est, dès que le peuple devient menaçant, de lui jeter des ministres pour l’apaiser. Ces capitulations ne servirent jamais qu’à ôter toute dignité à la chute. Néanmoins l’usage avait été suivi. Une cour affolée avait obtenu la démission d’un ministère décidé à la défense, et dont les actes s’étaient accomplis avec l’assentiment du parlement et le concours de la couronne. — C’est trop peu ! avaient répondu les opposants encouragés. Alors on leur avait jeté le roi, l’abdication. — Ce n’est point encore assez ! avaient crié les assaillants exaltés. Alors on leur avait jeté les institutions, plus de régence légale, une régence improvisée. — C’est trop tard ! avaient hurlé les irréconciliables, certains de tout renverser. Ces défaillances eurent des effets d’autant plus funestes qu’elles succédaient brusquement à une résistance hautaine. Lamartine en est-il coupable ? Bossuet nous l’a appris : « Les grandes mutations sont causées par la mollesse ou par la violence des princes. »

Avoir empêché les maux d’arriver à l’excès n’atténue pas la responsabilité des téméraires qui ont souhaité, préparé ou consommé une révolution, presque toujours elle-même l’excès des maux. Cela constitue un titre d’honneur, aux vaillants qui, n’ayant ni appelé ni ourdi la subversion, se sont efforcés de la rendre moins désastreuse. On ne saurait refuser ce titre d’honneur à Lamartine. « Je n’ai jamais, a-t-il dit, ni désiré ni tramé la grande révolution qui a éclaté sous nos pas en 1848. »

Au pouvoir, le poète devient un homme d’État. Sa parole crée une légalité volontaire, contient, éclaire, rend clémentes en les enchantant des foules déchaînées que les fous ou les pervers poussaient aux parodies lugubres. Son intrépidité dissipe les séditions de l’utopie, abat la bannière du sang, déjoue les complots des dictateurs sans mandat, ne permet pas qu’on opprime le peuple sous prétexte de corriger son éducation, ou qu’on abolisse sa souveraineté en vertu d’un prétendu droit de la république préexistant et indiscutable. Émerveillé de tant de prodiges, le pays le pousse au pouvoir par des élections nombreuses. Soit fidélité à des compagnons de tempête, soit prévoyance patriotique, il ne veut pas le prendre seul. L’opinion déçue soupçonne une faiblesse où il n’y a qu’une générosité, et elle se retire de lui : il ne recueille pas plus de 18,000 suffrages au scrutin présidentiel, et il n’est pas envoyé à l’Assemblée législative, même par son pays natal.

Les hommes d’État qui se dévouent à la justice se préparent une destinée à la fois éclatante et précaire, que les serviteurs des partis ne sauraient connaître : dans certaines crises, alors que l’imminence du péril crée l’unanimité du sentiment, ils surnagent au-dessus de tous, invoqués comme des sauveurs ; mais le sentiment est fugitif et l’unanimité n’a qu’une heure ; la passion ne tarde pas à éloigner les amis que la nécessité avait amenés, et, délaissé par ce reflux, celui qui naguère n’avait pas d’adversaires se trouve tout à coup sans défenseurs. Lamartine ne fut pas surpris de l’épreuve ; il ne s’était pas cru élevé par la faveur du public, il ne s’estima pas diminué par sa disgrâce.

Il semble plus facile de dédaigner le pouvoir que de ne pas le regretter, si l’on considère les dénigrements et les intrigues dont la plupart des politiques tombés enveloppent leurs successeurs : l’ancien membre du gouvernement provisoire n’est prodigue que de son assistance. Il convie à se réunir, sous l’abri d’une république modérée, des partis assez forts pour empêcher la prédominance de leurs rivaux, trop faibles pour assurer leur propre domination. Il s’acharne d’autant plus à cette tentative de rapprochement que, hors du pouvoir, au fond de l’impopularité, il ne peut être soupçonné d’édifier le sophisme de son intérêt personnel. Efforts inutiles ! sa sagesse se perd au milieu des clameurs, et il échoue. Mais qui n’a pas échoué depuis 89 ? Qui n’a pas été précipité de son espérance ? Le ministre glorieux dont cette compagnie aime à se souvenir, le cardinal de Richelieu, pensait « qu’il ne faut pas juger la sagesse du conseil par le bonheur ou le malheur de l’événement ». Le malheur de l’événement en cette circonstance fut que le républicain conservateur, à la fin de sa carrière, se trouva placé comme l’avait été le légitimiste libéral au début, entre la provocation d’une assemblée et un coup d’État du pouvoir. Il ne participa à aucune des deux entreprises, et, après le succès, il ne ratifia pas plus l’acte de force du pouvoir qu’il n’avait ratifié autrefois l’acte d’agression du parlement. Décidé à s’éloigner de l’empire, mais ne voulant pas se rapprocher de ses ennemis ; affligé, mais ne s’étonnant pas outre mesure que, placé entre une épée et une anarchie, le suffrage universel ait préféré l’épée ; adversaire constant des coalitions de haine ou d’ambition ; trop pénétré de la nécessité d’un ordre quelconque pour ébranler un régime d’ordre supportable ; à un âge où, n’ayant pas encore perdu la force et ayant acquis l’expérience, il eût été un chef d’autant plus précieux que les épreuves subies l’auraient préservé des surprises de l’inconnu, comme Dante, comme Milton, comme Chateaubriand, il se retira avec ses blessures dans la solitude du travail littéraire.

Pourtant, le calme revenu, dans ses admirables Entretiens il ne s’interdit pas les digressions politiques, et en plus d’une occasion il se montre juste envers le Souverain à l’avènement duquel il s’était opposé. Il n’avait pas contribué à l’apothéose de Napoléon Ier. Bien qu’il eût appelé ce génie épique la plus vaste création de Dieu, il s’était mépris sur le caractère de l’œuvre napoléonienne. La dictature nationale qui avait sauvé la Révolution de l’excès et de la réaction, imposé l’ordre à une démocratie fanatique d’anarchie, l’égalité à une aristocratie fanatique de privilèges, lui avait semblé « un recrépissage par la gloire des siècles usés ». Inaccessible toutefois aux aveuglements volontaires, il n’avait pas poursuivi de ses préventions le prince héritier du nom et du pouvoir de Napoléon. Plus d’une fois, il considéra ses actes comme des fautes, sans qu’il se laissât cependant entraîner à méconnaître la valeur générale de cette haute personnalité. « Après une conversation suivie de beaucoup d’autres dans des circonstances graves, écrit-il dans ses Mémoires politiques, je reconnus l’homme d’État le plus fort et le plus sérieux de tous ceux, sans aucune exception, que j’eusse connus dans ma longue vie parmi les hommes d’État. » S’il l’avait approché davantage, s’il avait éprouvé son grand cœur, son esprit formé de charme et de justesse, la douceur de sa majesté paisible ; s’il était devenu le confident de ses pensées uniquement tournées au bien public et au soulagement de ceux qui souffrent ; s’il avait été le témoin de la loyauté avec laquelle il a fondé et mis en pratique les institutions les plus libres que notre pays ait encore connues ; s’il l’avait contemplé modeste pendant la prospérité, auguste après l’infortune, il aurait fait mieux que lui rendre justice, il l’eût aimé.

Soutiendrai-je que cette carrière brillante et traversée ait été exempte de transformations ? Votre illustre confrère me défendrait de le louer ainsi, car, à une époque où les événements donnent tant de leçons, il n’a pas mis sa vertu à ne pas les entendre ; il n’a pas commis l’inconséquence de conseiller le progrès aux sociétés et l’immobilité de la borne aux individus ; se conformer à la vérité aussitôt qu’on la découvre lui a paru plus méritoire que de rester conforme à soi-même par calcul ou par infirmité d’esprit. Seulement, comme il était porté d’instinct vers le vrai et que les préoccupations personnelles ne l’en éloignaient pas, ses idées essentielles n’ont pas varié, et la majeure partie de sa vie s’est écoulée avec unité entre deux doctrines permanentes : la première, que la constitution d’un gouvernement stable est le chef-d’œuvre de l’humanité et le problème urgent de notre société ; la seconde, que ce gouvernement peut être, suivant l’à-propos des circonstances, république ou monarchie, pourvu qu’il ait la passion du bien-être matériel et moral des masses et que, soit république, soit monarchie, il naisse de la volonté souveraine et libre de la nation. Le poids du nombre peut seul écraser les partis.

En dehors d’une période de pouvoir trop tôt terminée, l’homme d’État n’a manifesté ses opinions que par la parole Ou par la plume, et c’est en qualité d’orateur et d’historien qu’il a surtout exercé de l’influence sur ses contemporains.

Lamartine orateur était grave plus qu’ému, solennel plus que pathétique ; ses pensées étaient plus animées que son action un peu uniforme ; il ne maniait pas le glaive à deux tranchants, et, argumentant peu, il saisissait moins par la méthode et la vigueur des déductions que par le bonheur des images, la nouveauté et la largeur des aperçus, les intuitions prophétiques, les coups d’aile vers l’avenir, la profondeur saisissante des maximes, devenues aussitôt des proverbes ou des mots de ralliement. Par-dessus tout il possédait la qualité supérieure de l’éloquence, il était improvisateur.

Dès qu’il a dominé la crainte pleine de tourments contre laquelle aucun exercice, n’aguerrit, l’improvisateur éprouve un double mouvement simultané et en apparence contradictoire : il s’identifie avec son auditoire et il s’en isole ; il devient sensible à ses moindres palpitations, et il cesse de l’apercevoir, ou plutôt il le transforme en un être abstrait, différent de chacun des auditeurs, ayant cependant un aspect individuel ; il oublie le lieu, le moment, le péril, et il s’abandonne ; son langage, en restant choisi, prend la familiarité d’une conversation intime, et sans les chercher il rencontre, suivant sa nature, les cris pathétiques, les comparaisons originales, les argumentations irrésistibles, ou il parvient à la radieuse sérénité de la raison pure ; l’auditeur s’émeut, et il le manifeste par l’intensité redoublée de son attention ; l’émotion de celui qui écoute accroît les facultés de celui qui parle, communique à sa pensée une allure plus vigoureuse, donne à son langage des formes plus saisissantes, soutient son ardeur quand elle se ralentit, ranime son inspiration lorsqu’elle s’épuise. On peut agir sur les hommes réunis par des arrangements de phrases médités, par de pures symphonies de paroles, ou par la disposition dialectique des arguments, ou par la lucidité et la finesse des expositions : on ne les remue, on ne leur verse ces enivrements de l’éloquence, comparables à ceux de la poésie et non inférieurs à ceux de la musique, on n’est l’orateur, que si l’on a reçu ce don des inspirations subites qu’aucune rhétorique n’enseigne et dont on est d’autant plus responsable qu’il est une faveur gratuite. Lamartine était parmi les favorisés : alors que les souffles puissants l’ébranlaient, il ne devenait ni plus dialecticien, ni plus méthodique ; il s’élevait plus haut, il donnait à son langage des proportions grandioses ; il était os magna sona­turum, la bouche prédestinée à exprimer avec accent les grandes pensées ; sur un fond vaste se succédaient des éclairs si répétés, si éclatants, si prolongés, qu’on n’apercevait plus l’intervalle d’obscurité laissé entre chacun d’eux !

Un consentement unanime a consacré le renom de l’orateur, l’historien au contraire a été contesté ; ses récits ont été argués d’inexactitude, surtout dans sa célèbre Histoire des Girondins. Tacite a dit : Maxima quæque ambigus sunt, les faits les plus considérables demeurent incertains ; Thucydide avait manifesté la même incrédulité. Il est difficile à quiconque lit le récit d’événements auxquels il a assisté de ne pas partager ce scepticisme. Toute histoire tient plus ou moins du roman ; celle des Girondins ne diffère pas sous ce rapport des productions réputées exactes, et elle a le mérite d’être un poème merveilleux, un des modèles les plus parfaits de l’art de raconter et d’écrire ; elle révèle un prosateur aussi éminent que le versificateur. Le style est élégant et soutenu, d’un tour clair et ferme quoique nombreux, d’un mouvement aisé, rapide et continu, obtenant ses effets de la justesse des pensées ou des sentiments, non de l’enflure ou de la recherche des expressions ; il est chaste, casta eloquia Domini ; l’image y circule et ne s’y étale pas, semblable à ces dessins mêlés au tissu même qui ornent sans surcharger ; tantôt il se resserre autour de l’idée, la frappe en médaille ou lui donne la véhémence du parler ramassé ; tantôt, avec cette négligence qui est la souplesse de la force et cette abondance qui en est la grâce, il se déploie, s’allonge et présente une agréable succession de périodes bien coulantes.

Chaque maître a accru notre prose d’une aptitude nouvelle, qui, depuis, lui est restée propre. Après Pascal elle devient forte, d’une passion concentrée, surtout vraie ; Bossuet lui apporte l’éloquence dialectique, le lyrisme, le vol altier ; Mme de Sévigné, le naturel et la grâce ; la Bruyère, la savante variété des tours ; Voltaire dénoue ses draperies sacerdotales et la met à pied ; Jean-Jacques Rousseau l’y laisse, mais l’anime d’une flamme inconnue, serre sa trame et l’achemine à la poésie ; Chateaubriand la retrempe, la colore et la dispose toute en relief ; Lamartine lui donne le flot intarissable et l’ampleur mélodieuse. Les Provinciales nous avaient rendu un Démosthène, il nous laisse un Cicéron.

On a reproché au livre des Girondins d’avoir doré la guillotine : en réalité il l’a déshonorée. Si les principes honnêtes de la Révolution ysont loués, les crimes sont inexorablement flétris, les victimes idéalisées, les supplices décrits avec un pathétique réprobateur, et, à la fin du récit, loin d’être converti à 93, le lecteur trouve que Brumaire se fait bien attendre. Quant aux erreurs ou aux sophismes qui déparent quelques parties de cette entraînante composition, aucun critique ne les a blâmés aussi fermement que l’auteur lui-même. Écoutez-le :

« J’ai été téméraire et malheureux dans le regard jeté sur l’intérieur de la jeune reine. Rien n’autorise à lui imputer un tort de conduite dans ses devoirs d’épouse, de mère, d’amie . »
« Le mot d’homme-principe qui s’applique à Robespierre est un scandale de mot, une qualification à double interprétation capable de fausser l’esprit de la jeunesse sur ce Marius civil, sur ce proscripteur bourreau de la Révolution. Je m’en repens et je l’efface . »
« Tout est juste dans mon jugement sur le crime de la république à l’égard de Louis XVI. Une seule phrase m’y blesse (il y eut une puissance sinistre dans cet échafaud), concession menteuse à cette école historique de la révolution qui a attribué un bon effet à une détestable cause, et qui prétend que la Terreur a sauvé la patrie. Honte sur moi pour cette complaisance ! »

« J’ai été indigné contre moi-même, en relisant ce matin la dernière page lyrique des Girondins (sur l’ensemble de la révolution), et je conjure les lecteurs de la déchirer eux-mêmes, comme je la déchire devant Dieu et devant la postérité. »

En présence de ces magnanimes aveux, comment insister, si ce n’est pour admirer le caractère à la hauteur de l’esprit ? C’est, en effet, un des traits distinctifs de Lamartine : en lui l’homme proprement dit est égal au poète, au chef d’État, à l’orateur, à l’historien.

Son âme était bonne, candide, forte, pleine en tous les sens, à la marque véritablement divine, comparable à un feu qui « brûle et qui parfume ce qu’on jette pour le ternir ». On se repent toujours d’avoir dit du mal de quelqu’un, lui ai-je entendu répéter. « La passion du bien, écrit-il à un ami, quand elle est dépourvue de cette douceur et charité divine, nous fait mal comme une passion du mal . » Aussi, à l’exception de ceux qui l’ont outragé, nul, dans ce pays où il occupa tant de place, n’a le droit d’associer à sa mémoire un souvenir pénible. Vaincu, il n’a pas vengé sa défaite par le fiel des propos ; vainqueur, il n’a pas abaissé sa victoire par des insultes sans péril. Ces miséricordes de sa conduite étaient d’autant plus charmantes qu’elles s’alliaient à la fierté et qu’il n’aimait pas à descendre même pour monter. Il dédaigna l’ironie, que la finesse de son esprit lui eût rendue aisée ; le rire, qu’il ne confondait pas avec le comique, habituellement sérieux, lui paraissait la dernière de nos facultés. Sa sensibilité était très-vive, non déréglée toutefois, ni évaporée en fade sentimentalité, mais contenue et fortifiée par le jugement, nullement exclusive de l’aplomb et du lest moral qui maintiennent debout au milieu du roulis des choses. L’inquiétude du monde invisible le troubla parfois jusqu’au désespoir, il ne s’emporta cependant pas au point d’apostropher par d’arrogantes interrogations Celui qui est, et l’orage se dissipa toujours, laissant tout au plus derrière lui cette mélancolie, ombre projetée d’en haut sur nos jours périssables, qui, sans exclure la complaisance aux mirages heureux, s’y mêle par intervalle et les tempère. Si je devais le définir d’un mot, je dirais qu’il était un mélange accompli de grâce et de noblesse, de sensibilité et de bon sens ; l’imagination, malgré sa richesse, ne viendrait qu’après.

Ses premières années avaient été difficiles, les dernières furent amères. Mais à quoi bon les rappeler ? à quoi bon rappeler à l’âge du repos le labeur incessant pour le pain et non pour la gloire, les amis plus rares, le seuil franchi moins souvent, la demeure autrefois si animée devenue froide ? Je préfère donner un souvenir reconnaissant à la fille d’adoption qui, lueur bénie, a veillé jusqu’à la fin auprès du grand homme malheureux. Sans le dévouement d’une nièce chérie, a-t-il écrit, je serais seul. Plus d’une fois il a renouvelé les confidences de sa détresse. On le lui a durement reproché. Quelle inconséquence ! Aurait-il été un poète lyrique s’il avait pu retenir muet dans sa poitrine le tumulte de ses émotions ? Lui a-t-on reproché le Lac, le Crucifix, le Premier Regret, Novissima verba ?et pourtant c’étaient aussi des plaintes. Les Psaumes de David, cet idéal du lyrisme, ne se composent-ils pas surtout de confidences personnelles ? Et ce chant extraordinaire que chacun de nous a répété sur sa propre douleur ne fut-il pas d’abord l’explosion d’un déchirement individuel, explosion d’un pathétique tellement expressif que, n’ayant, ni auparavant ni depuis, rien entendu de comparable, l’Église en a fait la lamentation liturgique des adieux suprêmes ?

Vers la fin il se renferma dans un mutisme presque complet. On eût dit qu’ayant lui-même délié son âme, il attendait en spectateur silencieux qu’elle prit son vol. Seulement, de même que les sommets des hautes montagnes restent illuminés alors qu’à leurs pieds les plaines et les vallées sont déjà obscures, tandis que l’éclat dont le monde l’avait revêtu s’était éteint, son génie brillait toujours : il a duré autant que lui. À la fin tout s’éteignit, et pour le repos on le ramena dans la terre natale.

Si quelque main pieuse en mon honneur te sonne,
Des sanglots de l’airain, oh ! n’attriste personne,
Ne va pas mendier des pleurs à l’horizon !
Mais prends ta voix de fête et sonne sur ma tombe
Avec le bruit joyeux d’une chaîne qui tombe
Au seuil libre d’une prison !

La cloche n’a pas pris sa voix de fête, elle a fait entendre les sanglots de l’airain, et les paysans, descendus en foule des coteaux couverts de neige, ont répondu par leurs sanglots, et le prêtre n’a pu prononcer ses prières que d’une voix entrecoupée. C’était l’homme, le bienfaiteur, l’ami, que pleurait cette multitude. Vos regrets se sont adressés au poète, au chef d’État, à l’orateur, à l’historien. Les esprits emportés assaillent sans scrupule les génies, dont le prestige inquiète leurs ambitions. Vous, Messieurs, placés par la hauteur de vos pensées au-dessus des vulgaires erreurs ; peu jaloux de donner à l’étranger qui écoute le droit de condamner l’ensemble de notre existence nationale par le rapprochement de nos calomnies réciproques ; convaincus que la ferveur de l’admiration relève un peuple plus que la colère des ressentiments, vous vénérez sans distinction d’origine et de parti tous ceux qui ont été la joie de la patrie, sa parure, le témoignage de sa fécondité, tous ceux qui, en s’illustrant, ont illustré son nom. Ils sont nombreux dans notre passé, les grands morts que vous honorez d’un pareil culte, mais aucun d’eux n’a mérité votre hommage mieux que Lamartine, car aucun d’eux n’a mieux montré les splendeurs que peut déployer l’intelligence humaine lorsque, affranchie des convoitises égoïstes, assouplie par l’étude, étendue par la réflexion, purifiée par la bonté, elle a obtenu de recevoir quelques clartés de la Lumière infinie !

Par suite de circonstances particulières ce discours n’a pas été prononcé en séance publique le 5 mars 1874.

Mémoires politiques, t. IV, p.61.

Critique de l’Histoire des Girondins. Œuvres complètes, tome XV.

Ibid.

Ibid.

Ibid.

Tome IV, page 458 de la Correspondance pleine d’intérêt que publie en ce moment Mme Valentine de Lamartine.