Harangue au Roi à son retour de la prise de Maastricht

Le 30 octobre 1673

Paul TALLEMANT le Jeune

HARANGUE au Roi à son Retour de la prise de Maastricht, prononcée le 30 Octobre 1673, par Mr. l’Abbé TALLEMANT le jeune.

 

SIRE,

Nous revoyons VOTRE MAIESTÉ encore victorieuse, et la douleur que nous avons eue de son éloignement est heureusement dissipée par un retour triomphant et glorieux. Maastricht, le plus fier espoir de vos ennemis, a succombé sous l’effort de vos Armes, et cette superbe Ville s’est vue soumise en peu de jours par l’impétuosité de votre valeur, et par les seuls conseils de votre prudence. Quelle joie pour tous vos sujets qui aiment votre gloire, et votre personne, de vous revoir loin des périls qui les faisaient trembler, et couvert des plus beaux lauriers qui aient jamais couronné la tête des Héros ! Mais quel honneur pour l’Académie Française, de se voir employée, par vos Victoires continuelles, aux plus illustres matières qui aient jamais occupé les Muses ! Il est vraie qu’elle s’est plainte plus d’une fois de la rapidité de vos Conquêtes ; les Muses mêmes tout accoutumées qu’elles sont aux Exploits surprenants, ont trouvé quelque chose de si extraordinaire dans ce que la renommée leur venait raconter tous les jours, qu’elles ont été souvent tentées de venir s’éclaircir auprès de V. M. s’il était vraie que vous prissiez plusieurs fortes places en trois jours et les Provinces entières en deux semaines ; s’il était vraie que vous entrassiez dans le pays de vos ennemis à travers les profondes rivières bordées de soldats ; ne pouvant croire que vous pussiez, ainsi qu’on le publiait, forcer les éléments, braver la rigueur des saisons et soumettre la nature à tous vos desseins. Mais enfin, SIRE, il est juste que tout se ressente de la grandeur de V. M. Vos soudaines Victoires, votre rare valeur, votre sage conduite, vos vertus enfin vous montrent à l’Univers bien au-dessus de tous les Conquérants et de tous les Rois qui ont jusques ici paru sur la terre. Il faut aussi que tous vos sujets dans leurs emplois différents surpassent les autres hommes, et qu’ainsi notre siècle devienne en quelque sorte digne du Prince qui en est tout l’ornement. Nous voyons déjà vos Capitaines et vos soldats devenus autant de Héros. La grandeur de votre âme a élevé leur courage, et leur a fait oser ce que la plus haute valeur n’avait pas seulement imaginé. Ce Palais nous montre un nombre infini de miracles que vous avez enseignés à tous les Arts, et dont les hommes ne se fussent jamais crûs capables, si vous n’en aviez le premier conçu les desseins, et si vous ne leur aviez inspiré le courage de les entreprendre. Les Poètes et les Orateurs, animés de ce même esprit, vont aussi se surpasser eux-mêmes ; et racontant simplement vos actions, ils seront plus élevés, plus magnifiques, et plus agréables que tous ceux des siècles passés. La grandeur et la hardiesse de vos projets fourniront le merveilleux de leurs Ouvrages, et le nombre de vos Victoires en fera la diversité. Voilà, SIRE, ce que l’Académie Française peut offrir à V. M. pour marquer une partie de la reconnaissance qu’elle a des bienfaits dont vous l’honorez, et c’est ainsi qu’elle tâchera de répondre en quelque façon à l’honneur qu’elle a d’être dépositaire de tant d’exploits mémorables, pour en rendre compte à tous les âges, et leur proposer en vous un Héros qui sera le modèle des Princes, l’amour des peuples, et l’admiration de toute la postérité.