Fragment d’un poëme de Jeanne d’Arc

Le 24 avril 1826

Alexandre SOUMET

FRAGMENT D’UN POËME

DE JEANNE D’ARC,

LU DANS LA SÉANCE PUBLIQUE DU 24 AVRIL 1826,

PAR M. ALEXANDRE SOUMET.

 

 

Oh! que la Providence a d’étonnants secrets !
Il s’était rencontré dans nos vieilles forêts,
Tandis que nous étions sujets de l’Angleterre,
Une vierge, semblable à celle de Nanterre.
Ses regards étaient pleins d’une sainte langueur,
Chastes comme sa vie et doux comme son cœur.
Les bergères, ses sœurs, faisaient d’elle, à leurs veilles,
Des récits tout empreints d’innocentes merveilles.
Pour son pauvre pays, depuis ses premiers jours,
Elle priait, priait comme on aime, et toujours.
Une voix lui parla dans la forêt des chênes,
Elle ceignit le fer, partit, brisa nos chaînes ;
Ensuite elle tomba dans les mains des méchants,
Le bûcher s’alluma pour la fille des champs ;
Elle y monta. Sa cendre au fleuve fut jetée,
Et trois siècles après Voltaire l’ont chantée.
Ah! Ses bourreaux du moins avaient, en se voilant,
Rassuré sa pudeur dans son tombeau brûlant.
Français, n’insultez plus l’ange de votre histoire,
Les palmes du martyre au front de la victoire,
Votre nom reconquis, vos fastes relevés,
L’innocence qui meurt pour vous avoir sauvés,
Les derniers souvenirs de la chevalerie,
La gloire et le malheur, le ciel et la patrie!

 

Et toi, muse des preux! muse chère au Seigneur,
Semant sous nos drapeaux les leçons de l’honneur,
Aux accords de la harpe et du luth des trouvères,
Le front ceint de lauriers, de lis, de primevères,
Offrant au paladin dans la lice emporté
L’écharpe emblématique et le glaive enchanté :
Attelant à ton char les licornes légères;
Guidant la châtelaine aux danses des bergères;
Ecoutant vers le soir les étranges récits
Du vieux pèlerin blanc sous le vieux chêne assis;
Visitant Roncevaux, ou choisissant, errante,
L’arbre de Ploërmel pour le combat des Trente ;
Dictant, lorsqu’un vin pur de l’amphore a coulé,
Le serment des neuf preux sur le paon étoilé ;
Chantant le lai d’amour, poussant le cri d’alarmes,
Avec tes fabliaux, tes jeux, tes douces larmes,
Tes chiffres, tes couleurs, tes combats, tes tournois,
Accours, viens évoquer le siècle des Dunois!

 

Viens nous montrer comment nos cités prisonnières
Quand l’honneur a parlé, rachètent leurs bannières.
Viens donner à mon luth l’élan de nos guerriers ;
Viens chanter face à face avec tous nos lauriers.
Viens, muse! t’élançant du bûcher héroïque,
Meurtrir les fronts anglais de ton sceptre lyrique.
Viens leur jeter au cœur le brandon du remord :
L’âme de Jeanne d’Arc, à ton hymne de mort,
De la hauteur des cieux se penchera muette,
Pour couvrir de rayons les palmes du poëte.
Viens apprendre aux Français que toujours le malheur,
Au lieu de l’ébranler raffermit leur valeur;
Qu’ils ont plus d’une chance en l’urne aléatoire,
Car rien n’est ici-bas grand comme leur histoire.
Viens apprendre aux Français que, sans la trahison,
Aucune main ne peut mutiler leur blason ;
Que lorsqu’ils sont tombés, c’est d’un char de victoire ;
Qu’ils se sont relevés plus fiers, et que la gloire
Reprend toujours vers eux son essor immortel,
Comme un dieu rougissant d’avoir changé d’autel.
Viens apprendre aux Français qu’ils sont les rois du glaive ;
Que l’astre des beaux noms dans leur pays se lève;
Et traçant sous le ciel son radieux chemin,
Dirige à ses clartés les pas du genre humain !
Viens chanter, quand la voix du siècle nous défie,
Un de ces grands trépas que l’âme glorifie.
Fais de mes vers guerriers l’oracle des combats.
Si jamais les Anglais, ce qu’ils n’oseront pas,
Voulaient vers nos cités se rouvrir une voie,
Que mon large poëme en drapeau se déploie;
Et balance, évoquée à de mâles accents,
L’ombre de Jeanne d’Arc sur leurs fronts pâlissants.