Harangue au Roi sur ses heureuses conquêtes

Le 30 juillet 1675

Philippe QUINAULT

HARANGUE au Roi sur ses heureuses Conquêtes, prononcée le 30 Juillet 1675, par Mr. QUINAULT,

 

SIRE,

Nous venons applaudir à vos nouvelles Conquêtes et à votre heureux retour. Nos vœux les plus ardents sont exaucés, et quelque avantage que nous trouvions à revoir votre Majesté toute brillante de gloire, nous tenons encore à plus grand bonheur de la voir éloignée des périls, qu’elle vient de chercher avec empressement. Ce n’est pas la première fois, SIRE que vous avez voulu vous exposer aux plus dangereuses occasions de la guerre. L’impétuosité de votre courage n’a que trop souvent prévalu sur le poids de la Couronne qui vous devait retenir. Il n’y a presque point de sorte de lauriers que vous n’ayez cueillis de votre propre main, jusqu’à ceux qui ne sont destinés qu’aux simples soldats ; mais nous n’avions pas cru que cette chaleur guerrière pût encore s’accroître, et ne dût jamais se modérer. S’il ne vous suffisait pas du surprenant coup d’essai de vos armes, dont le progrès rapide abattit en si peu de temps toute la fierté de l’Espagne, emporta une des plus belles parties de ses Etats, et la réduisit à demander la paix, pour en sauver le reste, votre valeur ne devait-elle pas être satisfaite du célèbre passage du Rhin, de la prise fameuse du superbe Maastricht, de la seconde conquête d’une Province entière, subjuguée malgré ses nouvelles fortifications, en dépit de sa résistance obstinée, et à la vue des plus puissants Princes de l’Europe unis et armés pour son recours ? Cependant, SIRE, ces glorieux succès n’ont servi qu’à vous animer à courir encore plus ardemment au danger. Votre grand cœur eût été trop resserré et trop à couvert à son gré dans des lignes et dans des tranchées, vous avez compté presque pour rien Dinan, Huy, Limbourg, dont vous vous êtes rendu Maître comme en passant ; vous avez distribué les honneurs des sièges à vos Capitaines, et vous avez dédaigné de vous réserver une entreprise moins considérable que le dessein d’une bataille. C’était où vous prétendiez faire valoir hautement le privilège de votre rang suprême, en jouissant avec pleine liberté du droit de combattre par tout, et le premier de tous. Il faut vous l’avouer, SIRE, les Muses que vous protégez, troublées de la crainte de ce combat que vous souhaitiez avec tant d’impatience, interrompirent les chants de triomphe qu’elles avaient commencés, et les couronnes, qu’elles vous préparaient, toutes prêtes d’être achevées, tombèrent plus d’une fois de leurs mains tremblantes. Elles ne doutaient pas que votre Majesté ne fût victorieuse ; mais, SIRE, quelle victoire peut mériter le moindre des hasards que vous courez ? La guerre est un Théâtre où les plus belles vies ne sont pas exemptes de donner des spectacles funestes. La foudre qu’on y entend éclater, y frappe sans aucune distinction, et n’y respecte point les lauriers qui couvrent les plus nobles têtes. On y voit des Héros mille fois vainqueurs tomber à la fin eux-mêmes ; en élevant de nouveaux trophées et sans chercher dans des temps éloignés, nous en avons de tristes exemples qui ne sont que trop récents, et lui ne touchent votre Majesté que de trop prés. Nous ne déguisons point nos frayeurs, SIRE, on n’en peut avoir pour vous que de légitimes. Les Rois véritablement grands, sont des biens qu’on ne saurait trop appréhender de perdre ; le Ciel ne les accorde que rarement aux vœux des peuples ; on n’en remarque qu’un petit nombre dans la suite de tous les âges ; et pour des règnes tels que le vôtre, c’est trop peu que des siècles entiers. L’effroi des ennemis a trompé votre espérance, et nous a tirés d’inquiétude. En vain vous avez fait attaquer et forcer leurs places afin de les engager à tenter quelque effort pour les secourir. C’est en vain que vous avez détaché une partie de votre armée pour leur paraître moins redoutable, et pour leur inspirer la hardiesse de vous attendre ; leur suite continuelle les a dérobés à votre poursuite, et rien n’a pu les faire revenir de l’épouvante dont votre nom les avait frappés. Triomphez, SIRE, puisque vous le voulez, mais que ce soit au milieu de votre Empire. La Victoire aura soin de vous y venir trouver, elle y est accoutumée ; vous avez plus d’une armée à commander, et plus d’une Nation à vaincre. Demeurez au cœur de la France afin d’y pouvoir également animer tout ce qui doit agir pour votre gloire. Recueillez dans le plus beau séjour de la terre, les palmes que vous ordonnez de moissonner en différents climats. Recevez dans le plus charmant de vos palais les premiers hommages d’un Royaume, où la renommée vous élève un nouveau Trône que vous ne devez qu’à votre seule vertu ; et au même temps que vous serez porter chez nos voisins jaloux ce que la guerre a de terrible, faites ici briller par votre présence tout ce qu’on voit de plus agréable et de plus magnifique dans une heureuse tranquillité. Voilà ce que l’Académie Française s’empressera d’écrire avec plaisir. Permettez lui, SIRE, après tant de grâces dont vous avez prévenu ses désirs, d’oser former encore un dernier souhait. C’est que vous lui laissiez, s’il est paisible, célébrer désormais sans alarmes les actions admirables de son auguste Protecteur, et que cessant de hasarder en vous, la félicité dont nous jouissons, votre Majesté se contente d’être la terreur de ses Ennemis, l’amour de ses sujets, et l’admiration de tout le monde.