Stances sur le ciel d’Athènes. Réception de M. de Lamartine

Le 1 avril 1830

Pierre-Antoine LEBRUN

STANCES SUR LE CIEL D’ATHÈNES,

LUES DANS LA SÉANCE PUBLIQUE TENUE LE 1er AVRIL 1830.

POUB LA RÉCEPTIQN DE M. DE LAMARTINE

PAR M. P. LEBRUN.

 

Celui qui, loin de toi, né sous nos pâles cieux,
Athène, n’a point vu le soleil qui t’éclaire,
En vain il a cru voir le ciel luire à ses yeux,
Aveugle, il ne sait rien d’un soleil glorieux,
Il ne connaît pas la lumière.

Athène, mon Athène est le pays du jour ;
C’est là qu’il luit ! c’est là que la lumière est belle !
Là que l’œil enivré la puise avec amour,
Que la sérénité tient son brillant séjour,
fin mobile, immense, éternelle.

Jusques au fond du ciel limpide et transparent,
Comme au fond d’une source, on voit ; tout l’œil y plonge ;
L’air scintille, moiré comme l’eau d’un courant,
Pur comme de beaux yeux, clair comme un front d’enfant,
Doux comme l’été dans un songe.

Les nuages, combien ils lui sont étrangers !
À ce bleu firmament ils n’osent faire injure ;
Ou, s’il en vient parfois, rapides passagers,
Peints d’or, d’azur, de pourpre, ils flottent si légers
Que leur voile est une parure.

Ah ! comme il me reporte à ce climat si pur,
Ce ciel qui devant moi si tristement s’ennuie,
Dont le rideau jamais n’entr’ouvre un coin d’azur,
Où, même les étés, comme l’hiver obscur,
Passent sous un voile de pluie !

La pluie est en Attique un spectacle nouveau.
Amis, n’est-il pas vrai ? Nul ne s’y souvient d’elle.
Nous sellions le coursier sans songer au manteau,
Sans soupçonner le ciel qui se montrait si beau,
D’être à sa promesse infidèle.

Le matin, en s’ouvrant satisfaits de sommeil,
Nos yeux, sûrs d’un beau jour, l’interrogeaient sans crainte ;
Et le soir, assurés d’un lendemain pareil,
Ils voyaient sans regret le radieux soleil
Descendre derrière Corinthe.

O soirs ! lorsqu’au Pirée, au milieu d’un ciel d’or,
Du golfe et de la mer rentraient les blanches voiles,
Que l’insensible nuit nous surprenait au bord,
Et que nous demeurions assis longtemps encor
Les yeux levés vers les étoiles !

L’air, ainsi qu’un lait pur, coulait délicieux ;
La transparente nuit brillait bleue et sereine :
C’était un autre jour qui reposait les yeux.
Mais l’aube de la lune aux astres radieux
Annonçait leur rêveuse reine :

Du Pentélique alors, dans sa pâle beauté,
Elle montait sans bruit; les champs, les monts, les ondes.
Alors tout se taisait, hors mon cœur agité,
Plein d’un trouble inconnu par degrés transporté
Loin des hommes vers d’autres mondes.

Mais sitôt que l’iman, du haut du minaret,
De la nuit dans l’air pur chantait l’heure première,
Vers Athène à grands pas rentrant non sans regret,
Nous allions au couvent du souper déjà prêt
Chercher la table hospitalière.

« Quand reverrai-je Athène ? » Ainsi de tous leurs vœux
Ses fils la demandaient, sur la rive lointaine.
Vers leur pays souvent je reporte les yeux ;
Et, transfuge du mien, souvent ici comme eux
Je dis : « Quand reverrai-je Athène ? »

Doux bords, même embellis de mes jours de douleur !
Chemin de Marathon ! Kélidonou ! Colone !
O penchants de l’Hymète ! ô leur fraîche couleur,
Quand le matin peignait comme un pêcher en fleur
Le mont qui d’abeilles bourdonne !

La nuit, en sommeillant, j’y vais dans mon vaisseau ;
J’y marche, parle, agis le jour encor j’en rêve.
Tout m’y reporte, un arbre, une fleur, un oiseau,
Un son léger, le bruit des feuilles ou de l’eau,
Ou la poussière qui s’élève.

Si je lis, et soudain que du lieu si connu
Un nom sous mon regard passe par aventure,
En Attique soudain me voilà revenu
L’œil fixe, sans objet, rêveur, le sein ému,
J’interromps longtemps ma lecture.

Sans cesse enfin j’y vole, égarant mon essor
Du Pnyx aux oliviers, de la source au platane ;
Du couvent de Daphné je cueille les fruits d’or,
Bois à l’eau du Céphise, et mange en songe encor
Les blonds raisins de la sultane.

Je suis cette hirondelle, hôtesse de Fauvel,
Que, dans Athène aussi, notre vue amusée,
Parmi les monuments, d’un vol continuel
Regardait s’enivrer comme folle du ciel
Et du beau temple de Thésée.

Elle égayait le toit de l’hospitalité,
Autour du nid causeur sans mesure empressée ;
De son gazouillement tant de fois écouté,
De son nid, de ses jeux, de sa vive gaîté
Elle a fait rêver ma pensée.

J’ai quitté sans retour ce lieu de souvenir :
Elle encor y demeure, au beau temple fidèle.
Si, voyageuse aussi, son temps vient à finir,
Elle n’en part jamais que pour y revenir
Hélas ! trop heureuse hirondelle !

Loin d’Athène asservie, un jour, avec l’été
On la vit pour Memphis partir à tire-d’aile.
Après le long voyage, au pays regretté
Son retour attendu trouve la liberté
Hélas ! trop heureuse hirondelle !
Laissons, il en est temps, ce trop aimable lieu.
Je suis comme l’amant d’une femme bien chère,
Qui, prêt à la quitter, plein encor d’un doux feu,
Multiplie, en partant, ses caresses d’adieu,
Sans pouvoir donner la dernière.

Athène, Athène, adieu ! Je ne dois plus te voir,
Mais mon âme toujours hantera tes demeures.
O mes vers, je rends grâce à votre heureux pouvoir ;
Et dans mon souvenir vous avez fait ce soir
Couler de délectables heures.