Harangue faite à Mr. Boucherat sur son élévation à la Dignité de Chancelier

Le 1 janvier 1685

Claude BOYER

HARANGUE

faite en 1685, par Mr. BOYER, à Mr. Boucherat sur son élévation à la Dignité de Chancelier.

 

 

MONSEIGNEUR,

L’ACADÉMIE FRANÇAISE, toujours attentive à tous les pas et à toutes les démarches que fait son Auguste Protecteur, ne saurait assez louer aujourd’hui sa Sagesse & sa Justice dans le choix qu’il a fait de votre Personne, pour remplir la plus haute Dignité de l’État, et pour nous consoler en même temps de la mort de votre Prédécesseur. Ce n’est point une de ces élévations précipitées qui surprennent l’attente publique, et qui causent quelquefois moins de joie que d’étonnement. Il y a longtemps que nous vous suivions des yeux dans le chemin que vous vous êtes tracé vous-même pour arriver à la place où vous êtes. Nous avons vu par quels degrés vous y êtes monté : une application infatigable à tout ce qui fait le Magistrat achevé ; un Savoir à qui rien n’est échappé de ce qui sert à l’administration de la Justice, une Probité incorruptible, une Expérience consommée, une Sagesse nourrie des plus solides connaissances de la Politique et de la Jurisprudence. Mais pourquoi s’engager dans un détail qui serait trop long ? pour voir dans toute son étendue son Mérite que votre Modestie a pu vous cacher à vous-même, et qu’elle n’a pu dérober aux yeux de toute la France. Ne suffit-il pas de voir la Grandeur que ce Mérite vous a procuré ? Souffrez pour cela, MONSEIGNEUR, que l’Académie Françoise qui sait l’Art de définir les choses, et d’en faire des images vives, vous représente à vous-même, avec cette Nouvelle Gloire qui vous environne : Souffrez qu’elle vous contemple sur le plus auguste & le plus glorieux Tribunal de l’Univers, où vous êtes devenu la première Intelligence de l’État, sous le plus grand Roi de la Terre ; l’Organe de sa Justice souveraine, l’Oracle de ses Lois, le Dispensateur de ses Grâces, et le Dépositaire de son Autorité.

Il est malaisé, MONSEIGNEUR, d’ajouter quelque chose à de si grands noms : mais au moins vous savez que dans le règne de Louis XIV, si la Grandeur peut avoir des bornes, la Gloire n’en a point. Lui-même en donne l’exemple. S’il a borné ses conquêtes par la Paix, on voit en même temps quelle abondante moisson de Gloire il s’est fait au milieu de cette Paix. Tant de milliers d’âmes égarées, et ramenées au sein de l’Église font plus d’honneur à sa Piété, que tant de places conquises sur les Ennemis n’en ont fait à sa Valeur. C’est à cette Gloire plus solide et plus durable que toute autre, que vous allez contribuer par vos soins et par vos conseils, et c’est par là que la vôtre s’augmentera tous les jours.

Cependant, MONSEIGNEUR, agréez qu’après vous avoir regardé dans ces importantes occupations sous cette idée de Grandeur, pour nous rassurer contre cette Majesté si sévère et si terrible qui est presque inséparable de votre Dignité, nous regardions en vous cette charmante politesse qui vous gagne les cœurs de tout le monde ; cette noble facilité qui vous rend toujours accessible au Mérite et à la Vertu ; cette Bonté bienfaisante et généreuse, qui est le Refuge des faibles et des malheureux. Agréez surtout que l’Académie Française, qui vous regarde comme le Chef et le second Protecteur des Sciences et des belles Lettres, se flatte de cette douce pensée que vous voudrez bien jeter quelquefois vos regards sur une Compagnie qui travaille à polir une Langue que vous parlez si bien, qui doit être la Langue de toutes les Nations, qui servira mieux à immortaliser LOUIS LE GRAND que ces bronzes, et que ces marbres qu’on lui prépare avec tant de magnificence.