Hommage prononcé en séance lors du décès de M. Max Gallo

Le 28 septembre 2017

Pierre ROSENBERG

HOMMAGE

À

M. Max GALLO

PRONONCÉ PAR

M. Pierre ROSENBERG
Directeur en exercice

dans la séance du 28 septembre 2017

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Il y a quelques semaines, ici même, notre confrère Amin Maalouf rendait hommage à Simone Veil. Il me revient aujourd’hui le redoutable et triste honneur de célébrer Max Gallo.

Simone Veil nous a quittés le 30 juin, Max Gallo le 18 juillet. Qu’ont en commun ces deux personnalités éminentes ? Toutes deux sont nées à Nice, Simone Veil le 13 juillet 1927, Max Gallo le 7 janvier 1932. Mais, bien plus que Nice, ce qui rapproche ces deux grandes figures nationales, c’est un amour absolu, viscéral si vous me pardonnez l’expression, pour la France. Ni l’un ni l’autre n’auraient hésité à employer les mots de « patrie », de « patriote », des mots rarement utilisés aujourd’hui. L’un et l’autre étaient fiers d’être français pour reprendre le titre d’un ouvrage de Max Gallo.

Max Gallo et Simone Veil ont vécu les heures les plus sombres de l’histoire de notre pays et en ont été définitivement marqués. Le 7 juillet 1944, le jeune Gallo, il avait douze ans, découvrait, je le cite, « pendus aux réverbères qui se faisaient face de part et d’autre de l’avenue de la Victoire à Nice, les corps liés dans le dos de Séraphin Torrin et d’Ange Grassi », deux résistants… Nice, l’Italie, la Résistance dont son père fut un héros discret – une sorte de Père tranquille, pour reprendre le titre d’un film qui fit date, marquèrent la jeunesse de Max.

Les Gallo étaient d’Italie, du Piémont pour le père Joseph/Giuseppe, d’Émilie pour la mère, curieusement prénommée Mafalda. Giuseppe Gallo, ouvrier électricien, était l’homme à tout faire du siège social niçois de la Banca Commerciale Italiana. La famille Gallo vivait au modeste cinquième étage d’un immeuble cossu des beaux quartiers de Nice. L’ascenseur était réservé aux employés des bureaux des premier et second étages, aux dirigeants qui habitaient les troisième et quatrième étages. L’ascenseur était interdit aux Gallo. Mafalda supportait mal cette humiliation. Cet ascenseur, le jeune Max Gallo se fit fort de l’utiliser et sut le rendre accessible à sa mère. « Toi, tu me rendras fier » fut son remerciement. Les Italiens de Nice avaient fui la misère et la faim, parfois l’Italie de Mussolini, ce Mussolini à qui Max Gallo consacra un de ses premiers livres, L’Italie de Mussolini, paru en 1969. La ville les avait accueillis mais l’intégration, comme on dit aujourd’hui, se faisait mal. Non que les Italiens de Nice qui parlaient entre eux leur langue ou plutôt leurs dialectes n’aient pas souhaité cette intégration – les Gallo étaient de ceux-là – ils l’avaient prouvé durant la Première Guerre mondiale où l’Italie était notre alliée, et nombreux furent ceux qui, au risque de leur vie, le confirmèrent dans les circonstances autrement ambiguës de la Seconde Guerre mondiale – mais souvent cette intégration leur était refusée.

Dès les années de la guerre, Max tenait des carnets où il notait, jour après jour, les événements les plus marquants – l’écriture déjà ! « Chaque jour, en lettres capitales en haut de la page, j’écrivais “Mon destin, c’est ma volonté”. » Certains d’entre vous se seront peut-être étonnés de cette machine à écrire d’un vieux modèle qui illustre la couverture des diverses éditions de ces Mémoires d’un Immortel, sous-titre du volume des souvenirs si émouvants de Max Gallo L’Oubli est la ruse du diable, paru en 2012. Cette machine à écrire n’a pas été choisie au hasard. Offerte par son père, elle accompagna longtemps l’adolescent. Il fit don à sa mère de la première phrase qu’il écrivit sur une page blanche de cette machine : Mafalda divina commedia – Mafalda sa mère et cette Divine Comédie qu’il aima tant. Cette machine à écrire, il la retrouva au domicile de sa fille Mathilde, lorsqu’elle mit fin à ses jours, le 28 juin 1972. Ce suicide fut le drame de la vie de Max Gallo. Sur sa tombe, celle de sa grand-mère Italina, de sa mère et de son père, se lisent ces vers de Dante :

Per me si va nella città dolente,

per me si va nell’eterno dolore,

per me si va tra la perduta gente.

Vous connaissez tous la suite : « Lasciate ogni speranza, voi ch’intrate. »

Dix mille signes chaque jour, tous les jours dès quatre heures du matin, directement sur sa machine à écrire, assis à son bureau face au Panthéon, telle fut la vie, une grande partie de la vie, de Max Gallo, une vie à l’image de ce colosse d’un mètre quatre-vingt-treize, la taille du général de Gaulle, l’une de ses grandes admirations. Notre confrère Frédéric Vitoux et Gilles Kepel ont dressé le 21 juillet, dans l’église Saint-Étienne-du-Mont, un magnifique portrait de cette force de la nature. Il lui avait fallu toute son énergie pour « s’élever », cette volonté, un mot qui lui plaisait et qui revient souvent sous sa plume, l’exemple même de cette méritocratie républicaine dont il sut toujours faire l’éloge et dont on aimerait que notre système éducatif actuel n’ait pas fait son deuil : certificat d’aptitude professionnelle de mécanicien-ajusteur le 12 juin 1948, bac mathématiques et technique, licence puis agrégation d’histoire sont les étapes de cette promotion exemplaire, cette agrégation réussie du premier coup à force de volonté, cet aglamort, comme il disait, qui l’obsédait et qui se traduit par « l’agrégation ou la mort ».

Je ne m’attarderai pas sur le grand journaliste, l’éditorialiste de l’Express, ni sur l’homme politique souvent déçu (politica sporca…, pour citer ses parents) : communiste, député socialiste de Nice en 1981, secrétaire d’État porte-parole du troisième gouvernement Mauroy – il eut pour directeur de cabinet François Hollande –, mitterrandiste, mitterrandiste tiède et lucide et surtout chevènementiste convaincu, donc, un temps, antieuropéen, ce qui ne l’empêcha pas d’être élu député européen de 1984 à 1994, année où il abandonna définitivement la politique, sarkoziste enfin…, Max Gallo fut avant tout, et avec toutes les nuances que l’on doit porter à ce terme, gaulliste.

C’est bien sûr l’écrivain que nous avons voulu accueillir, une production impressionnante, bien plus de cent livres, plusieurs par an, des livres d’histoire, des romans, des suites romanesques (La Baie des Anges, quatre volumes, La Machinerie humaine, onze volumes… ), des essais, des suites historiques (Les Chrétiens, trois volumes, Les Romains, cinq volumes), de nombreuses biographies, Robespierre, Jaurès, Jules Vallès bien sûr, Napoléon (quatre volumes), De Gaulle (quatre volumes), Victor Hugo, Clemenceau (une de ses grandes admirations), Charlemagne, Richelieu, cela s’imposait, Jean Moulin, Henri IV et tant d’autres. Alain Decaux qui recevait sous la coupole Max Gallo n’avait pas tort lorsqu’il observait : « Vous chérissez les grands hommes. »

Max Gallo a été élu le 31 mai 2007 au 24e fauteuil, celui d’un de ses amis les plus chers, Jean-François Revel. Il fut reçu le 31 janvier 2008 en présence du président de la République Nicolas Sarkozy. Son œuvre est immense, il n’est pas question de la résumer, la tâche est au-dessus de mes forces. Comment la qualifier ? Je le cite : « Pour moi, l’Histoire (l’Histoire avec un grand H) était la matière romanesque par excellence », « Je restais un historien – je respectais scrupuleusement les faits, je n’écrivais pas de romans historiques mais je choisissais des “gros plans” qui dévoilaient les personnalités de tel ou tel de mes héros. »

Je m’en voudrais de ne pas mentionner le catholique convaincu, l’homme tolérant, bienveillant et généreux, au bon regard. Je n’oublie pas Mathilde bien sûr, ni David son fils, ni Marielle, ni cette terrible maladie que Max Gallo affronta avec lucidité et courage et qui l’éloigna de nous.

Et j’en viens à ses mémoires, L’Oubli est la ruse du diable, un titre qui a surpris. Max Gallo s’en explique. Il cite Rigord, un moine de l’abbaye de Saint-Denis du début du xiiie siècle : « Ne meurent et ne vont en enfer que ceux dont on ne se souvient plus. L’oubli est la ruse du diable. » Cette ruse, vous l’avez déjouée. Vous ne serez pas oublié. Nous ne vous oublierons pas.