Réponse au discours de réception de Louis de Loménie

Le 8 janvier 1874

Jules SANDEAU

Réponse de M. Jules Sandeau
au discours de M. Louis de Loménie

DISCOURS PRONONCÉ DANS LA SÉANCE PUBLIQUE
le jeudi 8 janvier 1874

PARIS PALAIS DE L’INSTITUT

 

 

Monsieur,

Vous venez de rendre à celui que vous remplacez un hommage éclatant et mérité. Vous ne vous êtes pas contenté de le montrer sous tous ses aspects, historien, romancier, archéologue et philologue. C’était une assez belle tâche, elle ne vous a pas suffi. Vous êtes comme Montaigne, il vous faut l’homme tout entier, et, avec la sagacité qui est une des qualités de votre esprit, vous avez cherché, vous avez découvert l’homme sous l’écrivain. Je ne vois pas en vérité ce que l’on pourrait ajouter à une étude si complète ; mais je manquerais à nos traditions, j’irais contre mes propres sentiments, si, au risque de redire imparfaitement ce que vous avez dit en si bons termes, je n’apportais à cette place le tribut d’admiration et de regrets que nous devons à la mémoire de Prosper Mérimée, tribut tardif que le malheur des temps ne m’a pas permis d’acquitter sur sa tombe. Il s’est éteint loin de nous, alors que Paris était séparé du reste de la France ; aucun de nous n’a suivi son cercueil, et c’est aujourd’hui seulement que l’Académie, par ma voix, lui adresse le suprême adieu. Combien d’autres, depuis qu’il n’est plus, sont tombés dans nos rangs ! Ceux-là du moins ont vu la patrie, quoique sanglante encore et mutilée, remontant du fond de l’abîme : Mérimée a disparu dans la tourmente après avoir assisté à la chute soudaine de ce qu’il aimait. Vous le plaignez d’être parti trop tard. Non, ne le plaignons pas. Si dure qu’ait été l’affliction de ses derniers jours, il n’a pas trop longtemps vécu, puisque, avant de mourir, il a pu donner encore un rare exemple, celui d’un cœur fidèle à ses attachements, celui d’un cœur plus sûr et plus constant que la fortune.

Tout à l’heure, Monsieur, en vous écoutant, je me reportais avec une secrète émotion à ces années de poétique renaissance qui furent l’honneur de la Restauration et, pour ainsi dire, le printemps du siècle. Malgré tant de promesses avortées, malgré tant d’espoirs et de rêves déçus, je retrouvais dans ma mémoire le spectacle charmant des lettres ressuscitées ; je voyais passer dans les vives clartés du matin tout le cortége des enchanteurs et des maîtres de notre jeunesse. Belles années que le siècle n’a pas revues depuis, qu’il ne reverra pas ! Beaucoup de ceux qui les ont traversées en conservent jusqu’au déclin de l’âge un lumineux reflet : il en reste encore des couchers de soleils d’une splendeur incomparable, et devant lesquels je m’arrête avec vous, frappé comme vous d’étonnement et de respect.

Vous avez retracé avec autant de charme que d’autorité la vie et les travaux de Prosper Mérimée : souffrez, Monsieur, que pour un instant je vous y ramène. Venu à l’origine du mouvement romantique en France, l’auteur du Théâtre de Clara Gazul y marqua sa place avec éclat, mais aussi avec une nuance d’ironie qui ne vous a pas échappé, et qui déjà laissait quelques doutes sur la nature de ses intentions. Le fait est qu’il ne demeura pas longtemps au service de l’idée nouvelle. Me sera-t-il permis, à ce sujet, de glisser ici une anecdote qui semblera bien hasardée, je le crains, dans cette pacifique enceinte, devant ce brillant auditoire, mais qu’on me passera peut-être en faveur de l’allusion et de l’à-propos ? Je la tiens de M. Mérimée lui-même : il ne pressentait guère, en me la racontant, l’application que j’en ferais un jour. Le 29 juillet 1830, quand la lutte touchait à sa fin, un enfant de Paris, un de ces intrépides vauriens qu’on est sûr de trouver mêlés dans toutes les insurrections, tirait d’un point de la rive gauche sur le Louvre qu’on attaquait. Il ne ménageait ni le plomb ni la poudre ; seulement il tirait de loin, et, novice encore dans le maniement des armes, il tirait mal et perdait tous ses coups. Témoin de sa maladresse, touché de son inexpérience, un particulier qui flânait par là en simple curieux l’aborda civilement, lui prit son fusil des mains, et, après quelques bons conseils sur la façon de s’en servir, voulant joindre l’exemple au précepte, il ajusta magistralement un garde suisse qui, debout dans l’embrasure d’une fenêtre, brûlait ses dernières cartouches et faisait tête aux assaillants. Le coup partit, et le garde suisse tomba. Là-dessus, l’obligeant inconnu remit gracieusement le fusil à son propriétaire, et comme celui-ci, tout émerveillé, l’engageait à le reprendre et à continuer : – Non, répliqua-t-il, ce ne sont pas mes opinions. Qu’en dites-vous, Monsieur ? N’est-ce pas, sous forme d’apologue un peu cru, j’en conviens, l’histoire des débuts de M. Mérimée dans la carrière romantique ? Si de prime abord il semblait se rattacher au parti novateur par certains côtés d’audace et d’énergie, ce qu’il y avait de sobre, de discret, de véritablement exquis dans son tempérament d’artiste et d’écrivain, devait l’en séparer au plus vite. Romantique de la première heure, il ne le fut que par aventure et comme en se jouant. Après avoir montré, toujours avec la pointe d’ironie, ce qu’on pouvait oser et comment il fallait s’y prendre, quand on croyait qu’il irait jusqu’au bout, il s’en tint là et ne poussa pas plus avant : ce n’étaient pas ses opinions. Dès lors nous le voyons isolé dans sa force, ne relevant que de lui-même, marchant droit devant lui sans donner jamais aucun signe de défaillance : on trouverait difficilement dans la galerie littéraire de notre époque une figure d’un dessin plus ferme et plus arrêté, d’un moulage plus net, d’un relief plus puissant.

Ainsi que vous, Monsieur, j’admire chez M. Mérimée tant d’aptitudes si variées, tant de facultés si diverses. Comme vous, je ne connais que par ouï-dire ses études archéologiques ; je ne puis en parler pertinemment. Plus d’une fois, dans nos réunions, nous avons été à même d’apprécier en lui le philologue ; les langues mortes ou vivantes n’avaient pas de secrets pour lui, et il nous a aidés plus d’une fois à résoudre les difficultés de la nôtre. Il y avait tout profit pour nous à l’entendre ; sa voix, parfois un peu hésitante, mais d’une douceur infinie, donnait à tout ce qu’il disait un charme pénétrant que je n’essayerai pas d’exprimer. Vous avez exposé ses travaux historiques dans une savante analyse ; je n’y reviendrai pas après vous. Ces travaux d’ailleurs, si considérables qu’ils soient, ne représentent que la portion secondaire de son œuvre. À Dieu ne plaise qu’il entre dans ma pensée d’élever le roman au-dessus de l’histoire ! N’en doutez pas pourtant, si M. Mérimée n’avait écrit que l’Essai sur la guerre sociale, l’Histoire de Don Pèdre et celle de la Conjuration de Catilina, il ne serait pas sûr d’échapper à l’oubli ; il a composé de petits drames, quelques romans, quelques nouvelles, et son nom ne périra pas. C’est par là qu’il vit, qu’il vivra ; mais aussi quels miracles de l’art ! Le Théâtre de Clara Gazul, la Chronique du temps de Charles IX, Mateo Falcone, le Vase étrusque, Carmen, la Prise de la redoute, la Vénus d’Ille, la Partie de trictrac, les Âmes du purgatoire, Lokis en dernier lieu, et cette Colomba, éternel sujet de désespoir pour ceux qui oseraient prétendre à une telle perfection : on a tout dit en les nommant !

Pensez-vous, Monsieur, qu’il ait existé de nos jours un talent plus original, offrant un contraste plus saisissant avec l’époque où il s’est produit ? Pour ma part, je n’en connais pas. Arrivé en pleine floraison du siècle, quand l’ivresse du renouveau s’emparait de tous les esprits, dans un temps où il se faisait un si furieux abus du lyrisme et de la métaphore, Mérimée, seul ou presque seul, retrouve et maintient les traditions de l’art simple et sévère ; c’est un classique dans la haute et pure acception du mot. Tandis qu’autour de lui les imaginations affolées poursuivaient le nuage et le rêve, il n’est épris que du réel, il ne recherche que le vrai. Au plus fort de l’invasion des littératures étrangères, il ne s’inspire que du génie de notre langue, il est un des derniers grands prosateurs français. Vous avez découvert une sorte de parenté lointaine entre sa façon d’écrire et celle de sa bisaïeule, Mme Leprince de Beaumont, auteur de la Belle et la Bête ; je n’y avais jamais songé. Nous le tenons généralement pour écrivain de race plus virile. On a dit qu’il y avait toujours de l’orfévrerie dans la plus belle prose ; il n’y en a pas l’ombre dans la prose de Mérimée. Ennemi de la phrase, sans apprêt ni faux ornements, aussi éloigné du trivial que du prétentieux, son style est une glace de cristal à travers laquelle on voit se mouvoir comme dans la réalité les personnages qu’il invente. Invente-t-il ? On serait tenté de supposer que tout s’est passé ainsi qu’il le raconte. Jusque dans les moindres détails, quelle précision, quelle exactitude, quelle implacable vérité ! Et, pour achever le contraste, ni thèses, ni théories, ni systèmes. À d’autres les questions sociales, les dissertations politiques ou religieuses ; à d’autres le soin de réformer l’humanité ! Il prend la vie pour ce qu’elle est, le monde pour ce qu’il vaut, ne s’attache qu’au fait, et pousse droit au but avec une résolution farouche. Ce n’est pas seulement un esprit dur; c’est un esprit féroce, inexorable. Absent de son œuvre, rien ne le trouble, rien ne l’émeut, rien ne l’attendrit ; mais, dans chacun de ses récits, telle est l’exquise perfection de l’art qu’elle y remplace la poésie et qu’elle y tient lieu d’idéal. Ajouterai-je qu’un talent si impersonnel, un art si serré et si concentré, sont pour satisfaire également le cœur et l’esprit ? Je suis pour les libres allures, pour les âmes qui se livrent et qui se répandent. Peut-être a-t-il manqué à M. Mérimée, pour être un génie accompli, la pleine expansion de lui-même, une sensibilité moins latente, plus de tendresse dans la passion, ce je ne sais quoi d’humain et de divin qui a fait Virgile et Racine.

Bien que vous n’ayez pas vécu dans la familiarité de M. Mérimée, vous l’avez cependant saisi sur le vif. Nous savions depuis longtemps déjà que vous excellez dans l’art du portrait ; celui que vous venez de nous présenter est d’une ressemblance fidèle, sauf quelques coups de crayon que je vous demanderai la permission de rectifier, tout en soumettant mes retouches à votre examen.

Pour sceptique, il l’était et ne s’en cachait pas ; mais, si dans ses discours il traitait assez légèrement la nature humaine, s’il professait volontiers cette philosophie railleuse dont quelques beaux esprits de nos jours ont eu la prétention de faire la doctrine de la raison, la théorie du bon goût et de l’élégance, hâtons-nous de le reconnaître et de le proclamer hautement, ses actions démentaient ses paroles, sa vie entière protestait contre ses maximes. Il m’a toujours semblé qu’en dehors des questions de dogmes où je n’ai absolument rien à voir, le scepticisme n’était chez lui qu’une affectation, un pli d’habitude, une pose. Il se mêlait à tout cela bien de l’étude et de la recherche. Au reste, je ne sache pas qu’aucun homme ait autant que lui travaillé sur lui-même et se soit donné tant de mal pour paraître tout autre qu’il n’était en réalité. Il faisait étalage de ses travers qu’il exagérait à plaisir, et ne se défendait que de ses qualités ; je l’avoue je préfère les simples et les naïfs. Vous l’avez dit, Monsieur, il avait l’abord froid, la politesse un peu hautaine. Je n’affirmerai pas qu’à première vue on se sentît entraîné vers lui par un mouvement de sympathie irrésistible. Il tenait le vulgaire à distance ; mais qui réussissait, ce n’était pas facile, à pénétrer dans son intimité y faisait bientôt des découvertes inattendues : il y avait un cœur sous la glace de ces apparences. Point d’épanchements ni de démonstrations verbeuses ; toujours quelque chose de discret et de contenu, de timide et de pudique même dans l’expression des sentiments intimes. Il se gardait de l’enthousiasme comme d’un ridicule, de l’attendrissement comme d’une faiblesse ; sa préoccupation constante était qu’on ne le surprît en flagrant délit d’émotion ; mais, malgré tout, le côté affectueux ne tardait pas à se trahir, et il ne fallait pas creuser bien profondément pour arriver à la veine sensible. Ce sceptique était le meilleur, le plus sûr et le plus obligeant des hommes ; il a vécu et il est mort irréprochable dans l’amitié.

Vous avez cru voir, dans le choix des sujets qu’il aimait à traiter, un cas pathologique, un signe d’hypocondrie. Détrompez-vous, Monsieur, et rassurez-vous. M. Mérimée a pu s’attrister en vieillissant, le soir a rarement les gaietés du matin ; il ne fut jamais atteint d’hypocondrie. Ceux qui n’ont pas craint d’avancer le contraire ne le connaissaient pas, ou le connaissaient mal. Hypocondriaque, lui ! Une nature à la fois si fine et si robuste ! un caractère si fortement trempé ! une intelligence où le grand air et le soleil pénétraient par tant d’ouvertures ! Celui-là n’appartenait, j’en réponds, ni à l’école des ténébreux ni à celle des mélancoliques. Les Obermann, les René, les Werther, n’étaient ni ses parents ni ses amis ; Rousseau lui-même, notre grand ascendant, n’avait sur lui aucune prise. Quant aux sujets où son imagination se complaisait de préférence, je dirai qu’on prend souvent beaucoup de peine pour expliquer ce qui n’a pas besoin d’être expliqué. De même qu’il existe des lions et des gazelles, des ramiers et des aigles, il est des esprits doux et tendres, il en est d’autres violents, rudes et fiers : chacun suit ses instincts, obéit à ses goûts et choisit sa pâture selon ses appétits.

Êtes-vous sûr que M. Mérimée ait méconnu sa vocation en se résignant à vivre dans le célibat, comme un ancien chevalier de Malte ? Vous aimez la famille, Monsieur, et aucun de nous n’ignore que vous avez d’excellentes raisons pour cela ; mais êtes-vous bien sûr que M. Mérimée fût né pour goûter, pour apprécier les joies dont vous venez de mettre sous nos yeux un tableau si aimable ? Croyez-moi, faisons des prosélytes, ne faisons pas de prisonniers ; il y a des oiseaux qui meurent en cage. Il m’en coûte de vous ôter une illusion : quand M. Mérimée écrivait qu’un mariage l’attristait toujours, il n’exprimait pas un regret. Il y revient dans une de ses lettres dont la publication récente excite à un si haut point la curiosité. Il s’agit encore d’un mariage : « Le diable est bien fin, écrit-il, s’il me prend jamais à pareille fête. » Résignons-nous : il était né célibataire. Dans un mouvement de tristesse qui vous honore, vous vous écriez : « Il ne fut pas heureux ! » Mais les heureux, où donc sont-ils ? Nommez-les-moi, montrez-les-moi ! Montrez-moi celui pour qui la vie a tenu toutes ses promesses ! M. Mérimée a subi la commune loi. Avouons-le cependant, à part les dernières épreuves où il s’est enseveli, il fut un des mortels les mieux traités de la fortune. La gloire, que Mme de Staël appelait le deuil éclatant du bonheur, n’était que la parure et le couronnement de sa destinée. Il en a connu seulement les douceurs et les facilités. Né dans un milieu austère et salubre, il avait apporté de bonne heure dans le gouvernement de son existence la même correction, la même discipline que dans ses travaux littéraires. Il n’a jamais essuyé les rigueurs et les sévérités du sort : la vie par tous ses côtés lui fut particulièrement clémente. Je ne compte pour rien les honneurs qu’il n’avait pas cherchés : il était de ceux qui rendent aux grandeurs officielles plus de lustre qu’ils n’en reçoivent. Vous nous avez rappelé qu’il avait été sénateur : nous l’avions oublié. Il n’était pour nous que Prosper Mérimée : c’est assez. L’estime du monde, les affections sincères ne lui ont pas fait défaut. Deux créatures dévouées, deux compagnes fidèles veillaient sur lui avec une sollicitude de mère et de sœur. On a dit qu’il jouissait de la faveur de l’impératrice Eugénie. Prenons-le plus haut et comme il convient de le prendre : entre ce galant homme et cette femme au cœur fier et vaillant, il existait une amitié sérieuse, telle qu’ils étaient dignes l’un et l’autre de la ressentir et de l’inspirer. Les soins les plus touchants ont entouré ses derniers jours, et, sans agonie, presque sans souffrances, alors qu’il n’attendait plus rien de l’avenir que des cruautés, il s’est endormi dans les bras de la mort, laissant après lui une renommée intacte, des amitiés qui lui survivent, parmi nous des regrets que le temps n’effacera pas, et une famille de chefs-d’œuvre qui perpétueront sa mémoire.

J’arrive à vous, Monsieur, brusquement et sans transition. Avec vous, on se sent tout de suite à l’aise. Vous n’êtes pas un raffiné, votre franche et droite nature n’a rien de compliqué ni de complexe, et, pour vous accoster, il n’est pas besoin de détours.

Si mes souvenirs ne me trompent pas, c’est en 1839 que commencèrent à paraître de courtes notices biographiques sous forme de brochures in-dix-huit, avec ce titre général : Galerie des contemporains illustres, par un homme de rien. Je les vois encore, ces petites brochures qui paraissaient à intervalles rapprochés, réguliers ; elles ont toutes passé sous mes yeux, je les ai tenues toutes entre mes mains. On les attendait avec impatience, on les lisait avec avidité, et, à mesure qu’elles se succédaient, leur fortune allait grandissant, de telle sorte que l’homme de rien jouissait déjà d’une popularité bien acquise, tandis que le nom de l’auteur demeurait encore un mystère. L’homme de rien, c’était vous, Monsieur. Pourquoi ce pseudonyme ? Quelles raisons de vous cacher ainsi ? Était-ce de votre part modestie pure, humilité sincère ? Je suppose qu’il s’y joignait un peu de coquetterie, puisque, vous donnant pour un homme de rien, vous vous arrangiez de façon à ne pouvoir être pris au mot. Vous le savez mieux que personne, ce n’est pas chose aisée que d’écrire la biographie des vivants ; vous abordiez là une tâche bien périlleuse. Que d’écueils à tourner ! que de difficultés à vaincre ! Comment discerner, saisir la vérité dans la mêlée des passions du jour ? Comment surprendre et fixer la vie qui change d’aspects à toute heure ? Le portrait ressemblant aujourd’hui le sera-t-il demain ? La figure qu’on trace sur le sable des grèves ne sera-t-elle pas effacée par le premier flot de la marée prochaine ? Avec autant de bonheur que d’habileté, vous avez échappé à tous ces dangers. « Ces petits livres, disiez-vous, qui s’adressent à tous, dont le but est non pas d’imposer au public une décision formulée à priori, mais bien de mettre le public à même de formuler sa décision, ces petits livres ne sont ni réquisitoires, ni plaidoyers, ni panégyriques, ni pamphlets ; ce sont biographies pures et simples, n’ayant d’autre mérite que leur simplicité même, disant tout et ne discutant rien ; un peu incultes, un peu arides peut-être, mais impartiales autant que possible. » Vous disiez vrai, tel était le mérite de ces petits livres ; seulement ils n’avaient rien d’inculte ni d’aride, chacun de vos portraits, dans son cadre restreint, vivait de la vie du modèle, et je pourrais en citer plusieurs qu’un maître ne désavouerait point. Vous ne vous adressiez pas exclusivement aux contemporains illustres de la France ; votre galerie était ouverte aux illustres contemporains de tous les pays. Quelle universalité de connaissances, quelle variété de tons, quels prodiges de recherches, de travail et de volonté ne demandait pas l’achèvement d’une si longue et si considérable entreprise ! Poëte avec Lamartine et Béranger, sculpteur avec David et Bosio, peintre avec Ingres et Delacroix, compositeur avec Meyerbeer et Rossini, philosophe avec Cousin, romancier avec Balzac, historien avec Augustin Thierry, vous passiez tour à tour de Goëthe à Chateaubriand, de lord Palmerston à M. Guizot, de M. Thiers à sir Robert Peel, du Père Lacordaire à Ibrahim-Pacha, de Ballanche à Abd-el-Kader, d’Eugène Scribe à Espartero. Les dieux eux-mêmes posaient devant vous ; vous avez résumé les doctrines de Saint-Simon et celles de Fourier dans des pages excellentes et qui resteront. Savez-vous ce qui me frappe surtout, quand ma pensée se promène dans ce riche musée ? C’est de voir combien la première moitié du siècle a été féconde, que de grands esprits, que de beaux génies elle a produits, que d’idées généreuses elle a remuées, que de flambeaux elle a allumés, que de lumières elle a répandues sur le monde. Le succès de votre œuvre la désignait fatalement aux traits de la critique ; on lui reprochait, je m’en souviens, de manquer d’originalité dans l’exécution. Je suis d’un avis opposé. À mon sens, vous n’êtes pas seulement le plus original des biographes, vous en êtes aussi le plus étrange, le plus singulier et le plus bizarre. J’estime qu’en matière de biographies, vous avez poussé l’originalité jusqu’à ses dernières limites. Eh quoi ! vous avez touché à toutes les grandes figures de notre temps, et vous n’en avez insulté aucune ! Vous vous êtes assis à tous les foyers célèbres de notre époque, et vous n’avez laissé nulle part la trace d’une perfidie ou d’une trahison ! Vous n’avez cherché la popularité ni dans le scandale, ni dans l’agression, ni dans le commérage ! On vous a vu en toute rencontre fin avec bonhomie, spirituel sans méchanceté, juste et vrai avec courtoisie ! Vous n’avez à baisser les yeux devant aucun de vos portraits ! Il n’est pas un de vos modèles que vous n’ayez le droit de regarder en face et qui ne soit prêt à vous tendre la main ! Encore un coup, Monsieur, je vous tiens pour le biographe le plus original qui ait été observé jusqu’ici, et, à ce titre, s’il existait à Paris comme à Londres un club des Excentriques, vous mériteriez d’en être le président.

Beaumarchais et son temps ! Nous voilà bien loin de vos courtes notices. Un jour, il y a déjà longtemps de cela, conduit par un petit-fils de Beaumarchais, vous franchissiez le seuil d’une maison de la rue du Pas de la Mule, vous montiez à une mansarde où personne n’était entré depuis longues années. Vous pénétriez, non sans quelque émotion, dans ce pauvre réduit où l’araignée filait en paix sa toile, et tout d’abord vous embrassiez d’un regard avide les caisses et les cartons poudreux qui l’encombraient. Quels trésors en effet pour un esprit curieux, chercheur comme le vôtre ! Vous aviez sous les yeux tout ce qui restait d’une des existences les plus prestigieuses, les plus bruyantes, les plus militantes du siècle dernier ; vous étiez en présence des papiers laissés par l’auteur du Mariage de Figaro. Vous avez raconté comment ces papiers, après tant d’années écoulées, se trouvaient dans cette mansarde. La famille vous les confiait sans hésiter, et c’est à l’aide de ces documents que vous alliez composer un ouvrage destiné à vivre aussi longtemps qu’on parlera de Beaumarchais. Ici encore bien des périls, bien des écueils à éviter. N’était-il pas à craindre que l’origine des documents n’enchaînât votre indépendance ? N’auriez-vous pas à ménager forcément des susceptibilités légitimes ? La haute confiance que vous témoignait une famille honorable, honorée, confiance que vous deviez justifier avec tant d’éclat, laisserait-elle à votre esprit la liberté de ses appréciations ? Plus d’une fois, en vous adressant ces questions, vous vous êtes senti troublé. Heureusement, vous aviez en vous le plus sûr des guides et des conseillers, la conscience d’un honnête homme. Fidèle à vos habitudes d’impartialité, vous n’avez visé ni au panégyrique ni à la réhabilitation. Dans les papiers qui vous avaient été livrés, Vous n’avez cherché que la vérité. Vous avez écrit sans complaisances, en historien qui se borne à exposer les faits avec les pièces à l’appui, et, votre œuvre achevée, vous l’avez offerte au public en lui disant : Ceci est un livre de bonne foi, lisez et jugez.

Le public a jugé, Monsieur. Il manquera toujours à la mémoire de Beaumarchais cette fleur d’estime que ne remplacent ni la renommée, ni la popularité, ni la gloire, et qui s’appelle tout simplement la considération ; mais vous avez, pièces en main, atténué bien des préventions qui s’élevaient encore contre lui. Vous n’aviez pas la prétention de le faire aimer sans réserve ; vous nous avez donné souvent le regret de ne pouvoir l’aimer sans restriction. Peu d’hommes ont été plus calomnies que lui de son vivant ; il n’en est point qui, autant que lui, aient prêté le flanc à la calomnie : il en reste toujours quelque chose. Vous n’avez tu ni le bien ni le mal ; vous avez tout mis en son jour. Mon intention n’est pas de le suivre avec vous à travers les différentes phases de son orageuse carrière, je devrais dire de ses orageuses carrières. Horloger, musicien, chansonnier, dramaturge, auteur comique, homme de plaisir, homme de cour, homme d’affaires, financier, manufacturier, éditeur, armateur, fournisseur, agent secret, négociateur, publiciste, plaideur éternel : tel était le personnage ondoyant et divers que vous aviez à peindre et que vous avez peint. Quelle fureur d’entreprises ! Quel amour effréné de l’éclat et du bruit ! Quelle entente inconnue jusque-là de l’annonce et de la réclame ! Quelle habileté à concilier et à mener de front l’esprit des affaires et les affaires de l’esprit ! Quel emploi de tous les moyens propres à exciter la curiosité et à la tenir en haleine ! Quelle ardeur, quelle audace aux poursuites de la fortune ! Et, au milieu de ce fracas, un charme qu’on subit malgré soi, je ne sais quelle grâce qui vous attire et vous enlace, un fonds de bonté facile et que rien n’altère, un courage primesautier et que rien n’abat, une générosité que rien ne tarit, pas même l’ingratitude, une gaieté, une belle humeur qui résiste à tout et à laquelle on ne résiste pas, l’esprit le plus nouveau, le plus vif et le plus alerte, enfin des qualités, des vertus de famille qu’on ne peut méconnaître, dont il est impossible de n’être pas touché ! Il fut un instant l’idole de la nation ; il en est encore aujourd’hui une des figures les plus vivantes et les plus modernes. Ses procès, ses mémoires où parfois se retrouve comme un accent des Provinciales, ont ému toute l’Europe ; le retentissement de son nom a troublé Voltaire à Ferney. Le comte de Grammont raconte que le grand Condé, ayant mis le siége devant Lérida, ouvrait la tranchée au son des violons : c’est ainsi que la Révolution entre en scène avec le Mariage de Figaro. L’ancienne société française en fit ses délices, et assista cent fois de suite avec ivresse à la plus insolente, à la plus formidable moquerie d’elle-même ; elle en avait le droit, c’est elle qui devait payer les violons. Je m’arrête, Monsieur, j’aurais mauvaise grâce à pousser plus loin une étude achevée par vous. Aussi bien, à partir du Mariage de Figaro, qui fut le point culminant de sa destinée, Beaumarchais n’a plus qu’à décroître : son heure est passée. Il aura toujours la même activité fiévreuse ; mais c’est un spectacle attristant que celui de la vieillesse turbulente. Il est resté muet en face de Mirabeau. Il ne s’est pas remis des attaques de l’avocat Bergasse. Bref, après bien des vicissitudes, ruiné par la Révolution dont il avait provoqué l’explosion sans en calculer l’effet et la portée, il a fini, chargé d’ennuis, dans le complet écroulement de tout ce qu’il avait entrepris : leçon suprême des existences aventureuses qui n’ont eu pour règle et pour but ici-bas que le succès, le bruit et la fortune !

Et maintenant, Monsieur, je voudrais louer votre beau travail comme il mérite d’être loué. À vous entendre, il ne s’agirait que d’une biographie rédigée d’après des papiers de famille, il ne faudrait chercher en vous qu’un rapporteur : soyez plus juste envers vous-même. La vie abonde dans cette œuvre, elle y circule librement sans se briser ni se heurter contre les pièces et les documents, et, malgré tous vos efforts pour vous effacer, on y sent partout la droiture de votre jugement, la hauteur de votre esprit, la sérénité de votre âme. Vos appréciations du théâtre de Beaumarchais sont des modèles de critique littéraire. Vos considérations sur le gouvernement en France au dix-huitième siècle appartiennent désormais à l’histoire. L’ancienne société, cette société brillante et corrompue qui se dissout, se décompose et va si gaiement aux abîmes, revit tout entière dans la peinture que vous en avez faite. Je l’ai dit et ne saurais trop le redire : Beaumarchais et son temps est un beau livre, et n’eussiez-vous écrit que celui-là, personne ici ne pourrait s’étonner de vous voir à la place où vous êtes.

Vous ne deviez pas en rester là pourtant. À chaque production nouvelle, votre talent s’affirme, votre réputation s’accroît. Bien inspiré par votre cœur, vous avez consacré à la mémoire d’Alexis de Tocqueville des pages élevées et touchantes, dignes de ce noble et généreux esprit, dignes de l’amitié qui vous unissait l’un et l’autre. Alexis de Tocqueville a reçu de vous, après sa mort, un des plus doux prix de sa vie. La mémoire de Chateaubriand ne vous était ni moins chère ni moins sacrée : vous avez combattu pour elle, vous l’avez défendue avec une piété presque filiale. Vous n’avez plus à la défendre ; Chateaubriand est entré dans les régions sereines de la gloire, il est à cette heure en pleine possession de la postérité. Vos études sur la littérature romanesque en France depuis ses origines jusqu’à nos jours sont loin d’être oubliées : vous avez restitué au roman ses titres de noblesse. On ne me pardonnerait point de passer sous silence celui de vos ouvrages qui a pour titre : la Comtesse de Rochefort et ses amis, et qui restera comme un des tableaux les plus finement achevés de la haute société au dix-huitième siècle. C’était à coup sûr une aimable femme que la comtesse de Rochefort, et, tout en reconnaissant qu’il s’est rencontré dans la société de notre époque un type de grâce et de bonté plus délicat, plus pur et plus exquis, il serait injuste de ne pas saluer en elle une des figures attrayantes du siècle dernier. Nous la connaissions à peine ; c’est vous qui l’avez tirée de la pénombre, vous qui l’avez mise en lumière. Sa correspondance avec ses amis ; ses lettres qu’anime un esprit naturel, où respire une raison affectueuse et tendre ; celles du marquis de Mirabeau, d’un tour si imprévu, d’une si étrange saveur ; l’élite des personnages du temps que vous avez groupés autour d’elle ; le duc de Nivernois, ce modèle de l’homme de bonne compagnie, qui pousse l’urbanité jusqu’a chanter dans la langue des dieux les perfections de sa belle-mère, phénomène qui ne s’est pas renouvelé depuis ; le comte de Forcalquier et ses comédies de salon ; les acteurs et les actrices de l’hôtel de Brancas ; les soirées du Luxembourg ; les goûts, les mœurs et les habitudes d’un monde qui jouit de ses derniers loisirs : esquisses légères, épisodes choisis, jolis tableaux de genre, tout se réunit pour faire de ce livre quelque chose de rare et de charmant.

Ce n’était pas votre dernier mot. J’arrive à celle de vos œuvres qui promet d’être un jour votre œuvre capitale, à l’histoire des Mirabeau.

Il me faudrait, Monsieur, plus d’espace qu’il ne m’en reste pour apprécier, comme il le mérite, un travail de cette importance. Votre histoire des Mirabeau est encore aujourd’hui en cours de publication, et, bien qu’elle soit assez avancée pour qu’on puisse en embrasser l’ensemble, peut-être convient-il d’attendre qu’elle soit achevée avant d’oser porter sur elle un jugement définitif. Toutefois, de même qu’il est permis de pressentir les proportions d’un monument d’après ses premières assises, de même on peut dès à présent se faire une idée de l’ampleur magistrale qu’offrira cette histoire lorsqu’elle sera terminée. Grâce à vos révélations, si vos infatigables recherches, la race des Mirabeau, race intempestive ainsi qu’ils s’appelaient eux-mêmes, n’aura plus rien de caché pour nous. Déjà vous nous avez montré le marquis Jean-Antoine, une de ces âmes qui ont le ressort, et, pour ainsi dire, l’appétit de l’impossible, et à qui la nature a déféré le commandement ; celui de ses fils qui fut l’ami des hommes, et qui représente, selon les expressions d’Alexis de Tocqueville, l’invasion de la démocratie dans une tête féodale, invasion qui ne l’empêchait pas de gouverner sa famille à coups de lettres de cachet ; l’autre, le bon bailli, l’honneur, la vertu même, et qui de sa race excessive n’a hérité que l’excès dans le bien. Nous pouvons maintenant les étudier dans le détail, ces grands et opiniâtres caractères, ces volontés de fer à la Montluc et à la d’Aubigné : nous avons pénétré avec vous dans leur sauvage intimité. Vous nous avez appris à connaître la mère de l’orateur. Nous vous devons là une assez triste connaissance ; mais, vous le dites avec raison, Mirabeau reste incompréhensible pour qui n’est pas descendu dans l’existence de sa mère. Ce n’est pas seulement une famille que vous vous êtes proposé de peindre d’après des documents inédits ; c’est aussi les idées, les mœurs et les institutions du siècle où cette famille a vécu. Vous êtes l’homme aux documents, Monsieur ! On dirait qu’ils viennent d’eux-mêmes frapper à votre porte, comme si un secret instinct les avertissait qu’ils ne peuvent tomber en de meilleures mains. Par l’usage que vous en faites, vous vous rapprochez des esprits créateurs. Si vous ne donnez pas la vie à des personnages fictifs, vous la rendez à de grandes figures qu’il ne sied pas de laisser dans l’oubli. Le génie de l’investigation s’ajoute chez vous au culte de la vérité, et, toutes proportions gardées, vous appliquez à vos travaux la science de Cuvier qui, lui aussi, avec quelques débris ramassés çà et là, retrouvait et recomposait tout un monde.

 Je viens d’énumérer les titres qui vous ont gagné nos suffrages. À ces titres, que rehaussaient encore la dignité de votre vie, d’illustres amitiés, la poétique milieu où votre nom avait grandi, il s’en joignait un autre que je ne saurais omettre. Vous ne vous bornez pas à cultiver les lettres avec honneur ; vous les enseignez avec autorité. Professeur au Collége de France depuis plus de vingt ans, vous avez, durant ces vingt années, exploré en tous sens l’histoire littéraire des trois derniers siècles. Non content d’exposer cette histoire dans son ensemble, vous l’avez étudiée séparément dans chacune de ses parties diverses, en variant de la façon la plus pittoresque et la plus ingénieuse le fonds et la forme de votre programme général. C’est ainsi que vous avez traité successivement de la littérature historique, de la littérature politique, de la littérature romanesque, de l’influence des salons sur la littérature française au dix-huitième siècle. Vous avez consacré toute une année à l’étude de Voltaire, une autre à celle de Montesquieu et de Rousseau, une autre enfin à celle des hommes de lettres jugés d’après leurs correspondances. Le caractère de votre enseignement peut se définir en deux mots. Le comte Molé était d’avis qu’en matière d’éloquence, la plus grande originalité serait encore celle-ci : un honnête homme venant dire simplement et clairement des choses sensées. Cette originalité est la vôtre. Vous n’avez rien d’un rhéteur ; vous dites simplement et clairement des choses sensées, sans autre préoccupation que la recherche du vrai, du beau et du bien. Ce n’est pas tout : aux bonnes leçons vous ajoutez les bons exemples. Pendant le siége de Paris, attaché comme artilleur volontaire au bataillon de l’École polytechnique, vous quittiez le service des remparts pour venir réchauffer au Collége de France les ardeurs patriotiques d’un auditoire toujours nombreux. Jusque sous les obus prussiens, vous ne vous lassiez pas de faire appel à la concorde, au courage, à la résistance. Vous êtes resté à votre poste, même en face de la Commune : le mercredi 22 mars 1871, quand l’émeute triomphante était déjà maîtresse de Paris, vous protestiez du haut de votre chaire contre l’abominable entreprise qui déshonorait nos malheurs. Votre tâche n’est pas terminée. L’ennemi n’est plus à nos portes ; mais à l’intérieur que d’ennemis encore à combattre ! Continuez vos généreux enseignements. Continuez d’enseigner à la génération nouvelle le dévouement à la patrie, le respect de la famille, la confiance obstinée dans l’avenir, le retour aux mâles vertus et aux vérités éternelles ! L’Académie compte sur vous, Monsieur. Le pays n’a pas trop de toutes ses forces, jamais il n’eut un si grand besoin d’esprits élevés et de voix honnêtes : c’est dire assez que vous n’avez pas droit au repos.