Compliment fait à Monseigneur le Cardinal d'Estrées

Le 24 avril 1667

François CHARPENTIER

COMPLIMENT fait le 24 Avril 1667, à Monseigneur le Cardinal DESTRÉES à son retour de Rome, par Mr. CHARPENTIER alors Directeur de l’Académie.

 

MONSEIGNEUR,

EN nous approchant de VOTRE EMINENCE, nous sentons une douce émotion qui n’est pas toutefois sans quelque mélange d’amertume. Nous vous revoyons avec les marques de la plus haute dignité de l’Église ; Quel plus agréable spectacle à nos yeux ? Quelle plus sensible joie à notre cœur ? Mais quand nous nous représentons que cette élévation vous sépare de nous, et vous arrache de nos exercices, qui ont autrefois partagé les heures de votre loisir ; nous ne saurions penser qu’avec douleur à une absence qui nous paraît irréparable. À Votre départ, MONSEIGNEUR, tous nos vœux vous accompagnèrent ; Nous ne souhaitâmes rien avec plus d’ardeur que de vous voir bientôt revêtu de l’éclat du à votre Mérite, à votre Naissance, et à la grandeur de vos Alliances Royales. À votre retour nous voyons en VOTRE EMINENCE l’accomplissement de nos vœux, mais nous ne vous trouvons plus à l’Académie. Hé bien, MONSEIGNEUR, n’en murmurons point ; Nous vous perdons d’une manière trop noble, pour nous en fâcher. Nous souhaitons même de vous perdre encore davantage, et que la Pourpre Romaine qui vous associe à la première Compagnie de l’Univers, vous place quelque jour, du consentement de toutes les nations, dans ce Trône fondé sur la Pierre, que toutes les puissances de l’Enfer ne sauraient ébranler. Mais pourquoi vous compter perdu pour nous, MONSEIGNEUR, dans l’augmentation de votre gloire, puis que le plus grand Roi du monde, LOUIS, le Vainqueur mais le Vainqueur rapide, le Terrible, le Foudroyant, a bien trouvé des moments pour songer à nous parmi la pompe et le tumulte de ses Triomphes. Que dis-je, pour songer à nous ? Ah c’est trop faiblement s’expliquer pour tant de grâces extraordinaires ! Disons plutôt pour nous appeler à lui par une adoption glorieuse ; Disons pour nous établir un repos inébranlable à l’ombre de ses Palmes. VOTRE EMINENCE, MONSEIGNEUR, n’a-t-elle pas admiré cet évènement, et quoique vous fussiez au pays des grands exemples, quoi que vous respirassiez le même air que Scipion et que Pompée, pûtes-vous apprendre sans surprise qu’un si grand Monarque se déclarât le Chef de l’Académie, et voulût mettre son nom Auguste à la tête d’une liste de gens de Lettres ? Votre Rome n’en fût-elle pas étonnée, et ne jugea-t-elle pas alors que le Ciel préparait à la France, la même prospérité dont l’Empire Romain avait joui sous les Augustes, sous les Adriens, et sous les Antonins ? Vous nous avez quittez, MONSEIGNEUR, dans l’Hôtel Séguier, dans l’Hôtel d’un Chancelier de France, illustre véritablement par sa suprême Magistrature, plus illustre encore par ses grandes actions. VOTRE EMINENCE, nous retrouve dans le Louvre, dans la Maison sacrée de nos Rois, et nos Muses n’ont plus d’autre séjour que celui de la MAJESTÉ. Il faut ne vous rien celer encore de tout ce qui peut tenir rang parmi nos heureuses aventures, puis que VOTRE EMINENCE y prend quelque part. Un Archevêque de Paris qui honore sa Dignité par sa Vertu, par son Eloquence, et par la noblesse de sa conduite ; Un Evêque d’une Erudition consommée, et que mille autres rares qualités ont fait choisir pour cultiver les espérances d’un jeune Héros, de qui tout l’Univers attend de si grandes choses ; un Duc et Pair également recommandable par son Esprit et par sa valeur, et avec qui toutes les Grâces ont fait une alliance éternelle ; des Gouverneurs de Province ; un Président du Parlement ; plusieurs personnages célèbres en toutes sortes de sciences, sont les nouveaux Confrères que nous vous avons donnez, sans parler de ce Grand Homme, que l’intime Confiance du Prince, un Zèle infatigable pour le bien de l’État, et une Passion ardente pour l’avancement des belles Lettres, distinguent assez pour n’avoir pas besoin d’être nommé plus ouvertement. L’Académie a fait la plupart de ces précieuses acquisitions, tandis que VOTRE EMINENCE, défendait nos droits à Rome, et s’opposait aux brigues de nos ennemis. C’est sur vos soins et sur ceux de Mr. le Duc votre frère, que la France s’est reposée avec sureté de ses intérêts, en un pays où déjà depuis longtemps le Courage, l’Intrépidité, et l’Amour de la Patrie, ont rendu fameux les noms de Cœuvres et d’Estrées. C’est avec la même Fermeté que VOTRE EMINENCE a soutenu l’honneur de la Couronne, contre les injustes défiances que la prospérité des armes du Roy faisait naître dans des âmes trop timides. Quels Eloges, Quels applaudissements n’a-t-elle point mérités encore au dernier Conclave cette Fermeté courageuse salutaire, qui dans une occasion si importante n’a pas moins envisagé les avantages de la République Chrétienne, que suivi le plan des pieuses intentions de sa MAJESTÉ ? Toute la Terre sait combien ces grandes vues ont donné de part, à VOTRE EMINENCE dans l’Exaltation de ce PONTIFE incomparable, à qui la Pureté des mœurs, le Mépris des Richesses, la Tendresse cordiale envers les Pauvres, l’Humilité magnanime des anciens Evêques, et le parfait Dégagement des choses du Monde, avoient acquis la réputation de SAINTETÉ, avant que d’en obtenir le titre attaché à la Chaire Apostolique. Il est mal-aimé après cela, MONSEIGNEUR, que nous ne nous flattions de quelque secrète complaisance, en voyant qu’il sort de l’Académie, des Princes du Sacré Sénat, et que votre suffrage, que nous avons compté quelquefois parmi les nôtres, concoure maintenant avec le Saint Esprit, au gouvernement de son Église. Avancez donc toujours, MONSEIGNEUR dans une si belle route, et permettez-nous de croire que VOTRE EMINENCE conservera quelques sentiments d’affection pour une Compagnie sur qui LOUIS LE GRAND jette de si favorables regards ; Pour une Compagnie, qui après la vénération toute singulière qu’elle doit avoir pour son ROYAL PROTECTEUR, n’aura point de mouvement plus fort que celui du zèle qui l’attache à VOTRE EMINENCE, et qui trouvera toujours une des principales occasions de sa joie dans l’accomplissement de toutes vos glorieuses entreprises.