Hommage prononcé en séance lors du décès de M. Philippe Beaussant

Le 12 mai 2016

Yves POULIQUEN

HOMMAGE

À

M. Philippe BEAUSSANT

PRONONCÉ PAR

M. Yves POULIQUEN
Directeur en exercice

dans la séance du jeudi 12 mai 2016

 

 

Mes chers confrères,

 

Notre confrère, notre ami Philippe Beaussant est mort dimanche, le 8 mai, à quatre-vingt-six ans, deux jours après son anniversaire. Une mort brutale que rien ne laissait prévoir si ce n’est la dégradation lente et constante d’un état dont il s’inquiétait lui-même. Rien cependant en cette dernière séance de la commission du Dictionnaire, celle qu’il manqua si rarement, n’avait particulièrement retenu notre attention sinon qu’il jugea nécessaire, contraint par un malaise indéfini, de nous quitter et de rejoindre son domicile.

Il laisse ainsi vide ce fauteuil où chaque jeudi il nous offrait l’image pudique autant qu’inquiète de sa personne, son bon sourire, cette offrande d’une nature pleine d’une vie intérieure que l’on soupçonnait vibrer en lui-même et à elle seule suffisante et nécessaire à son bonheur. Une nature qu’il exprimait peu mais dont les ressources faisaient de ses rares interventions une surprise heureuse, pleine de bon sens et de sa culture musicale une délicieuse façon de nous initier à tout ce que nous méconnaissions. Car derrière cette calme apparence d’auditeur attentif à nos débats se soupçonnait la rare capacité d’exprimer tout un savoir qu’une passion de l’histoire, de la musique, de la littérature et de la peinture anima toute sa vie et dont il appréciait d’en mêler les nuances en une vision de l’art syncrétique et totale.

Sa vie fut un étrange voyage. En tenait-il le goût de ses ancêtres marins ?

Philippe Beaussant étudia puis enseigna les lettres classiques en Suisse puis en Australie où il fut lecteur à la Flinders University d’Adélaïde. Il noua alors des liens avec l’Alliance française, ouvrit une maison de la France et fonda un ensemble instrumental et vocal dans le souvenir de ses débuts de choriste lyonnais et de l’élégante pianiste que fut sa mère. Il s’inscrivait déjà dans le destin qu’il tracera, celui où s’épanouiront ses actions personnelles, institutionnelles aux accents de Lully, de Rameau, de Couperin, de Monteverdi dont l’Orfeo écouté par hasard un soir à Aix en Provence scellera définitivement son goût de l’opéra. « Une musique qui bouge, qui vit, qui plane, c’est ça l’opéra »..., dira-t-il.

Une rencontre qui confirma sa vocation et consacra son goût de l’action. Affirmant ses talents de musicologue, non sans polémique, à la radio, restaurant dans ses valeurs d’origine le répertoire des xviie et xviiie siècles de musique et de danse jusque-là négligé. Fondant et dirigeant l’Institut de musique et de danse anciennes (1977), il créera dix ans plus tard le Centre de musique baroque de Versailles avec le compositeur Vincent Berthier de Lioncourt et le musicologue Jean Duron. Consacrant ainsi sa vie à la redécouverte de ce répertoire oublié et à faire désormais de celui-ci l’un des plus communément écouté et admiré en notre pays, qui accompagne aujourd’hui des générations d’artistes et de mélomanes.

Mélomane lui-même mais aussi écrivain de talent.

Bien sûr voué avant tout à ses maîtres : François Couperin (1982), qui reçut un prix de l’Académie française, puis Rameau de A à Z (1983), Lully ou le musicien du soleil (1992) qui lui valut l’hommage de nos confrères lui décernant un prix d’Histoire de l’Académie française, alors que l’académie Goncourt lui attribuait de son côté celui de la biographie, Monteverdi (2003), sans oublier nombre d’ouvrages sur la musique baroque dans ses expressions originelles, à Versailles, au temps du Roi-Soleil.

Une source d’inspiration inépuisable sans toutefois masquer celle tout aussi talentueuse que notre confrère exprima très précocement en littérature avec Le Jeu de la pierre et de la foi (1962). L’Archéologue (1978) lui valut l’hommage de notre Académie qui lui attribua le premier des prix qu’elle lui réservera. Une veine littéraire qui s’ouvrit à l’histoire avec Héloïse (1993), honorée du Grand Prix du roman de notre Académie, Christine de Suède et la musique (2014), relatant l’extraordinaire épopée de celle qui ne voulut plus être reine, se convertit et fit de ses séjours en Italie et des demeures qu’elle y occupa un temple de cette musique italienne si prolixe et prometteuse. Philippe Beaussant aimait aussi la peinture. Il lui consacra de fort beaux livres parmi lesquels son Georges de La Tour, le Vielleur au chien (2011) et surtout le magnifique Titien, le chant du cygne (2009) traçant une poignante évocation du dernier tableau du peintre. Un thème pathétique dans lequel transparaissait à n’en pas douter les interrogations qui minaient son auteur.

Œuvre considérable en vérité qui valut à Philippe Beaussant la reconnaissance de notre Académie, par l’attribution répétée de prix au fil de sa carrière mais aussi en l’invitant en 2007 à rejoindre nos rangs.

Une œuvre qui lui valut de nombreuses autres consécrations, qu’elles émanent d’institutions françaises ou étrangères.

Ainsi Philippe Beaussant nous a-t-il quittés, nous dont il disait que nous rejoindre « n’était pas loin de lui faire peur » et avec qui il nous sembla pourtant qu’il fut heureux.

 

Comment échapper à cette tristesse qui marque toujours la fin d’un tel hommage même s’il nous a permis de raviver le souvenir de notre confrère et de retracer le cours d’une œuvre telle que la sienne. Il nous manque toujours les mots justes. J’en crois trouver cependant dans la réponse au discours de réception de Philippe Beaussant que Pierre Rosenberg prononça d’une manière sensible. Lui demandant quel concert il aimerait concevoir et entendre il lui fut répondu ceci :

– Jean-Sébastien Bach : Prélude et fugue du Clavecin bien tempéré

– François Couperin (dont il se disait le frère de lait) : Les Ombres errantes et Les Idées heureuses

– Monteverdi : Orfeo

– et Debussy : La Cathédrale engloutie.

Écoutons-les dans sa pensée comme il les écouta et comme il nous les fit connaître à nous tous devenus grâce à lui, à ses amis musiciens de si fidèles adeptes des opéras baroques qui, comme il le disait, portent vers nous une musique qui bouge, qui vit, qui plane et dont il restera dans l’histoire contemporaine l’un des plus ardents promoteurs.